
jamais faire du fufil une bonne arme 4e maïn,
capable de porter fort coup allez lo in , pour" que
deux corps d’ infanterie fe joignent à la pointe
de la/bayonnette , & donnent ce choc redoutable
dont on parle tant, & qui n’a jamais1 lieu ; &
encore moins capable de repouffer la cavalerië
qui , eh chargeant , s’avancëroit jufqu’à cette
pointe-là. L’arme du foldat devroit être légère,
parce qu’il s’en fë r t, pendant lè temps du combat,
rapidement & fans,intervalle de repos, portant
encore communément ufne charge confidérable fur
le dos. Dans ces circonftances, avec un fulil pe-
far it, il tirera toujours en l ’air ou à terre.
Je ne finirois pas (i je voulois détailler tous
les inconvéniens de nos armes telles qu’elles font,
& dans la fituation du fantafîin de ligne dans
le combat, pour en ajufter le coup. Mais quand
la plupart de ces inconvéniens n’exifteroient pas,
a-t-on fongé à ia fituation d’efprit où fe trouve
le foldat dans le feu ? & penfe-t-on que le plus
habile tireur foit dans une afïiette à faire ufage
de fon adreffe? Il y a une grande différence.entre
tirer à la cible, que l’on fait qui ne tire pas,
ou contre un ennemi avec une arme femblable a
la nôtre. Pourquoi dans tant de combats fingu-
liers au piftolet, aucun coup ne porte-t-il, même
entre gens qui tirent bien? c’eft que l’idée que
l’autre tirera à fon tour , ne rend pas la main
bien ferme. Cependant on tire communément
l ’un après l’autre , & fe feroit encore bien pis
fi.ç’étojt à qui tirerait le premier. Mais puifqüe.
dans une bataille ce n’eft pas un adverfaire que
l’on a , mais dès centaines , & qui aff«rément
n’attendent pas que leur tour vienne pour tirer;
que l’on fe figure l’anxiété 8c la précipitation
qui doit naître de l’idée, que fi on ne fe hâte
de tuer ces gens-là, on en fera tué.-.Qn m’ob-
jeciera peut-être que, s’il eneft ainfi, l’adreffe des
gens de trait des anciens auroit dû leur être
aufïi inutile, puifque apparemment ils ne tiroient
pas fans qu’on ne tirât auffi fur eux. Je penfe
bien fans doute que les archers 8c les frondeurs
anciens tiroient bien mieux dans leurs exercices
que dans le combat > cela n’empêche pourtant
pas que la différence ne foit fort grande. Les
armes des anciens ne.faifoiënt pas ce grand fracas
, capable de bouléverfer des têtes bien or garni
ee s -, leurs coups n’étoient ni fi rapides ni 1
multipliés, ni fi dangereux ; 8ç meme on en
pouvoir éviter un grand nombre, rien ne gênant
les mouvemens des ■ armés a la legere , qui
çombattoient à la débandade-, d’ ailleurs les gens
de trait' des anciens-tiroient plutôt , 8c, par puis
d’une raifon , fur l’ infanterie de Hgne » fiu3. les
uns lur les autres -, mais chez nous, où tout tire ,
où il n’y a 'pas moyen de parer un trait mowel,
& tout au moins exceffivement dangereux or
douloureux, qni vient frapper le foldat: nu ,
£ojnm? Ift foudre j qui ne fauroit evi
quand même on le verroit venir, parce qu’ otf
eft ferré de tous côtés à ne pouvoir fe remuer :
dans cette fituation , dis-je , on fent bien que
le foldat eft mille fois moins dans l’afliette ordinaire
pour vifer '& pour tirer jufte, que ne
l’étoient anciennement les gens de trait.
Je- conclus de ceci , non fans fondement je
penfe , que s’ il y a parmi nous une efpèce -de
troupe pour qui l’art de tirer jufte foit réellement
utile , c’eft notre infanterie légère. Elle
combat à la débandade , & elle eft communément
poftée de manière à être couverte ou cachés
contre le feu de l’ennemi. Cela lai fie au
loldat de la liberté dans fes mouvemens, à chacun
de voir l’ennemi ; le garantit de la grande fumée
-, rend le danger beaucoup moindre, & ne
le prive par conféquent. pas tant de réflexion &
de fang froid, que le fantafîin de ligne , qui r
par le fracas de l’artillerie 8c du nombre in-»
croyable de coups de feu , dont il entend les
balles lui fiffier autour des oreilles, eft toujours
comme hors de foi.
