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tair.es inftruits et éclairés étoient infiniment rares
en Europe.
On touchoit cependant au moment de fortir
des ténèbres ; & à-peu-près dans le même tems
où Folard écrivoit pour préconifer fon ordre en
colonne , & où un troupeau fer vile d’imitateurs
/aifoient gémir les preffes & les, imprimeurs François
j trop confians, Charles X I I , dans le.Nord,
faifoit revivre le genie de Guftave, combattoit à
la tête d’ une armée de Suédois aguerris & disciplinés
( i) ; & le grand électeur jettoit en Pruffe
les fondemens de la milice pruflîenne et de la
gloire du grand Frédéric. Cës foldats suédois
( i) Les Suédois, formés d’abord par le Grand-
Guftave , perfectionnés enfuite par-Charles XII,
^voient une infanterie armée en partie de piques &
de fuiiîs , avec des officiers & fous-officiers pour
ferre-files.
Cette infanterie marchoic plus vivement & plus
enfemble que celles de Franée 8c d’Allemagne ; le
mélange des armes à feu avec les armes de longueur ;
l’ordre 8c l’enfemble, alliés avec la plus grande fermeté
, rendoient fon choc prefque toujours victorieux
vis-à-vis de toute autre infanterie.
■ On vit une preuve de la docilité de cette brave
ârmée lorfque Flëimboch eut gagné la victoire de
Gadelsbuch ; malgré fon ardeur pour charger l'ennemi
8c pour le défaire, elle n’en étoit pas moins enfemble
à rangs ferrés lorfque l’aérion fut finie; 8c elle
ne fe baifTa pour dépouiller les ennemis morts à fes
pieds, qu’après en avoir reçu la permiffion du général.
La cavalerie suédoife étoit auffi-bien conftituée 8c
auffi-bien armée que fon infanterie; mais elle devoit
être inférieure en nombre à celle des Allemands :
elle combattoit trop loin de fon pays pour pouvoir
en faire venir de nombreufes remontes ; 8c la Suède,
d’ailleurs, neft pas une contrée très-favorable pour
les chevaux. Cette cavalerie manceuvroit d’ordinaire
fur trois rangs , ainfi que toute cavalerie- vraiment
folide ; mais elle étoit réduite à être fouvent fur
deux, à càufe de fon petit nombre. Inftruite par
Charles X II, elle ne droit jamais dans une bataille :
l’ufage de fabrer*lui. étoit interdit; mais elle fe fer-
voit de fes longues 8c lourdes épées comme de
la n c e s en portant la pointe au vifage de leurs ennemis,,
le biràs tendu 8c le poignet en tierce. Cette
manière décifive, contre toute cavalerie qui perd fon
rems à lever inutilement le bras pour frapper avec
plusse force, 8c qui, par ce mouvement, n’oppofe
aucune défenfe à.celle qui pointe, éçant jointe à des
chargés exécutée^ très-vivement , à rangs'bien ferrés,
& fans doute paffablement allignés , ’donna très-conl-
tamrnent • l’avantage à la cavalerie, fuédoife dans
toutes les affairés, à l’wception de celles dç Pilnitz
8c de Puitaw^à. ' 1
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n’étoient pas de vils mercenaires, le rebut de
leur nation : côtoient de braves milices attachées
à leur patrie et à leur roi, qui quittoient leurs
baftels pour prendre les armes et combattre.
Après avoir pris Copenhague , Charles
donne ordre de voiturer de la ville dans son
camp, toutes les provifîons néceffaires, & il
promet de les faire payer. On obéit fans s’attendre
à voir remplir de pareilles promeffes ; mais
ceux qui apportèrent des vivres furent bien étonnés
d ’être payés généreufement et fans délai par
les moindres foldats de l’ armée.
