
encore pénétrés de vénération pour la mémoire
de Brutus , auraient loué le premier citoyen
qui eût imité Ton exemple ; aufli fon intérêt qui
1 avoit rendu l'ennemi de la république , le porta
à s’en déclarer le père : c ’écoit le feul moyen
de s’afîurer de la tranquillité.
C ’eft dans la vertu, dans l’amour des peuples,
dans la modération , dans la fageffe des lois ,
qu'il faut chercher la fureté des gouvernemens.
& des gouvernans ; le tyran eft le feul homme
qui ait befoin d’une troupe, dont les braspuilfent
le défendre contre un peuple toujours irrité &
toujours opprimé 5 mais qui Ie défendra à la.
. longue contre fes propres défenfeurs ? il faut
qu’il en foit l'efclave ou la vièlime : l'adulation
ou la crainte, lui rendront des honneurs divins
dans les premiers momens 5 mais bientôt on bri-
fera fes ftatues, la divinité difparoîtra, & l'adoration
fe changera en mépris, dès que le poignard
aura fait ceffer la crainte publique. La même j
garde prétorienne qui avoit fait adorer le tyran ,
le faifoit rouler à fes pieds , dès l ’inftant qu’i
celfoit de lui plaire. Devenus les, feuls foutiens
du thrône, les foldats l'enfangîantent plus fou-
vent qu'ils ne le défendent} avec leurs fecours ,
le defpote renverfe les lo is , écrafe le fénat &
le peuple } mais il ne tarde pas à être immolé
lui-même, & au gré de fa garde, il eft en
même tems l'objet le plus vil ou le plus ref-
pefté, (1)
( 1 ) i° . Le fyftême des armées continuellement fur, j
pied eft oppofé a la liberté.
En fe foumettant à admettre des corps particuliers,
qui d’après le fyftême militaire reçu en Europe,,
devraient être deftinés-à.être continuellement réunis
dans des villes dè guerre & fournis à des chefs particuliers
/ -ceux-ci chercheraient continuellement à
mériter la :bienveillarice> des chefs de l ’armée, &
travailleraient fans relâche à établir dans le militaire
l ’éfprit de corps j efprit effentiellement ennemi d une
bonne conftitution, & qu’on pourroitdiriger, quand
oh le jugerait néceftàirev a rompre Véquilibre fi
important à maintenir, entre; les. différentes parties
conftitutivés de d’empire, .
2°. > Çe~ fyftejnè ■ eft oppofé au bien des citoyens en
particuliër. & des foldats en général.
L ’efprir militaire, reftant toujours le même d’après
l’iloiement où le fyftême actuel, retiendrait les
troupes,, les citoyens pourraient d’autant moins
reti'Quvér des freses dans lés individus attachés à
l ’armée aétive 3 il leur ferait auffi difficile qu’à
présent de partager avec eux les travaux publics, &
peux bien plus effentiels de'l’agriculture & des ar es,
vu leur, garnifon habituelle dans toutes les extr é- J
Vainement pour foutenir le fyftême des armées
fur pied , allégueroic-on les avantages que des
mités de la France où l’agriculture manque le moins
de bras,, & o ù . il y a à-peu-près les canaux 8c les
grands chemins néceflaires; obftacle qui ferait en
même tems un mal pour chaque foldat.
D’ailleurs pourroit-on prévoir la défunion, la
rivalité, la haine qui s’établiraient bientôt entre la
garde nationale fédentaire 5c l’armée aétive, nécef-
fité comme on le ferait d’après les fauffes idées
reçues de tirer entre ces deux corps une ligne de
démarcation bien prononcée? Dès-lors ces nouveaux
foldats feraient aveuglément fournis à leurs officiers,
à leur manière de les conduire, à celle d ’interpréter
les lois de la difeipline, 8c ils ne. tarderaient
pas alors à regarder avec dédain & même
mépris, lès troupes nationales fédentaires non
foldées, (.on fait avec quel oeil les troupes réglées
voyoient autrefois les grenadiers royaux , 8c bien
plus encore les fîmples foldats miliciens) où les
foldats attachés à la liberté voudraient vivre fraternellement
avec les foldats nationaux, 8c iis feraient
expofés à être vexés par. la plus grande partie de
leurs officiers 8c fous-officiers} de—là des plaintes,
de l’humeur 8c de l’in fubordi nation. Réfléchi (fez fur
le préfent & tremblez pour l’avenir.
