
anciens pour leurs armées entières : la cavalerie en
plainej fans appui de flancs, n’eft jamais embar-
raflee que lorsqu'elle en a une en tête beaucoup
plus nombreufe, capable de l'envelopper ; ce n'eft
point du terrein qu’elle occupe qu'elle attend la
victoire, c'eft de la promptitude de fes mouve-
mens, de l'effet d'une attaque imprévue, &c.
Quant à l'infanterie, foutenue de l'artillerie,
qui fait la force principale de nos armées, tout
roule à leur égard fur le terrein, pour l'attaque
& pour la défenfe 5 aufii feroit-il infiniment avantageux
de réduire la théorie du terrein & de fes
effets à des principes, fixes , & que tous les officiers
fe rendiffent cette théorie familière ; car en
vain des troupes qui marcheront, doubleront,
dédoubleront, déploieront & fe mettront en
colonne plus rapidement & avec plus d'ordre
que d'autres, devront-elles compter fur un grand
avantage; Une armée qui aura choifï une bonne
pofition, y réfîftera certainement à fermeté égale
dans les troupes & à prudence égale dans les
chefs, & y battra infailliblement l'armée ennemie
, quand même elle feroit infiniment plus raa-
noeuvrière qu'elle.
Enfin, la retraite après l'aélion occupe l ’auteur,
& c'eft ic i, félon lui, le triomphe complet
de nos armées, qui mettent non-feulement des
bornes à la viétoire, mais peuvent même donner
des moyens de fe l'approprier : chez les anciens,
au contraire, la retraite étoir une chofe inconnue,
& l’iffue d'une bataille étoit chez eux la victoire
ou une déroute entière.
Nos armées nous obligeant à combattre ^ une
grande diftance lorfque les troupes fe débandent,
elles ne fuient jamais fi pleinement qu’ôn ne puifle
bientôt les raffembler j il ne s'agit pour elles que
de fe mettre hors de la portée du feu : l'ennemi,
trop éloigné d'elles quand elles fe retirent, &
craignant de déranger fon ordre de bataille en les
pourfuivant, éïl obligé de les laifler aller.
Les anciens, dès qu'ils étoient battus, ne pou-
voient prefque jamais fe rallier qu'avec une difficulté
extrême, à moins que des troupes fraîches
n'avançaflent pour foutenir les efforts de l'ennemi.
Pour nous, dès que nous pouvons placer
quelques-uns des fuyards, même dans un lieu d'où
ils puî fient faire feu fur l'ennemi, à couvert de
quelques obftacîes qui les empêchent d'être forcés,
le vainqueur eft arrêté dans fa pour fuite, &
lés fuyards ont le tems de'gagner ies devans &
de fe mettre en fureté : o r , à chaque pas on rencontre
un bois, un ravin, un ruiffeau, des haies,
, effectuent leur retraite avec autant de tranquillité
[ que fi elles décampoient devant l’ennemi, ou elles
fervent à foutenir la retraite de celles qui ont combattu.
une mai fon pour y pôfter un détachement, dont
lé feu donnant en flanc fur la colonne de ceux
qui pourfuivent, les arrête tout court ; mais fans
la portée de nos armes, un pofte pareil ne pour-
roi c pas couvrir une retraite.
A cela fe joint la grande étendue de notre front,
qui fait que toutes les parties de l'armée ne pou- i
>iant pas s'engager, celles qui n’ont pas donné, '
POURSUITE. On ne peut donner des règles
certaines pour la pourfuite de l'ennemi : on la
doit régler fur fes pertes, la manière dont il fe
retire, les défilés ou poftes qu’il occupe derrière
lui, & la proximité ou l’éloignement de fes places.
Un général doit, avant une bataille, s'occuper
des moyens de fe procurer des vivres, en fuivant
l'ennemi, & un train d’artillerie en cas qu'il
veuille faire un fiégej il ne doit pas fe mettre lui-
même à la pourfuite de l’ennemi, mais en charger
quelqu’autre ; & quant à lui, après avoir rallié
fes troupes], il doit fuivre celles qu il a envoyées
en avant, foie pour le foutenir ou pour achever
de rompre l'ennemi s'il fe rallioit.