Un foldat n’eût pas ofé refufer le paiement de
ce qu’ il achetoit, encore moins aller en maraude ,
pas même fortir du càmp. Charles avoit ordonné,
après une victoire , que fes troupes ne dépouil-
laffent point lds morts fans en avoir eu la permiffion
; & il parvint à faire obferver cette loi. On
ne peut rien dire qui puiffe prouver plus fortement
combien étoit rigoureufe, & rigoureufe-
ment obfervée, la difcipline parmi les troupes
fuédoifes. On conçoit des troupes aguerries fous
le grand Guftave, ayant confervé cette bravoure
qui s’acquiert à la guerre ; fous des chefs habiles
qui mènent fouvent leurs troupes au feu ; mais
l’on ne conçoit pas également comment l’on peut
foumettre les hommes à une difcipline auffi auf-
tère & la leur faire obferver auffi long-tems. Ce
phénomène étoit fans doute dû en grande partie
à la fcrupuleufe attention de Charles, de donner
à fes foldats l’exemple de l’exaéiitude, de la
fobriété & de la bravoure.
Suivez le roi de Suède; voyez-le à la bataille
de Nerwa ( i ) , la première dans laquelle il fe
( 0 Dans cette première journée de Ner\ya, fi
Charles eut la gloire de battre plus de foixante mille
hommes avec environ huit mille, ce iuccè* ç^fiera
de paroîtie prefqu’incroyable, lorfqu’on en examinera
les principales caufes.: L’une d’elles eft fans
doute le mauvais armement de la plus grande partie
de Farinée ruife. Les trois quarts au moins n’avoient
que des maffiies, des arcs & des flèches, comme ces
demir-fauvages traînés de force à la fuite des Ar-
taxerces 8ç des Darius
Gn doit juger combien, dans de pareilles troupes,
on devoit ignorer les divifions des corps, les intervalles
réguliers entre eox & la formation de rangs 8c
de files. On avoit, à la vérité, voulu commencer à
leur apprendre ces premiers élémens de l’art militaire.
Mais le penchant violent de l’ignorance pour
la pareffie leur avait fait vouer une fi furieufe haine
aux officiers étrangers chargés de les difcipliner,
qu’ils profitèrent des premiers momens de la bataille
pour tourner les-armes contre eux, 8c pour maffacrer
me fur a
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inefura avec les Mofcovîtes. Il avoit débarqué à
Parnau , dans le golfe de Riga,-avec environ
feize mille fantaffins, & au plus quatre mille chevaux
: il avoit précipité fa marche avec fa cavalerie
et quatre mille fantaffins. Bientôt ilfe trouve
devant les premiers portes des ennemis ; & fans
attendre le refte de fes troupes, après avoir
attaqué fucceffivement tous les endroits où il
trouve de la réfiftance, en deux jours il a tout
enlevé ; mais Charles Veut profiter de ces pre miers
fuccès. A la tête de ces huit mille hommes,
fatigués d’une fi longue marche, il arrive devant
un camp de plus de foixante mille Mofcovites ;
et à peine a-t-il donné le tems à la poignée
d’hommes qui le fuivent, de prendre quelque,
repos, qu’il ofe attaquer ce camp, dans lequel
les ennemis étoient retranchés ; dès l’inftant où
le canon a fait brèche , les Suédois marchent
aux retranchemens, la bayonnerte au bout du
fufil, ayant au dos une neige furieufe, qui don-
noit dans le vifage de l’ennemi, Les Ruffes fe font
d’abord tuer fans quitter le revers du foffé ; mais
après trois heures de combat, les retranchemens
avec fureur tous ceux qui leur avoient été donnés
pour les commander. IL eft facile d’imaginer l’excès
du défordre où fe trouvoit une armée dans laquelle
il fe paffoit de pateilles fcènes. La méfîntelligence
portée à fon comble entre le duc de Crouy 8c le
prince DoulgourowsIci, l’inconcevable abfence du
czar-de fon armée pour aller chercher un corps def-
tiné à le renforcer, rendirent ce défordre abfolumént
fans remède. Dès-lors cent quarante-cinq canons,
dont les Ruffes fe fervoient fort mal-adroitement,
cefsèrent d’oppofer leur feu à celui des dix feulement
qu’avoit l’armée fuédoife. Les retranchemens
des premiers n’étant plus défendus que par quelques
coups tirés au hafard, rien n’empêcha les Suédois de
les franchir 8c de diriger leurs efforts fur le front 8c
fur ie flanc d’une armée qui imitoit fi bien dans ce
moment la conduite des Janiffaires 8c des autres barbares,
en n’offrant à leurs ennemis que des.pelotons
défunis, fort-éloignés les uns des autres, 8c n’ayant
ni la volonté ni la force de faire aucune réfiftance.
