
étoient déjà des monumens frappans de la vieil-
leffe du monde, 8f la preuve irrévocable de leur
antiquité. Cependant ce feroit une grande erreur
que de croire les montagnes aufli vieilles que le
monde. Comment feroient-elles aufli anciennes que
la terre, car les plus fragiles des coquilles fofliles,
qui fe trouvent renfermées dans leurs couches,
font elles-mêmes plus vieilles que toutes les maffes
énormes qui les renferment , & la terre ne feroit-
elle égale en durée qu'à celle de ces frêles coquillages^
ou pourroit-il y avoir entre la durée de l'une
& celle de l'autre le moindre rapport? Quand tout,
dans la nature, nous prêche l’immenfe & l'infini
uand on ne voit partout que ces infinis qui vont au-
elà de toutes nos connoiffances , pourquoi l'exif-
tence delà terre feroit-elle aufli bornée qu'on vou-
droit nous le faire croire ? Quelque forts que foient
les préjugés à ce fujet, il faudra bien qu'ils cèdent,
& que ce tems , qu’ils craignent d'envifager , les
diflipe tôt ou tard. Les opinions fur la durée de
lix mille, ans difparoîtront à mefure qu'on recon-
noîtra, par l'étude des ouvrages de la nature, la
durée qui lui a été néceffaire pour opérer tout
par les reffources qu’elle a , & les agens qui ont
été à fa difpofition. C e n'eft donc qu'en fe pénétrant
bien de ces reffources, en y affujettiffant très-
févérement les agens que l'on connoitra, qu'on
pourra proportionner la durée de leur tfavail à l’étendue
des réfultats qui s'offrent‘de tout.es parts.
A in fi, bien loin de fixer une durée de fix mille ans
aux phyficiens & aux naturaliftes, comme un terme
au-delà duquel ils ne peuvent Je hafarder dans l'explication
des differentes fuites de nos révolutions,
c'eft au contraire aux phyficiens & aux naturalises
©bfervateurs à apprécier comme il convient Lef-
pace de tems néceffaire à tel ou tel ordre de cho-
fe s , à la réunion de toutes les circonftances qu'a pu
exiger là conftruétion de la moyenne ou de la nouvelle
terre 3 à l’intervalle de tems qui a pu fe rencontrer
entre la naiflance fucceflive de l'un & de 1 autre
maflifs, enfin la durée de l'aéfcion des eaux courantes,
requife pour creufer nos vailées dans tous
les tems. Au moyen de ces appréciations déterminées,
on aura des données qui ferviront au calcul
de l’efpace immerife de tems qu il faudra fubfti-
tuer aux fix mille ans ; & fi l'on veut s'entendre
dans l’arrangement des principaux événemens de
l’hiftoire delà terre, quelle préfomption cette découverte
ne nous fournit-elle pas pour une pareille
durée relative à l'hiffoire civile I & combien n'en
réfulte-t-il pas de mépris pour les annales hiftori-
ques-civiles, auffi raccourcies qu'elles femblent
l'être par les fix mille ans !
Je m'étendrai davantage, relativement à la durée
*du tems néceffaire à telle ou telle opération
de la nature, lorfque je développerai la marche
de la nature &-fe$ progrès dans tous ces ordres
d'opérations. Je ferai envifager alors d'un coup-
d’oeil tout ce qu'il fera néceffaire de connoître en
détail pour terminer ces calculs.
N*.’VIII. A n e cd o t e s fur la formation, des mers
, intérieures.
Les mers intérieures ou les golfes alongés ont
pris la forme des baflins que les eaux qui y affluent
ont dû creufer, en fuppolànt toutes les rivières
qui s'y rendent, coulant, comme elles font aujourd'hui
, à la fuperficie des continens qui bordent
ces mers. Elles ont pu être plus larges autrefois,
mais ce n'eft pas leur état primitif. Je fuppofe qu il
a commencé par être un affemblage de canaux de
rivières qui aboutiffoient à la même iffue , &
gu'enfuite leurs eaux, réunies par la deftruétion
des bords qui reftoient, en fe balançant ont agrandi
le baflin & ont fait un golfe de leur réunion. Par
conféquent les mers intérieures n'ont primitive-
mentcommuniqué avec l’Océan que par le détroit,
réfultat des anciennes embouchures réunies.
