
tenté d'exécuter une pareille idée., non fans
doute encore; mais la nation françaife différente
de gouvernement de toutes celles de l'Europe,
doit en difféier dans fa conftitution militaire,
la radique, fa difcipline elle ne doit plus être
qu elle & non pas une autre ; alors feulement
elle fera tout ce quelle doit & peut ê tre , &
ehe tirera dé fon fein les reffources immenfes
deik elle peut avoir befoin & qu'elle peut y
trouver. ■
Les troupes réglées font l’inftrument du def-
potifme comme leur inftitution en fut le
lignai.
Les .gardes, prétoriennes , les mamelucs, les
lire lits, les jànniffaires,. les bandes noires, les
ianfquenets, les gardes des monarques y te's
furent toujours les inftrumens aétifs du def-
potifme.
Les troupes réglées & foldées ont été &
feront toujours le fléau de la liberté ; mais ce
fléau eff intolérable, quand il devient la caufe
& le rempart des déprédations & des vexations ;
ce qui doit toujours ar.iver, vu la propenlîon
des hommes à la domination & au deîbo-
tifme."
Il faut aux defpotes des foldats pour foutenir
leurs douanes & faire refpe&er leurs fpoliations.
Il leur faut des hommes plus curieux de referip-
tions pendant leur vie ( comme dit Mirabeau ).
que d’infc iptions après leur mort. Ils n’ent pas
befoin de citoyens redoutables aux feuls ennemis
de l'E ta t, & commandés par des chefs confi-
derés & dignes de l'être ; on ne veut qu'écarter
-du métier les notables intérefïes à-la chofe publique
& fes défenfeurs nés---- Il faut des gens
que l'on puiffe intimid.r ou pervertir ou gagner,
& qui ne puiffent rien qu’en faveur du defpo- ■
tifme qui les foudoie.
Il y a des métiers fi nobles, tel que celui de
l'homme de g u e r re q u e vouloir le faire pour de
l'argent, c'eft fe montrer indigne de le faire.
La révolution a du habituer les Français à ne
plus regarder les foldats que comme des défen-
feuis de la patrie.
Et fi vous n'aviez que des troupes continuellement
fur pied, quels feroient les hommes avec
lefquels vous pourriez compofer & recruter vos
bataillons ? Avec de jeunes libertins, des vagabonds
ou des hommes qui ne fauroient où
donner de la tête. L'honnête artifan, le laborieux
journalier, le propriétaire aifé voudroient-
iis prendre un état où ils perdroienc leur fortune,
leur liberté, & tous les avantages phyfi-
ques & civils de la fociété.
La méchanceté des hommes arma leurs mains
j impies, dit le grand Frédéric, & ils fe déchirèrent
pour un vil amas de boue__ Et quels
font donc ces hommes dont la méchanceté arm; les
mains impies ? Ne font-ce pas le s fou venins , leurs
confeillers, leurs courtifans ? Mais qu'avoient
a faire dans leurs difputes les malheureux peuples
: cependant ces fouverains avec des impôts
lèvent des foldats & avec des foldats lèvent des
impôts; ils attachent leur gloire à faire la guerre,
& ils comptent pour rien les peuples qu'il: y
facrifient, & après des fats aufli frappans, après
des exemples fans nombre, on héfîteroit de maudire
les foldats mercenaires & la guerre ; on
héfîteroit de pénétrer tous les peuples de ces
grandes vérités qu'eux feuls font les maîtres de
la paix, par la raifon qu'eux feuls peuvent faire
la guerre , & que jamais les fouverains-ne la-font
que pour les affervir.
A examiner les puiffances qui fe font la guerre,
dit encore fe roi de Pruffe, il femble voir une
partie de joueurs qui veulent avoir leur revanche,
& ne quittent le jeu qu'après s'être
entièrement ruinés..
Ce qu'il' y a de plus déplorable dans cette
politique, c’eft qu’elle fe joué de la vie & de la
fortune des hommes, & que le fang humain
répandu avec profufion l'eft inutilement.
