
heure pour être rendus à terre avant midi : c’étoit
, l’heure fixée pour leur premier repas, & ils^pren-
nent le fécond avant la nuit.
Les hommes paroiffent avoir pour les femmes
les mënagemens que réclame leur foibleffe : on ne
les voit point ic i, comme chez la plupart des nations
lauvages de l’Amériquechargées des travaux
les plus rudes. Les hommes fe font réfervé
toutes les occupations pénibles : la chalfe, la pêche
^ l’apprêt 8c la cuiffon des viandes 8c du poif-
fon. Les travaux des femmes confident à nétoyer
les peaux de leur dernière graiffe , à les coudre 8c
à en compofer des vêtemens.
La bonne harmonie qui règne dans les ménages
fe rpanifèfte d’une manière touchante dans Fex-
preflion commune de leur tendreffè pour les en-
fans, Le fort des énfans à la mamelle eft déplorable :
ils fontemballés dans une efpèce de berceaud’ofier,
revêtu extérieurement de cuirs fecs, & garni de
fourrures dans la place où doit pofer l’enfant. C ’ eft
là que lepetit patient éprouve une forte de torture
continuelle & tous les maux que peuvent produire
la gêne 8c la mal-propreté. Les effets de cet état
de contrainte fe manifeftent dans tous les enfans à
la mamelle : leur maigreur 8c leur foibleffe les
font allez connoïtre. Mais auflitôt que _, débarraf-
fés des liens du funefte maillot, ils peuvent fe
traîner à terre, il fe fait dans toutes les parties de
leur corps un développement fubit & rapide.
Mais fi ces Américains croient devoir contraindre
la nature dans le premier âge , ils luiconfer-
vent toute fa liberté dans l’éducation des adultes,
& hâtent par un exercice journalier le progrès
de leurs facultés phyfiques. Les enfans mâles partagent
les fatigues du père : exercés à la chaffe, à
la pêche, ce font eux qui vont harponner le poiffon
dans la rivière, couper le'bois pour le chauffage &
la’cuifine.
La conduite des femmes en préfence de leurs
maris eft très - réfervée & très-modefte : la plus
grande décence fè montre dans leur vêtement. Les
hommes ne fe foumettent pas plus ici qu’ ailleurs
aux règles de la décence auxquelles ils ont affujetti
les femmes. Souvent ils fe montrent nus devant
elles & devant les étrangers. Les femmes feules
connoiffent la bienféance & fe conforment aux
petites gênes qu’elle impofe dans la fociété. On
peut douter cependant fi la retenue dont on leur
Fait honneur eft chez elles l’effet d’une pudeur naturelle
, ou fi l’on ne doit pas plutôt l’attribuer à
la crainte j car la jaloufie-des maris eft pouffée à
l ’excès. Si l’on compare l’habitant de cette contrée
à celui des îles de M,endofd3 dans l ’idée différente
que l’ un & l’autre attachent à la pudeur, à
la fidélité conjugale, on reconnoît que J a jaloufie
dans les hommes peut quelquefois etre en raifon
inverfe de la beauté dans les femmes. Mais cette
jaloufie même peut contraindre le caractère, &
ne le change pas. La diffimulation peut fuppléer à
ia vertu. Les Tchinkitaniennes faifoient parade de
la leur; mais lorfque le ha fard en faifoit rencontrer
par les Français, qui fuffent feules, on les
voyoit accourir avec emprcfiement ; une affabilité
prévenante remplaçoit l'air févère, & elles prou-
voient d’ùne manière très-exprefiîve, que la laideur
n’elt pas toujours la fauve - garde de la
chafteté.
La phyfîonomie des Tchinkitaniens porte une
empreinte fombre qu on pourroit prendre pour de
la férocité s’il ne falloit l’attribuer aux couleurs
rembrunies dont ils fe barbouillent le vifage, ix
qui les rendent hideux. Les Américains ne peuvent
pas être regardés comme une nation fauvage : le
jugement & l’ aftuce qu’ ils montroient dans leurs
opérations d’échange prouvoient qu’ ils ont fait
quelques progrès dans la civilifation. Leur conduite
avec les Français a été honnête, mais point
amicale j & les naturels des îles de Mendofa, avec
leurs defauts., infpiroient un intérêt que n’obté-
noient pas la gravité 5c la réferve des naturels de
Tchinkitané. Mais cet intérêt n'a-t-il pas été inf-
piré en grande partie par les Mendoçaines ?