3°. Ce fyftême eft oppofé au bien de la nation
en général.
L’affermiffement de la conftitution dépend en très-
grande partie de la régénération des moeurs, 8c rien
ne s’y oppofé davantage que les troupes continuellement
fur pied. En effet, les foldats 8c les officiers
ne pourraient pas plus aifément qu’aujourd’hui fe
marier 8c avoir des moeurs, fi fortement corrompus
par l’abfurde fyftême de cent cinquanteN mille
célibataifes, prefque tous dans l’âge 8c la forcé ü s
paillons. Diftribués dans leurs communes fous
le toît de leurs parens 8c les yeux de leurs amis,
livrés~à des travaux àffidus, les officiers 8c les foldats
conferveroient au contraire leurs moeurs fous la
cenfure vigilante de leurs concitoyens. Tandis que
dans les villes de garnifon, les fpeélacles, l’oifiveté,
les femmes, le jeu, l’ennui, l’exemple toujours
fi pernicieux de leurs camarades ; tout concourrait
à faire perdre aux officiers & aux foldats des moeurs
toujours fi mal défendues dansl’âge fi dangereux
dés paffions. En vain diroit-ôn qu’on accorderait
plus de congés, que les foldats feraient beaucoup
mieux traités , 8ccS On ne déciderait jamais à fe
marier que ceux qui. efpéreroient pouvoir/jouir de
leurs compagnes.; eh comment accorder ces idées
avec celles des garnifons changeant continuellement,
ou avec celles de la faine morale? On ne doit ni
l’on ne peut ^’aveugler fur cet objet. Si quelques
foldats ou quelques officiers , fe marioient, ils pe
cefferaient d afpirer à de« congés ou àdesperipiflîons;
corps bien difeiplinés & bien inftruits peuvent
avoir dans la guerre, fur une troupe de citoyens,
qui n'on.t laiffé la houe ou la charrue , que
peu' de jours avant une bataille ; ces a va litiges
ne font que trop compenfés par la molleffe ,
que l’oifiveté des garnifons infpire aux foldats.
Rien de plus facile que d’exercer des citoyens
au milieu de leurs pénates , & deux ou trois
mois d'exercices & de manoeuvres chaque année
Droitnt bien fuffifans pour former à la guerre
des hommes robuftes & endurcis au travail,
tandis que trois femaines de fatigue, détruiront
dans une feule campagne , des légions entières
bientôt ou de trop longues routes, ou des affaires
du moment, ou une trop grande difficulté de veiller
fur leurs familles« amènerait le dégoût d’un fervice
tel que celui des armees fur pied, fi peu fufeep-
tible d’allier le foin des affaires & celui des occupations
militaires.
4°- Ct fyftême. eft oppofé au bonheur des foldats
& des officiers.
On ne fait pas allez combien la vie de garnifon
en ifolant les militaires, les rend en général,
egoïftes, peu appliqués, infoucians pour la.chofe
publique. On fait encore moins combien la manière
locale dont font diftribuées les troupes en garnifon,
& celle de compofer les bataillons avec des
citoyens appartenans indifféremment à toute la
république, eft vicieufe, 8c agit puiffamment contre
le bonheur des individus militaires. On. s’affureroit
des réfulcats bien différens, en ne faifant des garnifons
qu’un objet paffager, 8c auquel quelques
citoyens d’un certain âge contribueraient au plus
un an-dans toute leur vie, 8c en ne compofant les
compagnies ou les bataillons qu’avec des citoyens
du même canton, diftrid ou département.
