
Autant la pofition de ces bancs eft uniforme
dans tous les diftriéts de la moyenne terre , autant
leurs matériaux font variés. Tantôt ce font des
amas confus de fragmens de pierres 8c de cailloux
brifés, comme dans les brèches 8c les marbres,
tantôt ce font des fables & de menus graviers,
comme des pierres à grain de fécondé formation j
ailleurs ce font des pierres de taille d’un tiffu
l'erré ; enfin des amas élémentaires plus ou moins
comminués de coquillages marins, comme les
pierres tendres & les craies.
Quelquefois, dans le même banc, on trouve
les amas informes de tous ces décombres j mais
ce qui doit nous étonner le plus, c’ eft que ces
matières molles ou folides font melees fingulié-
rement avec les débris de tout ce que les règnes
animal & végétal -ont fournis aux agens qui
les tourmentent, (oit à la furface des continens,
foit au fein des mers. On y rencontre donc des
dépouilles d’animaux-terreftres, fouvent des animaux
entiers, des portions 8c des coquillages fans
nombre, des arbres 8c des arburtes, même des
plantes fort tendres de- nos déferts & des marais.
Rien furtout n’y domine avec plus de profufion,
que les productions marines > en forte qiæ nos
continens , en cela plus riches que la mer même,
nous ont fait connoître un plus grand nombre
d’ êtres appartenans à cet élément, que nous n’en
avons pu pêcher dans l’Océan tout entier. Ce
feroit abufer de la patience des leâeurs, que de
faire l’énumération des découvertes que 1 on a
faites en ce genre dans toutes les parties de nos
continens. ; '
' Elles ont prouvé que ces phénomènes embraf-
foient de grands trackus de la furface du globe,
que la mer en avoit formé ou arrangé les matériaux
, & qu’elle y-avoit féjourné pendant tout le
rems néceffaire à cette grande opération, & c . Ce
font les réfultats & les eonféquences les plus juf-
tes vers lefquelles le progrès de nos connoiffances
& l’art de voir nous aient amené, après avoir
long-tems combattu contre les préjugés de 1 ignorance
& de la fuperftition. Ces coquilles, trouvées
dans la raaffe des montagnes comme dans les carrières
les plus profondes , ont auffi prouvé que le
féjour des eaux de l’Océan avoit été fixe & conf-
tant fur certaines partie-s^de nos continens, comme
il l’eft préfentement dans'les baffins qu’il occupe ;
que c’ eft pendant ce féjour que les couches de la
terre , & tout ce quelles renferment, ont été
confiantes fucceflivement les unes après les autres,
8c les unes fur les autres. Rien ne repréfente
par conlequent, dans la maffe des parties de la
terre , affrétées à la moyenne & à la nouvelle terre y
la confnfion & le défo.rdre d’un accident paffager,
momentané & particulier : tout eft général & uniforme
} tout y eft auffi régulier que les aflifes de
nos bâtimens. D’ailleurs , les efpèces marines font
cantonnées les unes dans-un l*eu, les autres dans
VH autre : ici c’eft un banc de buccins & de viftes \
ailleurs ce ne font que des huîtres. Dans une contré
e , ce font des amas de cornes d'ammon , de
bélemnites , de gryphites , &c. j dans une autre,
des forêts de madrépores, de coraux & autres
ouvrages des infeétes de la mer. La fécondé chaîne
de montagnes que décrit l’abbé de Sauvages dans
fon Mémoire fur les environs £ Alais (yoye\ Ala ïs ),
n’ eft prefque compofée que de tellines, 8c fa principale
remarque, c’eft que, dans prefque toutes,
les valves font deux à deux, les unes ouvertes,
les autres fermées , de telle forte que les unes 8c
les autres fe joignent toujours à l’endroit de la
charnière : d’où il conclut que ces coquillages
n’ont pas paffé par degrés du baffin de la mer fur
les continens, 8c qu'ils n’y ont pas été dépofés
peu à peu , mais qu’ il y a eu un dépôt fait immédiatement
par la mer. Enfin plufieurs obfervations
conftatent cette vérité, 8c viennent à l’appui de
l’opinion de tous les phyficiens, qui ont cru pouvoir
avancer que prefque toutes les pierres calcaires
doivent leur fubftance aux coquilles, qui
fe font formées 8c détruites fous les eaux de
l’Océan.
