
croit néceflaires , ou même de Te retirer tout-à-
fait fi la prudence le lui fuggère , & tous vos
grands préparatifs aboutiflent alors à de petites
efcarmouches.
» Qu’ importe que votre armée foit plus nom-
breufe , fi par un vice de votre difpofition ou
par défaut d'a&ivité, vous ne pouvez pas, comme
vous le deviez 3 porter plus ae monde que l'ennemi
fur chaque point où vous l'attaquez.
» C ’eft à ce feul avantage que le roi de Prufle
a dû fes vi&oires. D'ailleurs une ligne fi étendue
aura néceflairement quelque partie foible par la
nature du terrain3 & fi l’ennemi eft habile, il ne
manquera pas de s’en prévaloir pour attaquer
avec avantage.
»» Enfin votre difpofition étant une fois faite ,
vous êtes forcé de la fùivre , & la ligne doit
avancer félon le plan convenu ; car fon extrême
lenteur & fa foibleffe naturelle , ne vous permettent
pas de hazarder aucune correction de-
vent l'ennemi, fi nécefifaire qu’elle puilfe être ,
& fi un régiment ou une brigade font mis en
dé for dre, toute la ligne doit s’arrêter j il faut'
bien vite tirer de la fécondé ligne dequoi réparer
le m a l, ou la bataille eft perdue : l'ennemi
fans cela pénétreroit par la trouée 3 fépare-
roit votre armée en deux, & vous mettrait immanquablement
en déroute. Toutes raifons qui
Frouvent toujours davantage que la" formation de
infanterie fur trois rangs la prive entièrement
de fes deux principales propriétés , la force &
Y activité.
» Cette méthode eft également contraire" à la
mobilité univerfelle , applicable à toutes les opérations
de la guerre, puisqu'elle ne permet à
une troupe de marcher, même en plaine, qu’au
rifque de fe voir taillée en pièces par une cavalerie
bien drefîee , ou même par un corps d’infanterie
, qui aura plus de confiftance & d ’activité.
Elle ne peut combattre avec fuccès qué
dans un pays haché ou derrière des rettanene-
mens, des haies , & c . , où l’ennemi ne peut
la joindre, fans de grandes difficultés. Ain fi cet
ordre manque de trois propriétés efientielles à
une troupe de guerre, & même à toute force
mouvante en mécanique force , activité , mobilité.
m On ne peut mieux expofer les vices de la
conftitution militaire, qu’en expofant brièvement
comment on met en mouvement cette grande
machine , qu’on nomme une armée , & comment
une bataille s’engage , fe continue üc fe
termine. Enfin quelles en font les conféquences
ordinaires > d’apres des obfervations faites dans le
cours de plufieurs campagnes.
» Après bien des marches & des contremarches
qui fouvent entraînent la meilleure partie
de la campagne, on fe détermine à donner
bataille.
» On emploie ’ plufieurs jours à examiner h
pofition de l’ennemi : pendant toutes ces longueurs
, l’ennemi fe prépare à vous recevoir,
il fortifie fa pofition, ou la change} fouvent il
fait fa retraite , de forte que l’on rencontre des
obftacles nouveaux & imprévus 5 & il faut
fuivre l’ennemi pour trouver de nouvelles oc-
cafions qu’on ne rencontre peut-être plus dans
toute une campagne.
» Enfin on détermine la manière de former
les attaques , auxquelles on eft forcé d’apporter
des changemens , parce que l’ennemi a fait
des difpofitions eflentiellement différentes, pendant
qu’on perdoit fon tems en préparatifs. Et
fi les changemens ne font pas faits à tems-,'on
n’eft plus à même de les rectifier, fi l’on eft
arrivé devant l’ennemi , fans prêter le flanc , &
s’expofer à une défaite entière.
« Ordinairement , les brigades d’artillerie
précèdent les colonnes pour en favorifer le
développement, & empêcher l’ennemi -de s’expofer
à la formation de la ligne : le général & le
■ foldat font également perfuadés qu’on ne peut
rien faire fans cela , tandis que dans la réalité
rien n’ eft plus nuifible } ce prodigieux train d’artillerie
avance lentement , s’arrête à tout mo-
; ment, retarde la marche des troupes par mille
; accidens, de façon qu’ il eft très-rare, & même
on pourvoit dire prefque fans ex em p leq u’elles
arrivent enfemble fur ie terrain où elles doivent
fe développer.
» Voilà le moment critique à faifir pour un
ennemi intelligent : s’ il connoît parfaitement le
pays qui eft entre fon camp & le vôtre, il faura
toutes les routes par lefquelles vous marchez,
I & il peut aller à vous en bataille attaquer vos
| têtes de colonnes & les battre en détail , fans
leur laifler le tems de fe former en ligne.
*>. Après trois ou quatre heures de canonnades
& d’efcarmouches, l'armée eft formée &
s’ avance à l’ennemi, précédée de fon train d’artillerie
, ce qui retarde encore fa marche, & caufe
la perte de beaucoup d’hommes qu’on auroir épargnés
, fi l’on avoir rapidement traverfé l’efpace
qui féparoit de l’ennemi.
*3 Suppofons maintenant que notre armée eft
de cinquante mille hommes, elle occupe un
. front de deux lieues. Dans une telle étendue de
pays, l’art & la nature peuvent oppofer mille
L obftacles qui retardentnéceflairement la marche,
parce qu’il faut que toute la ligne avance en
même-tems } fi quelquè partie fe féparoit, un
ennemi attif fe Jetterait vivement dans cet intervalle
, & coupant ainfi votre armée , vous
prendroit en flanc, & vous déferoit totalement,
c’eft ce qui eft arrivé à la bataille de Prague.
