
pies de l’Àfie dans le continent de l'Amérique,
en fuppofant qu'elle fe foit opérée par le moyen
des canots. On peut encore ajouter que ce détroit
eft fouvent, en été , rempli de larges glaçons
j q ue, dans l’hivèr, il eft couvert de glaces
immobiles , & q u e , dans .l’un ou l'autre cas, il
a toujours offert aux hommes curieux & entre-
prenans un paffage facile.
Dans le dernier cas, ce trajet fur la glace offroit
aux quadrupèdes une route courte & prompte j
& dès-lors on ne peut disconvenir que le continent
de l’Amérique a pu en recevoir de nombreuses
colonies par le nord de l’Afie.
Mais où fixer, dans la vafte étendue des côtes
Septentrionales de l’A fie , qui ont pu être unies
avec celles de l'Amérique, les premières tribus
qui ont contribué à peupler le nouveau continent,
maintenant habité d’ un bout à l’autre. Cependant
ne peut-on pas croire que le nord de
l’Afîe auroit p u , dans cette longue fuite de fiè-
cles qui a précédé la découverte de l’Amérique,
être pour ce continent la même Source féconde
de population, que le nord de l’Europe l ’a été pour
Ses parties méridionales. La contrée Surchargée
d’hommes julqu’à l’eft des monts Riphées a dû
nécessairement Se débarralfer de Ses habitans. Le
premier grand flot du peuple a été pouffé en avant
par le flot qui lui fuccédoit j des flots nouveaux
Suivant toujours, ont laiSTë peu de repos à celui
qui s’étoit répandu fur un territoire plus à l’orient.
Troublé à diverfes reprifes, il s’elt déplacé pour
couvrir de nouvelles régions. A la fin , parvenu
aux limites des plus reculées de l’ancien Monde,
un nouveau qui s’eft offert avec un ample efpace
à occuper fans trouble pendant une Suite de fiè-
c le s , jufqu’à ce que Colomb Jes ait découverts.
Les habitans du Nouveau-Monde ne confiftentpas
dans les defeendans d’une Seule nation : differens
.peuples, à différentes périodes, y Sont arrivés,
& l’on ne peut affurer qu’ il s’en trouve aujourd’hui
un Seul fur le lieu de Son premier établiffe-
ment. D’après les lumières que nous venons d’acquérir
Sur l’état de correspondance qui a exifte &
qui exifte entre le nord de l’Afie & de l’Amérique,
il eft impoQible d’ admettre que l’Amérique
ait pu recevoir Ses habitans, au moins leur maffe
principale, d’aucun endroit que de î’Afie orientale.
On peut ajouter aux grandes preuves que
nous avons.expofées, celles qu’on peut tirer des
coutumes, des vêtemens, de la manière de vivre
communs aux habitans des deux Mondes. Mais
comme ces objets n’entrent pas précisément dans
notre plan, nous ne ferons que les indiquer ici. fe
La coutume d’enlever la chevelure du crâne des
vaincus étoit une barbarie ufitée chez les Scythes ;
cet ufage, comme les Européens le Savent par une
cruelle expérience, eft encore continué de nos
jours en Amérique. La férocité des Scythes envers
leurs priSonniers s ’étendoit aux extrémités
les plus reculées de l’Afîe. Les Kamtzçhadales,.
même au cems qu’ils furent découverts par les
Ruffes , mettoient à mort leurs captifs dans les
tortures les plus cruelles} pratique qui eft encore
dans toute fa vigueur parmi les Américains.
Une race de Scythes pafloit pour être anthropophage.
Le peuple du détroit de Nootka fait encore
des feftins. de la chair de fes femblables, ainfi que
plufieurs Sauvages du Canada.
On a dit que les Scythes Se transformoient en
loups pour un tems, & qu’enfuite ils reprenoient
la figure humaine. Les Américains nouvellement
découverts autour du détroit de Nootka fe déguisent
aujourd’ hui fous des habillemens faits de
peaux de loups & autres bêtes Sauvages, & mêtne
ils en portent des mafques pour tromper les animaux
à la chaffe.
Dans leurs marches, les Kamtzçhadales ne vont
jamais de front , mais ils fe fui vent Sur la même
ligne & la même marche} coutume exactement
observée par les Américains.
