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que de l’intérieut des terres. On voit que l ’Océan
n’a fait qu’agrandir & élargir la vallée d’une- ancienne
rivière qui a commencé l’ébauche du golfe.
Si ce font ces iorces locales qui ont contribué à
l’état aétuel de la Mer-Rouge, la prétendue malfe
d’eau qu’on imagine fortie de l’Océan, ne s’eft
donc pas aventurée jufqu’ à la mer Adriatique ,
dont le bafiin n’ a été creufé & agrandi vifible-
ment que par le travail fucceffif des~eaux de l’intérieur
des terres , qui en forment furtout la ceinture
à l’oueft 8c un peu au nord.
V o ilà , ce me femble, comme on doit envifager
chaque effet naturel. En circonfCrivant ainfi les
caufes locales, on n’ira pas fe hafarder à évoquer
des. Indes des forces pour organifer nos mers
d ’Europe. Ic i, je vois les moyens naturels de la
formation dans ceux de l’entretien, V & récipro- j
quement les moyens de l’entretien m’autorifent
luffifamment à remonter à ceux de la formation.
J’ajoute ici que la formation des golfes en général
ne peut être envifagée que comme l’effet
d’un travail lent, 8c non comme le réfultat d’une
cataftrophe fubite & extraordinaire dont on ne
peut nous indiquer les caufes. Nous renvoyons
au refle^aux articles Golfe & Méditerranée, où
nous ferons connoître plus en détail le fyftème de
la Nature dans l’approfondiflement des anfes, des
détroits, 8c de toutes les dentelures des côtes de
l ’Océan & des mers intérieures. En attendant, je
puis même renvoyer à ce que j’ ai dit à ce fujet
dans la Notice de Tournefort, où je difcute ce
que peuvent opérer les eaux courantes de l’intérieur
jdes contkiens , lefquelles font , les feules
forces, les feuls agens dont la marche & l’a&ivité
continuelle foient propres à produire tous ces
effets.
Niveau de la mer Adriatique & état de fes rivages.
La mer Adriatique gajne journellement du côté
de Zara : on en juge par la marée, qui atteint &
couvre des lieux qu’elle ne devoit pas aborder
lorfqu’ i’s furent bâtis. On peut citer dans le même
fens les anciens pavés de la place Saint-Marc de
V en ife ,q u i font beaucoup au deffous du niveau
moyen aauel de la mer. Enfin, un grand nombre
d’autres monumens concourent à prouver ce fait.
La mer étend conftamment fon lit malgré les
fleuves qui prolongent fes rivages, en dépofant à
leurs embouchures des fables 8c de la vai'e. Soit
que les rivages du golfe de Venife foient marécageux
, fablonneux ou de rochers, on y trouve toujours
des ruines d’anciens édifices fubmergés 5 ce
qui paroît établir inconteftabîement l’élévation du
niveau de la mer : on peut s’en convaincre auffi
en examinant le refoulement de l’eau des fleuves
â leurs embouchures, & les ftagnations étendues
qu’ont produites les vagues de la marée montante,
quelque foible qu’elle foit, ainfi que les écroule-
mens des montagnes 8c des collines minées fur les
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côtes orientales par la mer. On pourra voir dans
plufieurs articles de ce Di&ionnaire, qui contiennent
la defcription de différentes îles de la Dal-
matie, des preuves de tous ces changemens &
révolutions qui fe font étendus partout.
De la nature dit fond de la mer Adriatique.
En examinant le fond de la mer Adriatique on
a remarqué d’abord qu^il n’y avoit aucune différence,
quant à la difpofition des matières, eutre
le fond du golfe & la furface des côtes qui en
forment l’enceinte j car on y découvre également
des inégalités, des cavernes, des fources, des fontaines
8c des eaux courantes : on a vu qu’il étoit
formé en grande partie de différentes couches horizontales
& parallèles à celles des îles. On trouve
toutes ces difpofitions fur les bords de l’ iftrie, de
la Morlaquie, de la Dalmatie 8c de^rAlbanie.
