
battre far le terrein ou fes troupes étoient
accoutumées à fe former. Outre les avantages
de cette pofition , il pouvoit mettre en em-
bufcade des foldats-. qui attaqueroient l'ennemi
en flanc & par derrière, tandis qu'il les atta-
queroit de front. On étoit au milieu de l'hiver,
& le ciel verfoit fouvent des torrens de pluie j
fi l'infanterie romaine pafloit la rivière à gué
& reftoit quelque tems inaétive, elle devoit
foùffrir beaucoup des effets de l'humidité &
du froid. Pour amener l'ennemi à fon but ,
Annibal ordonna à fa cavalerie de traverfer les
gués & de parader fous les lignes de l’ennemi ;
& fi on la chargeoit, de repaffer la rivière en
défordre comme fi elle prenoit la fuite. Il avoit
caché mille foldats d'élite derrière des haies,
au bord d'un ru'ffeau qui tombe dans la Trébie ,
au-delà du lieu où il vouloit & efpéroit établir
le champ de bataille 5 il avoit recommandé à
fon armée d’être difpofée au combat, & de fe
préparer par un repas aux fatigues auxquelles
elle fer oit expofée.
La cavalerie d'Annibal fe préfenta fous les
lignes de l'ennemi à la pointe du jour, & avant
l'heure où les foldats romains faifoient leur premier
repas. Dès-lors les légions fe formèrent,
elles pourfuivirent les Carthaginois qui repaf-
foient la rivière en d é fo r d r e e l’es traverfèrent
les gués & fe déployèrent fur les rives oppo-
fées j Annibal qui avoit déjà mis fes foldats eh
bataille, fit femblant d'abord de s’occuper uniquement
à couvrir la retraite de fa cavalerie ;
mais bientôt il attaqua le front de la ligne ennemie
, au moment où le détachement placé en
embufcade affaillit les derrières, & décida la
déroute completré de l'armée romaine.
Prévoyance réfléchie , fages précautions , profonds
calculs, connoiffance des ennemis, du
général qui les commande, de fes pafiions, de
fa manière de penfer , favante manière de mettre
tout à p rofit, rien ne fut négligé par Annibal
dans cette importante circonftance.-.
Cependant, dès les premiers jours du prin-
tems, l’un des premiers confuls romain s’étoit
rendu à Aretium, afin de garder le paffage de
l'Apennin & de couvrir l'Etrurie. Le fécond
conful s'étoit polie à Rimini, afin d'arrêter les
progrès des Carthaginois s'ils entreprenoient de
pafier par la côté orientale.
Mais- Annibal qui prenoit toujours des réfo-
. lütions auxquelles l’ennemi ne s’attendoit pas,
pénétra dans l’Etrurie par des vallées de l’Apennin
;ui étoient marécageufes & encore remplies
'eau; arrivé dans des cantons où les Romains
fi’ avoient fait aucun préparatif, il profita de
cette furprife avec fon aâüyité & fa vigueur
ordinaire..
Bataille de Y ra s im êne . Selon fa fage habitude
, Annibal avoit pris des connoiffances fur
le caractère de Flaminius, l’un des confuls qui
commandoit l’armée qui lui étoit oppofée, &
il efpéroit tirer des avantages de fon ignorance
& de fa préfomption. 11 s’efforça donc de le
provoquer & de le braver > il dévafta les campagnes
en fa préfence, il fit femblant d’expofer
fes troupes , il ofa même s’avancer dans le pays
en laiffant les Romains fur fes derrières.- Enfin
il eut la hardieffe de conduire fon armée dans
la gorge du lac de Trafimène, environné de
toute part de montagnes efcarpées ; & perfuadé
d’être fuivi par le conful, il s'empara d'un pofte ,
d’où il pouvoit l'attaquer avec fuccès fi les
légions s’avifoient de pénétrer dans ce chemin
étroit. Tout lui réufiît, Flaminius fuivit Annibal,
donna dans l’embufcade, & y périt avec la plus
grande partie de fon armée.
