
On fenc bien que la rupture du détroit dé
Gibraltar ne s’eft pas faite comme tant de gens
l’ont imaginé 3 niais que fon ouverture eft un
prolongement de toutes ces vallées, dont chacune
a verfé les produits des ruiffeaux qui fe font joints
enfemble à mefure que les flots en ont battu les.
intervalles. Cette ouverture date donc du même
tems que s’eft fait celle de toutes les autres vallées
particulières, qu’ elles ont approfondies au
point où fe trouvent tous les détroits qui appartiennent
à cette mer.
On auroit donc tort de croire que la Mediterranée
ne fut d’abord qu’un grand lac ou plufieurs
lacs fépafés, & que les continens d’Europe &
d’Afrique relièrent pour lors unis fur les confins
de l'Efpagne.
Les uns ont cru que ce mafiif, qui offroit un
plain - pied, a été ouvert par l’aftaiflement des
terrains > les autres ont penfé, au contraire, qu’il
avoit été tranché & rompu par quelques efforts
de l’Océan ; enfin plufieurs autres écrivains ont
imaginé que toutes ces caufes s’étoient réunies.
On n’a pas vu que cette grande opération de la
nature pouvoir êtr,e rangée dans l'ordre de tous
les terrains qui ont été creufés à la furface de nos
continens. On nous ai dit que les fommets des
montagnes de l’Afrique & de l’Efpagne, qui baif-
fènt & s’inclinent à mefure qu’on s’approche du
d é tro it, indiquolent l’affailTement général de la
malfe qui le remplifibit, comme fi ces-effers ne
pouvoient pas être la fuite du premier approfon-
diffement de la vallée j à quoi ont fuccédé ces
grands courans d’eau de la mer intérieure , &
enfuite de l’Océan, dont les traces fe remarquent
encore dans les efcarpemens des côtes & dans les
angles alternatifs du canal.
Quelques auteurs ont été fort portés à croire
que ces deftruétions ont été produites par l’Océan
> & de ce qu’ on a reconnu qu’ il couloit dans
la Méditerranée, ils en ont conclu, fans aucune
raifon , qu’il devoit être plus élevé que la Méditerranée
, & y entrer avec impétuofité lors de la
rupture qu’ils ont fuppofée. Cependant, d’après
le plan des opérations de la nature, qu’on ne peut
révoquer en doute, il me femble que fa marche a
fêté contraire dans l’ouverture du détroit de G ibraltar.
Il eft vifible que, fous cette époque, c’eft
l ’eau fournie parjta Méditerranée qui couloit d’abord
dans l’Océan > & même, s’il étoit nécelfaire
d’ avoir recours aux récits de quelques Anciens,
il femble qu’il feroit conforme à ce que nous
avons conclu des obfervacions de la nature. P line,
Ammien - Marcellin , Philon & quelques autres
Anciens ont dit que les eaux de la Méditerranée
avoient été autrefois plus hautes qu’elles n’étoient
de leur tems ; & lorfqu’ils parlent de ces îles qui
font forties enfemble du fein de cette mer, telles
que Dé los , les Cycîades, Rhodes & autres de
l’Archipel, iis nous difent qu’ elles étoient autrefois
cachées fous les eaux, & que la mer * en
baiffant & en fe retirant, les avoit fait paroître.
On auroit tort cependant de croire que le niveau
des eaux de la Méditerranée n’étoit ainfi plus'
élevé que parce qu’elle étoit pour lors un lac
fermé : on peut croire que, lorfque le trop plein
du lac a commencé à déboucher dans l’Océan,
fes eaux ont été plus hautes que celles de cette
mer, & qu’elles, s’y font répandues à mefure que
la vallée s ’eft creufée, & que le détroit s’eft ouvert.
Au refte, c’ eft un problème à réfoudre par
le premier obfervateur qui fe donnera la peine
de fuivre les environs du détroit. L’ afpeét des
efcarpemens,prouvera quetout le canal eft d’abord
l’ouvrage des eaux courantes qui débou-
choient de la Méditerranée, combiné avec celui
des eaux de l’Océan, qui y caufoient un reflux
très-fort. C ’eft à la fuite de ces deux avions que
le détroit s’eft ouvert comme nous le trouvons
actuellement.