Les Tungufes, nation la plus nombreuse de la
Sibérie, fe piquent le vifage de petits points avec
une ai gui de, & Sur des diftri butions différentes,
& enfuite ils frottent les piqûres avec du charbon
de bois : cette coutume fe retrouve encore en
différentes parties de l’Amérique. Les Indiens
adoffés à la baie d’Hudfon font actuellement la
même opération & de la même manière : les Vir-
giniens avoient auffi cet ufage lorfque les Anglais
pénétrèrent les premiers dafts ce pays.
- Les canots des Tungufes font faits d’écorce de
bouleau, étendue Sur des côtes de bois & proprement
coufues ensemble. Les Canadiens & plufieurs
autres nations d’Amérique ne Se fervent pas
d’autres canots. Les pagaies ou rames des Tungufes
font larges par les deux bouts} celles du peuple
voifin de la rivière de Coock & d’Oonalafcka
ont la même forme.
Mêmes pratiques dans la manière d’enfevelir
leurs morts & de former des tombeaux. On pour-
roit trouver encore mille traits de reffemblance
dans l’emploi des dépouilles des animaux de toute
efpèce. Ils font très-marqués parmi les-peuples
de l’Afie & de l’Amérique.
Quant aux traits du vifage & aux formes du
corps, prefque toutes lés tribus trouvées le long
de la côte occidentale de l’Amérique ont quelque
reffemblance avec les nations tartares, & conservent
encore les petits, 'yeux, les petits nez 3 les
joues élevées & les larges faces 5 ils varient en
taille , depuis le nerveux Çalmouck jufqu’au petit
Nogaïen. Les Américains de l’intérieur, tels que
les cinq nations indiennes, qui font d’une haute
ftature , robuftes dans leur charpente,- avec le
:vifage oblong , dérivent'd’une variété qui exifte
parnûles Tartares même. La belle race des Tfchutski
paroît être la Souche dont Sont iffus en général les
Américains, & le s Tfchutski eux-mêmes paroif-
fent provenus de cette belle race de Tartares, les
Kahardinskù
Mais
Mais vers le détroit du Prince-Guillaume commence
une race q ui, par la forme de fes vêtemens
, par fes canots & fes inftrumens de
chaffe, eft très-diftinguée des tribus établies à
leur midi. Ici commence la nation des Efquimaux
ou la race connue Sous ce nom dans les hautes latitudes
& fur les côtes orientales du continent d’A mérique
: on peut les divifer en deux variétés.
Près de ce détroit Sont ceux de la plus haute taille}
elle décroît à mefure qu’ ils avancent vers le nord,
jufqu’ à devenir ces tribus naines qui occupent une
partie des côtes de la Mer glaciale & les contrées
maritimes de la baie d’Hudfon ou du Groenland,
& de la terre de Labrador. II en eft de même quant
aux inftrumens de chaffe de ces nations} car cette
reffemblance Se continue jufqu’au Groenland.
La portion de notre continent, qui a peuplé
l ’Amérique de l’efpèce humaine, y a verfé pareillement
les animaux par la même route & par les
mêmes moyens. Très-peu de quadrupèdes font
leur habitation confiante dans le Kamtzchatka : on
n’en trouve que vingt - cinq qui ont pu pénétrer
dans le Nouveau-Monde. Dix-fept des quadrupèdes
de Kamtzchatka fe trouvent en Amérique}
les autres font communs feulement à la Sibérie ou
Tartarie & à l’Amérique, ayant, pour des caufes
que nous ignorons, évacué entièrement le Kamtzchatka,
& s’étant, comme on voit, partagés entre
l ’Amérique & ces parties intérieures de i’Afie.
On pourroitobjeéterque nombre decesefpèces
que nous fuppofons avoir paffé en Amérique, au-
roient pu trouver un féjour convenable dans les
montagnes de l’Afie, au lieu d’errer jufqu’aux Cor-
dillières duChilij fe contenter des plaines immenfes
de la Tartarie, au lieu de faire des voyages de
plufieurs milliers de milles, jufqu’aux plateaux de
l’Amérique méridionale } qu ainfi le lama & le
pacos auroient pu continuer d’habiter les hauteurs
de l’Arménie & quelques montagnes voifînes, au
lieu de fe fatiguer à gagner les Andes du Pérou.