On détache à la pourfuite de l’ennemi, des corps
de cavalerie qu'on fait foutenir par d'autres plus
nombreux ; il faut tâcher d'augmenter le défordre,
& de multiplier, dans ht pourfuite, la perte de
l’ennemi, en ne s’engageant qu'avec beaucoup
de prudence & de circonfpe&ion. Le refte.de. l’armée
fe tient en bon ordre jufqu’à ce que l'ennemi
foit tellement en déroute, .qu'il ne pisilfe
plus fonger à autre chofe qu’à mettre en fureté
Ls débris de fon armée.
Si l ’ennemi fe retire par des défilés, il faut tâcher
de couper & de culbuter tout ce qui rtfte
à pafîer lorfque vous arrivez fur lui > s'il fait fa
retraite par un pays peu abondant en vivres, en
fourrages* &c. retardez fa marche en l'arrêtant
fouvent, pour qu'il fe mine infenfîblement : ayez
une avant-garde compofée de manière à pouvoir
combattre avec avantagé fon arrière-garde, mais
qui ne s'avancera pas trop, dexrainte d'être coupée
, & qui fe fera précéder par des parties de
troupes légères pour découvrir les embufeades
& fe préferver d'y donner. On peut encore retarder
l’ennemi en le fai fan t harceler par des corps
détachés qui, marchant fans bagages, feront leur
pofiible pour le devancer, le couper de fes magasins
, s'emparer des défilés où il doit paffer,
mafquer la place dont il veut renforcer la gar-
nifon, ou à l’abri de laquelle il veut fe mettre ;
en fureté.
S’il fe rètire fous le canon d'une place ou dans
un lieu avantageux , cette pofition ne doit plus
empêcher de les attaquer le plus tôt & le plus vivement
pofiible, & en venir tout de fuite aux mains,
afin de rendre le feu de la place fuperflu , pourvu
qu’une fécondé aétion foit utile. Il c-ft fouvent
très-fage de ne point s'expofer à un fécond combat
: on peut cependant le tenter lorfque l’ennemi
fe retire en défordre, ou quand d’ heureufes
circonftances vous rendent certains de la victoire.
S i, en pourfuivant fermerai, on rencontre fes
équipages,
équipages, il ne faut pas s’arrêter pour les piller,
parce qu'on perd fouvent un tems précieux qu'on
peut mieux employer.
Il faut pourfuivre l’ennemi fans lui donner le
tems de fe reconnoïtre &-de réparer fes pertes :
plufieurs prétendent qu'il faut lui faire un pont-
d'or j c ’eft une maxime timide & faufle qu'on ne
doit jamais fuivre. Si on le laiffe retirer paifible-
ment, qui l'empêche de reprendre courage ? Les
ducs de Veymar & de Rohan châtièrent les Bavarois
, de leur avoir fait un pont-d’or après la perte
de la bataille de Rhinfeldt. Ces deux grands-nommés
rallient les débris de leur armée à cinq ou fix
lieues du champ de bataille , & arrivent au point
du jour en préfence de l'ennemi, qui, furpris d'une
apparition fi imprévue , fut entièrement défait.
Le chevalier Folard remarque à ce fujet, que le
vaincu qui fu it, n'eft pas un être anéanti} que les
trophées érigés fur un champ de bataille ne font
pas toujours de longue durée. ( V o y e ^ les C om m en ta
ire s f u r P o l y b e , tom. I , pag. 191.)
Il faut donc pourfuivre l'ennemi fans relâche,
s’emparer de fes magafins, lui faire efluyer tous
les fours de nouvelles pertes, le chafler de votre
pays s'il y eft entré , ne point le ménager, & fai-
lïr toutes les occafions pofiibles de lui nuire : un
général qui agit autrement, trahit l’état & la confiance
de fon prince, qui l’ a chargé 'de défendre
fes intérêts. On ne doit jamais fuivre l’ennemi
bien avant dans un pays ruiné ; il feroit également
dangereux d’engager fon infanterie dans de vaftes
plaines contre un ennemi fupérieur en cavalerie ,
lequel vous cauferoit de grands dommages en vous
harcelant fans ceffe , 8e vous empêcheroit^â^^
commoder fa retraite.
POURSUIVRE. Nous nous bornerons à citer
des faits pour prouver les dangers de pourfuivre
l'ennemi avant qu'il foit entièrement défait.