Ainfi en avançant, voyons-nous l'art de la
guerre faire de$ progrès fenfibles, car malgré
les fautes de leurs généraux , on ne peut pas
accufsr les Romains d'avoir mis de la lenteur
dans leurs attaques , d’avoit mal exécuté le plan
de leur général, d’avoir défobéi à fes ordres,
ni d’avoir été jamais frappés de terreur ; mais la
conduite fupérieure d’Annibal, fa manière d’agir,
d'après la connoiflance acquife du caractère &
des taîens du général, auquel il devoit avoir à
faire x & des défauts duquel il cherche continuellement
à profiter ; le peu d'habitude des
officiers romains de fe mefurer avec des troupes
& des généraux auffi habiles, forcent, le militaire
qui réfléchit, à convenir de la difficulté
de n'être pas la dupe & la viélime du général
carthaginois, & à s’appcrcevoir combien fous
cet homme de génie l'art de la guerre, aidé
de la fcience des rufes & des firatagêmes , ne
pouvoit pas manquer d’avancer & de devenir
toujours davantage plus favant & plus difficile.
Fabius. Cependant Annibal devoit trouver
des obflacles qui pouvoient le perdre , c'étoit
de voir à la tête des armées romaines un homme
comme Fabius , qvi après avoir réfléchi fur ce
qui s'étoit paffé , connoiflànt tous les avantages
d’ une défenfive aétive & calculant la pofition
du général carthaginois, s’affureroit dans
là prolongatiou d’une guerre défenfive, un
triomphe certain fur un ennemi qui ne pouvoit
fe procurer ni fecours ni recrues, & qui fe
trouvoit dans un pays ravagé par deux armées
à-la-fois. En effet, après avoir ordonné à tous
les habitans des villes ouvertes & des villages,
de fe retirer dans des places de fureté, & à
tous ceux des^ diftrids voifins de l’ennemi de
mettre le feu à leurs maifons’ , à leurs greniers,
& à tous les objets trop difficiles à emporter
dans leur fuite ; très-décidé à ne pas nfquer une
%
bataille, Fabius s'approcha de l'armée cartha- I
ginoife, en fe tenant toujours fur les hauteurs
d’où il obferva & refferra les mouvemens dé
l'ennemi..
Envain Annibal vôulut-il offrir lé combat,
le dictateur fut l'éviter & s’en tenir à fon plan
de prolonger la guerre défenfivement. Cette
inaction étoit véritablement le plus grand mal
a faire à Annibal & le feul redouté par ce
général ; envain expofa-t-il chaque jour fes déta-
chemens, & mit-il fon armée entière dans des
polirions dangereufes. Quelquefois fon adroit
rival profita de ces adtes de témérité, quelquefois
le Carthaginois s’en tira avec fuccès ,
mais fes exploits n’étoient plus fi rapides, &
Fabius avoit ranimé la confiance des Romains.
Ainfi un feul homme, fage, réfléchi, prudent,
calme , & affez courageux pour fe mettre
an-deflus des jugemens de la multitude, ramène
les affaires les plus défefpérées 3 mais il fa! 1 oit
être en même tems un très-grand général; & la
défenfive , contre Annibal fi aétif, fi rufé, fi
audacieux, néceffitoit, des choix de polirions,
des combinaifons, des précautions, & une conduite
militaire qui exigeoient des connoiffances
très-étendues, & qui font une nouvelle preuve
des progrès faits par cette fcience, dans une
des branches les plus difficiles de l’art de la
guerre, la défenfive, dont l’ hiltoire n’avoit encore
fourni aucun exemple.
Malgré la conduite fi fage de Fabius, & oh
peut dire fes fuccès, le fénat & le peuple fe
plaignoient de fa trop grande circonfpeétïon,
& ils donnèrent le commandement de l’armée
à Paul-Emile & à Varron. Annibal venoit de
furprendre la fortereffe de Cannes, qui étoit
pleine de vivres & de munitions ; c e é c h e c
détermina le fénat à ordonner de livrer bataille.'
