
c o n fa c ià la c om é d ie , fi les ordonnances de
nos rois ne s’en étoient point occupées , fi l’on
n’avoit point reconnu l’influence des fpeétacles
fur les Hommes qui y affilent, & fi nous pouvions
regarder comme étranger à notre travail,
tin feul des objets qui ont une relation direële
avec le bonheur des militaires françois.
L’ordonnance qui règle le fervice des troupes
dans les places & dans les quartiers, donnée le
premier mars 1768 , veut que tou-s les régimens
s’abonnent à la c o m é d i e ; que les commandans
des places tiennent la- main à ce que les abonnement
fuient au plus bas prix poflible, ; que la
retenue en foit faite proportionnellement aux ap-
pointemens de chaque grade, & que les officiers
oblcrvent au fpeétacle la décence la plus
grande.
Jufqu’au moment où par une bonne éducation
nous aurons changé les moeurs de nos officiers-,
où , par une inftitution foignée , nous leur aurons
donné le goût de l’étude , l’amour des
fciences & des beaux arts , nous devons nous occuper
à leur procurer des fjjeétacles : c’eft fur-tout
dans les villes qui, par leur étendue , offrent à un
jeune militaire le moyen d’efquiver les regards
attentifs des hommes chargés de fa conduite , que
cebeloin efi le plus impérieux. Les fpeâacles font
en effet, dans les villes, non feulement utiles, mais
même néceffaires aux officiers françois.
Le défoeuvrement & l’ennui, qui en eft toujours
la fuite , produifent la plupart des vices
qui germent dans le coeur des officiers françois.
Voye\ Moeurs. Mais quel eft le temps pendant
lequel ces ennemis cruels l’ont les plus dangereux?
ce n’eft point pendant la matinée-, les militaires
ont fart de l’abréger -, quelques devoirs
d’état, quelques vifites de bienféançe , la parade
, & la table les arrachent à eux-mêmes
jùfque vers trois heures après midi', ce n’eft
donc que vers le foir , qu’ils Tentent la longueur
& le poids du temps *, e’eft alors que
l’ennui entraîne les jeunes officiers dans quelques
uns de ces lieux funeftes où ils perdent
en un moment le fruit de l’éducation qu’ils ont
reçue , où les principes heureux qu’on avoit
gravés dans leurs âmes .font effacés par des
maximes corrompues •, où leur fan te, leur fortune
, leur honneur & leur vie courent les
dangers les plus grands. Quelle reffourçe plus
heureufe pourrions - nous leur offrir , dans ces
inftans, que celle des fpeâacles ? ils fatisfont
au befoin que les hommes ont d’être émus \ ils
charment l’ennui -, iis nous éloignent des fociétés
dangereufes-, ils nous font rougir, de nos ridicules,
ils pourroient plus encore, ils pourroient
régler nos moeurs, elever nos âmes, les remplir
du noble enthoufiafme de la gloire & d’un
ardent amour de la patrie.^ Qu’un homme de
génie çgnfaçre fes talens à la çompofitign d’un
théâtre militaire , qu’il nous montre Bayard
dévoré de l’amour de fon pays , refufant le«
offres féduifantes que lui font des rois puiffansj.
qu’il nous montre l’intrépide défenfeur de Belvédère
, facrifiant fes deux fils à fon devoir ; le
premier maréchal de Briffac, payant avec la doc
de fa fille les dettes de l’état, S c cet écrivain
joindra à la gloire littéraire une gloire plus brillante
encore, celle d’avoir été jufte envers nos
ancêtres, & utile à nos neveux •, qu’il fe cache
quelquefois fous le mafque de TUalie : qu’il répande
un v if ridicule fur nos moeurs relâchées,
fur notre luxe, fur le ton tranchant que nous
apportons dans les fociétés -, qu’il peigne avec
des couleurs fortes, nos moeurs efféminées, &
il aura la gloire de contribuer à une révolution
néceffaire. N
S’il ne peut atteindre jufqu’à la haute tragédie,
ou à la bonne comédie, qu’il compofe des
drames : pourvu qu’il noû.s inftruife, qu’il nous
corrige, qu’il nous rende meilleurs, la nation
lui devra de la reconnoiffance , & elle la lui témoignera
par de vifs applaudiffemens.
