
En réfléchi (Tant fur cette bataille & fur les
manoeuvres d'Epaminondas., il eft aisé de s’ap-
» la plaine de Leuâres , fit mettre bas les armes
» comme s’il eût voulu camper. L’armée laeédé-
m moiiienne qui le voyoit venir à elle, & qui avoit
»» été incertaine fi elle luilivreroit bataille, fut bien-
» aile de ce délai : les officiets alors laiflèrent la
»» liberté à leurs foldats de s’écarter de leurs rangs $
*> mais rour-à-coup Epaminondas remettant fur une
» ligne l’armée qui étoic en colonue, & renforçant
» la gauche où il fe trouvoit en perfonne , fit
*» reprendre les armes & marcher aux ennemis. »
«« Ces derniers, furpris d’une attaque aufli im-
99' prévue fe préparent à la hâte, & font plus en’
« état d’être vaincus que de vaincre » ( Xénophon ,
livre V l .')
Cléombrote » roi & général des Lacédémoniens,
ainfi furpris par les Thébains, n’eut fans doute
pas le tems de retirer fa cavalerie de devant fon
infanterie j celle des Thébains la mit bientôt en
déroute j & ainfi battue & fans doute vivement
pourfuivie, elle fe jetta fur l’infanterie & la ren-
verfa fans lui lai/Ter le tems de s’ébranler pour
donner.
Epaminondas fut profiter habilement de ce
moment, en parcourant fur-le-champ avec la plus j
grande vîtelfe, l’efpace qui féparoit les deux armées
avec fon aile gauche feulement, dont nous avons
vu les files portées à cinquante, ce Ce mouvement
»9 aufli rapidement exécuté, fut parfaitement fécondé
»» par le bataillon facré, qui conduit par fon chef
99 Pélopidas courant de grande roideur, alla charger
9» Cleombrote, avant qu’il pût déployer & élargir
9» la pointe droite de fa bataille, & la joindre de-
99 rechef en un tenant : de forte qu’il trouva les
99 Lacédémoniens non encore placés à leurs rang,
99 & les choqua en ce defaroi qu’ils étoient encore
99 pêle-mêle les uns parmi les autres; 9i ( Plutarque,
Pélopidas , pag. Ç62. )
Dans ce moment décifif, Epaminondas arrivant
avec la pointe de fa gauche, choqua les Lacédémoniens
, les écrafa par la pefanteur de fes cinquante
hommes de profondeur, & perça au travers
de cette ligne de douze de hauteur, qui avoit
étendu fes deux ailes pour l’envelopper- « La droite
99 des Thébains dreuee d’une façon nouvelle, &
99 non auparavant pratiquée d’autre capitaine, ayant
99 ordre de ne pas attendre le choc des ennemis,
9o avoit reculé lorfqu’ils.s’étoient avancés. 99 ( Ibidem
.Pluta rque, in ■ Epaminondas.') *
Ainfi la droite des Lacédémoniens, chargée en
flanc par le bataillon facré, & enfoncée par la
pefanteur de l ’aîle gauche des Thébains, fut bientôt
mife entièrement en défordre. Épaminondas tombant
enfuite fur le flanc du refie de la ligne, la
: percevoir des progrès de Part de la guerre. Ici
Ice ne font plus des troupes gdifciplinées & cou-
rageufes qui attaquent & difperfent des multitudes
d’hommes raflemblés & combattant con-
" tre leur gré j mais ce font des foldats égale-
j ment inftruits & courageux j & c’eft la fupé-
| riorité du général thébain & de fes manoeuvres
qui lui affure la viôloire.
Obfervons d'ailleurs une chofe qui prouve
combien Part avoit acquis : on en étoit déjà
venu à ordonner la phalange de manière à la
rendre fufceptible d’exécuter les différentes manoeuvres
néceflaires pour former les différens ordres
obliques.
déroute fut générale & les fuyards livrés à la.
eavalerie.
La manoeuvre tentée par les Lacédémoniens de
fe former en croiflànt pour envelopper l’ennemi,
paroiflbit erre alors très-ufitée j nous l’avons vu
très-mal réuflir à T himbrée, elle ne réuflît pas mieux
ic i, parce que dans l’une & l ’autre circonftance,
l’armée fut prévenue & prife elle-même en flanc.