Le paffage de la Dwina au commencement de l’année
fuivante, exécuté en face d’une armée prefqu’auffi
forte que la fuédoife, 8c compofée de Saxons à-peu-
près auffi-bien difciplinés que les Suédois, né peut
pas non plus être cité comme un exemple infiniment
inftru&if dans l’art de la guerre ; la témérité heu-
reufe de Charles XII ne pouuroit engager à préfent
aucun général, ni même aucun officier, à tenter une
pareille chofe.. .. L ’artifice groffier de cette paille
mouillée à laquelle le roi'fit mettre le feu pour profiter
de la circonftance du vent qui. emportoit la
fumée fur les Saxons , ferviroit actuellement à pré-
fenter un point certain fur lequel on dirigeroit son
canon 8c fa moufqueterie de manière à faire repentir
A n Milii. Suppl. Torn. I V .
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font Forcés partout, & les Mofcovites en fuite.
Sans doute des événemens auffi extraordinaires
font dus aux fautes des Mofcovites comme à la
bravoure & à la bonne conduite des Suédois :
mais le roi ne mérite pas moins des éloges pour
avoir fu juger les ennemis qu’il a à combattre,
& profiter de tous les avantages que peuvent lui
donner leur ignorance, leur peu a expérience .&
fa hardieffe. On reconnoît la fageffe de fes réfo-
lutions dans le parti d’attaquer fans différer les
portes avancés ; & après les avoir emportés, de
faire. infulter le camp , quoique retranché^ afin
d’empêcher les ennemis de fe reconnoître , convaincu
qu’il fuffifoit de les étonner.pour les faire
fuir, & de le^combattre pour vaincre.
Le paffage de la Dwina, défendu parles Saxons,
& la bataille livrée quelque tems après, annoncent
de la part de Charles, une grande fagacité pour
profiter de tous les moyens de tromper fon en--
nemi, & de toutes fes fautes. Après avo.’r paffé
la rivière, les Suédois, repouffés d’abord, fe
reforment, & bientôt après ils ont forcé le gétoute
armée qui auroit la témérité de tenter un paffage
de rivière avec de pareils moyens. Sreinace cependant
en fut la dupe au point de laiffer arriver
les bateaux affez près du rivage pour laifler aux Suédois
la poffibilité de débarquer. A la vérité ce général
n’avôic point d’artillerie, 8c Charles XII n’avôit pas
négligé cet avantage ; mais il reftoit au général
saxon la reffourcè de fa moufqueterie, dont les dé-'
changes bien nourries pouvoient détruire la moitié
des .Suédois avant l’inftant où ils euffent pu fe former
en bataille.. Steinace ^ crut pouvoir fuppléer à cette
extrême négligence par des aérions de valeur. Il
chargea les Suédois avec fa cavalerie, avant de leur
laiffer le tems d’achever de fe former, 8c il le fit avec
affez dev vigueur pour les repouflèr jufque dans la
rivière. Mais le Feu du canon 8c de la moufqueterie
qui fortoit de leurs grands bateaux , dont les bords
s’élevant 8c s’abaiffant en forme de pont-levis, préfen-
toieiit aux Saxons une face.de crenaux d’où fortoit uu
feu continuel, ayant ajouté au défordre ordinaire d’une
charge, le brave Steinace fut obligé d’aller fe rallier
dans la plaine hors de la portée dé l’artillerie ; alors
Charles faifit cette circonftance pour fe livrer à.
toute fon impétuofité, et pour profiter de fa fupé-
rïorité en nombre & de l'etonnement où dévoient
être : néceffairement les Saxons de fon audace. Une
réfolution auffi hardie paroît avoir été la principale
caufe du fuccès ; ,8c comme la. feule difpoficion fut
de charger vivement tout ce qui étoit en face , on
pourroit croire qu’on obtiendroit bien plus diffi.i-
lement à préfent des fuccès auffi décidés. D’ailleurs
Charles étoit fon premier général, partout il don-
noit l’exemple, 8c il mettoit une volonté confiante
à faire exécuter fes ordres aveuglément, fans délai
8c fous Ces yeux. 'G o oo