Si l’on compare ces deux peuplades entr’elles,
on fera étonné de voir les habitans de Mendoça ,
nés 8c vivant fous un ciel brûlant, exempts de
cette cruelle maladie qui tourmente fi horriblement
les hommes dans les climats chauds de I’Europe
& furtout de I’A sie. Ils font prodigues à l’excès
d’un bien dont les autres maintiennent avec fureur
la propriété 8c la jouiffance exclufive : les Américains,
de même, au milieu d’un climat froid,
portent la jaloufie pour leurs femmes, jufqu’à la
frénéfie.
Suivant le journal du capitaine Dixon , les naturels
de T chinkitané reffemblent beaucoup,
par leurs traits & leurs formes extérieures, aux
habitans du port Mulgrave , fitué à deux degrés
& demi dans le nord de Tchinkitané, & les langages
des deux peuplades paroiffent ne pas diffe-
rer entr’eux. Mais par les inclinations & les moeurs,
les Tchinkitaniens fe rapprochent davantage des
naturels qui occupent l’entrée & lés bords de la
rivière de Cox , fituée plus au nord & beaucoup
plus à i’oueft que le port Mulgrave.
Pour terminer le détail des notions que les Européens
ont pu acquérir fur les Américains de la
baie de T chinkitané , il me refte à parler d’un
article fort important, c’eft-à-dire, de leur langue.
Le journal du capitaine C hanal nous préfente
un vocabulaire très-circonfcrit, à la vérité , mais
qui fuffit pour en donner une idée.
La langue des Tchinkitaniens diffère abfolu-
ment de celle des naturels de No o t k a , établis
fur la même c ô te , à environ 7 degrés de latitude
ou à cent quarante liëues au fud des premiers 8c
de celle des îles de la Reine-Charlotte, qui,
n’étant éloignées du continent que d’environ
vingt lieues dans leur plus .grande diftance, occupent
deux degrés 8c demi de latitude entre le parallèle
de Nootka 8c celui de T chinkitané :
cette différence a été reconnue d’ une maniéré palpable,
en comparant les mots qui fervent à indiquer
les nombres dans les trois contrées Nous
renvoyons , pour attefter ces rëfultats , au Voyage
du capitaine Marchand, chapitre IV , fur la fin,
'page 284.
S e c o n d s a d d i t i o n , contenant la reconnoijfance
de Cloak-Ba y , du DÉTROIT DE C o x & d’une
partie de la côte occidentale des îles nommées par.
les Anglais les îles de QüEEN - CHARLOTTE }
enfin de BERKLEY - SOUND , par le capitaine
Marchand.
I Ces îles font dépendantes de cette portion de
la côte nord-ouefi <£Amérique, fituee entre le cinquantième
8c le cinquante-fixième parallèle, d’où
les vents contraires repouffèrent le capitaine Cook,
& dont ils l’empêchèrent de prendre connoiffance: j
elles occupent environ foixante-dix lieues en longueur,
fur une ligne nord-oueft 8c fud-eft}« elles 1
font éloignées d'environ vingt lieues du continent i
de l’Amérique.
Depuis le voyage du capitaine Dixon, le capi- i
taine Duncan 8c d’autres navigateurs anglais ont
vifité ce groupe compofé de trois îles principales,
8c ils ont reconnu quelques-uns des canaux qui
les féparent. Mais ni Dixon ni Douglas n’ont fait
connoïtre le pays 8c les habitans. C ’ eft une contrée
nouvelle, ce font des hommes inconnus à
l’Europe, que le journal du capitaine Marchand
nous a préfentés. A partir de là nous dirons'que
les navigateurs anglais nous ont appris l’exiftence :
de Cloak-Ba y 8c du détroit de C ox , comme
faifant partie des îles de la Reine-Charlotte,
& qu’ ils ont impôfé ces noms à ces côtes, mais
que nos marins ont fait connoïtre aux Anglais &
à nous quelle eft la nature, quelles font les productions
du pays, 8c quels hommes l’habitent,
tous objets qui entrent dans notrô'plan de def-
cription raifonnée de 1a- côte nord-oueft, furtouf
relativement à fa population 8c aux moeurs des
naturels.