On a travaillé aflez long - temps pour les
princes & pour les grands -, les en fans ont auffi
leur théâtre, mais on n’a rien fait encore pour
les militaires. Caldéron feul a efquifle un tableau
de leurs moeurs -, & ce tableau, quoique chargé
& mal deffiné , a produit un bon effet.
Que les poètes du peuple s’emparent [aufli
des fujets que nos annales leur offrent , qu’ils
efquiflfent à leur manière des farces inftruélives;
fi l’aâeur la T u l i p e jure fur les' tréteaux de ne
déferter jamais „ de mourir ou de , vaincre ", le
grenadier la T u l ip e jurera dans fon coeur d’être
fidèle à fon roi, à l’honneur & à la gloire. V o y e%
D é s e r t io n . Le fpeâacle eft un grand moyen
d’inftruâion dont on n’a pas fait aflez d’uiàge.
Ses détracteurs mêmes ne peuvent .s’empêcher
de le placer parmi ceux avec lefquels un légil-
lateur habile peut faire de grandes chofes.
Mais revenons au texte de l ’ordonnance , &
offrons à nos leéleurs le réfûltat de quelques
réflexions qui lui font relatives.
Que les régimens foient obligés de s’abonner
à la c om é d ie dans les villes du royaume où le-
fpeéiacle eft,continuellement ouvert, où les acteurs
font bons ou médiocres, où l’on joue lés
chcfs-d’oeuvres de Corneille, de Racine, de Molière
» de Voltaire ,& c , rien n’eft plus fage ;
nous l’avons prouvé', mais le rédacteur a-t-il pu prér
tendre que cétte loi s’étendît jufqu’aux comédiens
de campagne, qui, fous une halle & fur
des tréteaux, jouent des farces burlefques d’une
manière ridicule? ne l'eroit-il pas jufte de tirer
la ligne de démarcation entre la c om éd ie a laquelle
on ferçit oblige dç s’abonner , & J?
tpm è d ie o i l’on fer oit libre de ne point s’abonner
?
Les commandans des places doivent tenir la
main à ceque les abonne me ns foient faits au plus
bas prix poflible : 1 50 liv.. par mois pour chaque bataillon,
c’eft le prix ordinaire qu’on paye prefque
par-tout pour les abonnemens militaires -, ce prix
qui paroît modique eft néanmoins prefque par-tout
plus fort que celui que payent les citoyens. Dans
une de nos grandes garnilons, le citoyen a pour
72 liv. une place dans une loge à l’année , il
peut aflifter à 4 repréfentarions par femaine, &
fe placer par tout où il le juge à propos, tandis
qu’un capitaine - commandant paye 96 liv ., ne
peut aififter qu’à trois repréfentations par femaine
'& ne peut entrer dans les premières
loges qu’après la fin du premier a&e. Je demande
fi , lorfqù’ on a fait cet abonnement ,
féquité a été conlultée? les lieutenans n’ont point
autant à le plaindre que les capitaines’, mais fi
l ’on réfléchit que pendant fept mois de l’année,
il n’y a aux drapeaux que la moitié des officiers,
,& qu’on paye .pour le corps entier , on conviendra
, que l’abonnement des militaires efc
beaucoup plus cher que celui des citoyens.
Obliger les officiers à obferver à la com éd ie
Ses loix de la décence -, empêcher qu’ils ne troublent
le fpeétacle par des cabales ou par des
brigues, par des fi filet-s, par des applaudiffemens
trop fou vent réitérés , ou trop long-temps prolongés
, telle a été l’intention du légiflateur-,
mais comment a-t-on pu croire qu’il fût fage
«de reléguer les lieutenans & les fou s -lieuten ans
■ dans les fécondés loges , dans l’amphithéâtre,
& dans le parterre, ces places que dans la province
, la bonne compagnie n’occupe jamais ? Si
•des officiers pouvoient .être impunément .confondus
avec des hommes fans éducation ou fans
■ délicatefle , avec des femmes fans poli te fie ou
fans moeurs, les capitaines feroient ceux qui cour-
roient le moins de rifques -, & cependant ce font
les Heut-enans qu’on expofe aux impreffions $e
•ces exemples dangereux ce font les lieutenans
qu’on éloigne des perfonnes qui coropofent la
bonne compagnie, de laquelle il eft fi intéref-
fant de les rapprocher.