Avant de pehfer à entretenir chèrement, fous
le prétexte de vous défendre contre l'ennemi ,
des hommes oififs & inutiles,, qui pourront
devenir eux-njêmes vos plus cruels ennemis ;
occupez-vous d'abord, dit Rouffeau, à mettre
votre population au jufte niveau de la fubfiftance
que pourvoient fournir les terres de la république
bien cultivées, maintenez-les libres & refpedtans
les lois, & vous n’aurez rien à craindre des
ennemis du dehors.
Un million deux cents mille hommes ont com-
pofé à-peu-près jufqu'à préfeot l'état ordinaire
des troupes des différentes puiffahees lorfque la
paix règne en Europe ; voilà donc un million
deux cents mille hommes confervés lur pied
elevés, pourainfi dire, pour dépeupler l’Europe
par les armes -en tems de guerre, & par le célibat
& le libertinage en tems de paix. Au-dehors,
ils défendent mal les. nations qui les paient ; au-
dedans, ils les oppriment; l'Europe voit plus
de troupes fur pied pendant la paix que n'en
entretenaient les plus fameux conquérans, lorf-
qu ils faifoient la guerre à toutes les nations du
monde ; les peuples font-ils pour cela plus en
fureté? Non, fans doute, chaque puiflance a
augmente fes troupes à proportion que la puif-
fance voifine ^augmenté les fiennes; les'forces
font donc reftées en équilibre comme auparavant;
es avantages de cette plus grande fureté qui
fert de prétexte à ces vexations font donc
réduits à rien, l'excès ne fe trouve que dans la
dépopulation S: les dépenfes.
Nous l'avons déjà dit dans la partie Hiftoriqi-îe,
ce fyftême militaire ne fut point celui des
anciens.... ni la Grèce qui fubjùgua toutes les
aimées dé l'A fie, ni Rome tant qu'elle fut libre,
ni Philippe -, ni Alexandre qui marchant à h tête
de leurs phalanges furent partout accompagnés
de la victoire, ni Attila, ni les barbares qui ren-
. verfèrent l'empire romain , ni les Germains qui
triomphèrent de Varus & de fes légions, ni
Timurbek, ni Gengiskam qui forti du fond de
la Corée fubjugua la moitié de la Chine, Ja*
moitié de Plndoftan, prefque toute ja Perfe
.jufqu'à l'Euphrate, ies frontières de. la Ruffse,
Cafan, Aftracan & toute la grande Tartarie,
ni Charlemagne qui combattit contre toute l'Europe
conjurée, pour étendre les limites de fa
monarchie & fonder celles des papes ; en un
mot aucun de ces peuples guerriers, aucun' de
ces illuftres conquérons n'eut jamais l'idée de
conferver en tems de paix, cette armée qu'il
avoit oppofée à l'ennemi pendant la guerre. Le
citoyen devenoit foldat, lorfque le befoin î'exi-
g e o it , il celToit. de l'être lorfque le befoin
ceffoit. Les nations anciennes étoient plus libres
que les modernes, parce qu'elles étoient armées ;
tout citoyen étoit foldat, le camp étoit fa ville,
il portoit le f ir qui affuroit fa liberté. C'écoit
fou vent à fes propres • dépens qu il défendoit
fon pays.
Dans les républiques de la Grèce aïc.un
citoyen ne pouvoit fe difpenfer d'aller à la-
guerre. Les Cariens furent les- premiers d’entre
les Grecs qui fervirent pour de l'argent ; ce qui
les rendit très-méprifables.-
* Charles VII en confervant quelques troupes
lur pied porta le premier coup à la liberté civi e
des Français,. & fut la cauG d'une révolution
univerfelle dans le fyftême militaire du relie de
l'Europe , au lieu dè fe réunir tous contre celui
qui s*étoit mis dans un état de guerre perpétuelle
, au lieu de le forcer à ïicentier les troupes
qu'il s'étoit réfèrvées, chaque fouverain s'empreflà
de fuivre fon exemple, & arma fon peuple, non
pour être en guerre, mais pour vivre en paix,
. qni fit de prefque toute l’Europe un quartier-
d’hîver où le foldat fourrage ,reftê dans l'inertie,
& confomme.