En revanche, d’ après ce qu’on vient de lire ,
j’en appelle" à tous les officiers qui ont de l’ex*-
périenee ; je crois pouvoir foutenir que quand
or^ formeroit des régimens entiers de purs chaf-
feurs ,. ils ne tireroient guères mieux que nos
troupes de lig n e , fuppofé qu’on les armât,
qu’on les rangeât 8c qu’on les fît combattre
comme celles-ci. Je n’ai point d’expériences' -à
alléguer fur ce lu je t, parce que .par tout 'où: on
a formé des corps de gens habiles à tirer, on
en a fait des troupes légères -, mais cela même
prouvé le fentiment qu’ on a eu en tout- temps
de la vérité de mon opinion.
Les coups tirés par nos troupes de ligne ne
peuvent donc jamais être des coups ajuftés , &
par conféquent on raifonne jufte en les multipliant
, parce qu’il n’y a qué la multitude qui
puifle réparer ce qui leur manque du côté de
la jufteffe. Nous trouvons d’abord cette multitude
dans le nombre de nos foldats , qui étant
tous armés de fufils, & pouvant tirer tou s,
font partir un très-grand nombre de coups à la
fois. Nous la trouvons encore dans la rapidité
de notre feu. Dix mille hommes peuvent fans
trop fe preffer, tirer quarante mille coups de
fufils dans une minute. On fait fort bien d’exercer
le foldat à ce feu rapide, parce qu’un feu
plus lenc n’en feroit pas plus sûr dans les cir-
conftancès où il fe trouve, & ne feroit qu’effrayer
celui qui le feroit, & qui feroit attaqué
par un feu mieux nourri que le lien.
On ne fauroit pourtant nier que l’effet de nos
armes à feu, 'aq moins du fu fil, ne foit trop
peu de çhofe en comparaison de la multitude
des coups qu’on tire.- On peut compter que de
cent coups qui fe tire dans une bataille, à peine
y en a t- il un feul qui porte. On doit par conséquent?
C I B
féquent fonger à la rendre plus efficace *, mais
ce n’eft point en apprenant aux foldats à tirer ,
comme le prétendent prefque tous les auteurs militaires.
Il y a pour cela des moyens plus analogues ,
à la nature des chofes , & par conféquent plus
réels à employer.
Si nous confidérons d’abord nos armes & l’objet
que le foldat a devant foi , nous verrons
bien qu’il n’eft pas befoin d’en faire un habile ,
tireur, pour rendre fon feu meurtrier. L’objet
a entre trois & quatre cents pieds de large fur
cinq de haut. Le fufil forme une ligne à peu
près droite , 8c dès qu’on eft placé devant un
pareil objet , il n’eft prefque pas pofîible de le
manquer autrement qu’en tirant trop haut ou
trop bas. Il ne s’agit pas même d’être" grand
tireur pour cela, il ne faut que tenir fon fufil
dans le plan horizontal de l’objet, parce que la
balle décrit une ligne qui ne. s’écarte fenfible-
ment de la droite qu’au commencement ou vers
la fin de fa portée.
D’après ces notions, on voit bien qu’il ne
s’agit pour rendre notre feu très-meurtrier, que
de trouver une manière de tenir le fufil, au
moyen de laquelle la balle parcoure toute fa
portée fans s’élever nulle part à plus de cinq
pieds au deffus de l’horizon, 8c d’obliger' le
foldat à tenir toujours le fufil dans cette pofi-
tion -, alors les coups ne pourront manquer de
donner dans un objet tel que nous venons' de
Je décrire, à quelque diftance qu’il fe trouvé,
en deçà de la portée des' armes : voilà ce qu’il
fau t, & non pas apprendre au foldat à tirer
comme un chaffeur. C’eft une idée chimérique.