Nous venons de voir aufli ces mêmes Lacédémoniens
, fi renommés dans l ’art & la difcipline
militaire, laifler tranquillement defcendre l’armée
ennemie dans la plaine, & les foldats s’écarter en-
fuite de jeurs rangs, dans la perfuation bien gratuite
qu’Epaminondas alloit camper.
Enfin le général lacédéraonien place fa cavalerie
devant fon infanterie , faute groflïère qui devoit
lui occafionner la perte de la bataille j car cette
cavalerie venant à être battue & obligée de fuir,
devoit néceflàirement fe jetter fur l’infantërie & y
completter le défordre où elle fe trouvoit déjà en
fe formant a grande-hâte.
Si donc les Thébains furent victorieux, on doit
attribuer leur victoire en très-grande partie aux trois
caufes dont nous venons de parler. Il ne faut pas
cependant ôter à Epaminondas là gloire de fes dif-,
pofitions & de fa fagacité a lavoir rapidement profiter
des fautes de Ion ennemi. Inftruit de l’habitude
où l’on étoit de fe former en croiflànt pour
envelopper fon ennemi, quand on lui étoit fupérieur
en nombre, il prend la réfolution de refufer fa
droite ( manoeuvre très-favante, & jufqu’alors abfo-
lument inconnue ) , & d’attaquer celle de l’ennemi
avec un grand avantage , foit en renforçant fon aîle
gauche & la formant en colonne très-profonde, foit
en faifant défaffer & prendre en flanc l’aîle droite
des Lacédémoniens par le bataillon facré. Sans
doute il dut avoir une grande facilité à faire exécuter
ces différentes manoeuvres, avec des troupes
aufli peu nombreufes j /nais en facilitant fes projets
de pareils moyens n’en diminuent pas le mérite.
Bataille de Mantinéè V Ie. dispo sition .
Ici Epaminondas étendit fes manoeuvres à fon
infanterie & à fa cavalerie i ici lés Thébains
n^étoient point inférieurs à leurs ennemis comme
à Le nôtres ; mais Epaminondas , qui comp-
toit allez peu fur les alliés qui compofoient une
partie de fon armée, fit fes difpofitions de façon
a pouvoir refufer ces troupes, & à combattre
feulement avec l’infanterie thébaine & la cavalerie
theffalientie , en L'oppofant aux Lacédémoniens
, bien alluré , s’ il réuflilfoit à les battre
, de ne trouver aucune réfiftante dans le
refie de l’armée. En conféquence, il forma fon
aîle droite avec les Thébains , & , afin de rendre
cette aîle plus forte , il la renforça par des
troupes qui, en marchant en avant, pouvoient
fe mettre en colonne, de manière à paroître ref-
feirer la ligne , au lieu de l’ étendre ( comme cela
fe pratiquoit alors allez ordinairement, afin de
n’être pas dépaffé par l’ennemi, ou afin de pouvoir
le dépafler foi-même. ) Quanta la cavalerie
theflalienne, qui appuyoit à cette aîle , il
l’avoit formée avec des, efeadrons redoublés de
droite & de gauche s en forme de potence, afin
de tromper l’ennemi, en fe développant pour
l’attaquer, & en acquérant par ce moyen plus
de facilité pour le déborder. Cette cavalerie étoit
encore foutenue par beaucoup d'infanterie légère
, Epaminondas voulant s’ affurer la victoire
fur la cavalerie de Lacédémone, qui étoit rangée
en phalange, & terminoit l’aîle gauche des
ennemis ; mais dans la crainte d’ être inquiété
pendant l'aCtion par la cavalerie des Athéniens
qui oecupoit la droite des ennemis i il polta la
cavalerie de fon aîle gauche fur une petite éminence
en face de celle des Athéniens , & placée
de manière à la prendre en flanc ou à d o s ,
fi elle avoit fait le moindre mouvement.