. Pour entretenir ce corps inutile, l'Europe eft
opprimée,.& la popuhtion languit. On épuife
les fubfiftances- des peuples , pour alimenter dans
1 oifiveté , un million deux cents mille célibataires
qu'il faut renouveller fans ceffe, avec
d’autres célibataires qu'on enlève à la multiplication
de l’efpèee.
Quelles font donc les raifons qui peuvent-contribuer
à perpétuer une inconféquence aufli préjudiciable?
Exifta-t il jamais un tems où. il put
être indifpenfable d'entretenir des armées continuellement
fur pied ? La nouveauté de cet établi
ffeniènt doit en faire douter. Ce qu’ il y a de
certain, c'eft que s'il a jamais exifte un tems
où cela eut été néceffaire, le nôtre n’eft point
dans ce cas. Aujourd'hui, que la communication
des peuples eft univerfelle , que les prir.cès
marchent & agiffent environnés de tant d’yeux
étrangers, qu'une nation ne peut a'rmer un bâtiment
de guerre, fans que'dans peu de jours
toute l’Europe n’ en Toit informée ; on n'a plus
à. craindre, ni ces incurfions. fubites, ni dès
guerres imprévues; & il eft inutile de chercher
à s'en garantir ; cette efpèce dé' terreur panique
ne peut donc autorifer aujourd'hui l'u-
fage des armées fur pied.
On le juftifieroit beaucoup moins , par l’avantage
qui en réfulte pour la tranquillité de l’ Etat ;
ce n'eft point Une foldatefque effrénée , toujours
prête à , foütenir des-rébelles, lorfque
l ’oppreflion armera le citoyen contre le fouverain
que l'on doit regarder comme un garant
bien fur de cette tranquillité. La juftice & l'humanité
des hommes qui gouvernent, voilà le
feul bouclier à oppofer aux fureurs du peuple
& là feule arme dont les gouvernemens puiffent
fe fervir. La foldatefque , difoir Antonin , eft
inutile à un prince qui fait connoître à fes
^peuples qu'en, lui obéiffint , ils obéiffent à Ja
juftice & aux lois.
Que l ’on rende les nations heureufes, alors
un efprit féditieux ne trouvera point de par-
. tifans, ou il deviendra la viêtime de l'indigna--
. tion publique. Sans la ga^de prétorienne , Tibère
auroit-il proferit la-moitié\des Romains? Çaligula
auroit-il réduit fes fujets à regretter Tibère ?
auroit-il fait pâlir le fénàt? C'eft un abus bien
-exécrable de la politique & de l'autorité, que
dé chercher un moyen d'affurer les oppreffions.
Avec une armée, on peut devenir le maître
abfolu d'un peuple défarmé ; mais un bon gouvernement
peut-il avoir un pareil but? Cette
toute-puiffanee , que l 'adulation montre comme
un droit incontéftable , que la fuperftidon fanc-
tifie, que la ftupidité des- peuples dégradés ,
a quelquefois encenfée & défendue , n'eft qu’une
épée à deux tranchans , toujours prête à bleffer
là main de celui qui s'en faifît.
Augufte, environné de fes cohortes préto-"
riennes, & perfuadé de la fidélité de fes lé gions
, trouvoit néanmoins dans l'étendue dé fon
pouvoir, la fource éternelle de fes frayeurs; il
favoit que fi fes troupes pouvoient le faire triompher
des efforts impuiffans d'une révolte ouverte,
elles ne pouvoient le garantir du poignard d’un
républicain déterminé. Il favoit que les Romains,