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dans fon pays, finira par écrafer tout-à-fait celui
qui fe fera livré à fes coups avec tant d’imprudence.
Il ne faut jamais perdre de vue qu’une
armée qui ne reçoit pas continuellement des renfor
ts , n’importe de quel genre, fe fond immanquablement.
Les montagnes 'doivent donc être mi fes au rang
des limites naturelles, c’eft-à-dire, celles au-delà
defquelles une ligne d’opération offenfive ne peut
plus réuflir quand on lui oppofe la réfiftance convenable.
L’eau, quand elle forme une mafte d ’une certaine
importance, devient aufii limite naturelle j
conféquemment la mer, les lacs longs, larges &
profonds, les grands fleuves qui reçoivent plufieurs
rivières dans leur fein, en ce qu’ elles augmentent
les difficultés des convois & qu’ elles rendent
incertaines les relations avec le bord dont
on arrive 8c fur lequel on a fa bafe établie. Il n’eft
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pas difficile de franchir une rivière ; mais il eft
très-difficile de fe maintenir à l’autre bord lï l’on
éprouve la réfiflance convenable.
Cependant il ne faut pas compter entièrement
fur les barrières naturelles ; il eft encore effentiel
de les fortifier par l'art.
De l’afcendant que le fyftème de guerre moderne
donne au grand nombre fur la valeur & la
bonté intrinfèque des combattans , l’auteur con-
clud que l’avantage eft aujourd’hui du côté de la
juftice & de la liberté, c’eft-à-dire, que cet ordre
de chofe favorife la guerre défenfive, & l’infur-
reétion des citoyens d'un état (en cas d’oppref-
fion ) contre une armée réglée & difciplinée.
Enfin, du danger pour un gouvernement d’opérer
au-delà des frontières que la Nature lui a
prefcrites, l’auteur penfe qu’ il doit s’enfuivre une
paix perpétuelle.
T
nr X A B LE . Plufieurs raifons nous femblent fe
réunir pour prouver combien il eft dangereux pour
les généraux en chef, les généraux particuliers &
jes fimples officiers, de s’adonner aux plaifirs fi dangereux
de la table, qui excluent fi impérieufement
la fobriété & la tempérance, deux vertus dont la
pratique eft eflentiellement néceffaire aux militaires.
L’ intéreftant Montaigne, en parlant des vertus
de Céfar, dit « qu’ il était finguliérement fobre,
& fi peu délicat en fon manger, qu’Oppius récite
qu’un jour lui ayant été préfenté a table, en quelque
fauce , de l’huile médecinée au lieu d'huile
fimple, il en mangea largement pour ne faire honte
à fon hôte. Une autre fois il fit foueter fon boulanger
pour lui avoir fervi d’ autre pain que celui
du commun.
On fe rappelle de la manière de vivre de ce
conful Fabricius, que les ambaiïadeurs de Pyrrhus
trouvèrent mangeant des légumes dans des uften-
fiies de bois.
En générai, les grands capitaines durent être
fobres & tempérans > car rien n’eft plus difficile ?
plus difpendieux. & de plus mauvais exemple
que la bonne chère dans les armées.
C ’eft le luxe des tables qui occafionne la multitude
des équipages, les requifitions outrées, les
contributions, les vols , les pillages, les vexations
chez l’ ennemi, la débauche , l’ oubli de fes devoirs,
le mépris de la difcipline, &c.
Quelle révolution s’eft faite à cet égard dans
nos armées , depuis environ un fiècle 1Turenne,
en campagne , mangeait des viandes communes
dans des affiètes de fer : aujourd’hui la table du
moindre officier-général eft fervie & décorée fur
un champ de bataille, avec la délicatefle & la magnificence
d’un feftin. Le grand-homme que nous
venons de nommer, tous les officiers-généraux de
fon tems, Louis XIV lui-même, dans fes premières
campagnes, alloient au rendez-vous de l’armée à
cheval, & maintenant l’officier particulier, l’officier
fubalterne ne veut plus voyager qu’en voiture.
Ne diffimulons point que c’eft pendant le règne
même de Louis XIV qu’a commencé cette corruption.
Le marquis d’Huroièr.es, q u i, à la tranchée
devant Arras, donna l'exemple fcandaleux j
de fe faire fervir des ragoûts 8c des entremets
dans de la vaiflelle plate , eût dû être cafté fur le
champ 8c renvoyé de l’armée avec ignominie.
Louis XIV et Louvois font inexcufables d’avoir
Art Mi Ut. Suppl. Tome I V ,
fouffert i’ introduttion du luxe 8c de la molefle
dans nos armées. Comment ne prévirent-ils pas les
effets pernicieux de ce poifon? Comment ce Louvois
, qui fit tant de lois militaires , n’ en porta-
t-il point pour arrêter un défordre fi fatal ? Il mérite
bien plus de blâme pour cette grande faute ,
qu’on ne lui doit de reconnoiflance pour lesfuccès
paflagers qu’on lui attribue.
Aujourd’ hui le mal eft d’autant plus difficile à
guérir , qu’ il eft porté à l ’extrême ; 8c cependant
tout eft perdu fi la fageffe & la fermeté du gouvernement
ne rétabliflent la fimplicité des moeurs
militaires dans nos armées, & furtoutdans la clafte
des officiers-généraux.
Le réglement provifoire de 1778, fur le fervice
de campagne, au milieu d’une infinité de fages
difpofitions, en contient plufieurs relatives à l'objet
dont il s’agit, objet bien digne fans doute de
fixer l’ attention dulégiflateur. Mais qu’ il nous foie
permis d’obferver que ce réglement, beaucoup
trop indulgent pour les vices du fiècle 8c de la nation,
laifle encore un champ bien vafte au luxe de
nos armées. Comparez ces lois iomptuairesà celles
des armées de Prufle, vous y trouverez une différence
frappante ; 8c cependant ce luxe modique
des officiers pruffiens paroîtra prodigieux auprès
de la fimplicité févère des généraux de la Grèce
& de Rome, dans le tems même que ces contrées
étoient au comble de la richeffe & de l’opulence.
Des citoyens romains, auffi riches que des rois ,
fe foumettoient, dans les camps, à la vieauftère 8c
fobre du fimple foldat ; logeoient, comme lui, fous
la tente, fe nourriflbient des mêmes alimens, mar-
choient à pied à la tête des légions. Ainfi, tandis
que le luxe fatiguoit déjà les villes, la frugalité
! régnoit encore dans les armées. Et voilà ce qui
fauva l’Empire romain } voilà ce qui prolongea fa
gloire militaire bien avant dans les fiècles de la
corruption.
Un abus introduit dans les armées modernes par
la loi même , eft cette infenfée progreffion de
luxe qui va toujours s’ élevant avec le grade , &
doublant prefque dans chaque grade fupérieur,
comme s’il y avoit une échelle progreffive de be-
loin en même proportion j comme fi un homme
pouvoit en avoir cet.t fois plus qu’un autre hom-
rné; comme fi, au-delà d’un certain terme pour les
gens , même délicatement élevés | tout le refte
n’étoit pas fiivole oft.ntation, & comme s’il étoic
bien pécefkire de tranfpoiter dans les caîhps ce