Pourquoi, nous dira-t-on, les nombreufes variétés
des finges ne font-elles pas reftées dans les forêts
de l’Afie, au lieu de fe partager pour habiter l’ In-
doftan & les forêts profondes du Bréfil, & c .
Il faut confidérer que la migration des animaux
ue nous fuppofons, doit être l’ouvrage de plu-
eurs fiècles} que , dans le cours de leurs progrès,
chaque génération s’eft, par degrés, endurcie au
climat qu’ elle avoir atteint, & qu’après leur arrivée
en Amérique ils fe Seront également acclimatés
par degrés, fous des zones de plus en plus
chaudes , dans leur paffage du nord au midi,
comme ils avoient fait d ’abord en remontant du
midi au nord. Nous ne discuterons pas plus en
détail les difficultés que peuvent présenter les migrations
de certains animaux plutôt que d’autres,
de l’ancien Monde dans le nouveau : nous nous
contenterons de dire qu’aucun des animaux concentrés
dans l’Afrique ne fe trouve en Amérique
que parce que la voie du nord ne leur a pas été ,
Géographie-Pkyjîque. Tome IL
auffi facile à trouver qu'aux animaux qui pou-
voient pénétrer dans le nord de l’Afie, la feule
partie d’où le Nouveau-Monde a pu recevoir fes
animaux.
Nous le répétons : les dernières découvertes
qui ont été faites dans le détroit deBeering prouvent
que les limites du Monde ancien & du nouveau
s’approchoient jufqu’à treize lieues} que le
détroit qui les fépare eft fouvent glacé entièrement
: outre cela, l’ examen des îles qui font femées
dans l’intervalle porte à croire que les deux con-
tinens ont été unis par un ifthme dont les îles fai-
foient partie. Ainfi voilà une large communication
de l’Afie & de l’Amérique établie par toutes les
circonftances que la géographie peut faire valoir,
& cette communication tient à un climat qui n’eft
pas plus rigoureux que celui qui convient à plufieurs
efpèces d’animaux pour pénétrer en Amérique,
&paffer enfuite par gradation jufqu'au plus
grand degré de chaleur.
En effet, tout autre fyftème de population de
l’Amérique ne peut plus fubfifter : nous n’aurons
plus recours ni à l’atîantide ni à d’autres moyens
précaires, puifqu’ils ne font pas fondés fur les
faits &: les obfervations précifes.
D ’après cette difeuffion, il eft maintenant curieux
de faire voir d’ un coup d’oeil les animaux
qui habitent l’Amérique feptentrionale, & qui lui
font propres ou qui fe trouvent dans d’autres contrées.
Ce tableau indiquera la route qu’ils ont
Suivie dans leur migration, & e lle réduira, comme
nous l’avons d it, à la feule portion de l’Afie le pays
originel d’où ils font Sortis. ( Voye^ le tableau des
animaux.)
Quelques vues nouvelles fur la population de'
V Amérique.
Tout ce que nous venons de dire fur la population
de l’Amérique nous paroît fondé fur les
moyens les plus faciles que la nature a offerts aux
habitans de l’Afîe feptentrionale & orientale pour
s’y établir. Cependant nous avons quelques motifs
pour croire que les habitans ont pu y parvenir par
d’autres routes, & avoir été fournis par d’autres
établiffemens. D’après ces vues nouvelles, voici
la direction qu’on peut préfumer que ces peuplades
ont pu prendre pour fe rendre dans la partie de
l’Amérique feptentrionale, vers le 4ye. degré de.
latitude feptentrionale.
On fait que les Efquimaux, qui occupent la côte
feptentrionale, depuis l’ Atlantique, dans les environs
du détroir & de la baie d’Hudfon, & fur les
deux rives de la rivière de Mackenfie & même
plus loin encore, fe font toujours portés à i'oueft}
qu’ils ne quittent jamais leurs côtes } que leurs
moeurs, leur habilement & leur langage reffim-
blent à ceux des habitans du Groenland} que les
Algonquins, qui ont inconteftablement la même
origine, habitent la côte de l’Atlantique , les