Sj Pour éviter ce défaftre & fe tenir en-
femble , on avance fur une ligne parallèle à
celle de l’ennemi , & l ’on met quelquefois
des heures à gagner un quart de lieue de terrain
qu’on auroit dû traverfer en peu de minutes.
Si la fermeté de vos troupes , & finac-
tivité de l’ennemi vous le permettent , vous
arrivez à lu i , & vous réufliflez', je fuppofe ,
dans un ou deux points d’ attaque feulement.
C ’eft avoir gagné la bataille, quoique fouvent
vous n’ayez déplacé que deux ou trois bataillons.
Si vous manquez l’attaque que vous jugez
la plus importante , vous vous retirez , & fou-
vent fans être fuivis } cela s’appelle avoir perdu
la bataille.
»3 Dans le premier cas, l’ennemi n’a aucune
reffource dans fa première ligne , puifqu’elle
ne peut marcher qu’en avant ou en arrière } de
forte que . f i vous avez pu maintenir les portes
gagnés , vous êtes refté maître de tout, & votre j
ad ver faire n’a plus d’autre parti à prendre , que
de fe replier par échelons , & de s’en aller :
c ’étoit cependant encore un moment c ritique, fi
l’ennemi ayoit fu fe conduire.
»3 En effet 3 au lieu de vouloir regagner les
points perdus , s’il eût fait avancer une partie
de fa fécondé ligne, pour vous arrêter feulement
, & vous obliger d’employer la plus grande
pa. tie de vos forces à maintenir les portes occupés
, & qu’en même-tems avec le refte de fon
armée , il eue fait un effort confidérable fur
votre ligne , il eft vraifemblable qu’ il vous auroit
forcé de lâcher vos premiers avantages ,
pour empêcher votre ligne d’être coupée } ce
qui feroit certainement arrivé, s’il y en avoit eu
une partie de renverfée & mife en déroute.
Ce mouvement fe fait quelquefois , mais c’ eft
toujours pour favorifer la retraite, & rarement
& même jamais dans la vue de gagner la
» On envoie les troupes légères donner charte
à l’ennemi , mais c’ eft avec peu de fuccès,
parce qu’ en général, elles ne s’attachent qu’ au
pillage } & qu’un bataillon, jetté dans un bois
ou dans un village, les arrête tout-à-fait} l’ ennemi
bataille.
>» Comme vous n’attaquez que fucceffivement,
vous réuffifez de même , & vos avantages ne fe
gagnent ou plutôt ne vous font abandonnés par
l’ennemi que peu à peu } vous ne pouvez faire
aucun effort général en attaquant, ou en pourfui-
vant l’ennemi qui fe retire à fon aife.
»3 Votre armée qui a peut-être été vingt-quatre
heures fous les armes eft fi haraffée quelle ne
peut plus ni marcher, ni agir , encore moins
pourfuivre Yigoureufement fes avantages.
qui n’a perdu que quelques canons &
quelques prifonniers , va occuper un pofte avantageux
fur les hauteurs voifines, & il ne refte de
la victoire qu’un champ de bataille.
33 Te l eft le peu de fuccès des batailles qu’on
ne peut attribuer qu’ à la pefanteur & à l’ inaéti-
vité de nos armées} défauts qui ne viennent eux-
mêmes , que de l’ufage général des armes à feu ,
& de la nouvelle tactique à laquelle cette arme 3
donné naiffance.
>3 11 peut arriver cependant, qu’ un chef ha-
| bile obtienne quelquefois de grands avantages
avec de fi foibles moyens, comme on l’a yu après
la bataille de Lifta.
33 Mais entre deux généraux de talent é g a l,
toute une guerre peut fe paffer en efcarmouches,
fans en venir à une aétion générale & décifive ,
comme cela arriva fur le Rhin entre Turenne &
Montécuculli.
33 Vos batailles ne font donc que de grandes
efcarmouches, ce ne font point elles qui terminent
les guerres, mais le défaut de moyens
pour en continuer les dépenfes.
33 Tant que l’arme à feu fera la feule dont
l ’infanterie fafle ufage , on ne pourra former
aucun fyftême qui diminue les imperfections
dont nous nous plaignons. Si vous vous formez .
fur deux rangs, pour rendre plus commode l’u-
fage du fufil , votre ligne deviendra fi étendue
& fi mince , qu’il ne fera prefque plus poffible
de la remuer & de la faire agir : encore moins
fera-t-il à efpérer qu’ elle puifle réfifter au choc
de l’ennemi} fi au contraire vous dilpofez votre
troupe fur quatre ou cinq rangs, elle ne pourra
plus faÿe ufage de fes armes.
33 La ccnféquence naturelle, c’eft qu’une partie
de vos troupes doit être armée de piques }
cette arme feule peut fe prêter à une formation.
qui ait allez de force pour réfifter au choc de
[ennemi , foit qu’il attaque à pied ou à cheval,
& pour fe mouvoir dans toute efpèce de terrain
avec un égal avantage il faut unir & combiner
enfemble la folidité de l’arme de main avec là
longue portée de l’ arme de jet. En atteignant
ce point, on approcheroit bien près de la perfection,
& U n’y a point de doute qu’ une
armée, formée fur de tels principes , ne fût
fupérieure à toutes celles qui exiftent aujourd’hui.