Je crois que la Méditerranée n’a pu être primitivement
un lac avant le tems où le détroit de
Gibraltar a été ouvert, un lac fans débouché > car
comment concevoir que cette rnafle d’ eau fla-
gnante. fe feroit creufé un baflîn fans qu’il y-eût
un débouché pour l’enlèvement des matériaux
qui rempliffoient la place du baflîn ? C ’eft ainfi que
je conçois la formation des baflins.de toutes les
méditerranées.
Il en réfulte qu’on ne fauroit fuivre avec trop
d’attention la formation des baflins des lacs qui
ont des émiffaires car cé.tte théorie eft applicable
aux méditerranées & à tous leurs golfes.
( Voye[ Lacs.)
N°. IX. A n e c d o t e s fur £ ouverture du Bofphore
de Tkrace.
Tournefort regarde le Bofphore comme ayant
été tranché & ouvert par un débordement fubit
du Pont-Euxin î mais n’eft-il pas plus naturel de
penfer que le débouché de ces eaux avoit été pré?
paré par l’approfondHTement lent & fucceflif du
canal, qui s’étoit opéré comme celui de,toutes les
autres vallées de l ’Europe
11 eft à croire que cette première vallée, avoit
fon embouchure dans la Propontide, où il en a
encore une infinité d’autres dans fon contour, &
que fon origine étoit également tracée dans les
maflifs qui bordent le Pont-Euxin près des châteaux
neufs d’Afie & d’Europe. Par ces premiers
débouchés , les eaux de ce lac font parvenues'à
creufer pendant des fiècles le Bofphore, à l’élargir
en fe portant alternativement contre fes bords op-
pofés.
Les pierres cyanées, fi fameufes par les naufrages
, & fi redoutées par la marine ancienne, font >
ainfi que les îles de la Propontide , les relies des
rochers que les. eaux courantes n’ont pu détruire
entièrement.
Toutes les côtes de cette «partie du détroit fout
A N . Extournées
d’équère, & quelquefois en manière d é cade
} elles font horriblement efearpées , & couvertes
de vieux matériaux.
Les Anciensredoutoient tellement la; Mer-Noire,
qu’ils n’qfoient y entrer ons invoquer, les dieux.
Les Thraces vi voient dans, le s cavernes affreufes
qui,font fur ledétroit à gauche y^enjaîlant du çhâ*1
te a u d’Europe vers la colonne» de Pompée. La
partie du golfe de Sa rai a , expofée directement au
détroit , eft efearpée jufqu’au coude qui eft tourné
vers les vieux châteaux d’Europe, & les Anciens
avbient pris ces roches pour clés Bacchantes, a
caufe du bruit que les vagues y font. En plufieurs
endroits de la .cote qui fuit au deffous jufqu’à çes
vieux châteaux, elle eft toute taillée à p ic , les
flots y font un biuit. épouvantable.
Les efcarpemens & les démolitions produits dans
le Bofphore par les eaux courantes, font devenus
des emplacemens de villes $ mais les terrains fertiles,
aux environs de Conftantinople, font fitués
tous à l’oppofite des efcarpemens, dans les lieux
où de petits courans d’eau ont amené des vafes à
leur confluent avec le détroit. Les jardins du fer-
rail de Conftantinople, à en juger par leur expo-
ficion relativement aux eaux courantes, ne doivent
pas être auflî fertiles que. jes jardins du ;ferrail de
Sçutari, par la même raifon.
Ôn a recherché par quel accident le Pont-Euxin,
d’un lac tranquille & borné entre fes rives , & environné
de toutes parts de contrées & de mon- :
tagnes fort élevées , a pu ;s’accroître. au point de j
déborder tout à coup d a l les mers & fur le continent
de la G r è c e d ’où lui venoient çes eaux
étrangères., ce qui eft plus important encore,
quelle étoit la difpofition du terrain,à travers lequel
a pu s’ouvrir aux eaux un fi grand débouché.