Les terres qui forment la baie 8c le détroit font '
baffes 8c couvertes de fapins : les arbres y font
moins’ ferrés que fur la côte de Tchinkitané, 8c
même, à une certaine diftance du rivage, la^forêt
fe montre fous l'apparence d’une plantation régulière
: on y voit de belles clarières, 8c dans plu-
fieurs endroits le pays préfente une perfpeétive
variée 8c quelques fitcS agréables. La côte eft en
général bordée de blocs de rocher, qui paroiffent
avoir été détachés par quelque bouleverfe-
ment ancien de la maffe à laquelle iis ëtoiènt réunis.
Ces blocs font des amas de cailloutages liés
entr’eux par un ciment très-dur : lès cailloux qui
les compofent j font de d fférentes natures de pierres}
mais le filex y domine : on y diftingue du roc
v if de plufieurs grains, 8cc.
Le fol, fur les deux côtés du canal & de la baie,.
paroït n’être qu’un compofé de débris de plantes
8: de pierres, 8c n’avoir pas beaucoup de profondeur.
Quoique les rofées y foient très-abondantes
pendant les nuits, il eft plus fec que celui de
Tchinkitané, 8c l’on peut préfumer que le climat
des îles eft beaucoup moins pluvieux que celui de
la côte du continent fous les mêmes parallèles : il
s’annonce auffi comme plus tempéré. Le thermomètre
de Réaumur, pendant le féjour que les
Français y ont fa it, n ’eft jamais defcendu au def-
fous de douze degrés.
Les arbres qui croiffent fur les' revers des collines
font d’une affez belle venue} mais ceux des
fommets 8c ceux du bord de la mer font en général
noueux 8c tortus. On peut admettre comn e
une probabilité bien fondée, que les îles ne font
pas expofées à de vioiens ouragans quand on y
voit des arbres très-élevés, dont les racines, entièrement
découvertes , font à peine implantées
dans les fentes des rochers, 8c d’autres qui , def-
féchés par le .tems, reftent morts fur pied fans
être caftes 8c abattus par les vents.
L’eau douce y eft très-légère 8c de bonne qualité}
mais,commè à Tchinkitané, elle eft imprégnée
de parties extraélives des arbres 8c des plantes
quelle diflbut dans fa courfe, 8c qui lui donnent
une teinte rouffâtre. On trouve un petit rüiffeau
où on peut faire de l’eau à la côte de l’île du nord>
fur le détroit, dans l’anfe qui eft fituée au nord
de la ppinte nord-oueft de 111e 8c du canal.
On n’a pas eu le loifîr d’étudier en détail les
productions du pays ; feulement on a pu juger
qu’ en général elles font les mêmes que fur les
côtes de Tchinkitané.
La mer eft poifionneufe à Cloak-Bay 8c furtoue
dans le canal de Cox. L’anfe où les;Français fe re-
tiroient pour p a fier la nuit leur fournifibit d’excellentes
mouks en grande abondance, 8c très-aifé-
ment du poiffon de roche.
Les rochers qui fe trouvent au fond de l ’eau y
produifent, comme fur la plupart des côtes du
nord-oueft de l’Amérique, dès poireaux de mer
8c différentes efpèces de ces grands^«*** dont il a
! été parlé. Les baleines viennent fouffler à Fou-
vertu e de Cloak-Bày. Les veaux marins fe jouent
fur tout fon contour, mais ils femblent fe plaire
de préférence fur les bords du canal de Cox.
Les oifeaux ont paru très-multipliés fur toutes
ces côtes : on y a diftingue, parmi ceux de n>er ,
le goilan , le plongeon , le macareux des mers
boréales, à bec 8c pattes rouges} l’o ie , le canard
fauvage,& un oifeau prefque noir, à long cou &
à pieds palmés : ce dernier, lourd 8c femblabl®
au cormoran dont il paroït avoir les habitudes, fe
raffemble en troupes nombreufes fur le bord des
rochers. Les oifeaux de terre qu’on a vus, font
l’aigle, le vautour, l’épcrvier, le corbeau, le héron
gris de la plus groflê efpèce, des moineaux
8c d’autres petits oifeaux auxquels les voyageurs
| n’ont pu appliquer de nom.
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