
Bata ille d ’Elingue Quelle profondeur de ,
vue X de conduite de la parc de Scipion , à foc -
romaine fait d’abord fortir à la hâte fes numides
& fes cavaliers & bientôt après toute fon infanterie
, plaçant les Africains au centre, les Efpagnols
a la droite & à la gauche du corps de bataille,
ayant devant eux les éléphants , Sc deftinant fa
cavalerie à flanquer fon infanterie.
Scipion retarda exprès le lignai de la retraite
•pour fa cavalerie & fes vélites, afin d’amufer davantage
l'ennemi & de lui mafquer fa manoeuvre ;
ramenés ainfi jufqu’au corps de bataille les cavaliers
romains, & les vélites difparurent à travers
les intervalles des manipules qui les mafquèrent
bientôt en entier. Scipion ayant fait enchâller les
princes parmi les haftaires, & appuyer les triaires
à cette nouvelle ligne pour en augmenter la profondeur
, les velites fe formèrent alors en fécondé
ligne derrière les légions des deux flancs , & la cavalerie
en troifième ligne ; les Efpagnols au centre
de la bataille fe formèrent en phalange.
Cet ordre pris, toute l’armée romaine marcha
en avant, mais à la diftance d’environ cinq-cents
pas de l’armée ennemie , Scipion fit faire halte , &
ordonna aux troupes de fa droire de faire à droire ;
aux troupes de fa gauche dt faire à gauche j enfuite
il fit marcher les deux ailes par leur flanc, juf-
qu’au moment où leur tête fe trouva à la hauteur
de l’extrémité des flancs de l’infantetie de l’armée
carthaginoife, qui plus nombreufe avoit débordé
l’infanterie romaine fur l'un & l’autre flanc ; pendant
ce mouvement la phalange qui formoit le
centre, avoit ordre de marcher en avant, mais très-
lentement.
Dès fin fiant où les deux aîles de l’infanterie
-des Romains fe trouvèrent à la hauteur de celle
de l’ennemi, Scipion donna -le lignai convenu,
auquel chaque feétion compofée aune manipule
d ’h affaire s , d’une de princes & d’une de triaires
qui en formoit les derniers rangs fit un quart- de
converfion ; celle de la droite vers la gauche, celle
de la gauche vers la droite, de manière à former
autant de petites colonnes de trois cents hommes,
de douze hommes de front environ fur vingt-quatre
de profondeur, dans lefquelies les haftaires fe trou-
voient à la tête, les princes derrière & les triai nés
à côté. Mais alors les colonnes fe mirent en échiquier
fur trois lignes, dont les vélites formèrent la fécondé j en même terris la cavalerie de chaque
aîle déboucha fur la droite & fur la gauche par
des quarts de .converfion, & vint fe placer fur les
flancs des petites colonnes, de manière à fe trouver
en face dé la cavalerie carthaginoife.
Cette nouvelle manoeuvre qui changeoit entièrement
l'ordre primitif de la bataille une fois achevée,
les .troupes légères commencèrent l’attaque en fe
cafion de cetre bataille. Pendant les deux premiers
jours il parade, pour ainfi dire, devant fon camp,
& place fes légions au centre} mais le jour où
il veut combattre, au contraire, perfuadé que
tout ce qui eft nouveau pour l ’ennemi eft raie
pour le déconcerter, il change toute fa difpofition
, il ordonne de faire manger les foldars de
très-grand matin & de fortir du camp à l’ aube
du jou r , décidé avec fa cavalerie & fes troupes
légères de s’approcher du camp de l ’ennemi pour
y engager une efcarmouche j mais déjà il avoit
entièrement changé fon ordre de bataille , en
plaçant les Efpagnols au centre &: les légions
aux deux aîles. Nous avons vu à Cannes Varron
entaffer fes troupes, au point de ne pouvoir
en tirer aucun parti } nous avons vu Annibal
dans la même bataille, tromper l’ennemi par
une difpofition convexe de fon centre. Ici au
contraire , .Scipion tire le plus grand parti de
fes légions , & trompe Asdrubal en lui refu-
fant fon centre, & il le lui refufe afin de. tirer
parti des Efpagnols fur lefquels il ne pouvoit
pas compter, & dont cependant il a le talent
de tirer parti en les mettant en aôlion, »mais
de très-loin & ne pouvant être atteint par
l’ennemi.
