
Le maréchal ne paroît pas avoir aufli fort connu
la cavalerie j au moins les moyens qu'il propofe
pour la remuer font lourds 8c défectueux, l'allure
ordinaire de fon tems, même pour la charge la
plus décifive, étant le trot.
Mais ce qui met le comble à la gloire du maréchal,
comme m litaire & comme écrivain, c ’eft
la bonté 8c l'utilité de fes réflexions fur la bataille
de Nordlingen j le cas infini que Frédéric faifoit
de fes ouvrages, & fon aveu d'v avoir puifé les
principes de la ligne oblique, dont le maréchal
avoit fi bien développé le premier tout le mérite
& fait fentir toute l'utilité.
A la gloire de donner ati plus grand homme de
guerre, connu chez les modernes, le germe
d'une de fes plus fublimes idées, le maréchal de
Puifégur fut joindre celle de donner aux tacticiens
la leçon utile de prendre pour bafe de leurs
fuppofîtions un terrein parfaitement connu. A
1 aide de ce fecours, un auteur militaire ne peut
plus fe livrer aux écarts d’une imagination q ui,
créant des terreins toujours, défavantageux aux
armées que l'on veut attaquer, n'en fuppofe que
de parfaitement propices aux manoeuvres, aux
mouvemens & aux pofitions de celles qui veulent
atgq uer, & les voit par-là même conftamment
viûEorieufes.
Vers le milieu du dix-huitième fiècle parurent
les Commentaires de Polybe, par Folard *, dés
Rêveries de M. de Saxe ; les ouvrages de M. de
Bonneville, d'après le's idées du maréchal de Saxe}
les ouvrages de M. Guifchard, fes Mémoires militaires
fur les anciens, fes Campagnes de Céfar,
contre Afranius en Efpagne j* les ouvrages de
M. Loo’z -L o o z , foit fur ceux de M. Guifchard,
foit fur la Fortification applicable à la tactique,
foit fes Militaires au-delà au Gange 5 l'Ingénieur
de campagne, par M. de Cleirac > les InftruCtions
du roi de Pruffe à fes généraux 5 les Idées fur la
preflîon & l'ordre profond, par M. Menil-Durand
j les ouvrages de M. de Moizeroy, fon Cours
de tactique, fa Traduction de l'empereur Léon, & c.
la Traduction d’EIien , par M. de Bouchant, 8cc.
Cfi^ doit au chevalier Folard d’avoir mis en
problème, ou plutôt de s'être perfuadé qu’il avoit
parfaitement réfolu le problème fur la préférence
à donner à l'un ou à l'autre, de l'ordre profond
ou de l'ordre mince. On lui doit auffi des éloges !
fur fon zèle , fon.application aux differentes branches
de l'art miliraire. Il fut un des premiers à
faire obferver l'extrême pefanteur de f artillerie 5
de-là peut-ê tre s'enfuivirent les moyens d’en
augmenter le nombre des pièces dans les armées j
ce qui rend certainement les guerres plus chères
& plus meurtrières 5 mais qui ;malheureufement
ne les a pas rendues encore plus rares,
Ce fut le maréchal de Saxe qui le premier découvrit
dans les jambes le feciet des manoeuvres,
des combats & des victoires. Le premier aufii il
chercha à mettre dans la marche dé l'uniformité 8c de l'enfemble, au moyen de la mefure & de
'la cadence des inftrumens militaires.
Ce fut pendant le tems de fon fameux camp de
Courtrai qu'il s'atcacha le plus à établir cette bafe
importante : les autres , non moins utiles , étant
propres à donner de la vîteffe & de l'enfemble au
foldat, ne furent pas non plus négligées j mais
elles étoient encore bien légèrement apperçues.
Le même officier paroît avoir été des premiers
a avoir des vues juftes fur le fervice de la cavalerie
5 il ne la regarde comme bonne que lorf-
qu’eile fait faire deux mille pas au galop fans
déranger fa ligne.