D'après cet ordre, le confuls s’ avancèrent à fix
mille du camp d’Annibal qui couvroit le village
de Cannes.
L'armée romaine fe trouvant dans un endroit
trop refferré pour pouvoir fe développer , Paul-
Emile fit .à fon collègue les remontrances les plus
fages pour chercher un emplacement plus favorables
; mais ce fut en vain, Varron voulut livrer
bataillé, & il fut complettement battu. (1 ). *1
(1) Varron, ou embarraffé de fa trop nombreufe
armée, ou attribuant les avantages d’Annibal, à
fii formation dans un ordre très-profond, ou jugeant
des fuccès Sc de la force de l’infanterie, d’après
1 épaiffeur & le poids des corps, donna daiis cette
©ccafiôn aux manipules plus de profondeur & moins
de. front, & refferra -par confisquent les intervalles
Bataille de Cannfs — • On voit très-aifé-
ment en étudiant cette bataille, combien la préentre
les manipules, afin de faciliter à celles des
princes , rangées comme celles des haftaires, un
enchaffement plus exaéx pour former la ligne pleine
égale en profondeur à celle d’Annibal.
Par cette difpofition, les Romains ne profitèrent
pas de leur nombre, du pour s’étendre
fur un aufli grand front poffible , ou pour former
des réferves fi le terrein fe trouvoit trop étroit pour
mettre tpus les eombattans en bataille ; & Varron
commit la faute groiïière d’ôter aux légions l’avantage
de leur ordonnance.
Après avoir - commis la faute de rétrécir fon
front , Varïon fut obligé de placer la cavalerie
romaine des légions fur fa droite, pour remplir,
l ’efpace qui fe trouvoit vide entre fon infanterie
& le fleuve, la cavalerie des alliés plus nombreufe
du double, fut placée à la gauche, & l’infanterie
légère en avant.
Sur l’avis du mouvement des Romains, Annibal
fit paffer la rivière à fes troupes légères qui formèrent
une ligne pour couvrir l’ordre de bataille
projette. Il rangea fur fa gauche fa meilleure cavalerie
gauloifé 8t efpagnole qui étoit nombreufe, afin
de l’oppofer à celle très-peu nombreufe des Romains;
il rangea fon infanterie fur moins de profondeur
afin d’étendre fon front, plaça fes Africains armés
à la romaine aux deux ailes, & les _ Gaulois &
les Efpagnols au centre. Ses numides rangés à fa
droite, le trouvoient vis-à-vis la cavalerie ennemie
des alliés, avec ordre feulement de l’occuper , de
manière cependant à lui empêcher de prendre part
à l’aétion.
Le combat commença par lès troupes légères
à peine éroient-ellès aux prifes, & déjà la cavalerie
de l’aîle gauche d’Annibal avoit attaqué. &
défait" celle fi peu nombreufe de l’aile droite des
Romains, les troupes légères- fe retirèrent, les
primes s’enchâffërerît dans les haftairés, & la ligné
romaine fe mit en mouvement. Mais Annibal avoir
ordonné aux troupes du centre de fon infanterie
de pouffer en avant, de manière à former une ligrie
courbe, dont les extrémités fuffënt appuyées à l’infanterie
africaine qui devoit refter immobile; cette
manoeuvré ayant été exécutée, le centre de la ligné
romaine fut obligé d’attaquer cette efpèce dé (aillant,
& en l’en fon ç an tfe trouva déterminé a
le fuivre à former lùi-mêmë un faillant. Dès-lors
les triaires & les troupes légères qui .avoieht paffé
derrière , imaginèrent devoir appuyer aux primes
& aux haftaires, pour en augmenter les filés &
accélérer là victoire. Mais du côté des Carthaginois
, les Africains qui tenoient la gauche & là
droite de l’infanterie, marchèrent dès l’inftant où
i ils virent le- centre plier 5 tandis qu’Annibal pré