Si dès le grand matin Scipion fait infulter
le camp des Carthaginois'par fa cavalerie & fes
troupes légères, c’eft dans l’efpérance de voir
Asdrubal fortir de fon camp pour engager l ’action
5 mais dans ce cas les fôldats carthaginois
n’auront pris encore aucune nourriture, ce qui
doit être infiniment défavantageux pour eux ,
& il ne fe trompe dans aucun de fes calculs.
Enfin fon troifième ordre de bataille devoit nécef
jettant furies éléphants, qui forcés de s’enfuir, firent
beaucoup de mal aux Carthaginois. Dès-lors les
ttoupes légères vinrent renforcer la cavalerie, & les
colonnes de droite & de gauche attaquèrent les
Efpagnols, déjà mis en défordre par les éléphants
& qui ne purent réfifter } la cavalerie carthaginoife
ne tint pas davantage , & Asdrubal fut forcé de
refter fpeétateur de ces déroutes fans pouvoir y
remédier, n’ofant dégarnir fon centre en préfence
des Efpagnols, formant celui des Romains & marchant
à lui en bonne contenance. D’ailleurs dans
la crainte a fiez fondée d’être bientôt attaquée, la
chaleur excelfive & la fatigue des troupes qui n’avoient
rien mangé, tout le décida à prendre le fage parti
de fe fervir de fon centre encore intaél pour
couvrir les fuyards & faire fa retraite. Et il
n’eut pas même réufli dans ce dernier projet, fi
un orage terrible & une pluie très-abondante n’eut
empêché Scipion de pourfuivre fes avantages en
attaquant le centre de la bataille ennemie fur fes
deux flancs & fur fes derrières, comme l’avoit
craint Asdrubal.
fairement
fairement lui aflurer la victoire $ c’eft de fes meilleures
troupes, formées en colonnes, dont il
fe fert pour attaquer les plus mauvaifes de l’armée
carthaginoife 5 & une fois renverfée avec la
cavalerie attaquée par la fienne , renforcée de
fes troupes légères, Asdrubal eft. forcé1 ou de
fe retirer on de fuir j ; après avoir été attaqué
fur fes flancs & fur fes derrières.
Les Grecs enfeignèr.ént dansjeur école l’ordre
de bataille en rentrant } Xépophon en donne Un
exemple à Thimbré 5 Thémiftocle le mit en
uiage à Marathon» mais à l ’époque de la bataille
d’Elingue, les Romains ne. connoiffoient point,
encore les Grecs, leurs ouvragés n’avoient point
encore pénétré, jufqu’à Rome, & Scipion les-
eut-il .connu } , il auroit encore infiniment per- :
fe&ionné cet ordre de bataille } & même par'
la manière dont il difpofa fesf troupes & les fit
manoeuvrer, il créa l’ordre dans lequel il combattit,
i Scipion avoit une armée la moitié moins forte
que celle id’Asdrubal, il ne pouvoit fe procurer
aucun avantage du terrem, le champ de
bataille étoit une plaine rafe, bien plus favorable
à l’ennémi qui avoit des éléphants & une
cavalerie nombreufe. Ce qui devoit l’embar-
raffer davantage , c ’étoient les Efpagnols qui
compofoient la plus grande partie de fon armée.
Combien ne faut-il pas avoir de reffources-dans
l’èfprit pour furmonterd’aulfi grands obftacles.