De tous les corps étrangers que nous trouvons
dans certaines parties de notre hémifphère, il y a
encore une conclufion à tirer, ou plutôt une anecdote
très-curieufe, 8c tout auffi importante que
celles qui précèdent. Nous favons qu indépendamment
de tous les corps marins foffiles, l’on
trouve, dans les couches de la terre , des dépouilles
d’animaux 8c de plantes terreftres. Ge
n’eft pas feulement dans les bancs fuperficiels que
ces dépouilles fe rencontrent, c’eft; auffi dans des
carrières affez profondes , & fouvent au deffus de
ces autres lits réguliers où les coquillages dont
nous avons parlé, fe trouvent avec tant d abondance.
Ce n’ eft point non plus dans les dépôts
des eaux courantes, dans les amas d’alluvion ,
c’ eft dans la maffe même des terrains que les eaux
torrentielles ont creufés & approfondis. Ainfi ces
fubftances. étrangères ne peuvent être que d’ une
époque antérieure au partage des torrens à travers
les terrains où on les découvre.
Il eft aifé de voir que les eaux courantes ont
entraîné dans la mer les matériaux qui ont concouru
à la formation des différens lits où ces
corps étrangers font contenus ; que ces eaux ont
été tranquilles dans des parties, & courantes dans
d’autres ; tranquilles, parce que la cooftruétiôn.
des lits eft régulière & uniforme ; courantes,
parce que ces corps étrangers le font également
aux lieux où ils fe trouvent. En fécond lieu, il
eft néceffaire que ces gîtes aient été primitivement
des lieux bas, & que les débris & toutes
les dépouilles des animaux qui les enveloppent,
foient defeendus de lieux plus élevés j ou, ce qui
eft la même chofe, on doit penfer que , comme
certaines parties de nos continens ont été un tems
conlïdérable des baffins de la mer qui renfermoient
des paillons 8c des c o q u illa g e s^ qui étoient le
rendez-vous
rendez-vous de toutes les vafes 8c de tous les
dépôts réguliers & parallèles que nous y voyons,
il y a eu aUffi » dans ce même tems, des continens
anciens élevés au deffus des eaux, lefquels produi-
foient les plantes dont nous retrouvons les espèces,
8c fur lefquels vivoienc les animaux terreftres dont
nous pouvons raffembler les os & les fquelettes j
qu’ennn nous ne devons pas nous diffimuler que,
fi nous rencontrons des fragmens de pierres, des
amas de fables, des lits de terres, des yégécaux,
des minéraux, des animaux terreftres, des corps
marins faire partie du folide de toutes nos contrées
8c de nos continens fecs 8c découverts, quoiqu'ils
foi eut l'ouvrage des eaux , ces mélanges
extraordinaires ne peuvent provenir que d’une
fuite de différens agens qui ont concouru au même
réfultat, fuivant les circonftances auxquelles ils
ont été fournis.
Nous ne trouverons pas le moindre embarras à
découvrir les vieux continens, puifque nous pouvons
en défigner les limites : il en eft de même
des parties de la moyenne 8c de la nouvelle terre y qui
occupoient ces limites 1 srfque l'Océan les couvroit,
& qui les occupent encore maintenant que ces
terris font à découvert. ( Voyeç Mo r v a n . )
Pour nous convaincre de ce qui s’eft opéré à
ces anciennes époques, il fuffit d’obferver ce qui
s’opère préfentem-.nt au fond de l'Océan par les
tranfports des vafes 8c des autres matières terreftres
qu’y font continuellement les fleuves & les
rivières fans nombre qui y ont leurs embouchures
, & nous re; réfenter enfuite ce qui doit réful-
ter du mélange de toutes les matières animales 8c
végétales qui s'unifient & s’affocient avec les productions
de la mer, qu'elles rencontrent dans fon
baflîn aCtuel.