En banni fiant les lieutenans des premières loges,
& en ne permettant aux capitaines d’y entrer
qu’après la fin "du premier acte , on a voulu ,
’dit-on , affurer aux femmes les places qu’elles
doivent naturellement occuper. Cette précaution
eft fuperflue : quel officier françois feroit aflez
-impoli pour 'laifier une femme fur les derniers
'.bancs d’une loge, tandis qu’il pourroit difpolèr
d’une place fur les premiers ? mais y en eût-
il quelqu’un aflez mal élevé pour violer ainfi
•ouvertement les loix du fpeétacle, fes camarades
^broient les premiers à le blâmer , & ils l’empêcheroient
par leurs avis de choquer line fécondé
fois les lois de la bienféançe.
Si un des droits affrétés aux militaires étoic
d’entrer au fpeétacle fans payer, les diftinétions
que nous avons remarquées ne nous furprendroienc
plus} mais puifqu’ils^payent aufli cher, ou même
plus cher que les citoyens -, puifqu’ils compofent
une des elaffes les plus diftinguées de la nation,
les prohibitions que nous venons de rapporter
font vifiblement aufli injuftes que dangereufes.
Quelques commandans de place, prévoyant
que les repréfentations des foldats chargés de
La police des fpeétacles ne fuffiroient pas toujours
pour contenir les officiers dans le filen.ee &: le bon
ordre , font commander un capitaine, de chaque
régiment, pour la police de la c om é d ie : quelques
autres font faire ce fervice par les lieutenans.
Le devoir de ces officiers de police con-
fifte à nommer au commandant de la place les
officiers qui ont troublé le fpeétacle. Ils font
refponfables du bruit qui s ’y fait , & punis
quand ils n’eu défignent pas les auteurs. Eft-
il jufte qu’un officier foit puni parce qu’un de
fes camarades, mécontent, comme le refte du public
d’un mauvais aéteur, le lui a témoigné en
faifant ufage du droit qu’on achète à la porte ? En
fuppofant même que la néceflité juftifie cette lo i,
eft-il poflible à un officier de police de recb-n-
noître quel eft celui qui .a donné un coup de
.. fifilet, parti du parterre, de l’amphithéâtre, ou
du fond d’une des fécondés ou des troifièmes
loges? Suppoibns que cela foit poflible; eft - il
convenable qu’un officier, dans une circonftance
de cette nature, foit le délateur d’un de fes
camarades? peut-on l’efpérer? peut-on le défirer?
l’a-t-on jamais vu?
Tels font les principaux abus que nous avons
| cru remarquer dans la police des fpeétacles. Les
remèdes qu’on pourroit y apporter font Amples.
Le premier feroit de reléguer , comme à Bordeaux
, par exemple , toutes les courtifanes
dans une partie de la falle qui leur feroit uni»
quement confacrée , & de défendre à tous les
officiers d’en approcher. Cette défenfe ne de-
vroit pas être faite par l’état-major de la place,
elle eft uniquement du reflort de la police du
corps. V o y e ç L ieu t e n an t , l ’article C a lo t t e .
Il faudroit permettre à tous les officiers d’aller
dans toutes les loges, & laiffer encore a la cen-
fure militaire Te foin de procurer aux femmes les
• places qui leur font dues, & aux anciens officiers
-celles que méritent leur âge & leurs fer vices.
Il faudroit enfin que les officiers n’ euffent
point au fpectacle des furveillans particuliers,
• qu’ils ne fuffent retenus que par l’éducation qu’ils
ont reçue, & par la cenfure de leurs camarades?»
. mais , pour x’affurer que cette cenfure feroit exercée
, l’état-major des places deyroit, toutes les fois