D’après cés, détails, on conçoit comment
Scipioti dut porter fa principale attention à né
pas engager le combat fur toute la ligne, par
rapport aux Efpagnols } mais s’il avoit formé
fon attaque par une fîmple oblique } ou bien
avec la tête d’ une feule colonne, rien n’auroit
èmpêchë Asdrubal, qui étoit • fupérieur en
troupes, d’atteindre le centre de l’armée romaine
& de l’engager àu combat. Scipion ne pouvoit
pas davantage refufer fon centre, en faifant
marcher Amplement fes deux aîles} car outre
la difficulté de faire marcher deux corps de
troupes brufquement, cinq cents pas en avant
fans flottement, leur l'uccès doit être très-douteux
contre des troupes fupérieures en nombre
qui< marcheil.t de leur côté. D’ailleurs le front
de l’ infanterie efpagnple dans l’armée d’Asdrubal
étoit couvert, par trente-deux éléphants ", &> il
étoit effentiel. dé s’affurer de leur fuite, afin de
les empêcher de nuire aux différentes manoeuvres
projettées} & fi Scipion s’étoit borné à refufer
fon centre, dès-lors Asdrubal, dont le centre
n’auroit plus été menacé, auroit pu s’ en fervir
ou pour renforcer les corps efpagnols ou pour
attaquer les légions.
Quelle foule d’pbftacles & de dangers ! Scipion
fut lever les uns & éviter .les autres. Pour s’af-
Art Milic. Suppl. Tome IV . \
furer le fruit de la furprife & mafquer fa véritable
difpofition, il falloit infulter le camp des
Carthaginois avec la cavalerie, & engager par-là
un combat pendant lequel il fe met en mefure > à peine y eft-il} fes ordres font déjà donnés, fa
cavalerie, fes troupes légères ont difpâru, &
les manipules des princes font venus fe joindre
à celles des haftaires , & ont été appuyés par
les triaires. Cependant Asdrubal rappelle fes
numides déjà trop engagés dans la plaine & range
fon armée en bataille. Dès-lors Scipion , par une
manoeuvre hardie, prolonge fes deux aîles en
abandonnant fon centre qui avance lentement ,
& fe porte en même tems contre la cavalerie
ennemie avec la fiennè , & contre les^ corps
efpagnols avec fes légions, de manière à avoir
j battu les aîles de l’armée d’Asdrubal, fans que
'ce général eût pu s’y oppofer.
Tous ces détails, toutes ces obfervations
piouverit affez vi&orieufement combien à cette
époque', la; feiencè de' la; guerre avoit fait de-
grands progrès chez les Romains. '
Cependant Scipion, jeune, victorieux, avide
.. de gloire, 1 feritant Ces forces & fes moyens ,
ne pouvoit pas borner fes fuccès aux conquêtes'
faites'en Efpagnè 5 auffi après avoir contraint
les Carthaginois à abandonner tout-à-fait ce pays,
Scipion fe hâta de revenir à Rome pour y proposer
de-porter-la_g.uerre en Afrique,. .
| On délrbërôit a Rome fur les vaftes projets
; de l’ illultre Scipion j & les opérations de la
guerre en ‘Sicile & en Italie , continuoiènt de
part & d’autre à prouver de Vhabilete, & déve-
loppoient toujours davantage la fcience . militaire.
Ces opérations feroient faites fans doute
! pour inflruire & pour intéreffer, mais obligé;,
j comme nous le fommes, de raconter fommai-
rement & d’arriver rapidemént aux objets militaires,
qui tiennent à la partie dont nous nous
occupons, nous devons nous' borner à dire
qu’Annibal abandonné pour ainfi ^ dire de fa
patrie , après avoir perdu fon frère Asdrubal
& l’armée qu’il lui amenoit, obligé de refïerrer
fes quartiers & d’évacuer la Pouil'e , fe vit
; nécèûité de, fe tenir fur la défenfive} & bientôt
i après dè retourner en Afrique pour ÿ- défendre
I Carthage. Scipion étoit à Tes portes, il venoit
i d’iriveftir en 'même tems Tunis & Utique , qui
: étoient regardés; comme- deux battions qui ftan-
quoient la capitale. Mais le général romain averti
au débarquement d’Annibal à Adrumète, fentit
l’impoffibilité où il étoit de continuer le liège de
ces deux villes, & la nécelfitéavant de le reprendre
de combattre l ’armée carthaginoife. Annibal mar-
choit pour occuper les bords du Bragada &
obferver & contenir les mouvemens de Scipion }
celui-ci qui vouloit s'emparer des bords de la
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