Voyez les idées fur cet objet du générai Mon-
tçfquiou, dans fon excellent ouvrage fur les
finances.
cc Ils propoferont fans doute des cadres nom-
M breux, 8c très-peu d hommes habituellement aux
É drapeaux, ce qui leur paraîtra précieux de con-
» ferver en activité, c’ieft L’état-major des corps , les
33 officiers qui fe font tant diftingués, les foùs-
93 officiers. fi capables d’inftruire leurs nouveaux
33 compagnons d’armes ; mais on rendra le plus de
» bras poffible à l’agriculture 8c aux arts, 8c bien
30 fûts qu’au premienfignal d’alarme tous les cadres
33 feront bientôt remplis ; on fe bornera à un corps
00 cavalerie de-trente à quarante mille, hommes ,
33 a des arfénaux nombreux, des places en bon état.,
?9 des écoles d’artillerie 8c du génie bien dirigées.
33 Telles feront fans doute les principales difpo-
30 étions 8c les feules dépenfes utiles à foutenir. »
de foldats agiles & difeiplinés, qui ne font
point accoutumés à la fatigue & à la rigueur
des faifons.
Doit-il fufKre d’ailleurs à la guerre de favoir-
manier fes armes, & exécuter quelques manoeuvres.
Ne faut-il pas être courageux, & ce
fentiment qui naît de la connoiffance de fa
propre force , & de fon amour pour fes devoirs
, le cultivateur robulle , le citoyen exercé
dès l’enfance , le patriote enthqufiafte de la li-
b.rté .& de fa patrie, n’en fera-1-il pas animé
bien plus aifément & plus fortement que le foldat
mercenaire , affoibli par l ’oifiveté. Avant la révolution
, combien de fois ne fut-on, pas étonné
en France, de là bravoure des milices j des
régimens provinciaux & des grenadiers royaux.
Depuis la révolution, quel héroïfme, quelle
valeur, quelle réfignation n’ont pas montrés ces
jeunes Français, appelles dans les armées par
la réquifition, pour y défendre leur liberté &
eur pays. La plus grande partie d’entr’e u x ,
n'avoit jamais manié un fufilj plufieurs avoienr
à peine la force de le porter ; ils ignoroient tous
ce que c etoiu que de marcher enfemble , de
manoeuvrer; aucuns n'avoient été expofés aux
maux & aux privations innombrables auxquels
i|s furent obligés de fe foumettre. Et tant que
l’hiitoire pourra transmettre aux fiècles à venir,
a conduite, la bravoure, les combats & les
viêloires étonnantes de tous ces jeunes héros,
'elie les racontera, & on aura bien de la peine
à la croire-
Après d’auffi fortes raîfons, après des exemples
aufli frappans, comment pourroit-on encore
vouloir retenir continuellement fous les armes,,
des hommes, qui bientôt ne feraient plus patriotes
, puifque vous feriez forcé de les priver
des droits de citoyens, que même bientôt vous
ne pourriez plus former , recruter ni completter
■ avec des citoyens fans diftinêlion. La mifère
de l’Etat, lès. obftacles qu’oppofe à la popu>-
lation , l’incontinence publique, fomentée par
le. célibat tk l’oifiveté des foldats; l’impofli-
. bilité de faire concourir indiflinélement tous les
citoyens à la défenfe de l’Etat, tels font quelques
uns des effets funeftes dè la perpétuité des
troupes. Et quels en font les avantages? aucuns
ni pour la fureté intérieure,. ni pour celle extérieure*
Que de moyens au contraire pour pourvoir
à la fureté au-dehors , & à la tranquillité au-
dedans , fans furcharger les peuples , fans arrêter
les progrès de la population , fans nuire à l’agriculture,,
aux a r ts , au commerce, fans troubler
la liberté individuelle , & en afluranc 1*
liberté publique.
La tentative feule d’uae aufli grande entre»