
Ainfi l'on a cm , dans tous les tems, que l'ambre
gris étoit une matière bitumineufe. Les Orientaux
penfoient qu'il fortoit du fond de la mer, comme
Je naphte diftille des rochers , & ils foutenoient
qu'il n’y en avoit des fources que dans le golfe
d’OrmuSj entre la Mer-Rouge & le golfe Perfi-
que. ( Voye^ ASPHALTE. )
L'ambre gris eft en morceaux plus ou moins
gros & ordinairement arrondis : ils prennent cette
forme en roulant dans la mer ou fur le rivage.
On en apporta en Hollande , fur la fin du fiècle
dernier , un morceau qui pefoit cent quatre-vingt-
une livres : iLétoit prefque rond, & il avoit plus
de deux pieds de diamètre. On ajoute que ce
morceau étoit naturellement de cette groffeur, &
qu'il n'y avoit pas la moindre apparence qu'on eût
réuni plufieurs petits morceaux pour le former.
Il y en a une affez grande quantité dans la mer
des Indes , autour des îles Moluaues : .on en ra-
malfe fur la partie de la côte d'Afrique & des îles
voifines, qui s'étend depuis Mozambique jufqu'a la
Mer-Rouge j dans l'île de Sainte-Marie, dans celle
de Diego-Ruis, près de Madagafcar 5 dans l'île
Maurice 3 qui n'en eft pas fort éloignée ; aux Maldives
& fur la côte qui eft au-delà du Cap de
Bonne-Efpérance. Il y en a aufli fur les côtes des
îles Bermudes, de la Jamaïque, de la Caroline,
de la Floride j dans les rades de Tabago, de la
Barbade & des autres Antilles ; dans le détroit de
Bahama & dans les îles Sambales. Les habitans de
ces îles le cherchent d'une façon affez fingulière;
ils le guètent à l’odorat, comme les chiens de
chaffe cherchent le gibier. Après les tempêtes ils
courent fur les rivages, & s'il y a de l'ambre gris
ils en fentent l'odeur. Il y a aufli certains oifeaux
fur ces rivages, qui aiment beaucoup l'ambre gris,
& qui le cherchent pour le manger. On trouve
quelques morceaux d'ambre gris fur le rivage de
la mer Méditerranée , en Angleterre , en Ecoffe,
für les côtes occidentales de l'Irlande, en Norvège
& fur les côtes de Mofcovie & de Ruflie.
On diftingue trois fortes d'ambre gris : la première
& la meilleure eft de couleur cendrée au
dehors, & parfemée de petites taches blanches au
dedans j la fécondé eft blanchâtre celle-ci n'a pas
tant d'odeur & de vertu que la première. Enfin,
la troifième eft de couleur noirâtre & quelquefois
abfolument noire j c'eft la moins bonne & la moins
pure. On a cru que cette variété n'étoit noire
que parce qu'elle avoit féjourné dans Peftomac
des poiffons ; mais cette couleur noire peut venir,
ou du mélange de matières terreufes, ou de certaines
drogues avec lefquelles on fophiftique 1 ambre
gris naturel.
L'ambre gris eft rarement pur : on y trouve des
fragmens de becs de fèches, des arêtes de poiffons,
du gravier , des portions de coquilles, &c.
Tous les animaux font extrêmement friands de
l'ambre g r is , & accourent à fon odeur pour le
dévorer. 11 paroît contenir des parties nutritives.
Les poiffons, les crabes, les cétacées, les 01-
feaux, les quadrupèdes le recherchent avec paf-
fion > mais il paroît qu'ils ne le digèrent pas, 8c
le rendent avec fes qualités & fon odeur ; car des
excrémens d’oifeaux de mer,,qui en ont avalé,
confervent plufieurs des propriétés de l'ambre gris,
& furtout fon odeur.'
D'après ce que nous avons dit ci-deffus, il n'eft
aucune fubftance fur l’origine de laquelle on ait
propofé autant d'opinions que fur celle de l’ambre
gris} mais de toutes ces opinions, celle qui paroît
prévaloir aujourd'hui, & qui fe trouve appuyée
fur plufieurs obfervations allez précifes, eft celle
qui attribue l’ambre gris aux cétacées, & particuliérement
aux cachalots. Le doéteur Swediaux
publia, dans lesTranfaélionsphilofophiques de l’an
1785, un Mémoire qui fut traduit dans le Journal
de Pkyfique de 1782 , tome I I , page 278, dans
lequel il annonce par des faits bien précis, que
l'ambre gris eft l ’excrément endurci du cachalot
à groffe tê te , ou de l'animal qui produit aufli le
blanc de baleine. Effectivement, les pêcheurs trouvent
fréquemment de l'ambre gris dans le ventre
de ces cétacées, depuis quelques onces jufqu’ à
cent livres. Un pêcheur o'Antigoa en a trouvé
une maffe de cent trente livres dans une baleine.