Son régiment de hulans, fupërieurement armé
pour la petite guerre, devoit avoir les fuccès
qu'il eut conftamment pendant celle de 1741.
Comment, au lieu d'en former d'autres fur ce
modèle, put-on commettre la faute d'en faire un
régiment de dragons ?•
L e premier encore, M. de Saxe, combattit
dans fon ouvrage la mélange des petites troupes
d'infanterie avec la cavalerie, fi fort en ufage
dans le dix-feptième fiècle.
Depuis la paix faite en 1763, jufqu’ à la fin du
dix-huitième fiècle, on a vu paroître les ouvrages
de M. de Turpinj; fa Conftitution militaire, fes
Commentaires de Végèce , de Montécuculli , de
Cefar, &c. $ de M. de Milford, fur la cavalerie j
de M. de Bohan , fur une Conftitution militaire j
les OEuvres de M. de Sylva} celles fur l ’artillerie,
de M. du Pujet3 l'Efprit militaire, par M. de
Laiffal ; les ouvrages de M. de Grimoard , de
M. Keralio} ceux de M. de Guibert} fon Effai
de tactique, fon Examen d'un nouveau fyftême
de guerre, fon Eloge du roi de Pruffe, de Cati-
nat b fa Force publique, 8cc. j le Guide de l'officier
en campagne, par M. Lacuée} le Soldat
citoyen, par M. Servan 5 la Retraite des dix mille,
par M. la Luzerne; le Syftêsne de l’ art défenfif,
par M. de Montalembert} l'Effai hiftorique &
militaire fur l'art de la guerre} les campagnes de
Maillebois, par M. Pe fé , &c. & c . &c\
Les Anglois, les Italiens, & furtout les Alle-
manc^av0nt au^. ^es auteurs très-eftimables fur
ces différens objets. Hiftoire de mon tems , par
le roi de Pruffe ; Hiftoire de la guerre de fept ans,
par le même. Ouvrages de Loid fur la guerre de
fept ans 5 Hiftoire de la même guerre, par M. de
Templeenhof} Effais fin l’influence de la poudre
a canon dans l'art de la guerre moderne, par
M. MauviJIon, & c . 8cc, & c . *
Après avoir ainfi parcouru tous les âges de Ja
fcience militaire , il nous refte encore , pour
terminer cet article, fins doute trop au-deffus de
nos forces, de nous permettre quelques obfer-
vations comparatives fur les armes des.anciens 8c
celles des modernes, 8c fur les armées des uns
8c des autres.
Relativement aux armes, il ne peut guère être
queftion que des armes défenfives , la plus grande
partie de celles dont fe fervoient les Grecs & les
Romains étant conftruites de manière à laiffer
croire qu'il pouvoit être avantageux de les employer,
finon pour préferver tout-à-fait des coups
de feu, au moins pour en rendre une grande quantité
moins meurtrières. Pour les armes offenfives, nous
avons peut-être à envier aux anciens l'épée à la
romaine.. Quant aux piques grecques , propofées !
par quelques militaires, ils n'ont peut-être pas
affez pefé èurs inconvéniens, ni examiné affez à
fondi tous te s avantages d’un fufil perfectionné,
armé d'une forte 8c longue bayonnetce. Pour une
occafion où les piques pourroient être utiles, il y
en auroit mille où elles feroient à charge & ne
pourroient pas fervir. A bien examiner la tactique
des Romains 8c leurs différentes batailles, on peut
fe convaincre combien ils faifoient peu d’ufage
des armes de longueur ; ils les gardoient pour s'en
fervir dans certaines circonftances.-Camille en
avoit armé fes foldats à la bataille de Lanio } elle
demeura depuis aux triaires : après Marius on la
quitta & on la reprit; ce qui prouve affez combien
fon utilité étoit douteufe. Auffi, autant les armes
romaines étoient fupérieures à celles des Grecs,
autant les armes des modernes l’emportent fur les
premières. Quant à nos grandes armes pirobalif-
tiques , malgré le dire du chevalier Folard, leur
fuperiorité eft bien évidemment démontrée fur
toutes celles des anciens. De cette fupériorité
dans nos armes de jet s’en font fuiviesdes sciences
inconnues des anciens, celle de l'artillerie, celle
des mines 8c des fortifications } la théorie de la
baliftique de* anciens , le fouillage des bèces &
des daces étoient, en comparaifon, des arts informes
& groffiers. (Voyez au mot a rm e s , tom. I,
la comparaifon des armes de jet des anciens, avec
celles des modèrnes).