Donati, à qui nous devons ces obfervations & ces
remarques , a cru voir que le fond de la mer dans
cette partie, étoit formé d’une mafle de marbre
femblable à la pierre de Dalmatie , dont on fe fert
à Venife dans les conftruétions, & qui eft quelquefois
interrompue par des bancs compofés de
teftacées, qui font une croûte d’une épàifieur de
quatre à cinq cents pieds, près de Sebenico, 8c
qui paroiffent s’ être pétrifiés au fond même de la
mer. Il en a conclu que le fond de la mer Adriatique
éprouvant cette augmentation contiuuelle,
fon niveau devoit s’élever en même raifon 5 ce
qui eft cependant contredit par plufieurs faits que
nous avons cités ci-deffus, en obfervant que ces
augmentations du fond de la mer par les teftacées
ou madrépores, telles que les a remarquées Donati,
ne peuvent être que locales, & circonfcrites
dans d’allez petites étendues.
Golfe A d r i a t i q u e , confédéré relativement a fa navigation
, a l'état de fes côtes & à Véiabliffement
de Tfenife.
Le golfe Adriatique s’avance'dans l’intérieur
des terres à la diftance de quatre-vingt-dix myria-
mètres environ, & forme une anfe large à peu près
de quinze myriamètres réduits. La cote occidentale
qui fert de bords à l’Italie, eft plate, malfaine,
fans abri 5 les navigateurs ne la fréquentent
pas j ils fe rangent le plus fouvent vers la
côteoppofée, où les provinces d’ Iftrie, de Dalmatie
& d’Albanie font couvertes par un grand
nombre d ’îles, entre lefquelles il y a un bon mouillage,
& où l’on aborde à des ports fûrs, commodes,
où l’on trouve des fecours en hommes,
en vivres, en munitions navales autant qu’on en
peut defirer. Pendant toute la belle faifon la navigation
eft facile dans le golfe j le vent dominant
eft favorable pour en fortir, 8c par conféquent
contraire pour aller à Venife : il faut dix-huit à
vingt jours pour s’y rendre du golfe de Tarente
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ou de C or fou, pendant qu’il fuffit fouvent de trois
à quatre jours pour retourner à ces deux points,
qu’on pourroit regarder comme les mufoirs des j
bor^s naturels qui forment l’enceinte de l’Adria- j
tique. Pendant l’hiver les vents de fud-eft font j
des ravages affreux dans le golfe j il eft impoflîble
aux vaiffeaux de fe fouftraire à leur violence : à
chaque pointe qu’il faut doubler, le vent change,
& toujours il eft debout. Les lames font courtes j
& profondes , & quelque attention _qu’on y faffe ;
dans la manoeuvre, il eft impoflîble de les éviter :
la feule reflource eft de chercher un mouillage
dans lés Archipels ou les ports de la côte du nord.
Il fuffit de jeter un coup-d'ceil fur la carte ( 1 ) ,
pour juger que le premier effet des tempêtes eft
néceflairement de.porter les alluvions de fes deux
rives à leur point de réunion. 11 eft évident que
les coups de vent de nord-eft au nord-oueft ne
peuvent détruire les dépôts qu’ont apportés ceux
du fui-oueft au fud-eft, puifque les premiersJont
arrêtés par les montagnes du Frioul, tandis que
les autres ne trouvent aucun obftacle depuis les
rivages de l’Afrique, à plus de trois cents myriamètres
de diftance.
Une autre fource non moins féconde apporte
encore des vafes fur cette plage : ce font les fleuves
qui viennent s’y décharger, 8c qui, dans les
tems de crues, entraînent avec eux une immenfe
quantité de limon, de fable & de cailloux, le Pô,
1 ‘Adige , le Bachiglione, la Brenta , le Marfenego,
le Silé, la Pi ave, la Liven^a, le Tagliamento ;
toutes ces rivières & torrens ont leurs embouchures
fur un développement qui n’ a pas-vingt
myriamètres de longueur, & prefque toutes prenant
leurs fources à très-peu de diftance dans les
montagnes de 1« Carniole, du Frioul & duTirol,
ont un cours extiêmement rapide, font fujètes à
des exondations fréquentes, ravagent les pays
qu’elles arrofent, 8c précipitent leurs débris dans
la mer. La lifière de terre comprife entre le pied
des montagnes & la mer, dans tout le pourtour
des lagunes, eft le réfultat des d pots anciens
qui fe prolongent fans ceffe, & les fleuves ont
établi leurs cours naturels avec mille finuofités
dans ces terres d’alluvion. L’ art y a réuni quelques
canaux fa&ices, & les campagnes qui relient
entre ces eaux courantes, couvertes elles-mêmes
d’eaux dormantes & marécageufes, ne produifent
que des joncs, des rofeaux, des faules, des infectes
& des vapeurs mal-faines.