C'eft ainfi que le baffin de la Baltique peut
être confidéré comme l ’ouvrage des rivières qui
s'y jettent le long des côtes des golfes de Bothnie
& de Finlande. On ne peut donc fe diflimuler,
d’après ce fyftème, que l'état de cette mer intér
rieure a toujours été dépendant de la quantité
d’eau que les fleuves charient chaque jour dans ce
baflin ou dans l'emplacement qu’il occupe. Il en
eft de même de la mer intérieure , qu'on nomme
Méditerranée „ & de fes différentes parties ou golfes
qui font les réceptacles des eaux de chaque rivière
& de chaque neuve , & il eft vifible que la
forme des réceptacles particuliers doit avoir influé
fur la forme totale. Ces méditerranées font
donc l'ouvrage des fleuves qui ont creufé leurs
lits depuis la découverte des continens y ce qui fuppofe
un affez long tems. Les changemens qui font
arrivés dans leur baflin ne peuvent avoir eu d'autres
principes que ceux de la quantité d’eau que
les continens ont fournie au réfervoir commun.
D'ailleurs, toutes les révolutions vraies ou fauffes
dont nous parlent les Anciens, ne pourroient avoir
de fondement que dans l’augmentation de cette
quantité d'eau qui a produit des inondations locales.
On conçoit aifément que ces effets ne peuvent
avoir lieu d’une manière fenfible que dans Tes mers
intérieures , & d’autant plus fenfiblement que ces
mers font plus étroites, & que leur baflin a moins
d’étendue. O r, la Méditerranée n’a éprouvé, félon
les Anciens , de ces inondations que vers le détroit
de Conftantinople, fur les bords de la mer de
Marmara,& dans les îles de l'Archipel, quiavoi-
finent ces mers & ces détroits.
Par une fuite de cette marche des eaux de la
Méditerranée, le torrent qui a ouvert le détroit
de Gibraltar, a dû venir de l’orient ; il a dû être
ouvert dans les premiers tems , puifqu’il fervoit
de débouché aux eaux courantes des fleuves du
baflin de la Méditerranée.
Je ne fais fur quels motifs on fe fonde, pour
croire que le torrent qui auroit rompu la digue ou
l’ancien ifthme de Gibraltar, ne feroit pas venu
de l’orient : c’eft là cependant la direction de la
maffe des eaux de la Méditerranée. 11 y a encore
«ne autre fuppofition aufli peu raifonnable, lorsqu'on
prétend que l'ifthme de Gibraltar a pu exifter
quelque tems même après l'approfondiffement du
baflin de la Méditerranée. Lorfqu'on réunit ainfi
des faits aufli contradictoires, il eft clair qu’on
n'eft pas en état d’analyfer la fuite des opérations
de la nature dans la formation des méditerranées.
Comment ne voit-on pas que le détroit a dû être
ouvert dès que les fleuves ont coulé dans le golfe, ;
puifqu’il leur a fervi de débouché général? Comment
ces eaux courantes auroient-elles vidé les
matériaux déblayés par les fleuves, fi cette décharge
générale ne s’étoit pas approfondie en
même raifon que les vallées fe font creufées avant
leur réunion?
Je ne fais pas d’après quelle autorité on fait
engloutir à l’Océan cinq cents lieues de fuperficie
en Afie & en Amérique j je ne connois aucune
obfervation qui attefte la marche confiante de la
mer d'orient en occident, comme on a voulu nous
le faire croire ; je vois même des faits contraires
à cette marche. Comment fait-on ouvrir à ce
même Océan des golfes dont l’embouchure ne fe
trouve pas dans le fens de cette marche ? Car la
Mer-Rouge , le golfe Perfique, la mer Baltique &
la Méditerranée ne me paroiffent pas ouverts dans
cette direction. Cependant on n'en affure pas avec
moins de Confiance , que l'Océan a renverfé la
barrière que la nature oppofoit à Gibraltar, &
qu’il a creufé , en confequence de ce premier
effort, le refte du golfe. Quelle fuite de fuppofi-
tions abfurdes dans ces belles révolutions dont on
prend le contre-pied !