dans la courte durée des guerres dans lefquelîe»
on en venoit promptement à des actions décifives,
8c où tout fe terminoit par la défaite des affail-
lans, ou par l’envahiffement des propriétés des
peup'es attaqués.
Chez les Grecs on fe battit long tems pour
défendre fes propriétés ; chez les Romains, qui
à peine avoient un territoire autour de leur ville
naiffante, la viétoire augmenta d’abotd leur domaine
j bientôt il fut partagé entre les vainqueurs ;
& lorsqu’ils étendirent leurs conquêtes au-delà
de Mtalie, les plus grandes richeffes furent le
prix de ieur courage : les foldats furent payés , a
la vérité, dès l’an 340 } mais malgré cela, à tout
ce qui excitoit le foldat romain, citoyen 8c propriétaire
, fe ioignoit l’efpérance d’une grande
fortune. Des généraux firent difiribuer jufqu’à fîx
ou fept cents livres à chaque foldat. Céfar, en
rapportant un trait de bravoure du centurion
Caffius Séva, ajoute qu'il lui donna deux cent
mille fefterces } ce qui fait environ vingt-cinq
mille livres de notre monneie.
Jamais les aventuriers qui conquirent le Nouveau
-Monde , ne furent auffi richement récom-
penfés. La première diftribution de Cortès , dans
l’Amérique, fut de quatre cents livres feulement
à chaque foldat.
Au moment où les armées furent difciplinées
chez les anciens , elles furent peu nombreufes,
8c ce fut fous Augufte où l’on commença à les
tenir continuellement fous les drapeaux.
De notre tems, les armées ont été portées à
un nombre qui excède-toute proportion avec
celui de la population. Le nombre des foldats
forme à-peu-près la trentième partie de la ciafi’e
laborieufe 8c utile} 8c les frais de la folde 8c de
l’entretien du militaire pèfent fur les peuples &
diminuent leur aifance, au moment où les bras
des foldats font enlevés aux arts & à l’agriculture.
Cette folde eft infuffifante dans toutes les nations
, & les défertions doivent fouvent être
attribuées à la mifère. Plus de perfpe&ive de
rançon, de butin, de partage de conquêtes} plus
d’ efpérance de repos et d’aifance dans la vieilleffe.
Relativement aux armées des anciens, fi l’on
eut en croire l'hiftoire, fur les armées innom-
rables levées dans l’Orient par les Cambyfes, les
Cyrus, les Xercès, les Darius, il faut en chercher
les eau fes dans la population, qui y fut toujours
exceflive} dans les fubfiftances très-abondantes
8c à vil prix $ dans des armées levées momentanément
pour la guerre ; dans,des chefs
rojettant de fe dédommager de leurs frais par le
min 3e les conquêtes j dans des foldats fe pré-
fentant en foule, attirés par l’efpoir de s’enrichir
avec les prifonniers 8c leurs dépouilles : enfin
La découverte de la poudre a augmenté les
frais des. aimées} les trains d’artillerie, les canons,
la poudre, exigent d’énormes dépenfes :
les fortifications font beaucoup plus difpen-
dieufes.
Les armées anciennes coûtoient donc moins,
peloient moins fur l’Etat, & étoient compofées
de foldats dont le fort étoit infiniment meilleur.
D’ailleurs les armée« anciennes ne connoiffoient
point les chicanes de la petite guerre *, on ne