L à , comme partout ailleurs, la Nature a fondé
au milieu des eaux un barrage naturel qui établit
une limite entre les aterriffemens formés par les
tempêtes de la mer 8c ceux qui réfultent des dépôts
fluvials : il en réfulte une digue qui s’étend
aujourd’hui depuis les embouchures de VAdige,
de la Brenta, jufqu’ à celle de la Piave. I/efpace
renfermé en arrière de cette digue eft tranquille
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au milieu des orages : c’eft un vafte marais qui peut
avoir dix à douze myriamètres de fuperfide 3 fa
figure eft à peu près celle d’un triangle ifocèle-
qui auroit fept à huit myriamètres de bafe;, fur
trois à quatre de hauteur j il eft rempli d’île s , de
bancs, de bas-fonds, parmi lefquels fe font formés
, par faCtion même des eaux ou par la main*
des hommes, quelques canaux plus profonds qui
fervent à la navigation* Voilà ce qu’on appelle
les lagunes. Les îles les plus considérables fonc
habitées, 8c Venife en occupe feule plufieurs.
Voy, l’article Lagune, où ces détails fe trouvent
développés.
Cette pofition défagréable 8c mal-faine, mais1
ifolée, a fait aux habitans une indifpenfable né-
ceflité de la navigation : elle ne produit que les
réfultats des pêches. Il lui faut entretenir des relations
non interrompues avec Le continent ,j>our
fatisfaire à tous fes befoins } mais il femble que
le génie de fes fondateurs ait eu particuliérement
en vue d’imprimer plus fortement à l'efprit^national
une tendance habituelle vers les opérations
maritimes, en multipliant par tous les moyens
poffibjes leurs premiers élémens. Venife n’a point
de rues : toutes les maifons font entourées d’eau -,
eiles ne fe communiquent point ou prefque point
autrement que par eau ; chacune entretient plù-
fieurs bateliers pour fon fer vice 8c plufieurs bateaux.
Il y a peu de villes dans le Monde où l’on
trouve autant de chantiers, de barques & de marins
qu’à Venife : il y en a peu où l’efprit de la
navigation doive être auffi généralement répandu
qu’ à Venife 5 il y en a peu où rinduftrie foit auffi
vivement follicitée à prendre cette direction.
Dès le v e. fiècle, il avoit été bâti des villes
dans les lagunes. L ’empereur Héraclius y avoit
fondé la ville d’Héracliatie, que les réfugiés rebâtirent
parce quelle tomboic en ruine, fis peuplèrent
fucceflivement onze autres îles, fur lefquelles
ils n’avoient trouvé que des habitations
de pêcheurs. Enfin, la totalité des foixante-douze
îles qui forment cet Archipel, fut couverte de
maifons de pêcheurs 8c de commerçons 5 elles furent
remplies de canaux, de ponts, de barques &
de mariniers. D’abord les intérêts turent divifés,
8c chaque peuplade eut fes lois ; enfuite de plus
puiffans intérêts les rapprochèrent, & .elles fe
réunirent en corps de nation : ces mutations eurent
lieu dans Us v i e. 8c v n e. fiècles. On ne peut
pas douter que la feule reflource de ces peuples ,
quand la terre leur étoit interdite par un vainqueur
féroce, n’ ait été la pêche 8c le commerce.
L’homme fait toujours bien ce qu’ il a un grand
^ intérêt à bien faire j les Vénitiens ne tardèrent
pas à fupplanter dans tous les comptoirs les habitans
des villes maritimes circonvoifines., parce
que ceux-ci partageoient leurs moyens entre La
culture des terres 8c le négoce, entre le commerce
de l’intérieur & la navigation , tandis que
les autres fe livroient à la mer fans partage.
Y a
(1) Voye£ l’Atlas, au mot Adriatique.