Je vois qu'au lieu de ces grands efforts, la mer
tourmente fes rivages, & les mine peu à peu, mais
ne s'ouvre pas de breches dans les maflifs des
continens. C ’eft à l’eau courante de l'intérieur des
terres que font dus primitivement les golfes, les
enfoncemens des côtes dans les terres > car c eft
toujours dans lés extrémités des vallées, dans les
embouchures des fleuves, que fe trouvent les
golfes. ,
En vain voudroit-on nous perfuader que ceft
l’Océan qui fournit des eaux aux méditerranées,
parce qu'elles font falées ; mais on ignore fans
doute que tous les lacs qui fervent d’égoûts aux
fleuves, & qui n’ont pas de débouchés ni l’épanchement
d'un trop plein, font falés.
L'eau de la Baltique eft très-peu falée, parce
que l'eau que lui fourniffent les fleuves qui s’y-
jettent eft très-abondante , & fe renouvelle bien
vite. . " J
• Il paroît que l Efpâgfte devoit tenir à l’Afrique
par le maflif du détroit de Gibraltar.
De même l’ Italie & l’Afrique tenoient enfem-
ble , d’un côté par les fommets de Corfe & de
Sardaigne, & de l’autre par ceux de la Sicile , prolongés
vers le royaume de Tunis 5 car oh fait que
le détroit de Meffine a été une de nos premières
vallées. 1 | |f| t
L'Italie devoit encore tenir à la Grèce au deffus
des monts Acrocérauniens & de l’île de Zanthe.
La mer Adriatique, ainfi que je l’ai déjà dit ailleurs,
doit être la fuite de plufieurs embouchures
de rivières, & furtout la continuation de la vallée
du P ô , qui fans doute fe réuniffoit à plufieurs
autres vallées venues de l ’Archipel.
La Grèce devoit aufli fe réunir à cette partie
de l’Afrique qui s'avance vers elle par les fommets
de la Morée & de Candie.
Il faudroit commencer à marquer les grands &
larges baflins qui fe trouvoient entre l'Europe 8c
l’Afrique, pour donner quelques idées de ce vafte
travail. _ j
De même l'Afie mineure & la Thrace étoient
jointes à la Grèce,Ta Grèce & la Sicile à l'Italie,
l'Efpagne à l’Afrique ; & vraisemblablement tout
ce qui eft .occupé par cette mer formoit fur nos
continens des efpaces particuliers , où les eaux
courantes ont pu creufer de larges vallées. En vain
fuppoferok-on, comme l’ont fait quelques auteurs,
& furtout Tournefort, que les premières
eaux de la Méditerranée, fournies par les rivières
& les fleuves, fe réuniffoient dans des lacs ou fe
perdoient dans des fables, comme elles le font au
centre de l’Afie. Je crois que fi ce premier état
de la Méditerranée avoit été t e l , il fubfifteroit
encore, comme celui des lacs de l’Afie.
C'eft aufli autour de l'embouchure du Nil que
la mer de Phénicie s’eft emparée de plufieurs
contrées fertiles de l’Egypte j & c'eft à la fuite
de cette anticipation de la Méditerranée fur le
continent, que l’île de Chypre en a été féparée.
Ceci eft encore un effet des eaux courantes du Nil.
Je le répète : d'après les principes que nous
avons expofés à l ’article Bosphore , il s’enfuit
que la Méditerranée exiftoit comme grande &
large vallée, dans le tems que celles de tous les
fleuves, de toutes les rivières qui y verfent leurs
«aux, exiftoient aufli ; que la Méditerranée & fes
^golfes fe font, agrandis à mefure que le lit des
fleuves & des rivières qui fe font portés dans fon
baflin, s'eft élargi vers leurs embouchures. Tout
ceci eft l’effet d’une certaine continuité de travail
de l’eau, qui s'eft exécuté en même tems, & de
manière que,ce baflin eft, en dernière analyfe, la
réunion de toutes les embouchures des rivières
& des fleuves. C'eft ainfi que tous les baflins intérieurs
des continens, autrefois réunis, d'Afrique
& d’Europe, ont été Submergés.
L'Afie étoit jointe à la G rè ce , la Grèce & la
Sicile à l ’I ta lie ,l’Efpagne à l'Afrique, & tout ce
qui eft occupé aujourd'hui par cette mer, formoit
fur nos continens des fuites de vallées & d’embouchures
de rivières, dont l’élargiffement a fait
cette large pièce d ’eau dont toutes les parties fe
font à la fin réunies, excepté toutes les prefqu fiés
les îles qu'elle baigne.
B b b b i