Le chaffeur tire contre un objet ifolé, à une
diftance très-grande : c’eft une chofe qui demandé
beaucoup d’adreffe , & par conféquent
d’exercice. L’objet du fantaflin de ligne eft
toute autre chofe ; 8c quant a la diftance , quelque
variation qu’elle piaffe aporter à la manière
de tenir .le fufil , il ne faut jamais y avoir
égard, parce que la fumée la cache au foldat,
& que le tumulte du combat Penîpêchera toujours
de l’apprécier 8c d’arranger la façon de
coucher en joue eh conféquence, quoi qu’on lui
apprenne à ce fujet. Il faut trouver la meilleure !
manière de tenir le fufil pour en diriger le
coup dans toute, fa portée contre un objet tel
que celui que je viens de décrire , 8c rendre
cette manière de le tenir abfolument machinale
au foldat. Il eft à croire qu’en exerçant beaucoup
les troupes à charger, & en apportant la
plus grande attention 8c même févérité à ce
qu’aucun foldat ne couche autrement en joue
que de la façon qu’on lui aura montrée, on
réufïira à empêcher que la plupart ne tirent
mal -, "car il n’y a que ce qui eft machinal qui
n’abandonne pas les hommes dans les occafions
Art. Milit. SuppL Tome IV .
C L A 137
où le danger leu r ôte la puiffance de réfléchir.
V o y e1 l’article Joue en Joue.
Quoique nous adoptions la plus grande partie
des réflexions de M. Mauvillon ; quoique nous
penfions avec ce favant militaire qu’il ‘eft prefque
impoffible de rendre les foldats adroits comme
un chaffêur , & qu’il eft prefque inutile de le
tenter, nous n’en recommanderons pas moins de
faire, pendant la paix, tirer le foldat a balle, 8c même quelquefois à poudre feule, foit pour
l’habituer à-charger f°n trtfif avec foin, foit pour
l’accoutumer au fifflement des balles, foit enfin
pour lui faire contracter' l’ufage d’appuyer fortement
fon arme à l’épaule. Mais ferons-nous tirer
annuellement le foldat à la cible, ou attendrons-
nous pour l’exercer à tirer à balle que la guerre
foit réfolue & prête à 'commencer ? L’une 8c
l ’autre de ces opinions a des par titan s -, je n’hé-‘,
fite point à me ranger parmi ceux qui ne veulent
qu’on brûle de la poudre qu’au moment ©ù la
guerre paroît inévitable.
La quantité de munitions de . guerre que les
troupes françoifes ont confirmée pour leurs
exercices depuis la paix de i j 6j , eft effrayante
par fon immenfité ; elle s’élève en effet a plus
de quatre millions, de livres de poudre, 8c a
près de deux millions de livres de plomb. Qu’eft-
il refulté de cette dépenfe énorme ? rien. La
plupart ,des hommes, qui l’ont faite n’exiftent plus
dans nos contrôles, & ceux qui font encore,dans
nos régimens, ont bien peu profité des leçons
qu’ ils ont reçues. Le foldat ne tire en effet que
vingt-cinq ou trente coups par campagne , il les
tire à volonté & fans principes. Si l’art de bien
tirer étoit auffi néceffaire au fantafîin qu’à l’artilleur
, & auffi difficile pour le premier que
pour le fécond, peut-être fàudroit-il-, faifant
abftraâion de la dépenfe , exercer le fantaflin
annuellement à la cible; il faudroit encore l’exercer
conftamment à tirer à balle, fi la guerre fe
montroit en Europe avec la rapidité de la foudre;
mais comme les tempêtes guerrières, font, aujourd’hui
précédées par un grand nombre de nuages;
comme on entend venir de très-loin l’orage qui
va fondre, & comme il ne faut que cent cinquante
ou deux cents bonnes leçons données de
fuite pour habituer, des foldats, déjà formés aux
exercices militaires, à bien charger, à bien tirer,
je me crois fondé à dire qu’on peut le difpenfer
de leur diftribuer annuellement la quantité de
poudre qu’on leur donne , 8c par conféquent de-
les faire tirer à la cible.
CLARINETTE. Infiniment de mufique employé.
dans les mufiques militaires modernes.
Voyei M u s iq u e .
CLASSE. Les foldats font diftribués en deux
grandes clajjès : les hommes admis au bataillon ;
les hommes qui n’y ont point été admis :