Ils ont obfervé en même tems des becs de la
fepia ociopodia de Linné , tant dans l'ambre qu’ ils
avoient tiré de la mer, que dans celui qu'ils avoient
extrait du ventre des baleines. Tous les cachalots
à groffe tête ne contiennent pas de l’ambre
gris : ces baleines à ambre font maigres, engourdies
& languiflàntes, de forte que cette fubftance
paroît être pour elles une production morbifique.
Cette matière eft alors très-mollaffe, de la couleur
& de l’odeur des excrémens naturels de la
baleine.
Beaucoup d’autres écrivains nous apprennent
d’ailleurs qu'on en a rencontré fréquemment dans
lesinteltins des cachalots. On peut mettre à la tête
Kempfer, qui rapporte que les Japonois tirent principalement
leur ambre gris d'une baleine affez commune
dans leurs parages. Les habitans du Chili, fui-
vantMolina, Hifioire du Chili , nomment l'ambre
gris Mayènej ce qui lignifie excrément de baleine.
Clufius rapporte aufli qu’ il tient d’un voyageur ,
que l’ambre fe trouvoit dans l’ettomac de la baleine
qui vivoit de fèches & de polypes, & que
la baleine en vomiffoit affez fouvent lorfqu’ elle ne
pouvoit les digérer. Les livres arabes font remplis
de faits qui annoncent que l ’ambre fe trouvoit
dans les baleines, fuivant ce que Jules Scaliger a
recueilli de ces ouvrages. Les lieux où fe rencontre
principalement cette production, font très-
fréquentés par Es baleines. En 1781, le capitaine
d’un navire baleinier anglais, venant de pécher fur
la côte de Guinée, rapporta trois cent foixante
onces d ’ambre gris, qu’ il avoit recueillies prefque
totalement dans le ventre d’un cachalot femelle.
Le comité du commerce des plantations de la
Grande-Bretagne lui fit diverfes queftions à ce
fujet : il avoit vu fortir de l’ambre gris du cachalot
par le fondement, & avoit trouvé le refte dans
les inteftins. L’animal étoit vieux, maigre & malade
5 il ne paroiffoit fe nourrir que de fèches à
huit pieds, dont les becs fe retrouvoient dans
l'ambre. (Philo]. Tranfact. 1791, 8c Journal de Phy-
fique, 1792, janvier. )
De tous ces faits il réfulte que les rainéra-
logiftes ne doivent plus confidérer fambre gris
comme un bitumeffoftîle ou minéral, mais comme
une production purement animale.
Maintenant nous allons indiqueras divers lieux
où l’ambre gris fe trouve. Nous dirons d’abord
que l’ambre gris fe ramaffe communément dans
la mer ou fur les rivages qu'elle baigne : il fe
Fêche affez fréquemment fur quelques côtes de
île de Madagafcar & de l ’île de Sainte-Marie,
fuivant Flacourt. On en ramaffe à la baie de Honduras,
ainfi que nous l’apprend Dampier, tome I,
pag. 20. Molina nous dit qu'on en tire de la mer
au Bréfil & fur les cô-es des Aranques & au Chili,
djins l’archipel de Chiloë. Nous avons vu ci-de-5
vant que Kempfer nous annonçoit qu'il s'en ra-
maffoit près des rivages du Japon : on en pêche
fur les bords de l'Océan atlantique, dans la province
de S u i, au royaume de Maroc ( Marmol.
Afrique, tom. I I , pag. 30)5 aux embouchures de
la rivière de Gambie, de San-Domingo , d'après
Vander Broech (tom. IV , pag. 308)5 aux îles
du Cap-Verd, félon Robertz ( Hifioire générale des
Voyages, tom. I I , pag. 323) j à Mozambique &
à Sofala ( Tavernier, Voyage, tom. IV , pag. 73 ) ;
à l’île de Jolo, une des Manilles ou Philippines
(L e Gentil, Voyage dans les mers de l'Inde) y aux
Bermudes & aux îles Lucayes, félon Robert Lade
( Voyage , tom. I I , pag. 48 , 72 , 9 9 ,4 9 2 ) , &
même fur les côtes de France, dans le golfe de
Gafcogne, où l’on fait qu'il vient échouer affez
fouvent des baleines ( Journal de Pkyfique , 1790,
mars). Mandeflo rapporte aufli qu'on en ramaffe
fur les rivages du Bengale & du Pégu ( fuite du
Voyage d’Oléarius, tom. II, pag. 139). Les Malais
& les habitans de Timor en recueillent beaucoup,
fuivant Rumphius ( Cabinetd'Amboine 3 pag. 25j ) ,
ainfi que les habitans des îles Maldives ( Lopes
de Caftagnetta, Faits des Portugais dans les Indes
orientales, ch. 35.), & c . L’ambre gris de Sumatra
& de Madagafcar paffe pour être de la meilleure
qualité : celui-ci fe vend depuis 24 jufqu'à 38 fr.