Des difpofitions aufli favamment combinées
alloient aflurer la victoire aux Thébains, !orf-
ue , pendant la bataille, le héros qui les cor>
uifoit reçut un coup mortel. Dès-lors les troupes
ne fongeant plus à fuivre leurs avantages ,
s’occupèrent uniquement à co.'Eerver & à emporter
le corps de leur général. On fonna de
part & d’autre la retraite , & on fe rendit réciproquement
les morts.
Telle fut l’iflue de cette bataille , où Epamir
nondas développa de nouvelles connoiflances
militaires, & où les Thébains & les Theflàliens
donnèrent de grandes preuves de leur fcience
dans l’ art de fe mouvoir & de manoeuvrer. Ici
l’ on voit les corps deftinés à fe former en colonne
, fe doubler en marchant par demi-feCtion
de droite & de gauche , & tromper l’ennemi,
- qui ne put rien comprendre à cette manoeuvre
inufitée jufqu'alors. Là on voit la cavalerie pré-
fentant un front fort étroit , mais rangée de manièré
à pouvoir facilement l'agrandir en fe déployant
, & foutenue par des troupes légères.
Par ces doubles dipofitions , Epaminondas dé-
roboit à l ’ennemi une partie de fes forces qu’on
ne pouvoit plus évaluer > il avançoit dans cet
ordre , l’ennemi n’avoit pu ni le juger, ni prendre
des précautions pour s’en défendre., & déjà
fa colonne d’ infanterie avoit atteint le centre
de lfarmée ennemie ; & fa colonne de cavalerie ,
foutenue par les troupes légères , s'étoit déployée
pour envelopper & attaquer celle qui
lui étoit oppofée (1).
D’après des manoeuvres aufli favantes , &
(1) A LeuCtres, Epaminondas très-inférieur aux
Lacédémoniens, s’étoit décidé à attaquer avec fon
aîle gauche la droite de l’ennemi , 8c à :1a tourner
avec le bataillon facré. A Mantinée où il étoit fupérieur
en force, ( on donne aux Lacédémoniens de
vingt à vingt-cinq mille hommes d’infànterie &
deux mille chevaux , & aux Thébains avec leurs
alliés trente mille fantaflins & trois mille chevaux ),,
il imagina une manoeuvre differente j il renforça
fon aîle droite, de manière à en former en marchant
à l’ennemi une colonne formidable. Enfuite
la gauche & le centre reliant en arrière , toute l’armée
fit une converfion, à laquelle l’extrémité de l’aîle
gauche de l’infanterie fervit de pivot ; dès-lors l’extrémité
de la droite de l’armée devint la tête de
la colonne, & fe trouva arriver précifément vers
le centre de l’armée ennemie , compofé en entier
de Lacédémoniens, au moment ou la converfion
fut à-peu-près aux trois-quarts. Pendant cette manoeuvre
, la cavalerie theflalienne avoit approché
celle des Lacédémoniens, rangée fur un ordre très-'
profond, & aidée des armées à la légère, elle l’avoit
enveloppé & mife eh déroute.
Cependant malgré l’avantage de la fupériorité
d’au moins fix mille hommes, malgré celui de la
viCloire de la cavalerie de l’aîle droite, malgré ceux
fur lefquels on avoit compté en attaquant fur le
centre , au moyen du grand quart de converfion,
la journée de Leu&res donna bien moins de peines
aux Thébains & fut bien plus glorieufe.
.Elle demeura longuement entre deux fers»
»9 jufqu’à ce qu■ .Epaminondas, eftimant qu’il étoit
99 befoin que la réfolution de cette droite dépendît
99 de fa propte & particulière vertu, délibéra d’y
99 employer fa vie. S i , ..... ayant drefle une com-
k> pagnie bien ferrée , s’en alla jetter à tête baiflée
99 dedans la plus forte prefle des ennemis marchant
99 le,premier. Avec une javeline au poingt de
9» laquelle au premier coup qu’il tira, il porta par
99 terre le capitaine des Lacédémoniens, & fîna-
90 lement il ouvrit la bataille des ennemis. Mais
» étant fuivis de trop près, ils fe rallièrent, & lui
» coururent fus. Alors un Laconien lui donna un
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