A la bataille d’Ipfus , Démétrius difperfa l'ennemi
dès le premier choc ; mais fon courage imprudent
l’ayant entraîné trop loin à la pourfuite
des ennemis , il fe vit ravir la victoire 8e la vie.
Antiochus , roi de Syrie, perdit la bataille de
Raphia, contre Ptolomée, roi d'Egypte, pour
avoir pourfuivii'hconfidérément l’aile de l’ennemi
qu’il avoit enfoncée, tandis que Ptolomée, après
• avoir enfoncé celle qui lui étoit oppofée, prit en
flanc le centre de l’armée d’Antiochus,
La bataille de Cannes eft une preuve du danger
ùe pourfuivre ou fuivre l’ennemi fans précaution.,
Il eft très-dangereux de pourfuivre en défordre
f ennemi qu’ on a battu. Le préteur Nonnius
ayant attaqué & battu lès Lufitaniens, fut défait
par eux dans la même journée , parce que fon
armée pourfuivit fans ordre les Lufitaniens, qui
fe rallièrent, firent volte-face , lui tuèrent neuf
nulle hommes , prirent & pillèrent fon camp.
Pourfuivre l’ennemi avec trop de vivacité, 8e
A r t M i l i t . S u p p l. T om e I P " ,
fe laifler tromper par une feinte fimulée , n’eft pas
moins une grande imprudence j c’eft à une pareille
faute du jeune Craflus, général de ce nom,
que les Romains durent la perte de la bataille donnée
par eux aux Parthes, fur les bords de la Ba-
lifie.
Quand l’a le de la cavalerie de Pompée , à la
bataille de Pharfale, eut été mife en fuite , la
cavalerie de Céfar fe garda bien de la pourfuivre ;
elle tomba fur l’infanterie de cette aile, la battit,
& décida la victoire.
Le conful Hirtius, après une bataille contre
Antoine , dans laquelle il avoit eu beaucoup d’avantages
, ne permit point à fes troupes de pourfuivre
l’ennemi, de peur de tomber dans quelque
embufeade, parce qu’il commençoit à faire nuit ,
& que le pays étoit rempli de broufiailles 8e de
marais.
La perte de la bataille de Philippes fut due à
l ’impetuoliité de Brutus, qui laiffa à découvert
l ’aile de Caflâus en pourfuivant avec trop d’ardeur
les troupes d’Oraavius.
La bataille de Mefle, entre l’empereur Auré-
lien 8e la reine Zénobie , eft une preuve du danger
qu’on court à trop s'abandonner fur l’ennemi
quand on n'a pas percé une partie de fa bataille.
La ville de Mefle fut prife parce q u e , dans une
fortie, les aflîégés pourfuivirent beaucoup trop
Jes Sarrafins, 8e leur donnèrent le moyen fie les
envelopper.
La bataille de Mantinée fut perdue par les Spartiates
, pour s'être débandés en pourfuivant les
Achéens après le premier choc.
Mardonius battu par Paufanias eft une preuve
du danger qu’iLy a de fuivre fon ennemi qui fuit
avec trop de précipitation.
Pendant la bataille du Granique, Alexandre
renverfe l'aile de cavalerie qui lui étoit oppofée ,
mais il fe garde bien de la pourfuivre, parce que
l’infanterie ennemie n'avoit pas été rompue 8e
tenoit toujours ferme dans fon pofte 5 il l’enveloppe
de toutes parts, & tout ce qui ne fe rendit
pas fut taillé en pièces i
Au premier avantage que remportèrent les
Athéniens à la bataille de Chéronée, leur général
crioit : Allons, mes amis, pourfuivons-les
jufque dans la Macédoine j Philippe, voyant alors
la manière dont ils s’abandonnoient à la poursuite
, dit froidement : Les Athéniens ne Savent
pas vaincre s 8e profitant alors de leur faute, il les
mit facilement en déroute eux-mêmes.
La journée de la Mafloure, en 12jo , dans la
première croifade de saint Louis, auroit été heu-
reufe, 8e auroit afluré aux Croifés la prife du
Caire, fi le comte d’Artois ne s’étoit pas laiffe
emporter trop loin par fa valeur, ou fi fes gens
ne s'étoient pasamufés à butiner, au lieu de s'emparer
des principaux poftes de la place.
Deux bataillons de l’armée portugaife ay ant,
à la bataille d’Almanza, percé les deux lignes de
p p p p p