l ’once, 8c furtout lorfqu'il n’eft pas falnfié.
Ambre jaune ou fuccin, matière dure & foflile
de couleur jaune, citrine, rougeâtre :il eft d'un
goût âcre 8c approchant de celui des bitpmes, il
attire, après avoir été frotté, les corps minces 8c
légers. Les naturaliftes ont débité plufieurs afler-^
tions aventurées fur fon origine. Pline rapporte
qu’il découle de certains arbres du genre des fa-
pins, qui croiffoient dans les îles de l’Océan feptentrionaf;
que cette liqueur tomboit dans la mer
après avoir été épaiflie par le froid, & qu enfuite
les flots rejetoient Y ambre jaune fur les bpvds du
continent le plus prochain. Ce récit de Pline fe
trouve confirmé, en grande partie, par tout ce
que les auteurs modernes en ont écrit : ils nous
apprennent effectivement que l’ambre jaune fe
trouve le plus ordinairement fur les côtes de la
mer Baltique, dans le royaume de Pruffe. Quand
de certains vents régnent, ils en jettent fur le
rivage, & les habitans vont le ramaffer au fort
de la tempête i ils en trouvent des morceaux de
diverfes figures & de differentes groffeurs. Ce
qu’ il y a de furprenant, c ’eft qu'on pêche quelquefois
des morceaux de cet ambre, au milieu d e f
quels on voit des feuilles d’arbres, des fétus de
paille, des infe&es qui ne vivent que fur la terre.
Effectivement, fi l’on ne confidère que le lieu
aCtuel qui nous fournit l’ambre, on trouveroit
de la difficulté à expliquer comment des fétus &
des infeCLs qui nagent toujours fur l’eau à caufe
de leur légéreté, peuvent fe rencontrer dans des
morceaux d'ambre que la tempête tire du fond
de la mer. Mais il s'en faut beaucoup que les naturaliftes
qui ont médité fur ces circonftances,
croient que ces morceaux d’ambre fe foient ainfi
durcis & aient pris confiftance dans le baflin de la
mer ; ils font même fort éloignés de croire que
l'ambre jaune foit une réfine qui puiffe être produite
par les arbres réfineux qui croiffent fur les
bords de la mer : ils penfent que ce foflile appartient
à des arbres d’ un autre climat, & qu’il s'eft
trouvé enfeveli au milieu des couches qui le recèlent
actuellement dans des tems fort reculés,
& que l’eau de la mer n’a aucunement contribué
à fa préparation ni aux accidens qu'il offre à ceux
qui le pêchent. Ce qui vient à l’ appui de cette
opinion, c’eft qu'on a découvert, en plufieurs
endroits de la terre, des morceaux d’ ambre jaune,
qui font de la même nature, les uns ayant été jetés
lur les bords de la mer par l'agitation des flots, &
les autres tirés du fein de la terre. On trouve la
première forte , comme nous l’avons d i t , fur lês
côtes de la Pruffe, les vagues en jetant des morceaux
fur les rivages., que les habitans du pays
courent ramaffer : on fait d'ailleurs que le terrain
de ces côtes contient beaucoup a ambre jaune
femblable > car prefque dans tous les endroits où
l'on ouvre la terre à une certaine profondeur, en
Pruffe & en Poméranie, on eft fûr de rencontrer
ce bitume. Hartman, qui a fait un Traité fur
l’ambre jaune, croit que tout le fond du territoire
de Pruffe & de Poméranie eft à*ambre jaune , à
caufe de la grande quantité qu’on y en trouve;
mais les principales mines ou dépôts font fur les
côtes de Sudvie. Il y a fur ces côtes des hauteurs
compofées d’ une forte de terre qui reffemble à
des. écorces d’arbres. La couche extérieure du
terrain eft fèche & de couleur cendrée. La fécondé
couche eft bitumineufe, molle & noirè.
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