Depuis plus de foixante-quatre fiècles que ces
tranfports continuels s’opèrent à la. connoïjfance
des hommes, il y a des lieux, furtout à l’embouchure
des grands fleuves qui font fujets à des dé- *
bordemens annuels 8c à des crues réglées, où les
lits de vafes doivent avoir acquis des épai (leurs
confidérables. Ces vafes, portées plus ou moins
loin par les eaux courantes, fuivant leur volume
& leur gravité, s’y dépofent 8c s’y accumulent
par lits plus ou moins confidérables, & qui diminuent
fenfiblcment à mefùré que la force ralieiitie
du courant ne peut plus fe charger que de molécules
légères 8c d’une grande fubdivifion , èn
forte qu’il y a certaines plages dans nos mers, où
les fleuves font chaque année des dépôts qui ont
tout au plus un quart de ligne d’épaifieur j d’autres
où ils ont une ligne, un pouce, un pied, 8cf.
Où les accroiffemens auront été d’ une ligne chaque
année, il eft vifible que les réfultats de ces
dépôts feront en totalité, au bout des foixante-
quatre fiècles , de quarante-cinq pieds j que là où
ils auront été d’un pouce, ils fe feront élevés en
tout de quatre-vingt-dix toifes , & c. Quelle hauteur
n’y trouve roit-on pas fi nous conlidérions
x Gcographic-Phyft^ue. Tome II,
cès dépôts dans les lieux où ils proviennent de
caufes réglées, comme de ces inondations périodiques
ou autrement fréquentes, d’éboulemens
fuivis dans les filaifes & le long des rivages efçar-
pés, battus par les flots j ou enfin ce font les produits
de torrens qui auront détruit & entraîné
dans h mer tout ce qui manque aujourd’hui dans
les parties voifines de leurs embouchures, jo ignons
encore à ces dépôts les amas immenfes d-S
corps marins, comme coquillages, & ces matières
dures, folides qui ont fer vide noyaux aux cailloux
roulés, & dont les mélanges ont dû fuffire dans
la plus grande partie des mers, pour conftruire de
grands tr a S l u s de continens.
Inrtruits par ces confédérations fur l’épaiffeur
des dépô s dans le fond des mers aétüelles, nous
n’aurons plus lieu d’être étonnés de voir dans nos
continens, puifqu’ ils ont été les lits des mers anciennes,
dvs cimes fort élevées tvêtre formées
que de bancs pofés les uns fur les autres ; d’y rencontrer
des productions terreftres enveloppées de
vafes ou de débris de corps marins, de trouver le.
même fyftèmè de conftruClion- dans les carrières
les plus profondes ; & comme nous connoiflbns
les caufes de ce q i s’opère dans nos mars actuelles,
il en réfuitera une comparaifon naturelle avec
les effets femblables que nous '. trouvons dans
nos montagnes , dans nos collines. Je le répète :
nous, pouvons contempler cette belle uniformité
dans tou res les opérations de la nature.
Toutes les révolutions dont nous venons de
nous occuper ont été inconteftablement éloignées y
les unes des autres de plufieurs milliers d’années.
Si nous en jugeons d’ ailleurs par la diftance du
tems où nous fommes, au tems de la dernière révolution,
comme la profondeur de l’abîme des
tems où notre efprit eft obligé de fe plonger , pa-
roît fi imtnanfe, fi peu conforme à notre façon do
penfer, qu’ il n’eft pas étonnant que le plus grand
nombre des hommes foit peu difpofé à croire ces
révolutions véritables, 8c qu’ ils foient naturellement
portés à rechercher tous les moyens de rejeter
les obfervations qui les conftatent, 8c d’en
éluder les eonféquences.
Cependant, pour peti qu’on réfléchiffe fur l’a-
nàlyfe ' fui vie des monumens naturels dont nous
avons préfenté ci-deffus un court apperçu, comment
pourroit-on admettre que les terrains dont
les couches couvrent fi régulièrement la plus
grande partie du globe 8c conftituent le folide de
ce que nous connoiffons de fa maffe , 8c que les
vallées qui ont été creufées & fiilonées à la fu-
perficie de cette maffe, ne l’aient été qu’ à la
même époque? Gomment pourroit-on admettre
que, dans tous les corps qui en contiennent d’autres,
compofés eux-mêmes de matières diverfe*
( v o ÿ e ç la Differtàtion de Stenon, d e f o t i d o i n t r h
f o l i d u m n a t u r a l i t e r c o n t e n to ) , il n’y eût eu qu’ une
feule 8c même époque de compofition? Comment
concevoir qu’il n’y eut qu'une feule 8c même date