Mais rien ne nous autorifant à regarder i’ ouverture
du Bofphore comme un accident fubit & inattendu
(car il n’y a aucun exemple de pareilles inondations
ni de creufement femblable d’un pareil canal J ,
mais comme toutes ces queftions m’ont paru toujours
inutiles, ne pourroit-on pas fuppofer que
des orages confidérables dans- toutes les. régions
que parcourent les fleuves qui fe déchargent dans
le Pont-Euxin, & furtout dans les contrées dont
le Danube recueille les eaux j qu’ une faifon extraordinairement
& généralement pluvieufe pendant
plufieurs mois, ait augmenté le volume des
eaux qui y entrent, & que la proportion ordinaire
entre la quantité d’eau que ces fleuves y portent
régulièrement, & l’ évaporation continue étant
troublée & ne fubfiftant plus, ce grand lac aura
élevé fon niveau fi confidérablement, que, ver-
fant fes eaux dans les vallées de fon contour, &
arrivant à la hauteur de quelques-unes de leurs
gorges ou de quelqu’ iffue dans certaines parties
de fes bords, il a été néceffaire qu’ il fe répandît
fur les contrées qui auroient eu le malheur d’y être
expofées ?
Mais peut-on concevoir que l’ancien Iàqdu
Pont-Euxin adu changer-d’état de cette manière ?,
Quand on fuppofêroit qu’en conféquence de pluies,
abondantes qui auroient eu lieu én Europe &.en-
Afie / toutes les rivières.qui s’y jettent, auroient
éprouvé de grandes inondations j que le baflîn qui
les recevoit -Si. qui, les >contenpjt“ auparavant ,
n’ayant plus.fçffi, fe fer,oit à la fin comblé ;> & que
c’eft ainfiquq,;ducpin.dela Méditerranée, Je Bof-
phoré fe feroit ouvert fubitement. Cependant il
faut remarquer que toutes les, vallées qui fervent
Là la circulation des eaux courantes , fe font çreu-
fées également partout, & en même tems par des
progrès infenfibles, &c qu’elles do,nnoient iffue à
ces eaux ; c’ eft .aufîi dans le même teins qu’ elles ont
; formé, leur, égout, qui eft devenu le Pont-Euxin.
; Je vois q.u,e fes efcarpemens réguliers fe font faits;
en mêm,e.tems queTégô.ut s’eft creufé & agrandi,,
, que les, embouchures d(es rivières fe font creufées
en même raifon. Pourquoi le débouché dé l’égçut
ne fe feroit-il pas creufé en même tems ? J’y trouve,
partout le même travail, la même forme des bords
des vallées.;
J’obferve que les efcarpemens qui font placés
dans le cours d’une vallée, alternativement & d ’e.fr
paçe en.efpace , font tous de,la, même date , &
que leur forme dépend .de la même opération , foie
que les vallées aient dix.lieues de longueur, foit
qu’elle? en aient cent, ou qu’ëlles en aient deux
ou trois cents, même mille.
Les.êfcarpemens les .plus éloignés des points de
partage des eaux n’ont été produits que par ces
eaux defeendués de çes fommets , fi les efcarpemens
des contrées les plus élevées n’ont été, produits
de même que par les^aux dont la chute vers
les lieux bas ÿ a oçcafionné: de femblables dégr.a-,
dations. Rièn de plus' aifé, de plus, naturel, à
concevoir, que ces différens effets des éaux. Or ,
l’on fait que le Danube, le Boryflhène , le Tanais ,
fe déchargent dans le Pont-Euxin. L’on fait aufii
que le Pont-Euxin fe décharge dans la Méditer-;
rançe par le Bofphore & les Dardanelles. Nous
pouvons donc fegarderle Bofphore comme la contir
huation de la vallée de ces fleuves, dont leconfluent
eft le Pont-Euxin lui-même. O r , fi nou-s trouvons
àpréfent, fur les bords.de ces grandes vallées , les
mêmes empreintes que nous préfente le Bofphore,
nous ne pouvons nous diflimuler qu’elles ne foi en t
de la, même date dans les deux fortes de vallées ,,
& qu’ elles ne foient dues aux progrès fucceftifs du .
travail du.même' agent.
Que l’on j.ette les yeux fur les cartes du Danube ,
qui accompagnent l’ouvrage du comte de Marfigli,
on y. verra les mêmes efcarpemens, les mêmes côtes,
retournées d’ équère, placées dans le même rapport
les unes à l’égard des autres , & dans la même
fiiuatiori ou font ces mêmes formes ' qu’ offre le
Bofphore , & qui atteftent également l’aéiïon dés
eaux cbur2,mes dans toute l’étendue du canal. O r ,
toutes çes dégradations, enfemble , qui couvrent
une partie de l’Europe & de L’Afie , ne pouvant