
on n’ eft plus fi fenfible au froid que dans les contrées
dans lefauelles il y a une grande différence
entre la température de l’été & de l'hiver. On y
a peu penfé a garantir les maifons du froid. Quant
aux habits, on y porte conftamment ceux d'hiver,
mais fans être doublés, comme fembleroit l’exiger
la dureté de la faifon. On n’y fait pas de feu pour
Je chauffer, & l’on fe comporte à cet égard comme
lr l’on étoit au printems, quoiqu’on ait des preuves
du contraire dans l’état de l’ afpérité de la peau
des mains, dans les gerçures des lèvres & dans la
fécherelïè de la peau. On voit par-la combien la
nature s’accommode facilement aux différentes,
températures de l’air lorfqu’elles font continues.
D ’après les-details que nous venons d’expofer,
on comprend aifémènt que les températures doivent
varier au Pérou, à proportion de la grande
élévation où fe trouvent les terrains, ou de leur
abaiffement, & que dans cette partie du Monde
les terrains élevés diffèrent totalement des autres
quant à leurs températures. En effet, les règles
générales diffèrent tellement ic i , que les faifons
& leurs effets fe trouvent dans un ordre renverféj
Æar on y a l’hiv.er quand ce devroit être le printems.
Les vents régnans font contraires à ceux
des bas pays. Il y pleut beaucoup, & l’air eft froid
& fec. Il gèle, & ç’eft alors que mûriffent les. récoltes
: au moins elles y arrivent au dernier degré
de maturité, quoiqu’il y ait peu de plantes qui y
réuflifftnt. Enfin, le froid & la chaleur s’y font
fentir d’ une toute autre manière que dans les autres
contrées. La chaleur brûle pendant que le
froid.pénètre tout l’intérieur des corps organifés.
Ceux qui ne font pas habitués à fréquenter ces
contrées, y font encore fujets à une autre incommodité
que les impreflions de froid dont nous
venons de parler} c’eft \e jnaréo de la puna. 11 eft
rare qu'ils n’en fêtent pas attaqués. C ’eft une incommodité
toute fèmblable qu’on éprouve fur
mer : elle en préfente tous les fymptômes & a les
mêmes progrès : la tête tourne, on fent de fort
grandes chaleurs , & il furvient de fortes naufées
fuivies de vomiffemens, bilieux. Les forces tombent,
le corps s’abat, la fièvre s’y joint, & le feul
foulagement que l’on y trouve, c’ eft de vomir.
Cela dure ordinairement un jour ou deux} après
quoi le calme & la fanté fé rétabliffent. Lorfqu’on
a une fois éprouvé cette incommodité, il eft extraordinaire
qu’on en foit repris en paffant par la
puna, ou en y remontant des pays bas ou de toute
contrée chaude.
On ne peut fans doute attribuer ces accidens au
froid ; car s’il en étoit la feule caufe, on les éprouver
oit communément dans tous les pays froids. Il
faur donc qu’ ils viennent d’une certaine qualité
de Y air. On n’éprouve pas ce mal dans les hautes
contrées des environs de Quito, contrées cependant
auflî élevées que cellès du Pérou} car le marêo \
d$ la puna eft différent de Taffeéfcion que l’on appelle
paramarfa : au moins ne l’a-t-on pas éprouvé
I lorfqu’on a fait les obfer.vatiôns aftronomîques,
; au lieu qu'il eft ordinaire dans les pays qui con-
| duifent à ces autres contrées des punas.
11 faut encore obferver que ceux qui font dif-
pofés à vomir en mer le font auflî aux punas, tan-
j dis que ceux fur qui la mer ne fait pas d’impref-
: fion n’éprouvent pas cette incommodité fur ces
1 cimes.
| On fent quelque chofe dfaffez femblable fur les
. hautes montagnes de-l’Europe & fur d’autres
? chaînes de montagnes. Ces accidens font particu-
[. liers aux perfannes délicates} mais ils n’y font pas*
1 fi fenfibles:, fi graves ni même fi généraux que dans
; ces contrées de l’Amérique. Ce qu’on éprouvée»
I Europe n'eft produit que par la rareté de l’ air & le
f froid qui règne fur ces Hauteurs, deux circonf-
; tances qui doivent caufer quelques altérations dans
Il’érat des voyageurs.
| On obferve encore dans ces climats un autre
j accident auquel les animaux mêmes font auflî fu-
j jets. Dès qu’ils paffent des plaines à ces hauteurs
oupunas, ainfi que des pays habités aux cimes qui
i les environnent, la. refpiration leur devient fi difficile,
que, malgré les différentes paufes qu’ ils font
; pour reprendre haleine , ils tombent & meurent.
Les hommes qui arrivent nouvellement dans ces
climats, éprouvent de femblables accidens : ils
fentent en marchant une fatigue comme fuffo-
cante & très-pénible, qui les oblige de fe repofer
long-tems. Cela leur arrive même dans le plat
pays. O r , il ne peut y avoir d'autres caufes de ces
incommodités, que la fubtilité de l’air } mais à
mefure que les poumons fe font à cet atmafphère,
la gêne devient moindre. Cependant on y éprouve
toujours une difficulté plus ou moins grande de
refpirer lorfqu’on veut monter quelque co te , ce
qui eft inévitable} au lieu qu’on évite?ces incon-
véniens dans les autres contrées où ratraofphère
a une denfité régulière.
Cette légéreté de l’ air devient favorable aux
afthmatiques, devenus tels dans un air plus épais:
auflî ceux qui en font attaqués dans les baffes contrées,
fe rendent dans les hautes, quoiqu’ ils n’y
guériffent pas entièrement. Ceux au contraire
qui font devenus tels dans les hauts pays, fe trouvent
bien dans les bas. Ainfi le changement d'air
devient un foulagement affûté dans cettè efpèce
d’incommodité.
Gn remarque auflî à un certain point cette difficulté
de refpirer dans les hautes contrées de la
province de Quito} mais elle y eft moins pénible.
Cela vient fans doute de ce que l’une de ces contrées
eft fous l’équateur ou fort près, tandis que
l’autre en eft1 éloignée. On en a conclu que les
punas ou cimes du Pérou font moins froides &
l’air moins âpre que dans les autres contrées. Pour
mieux faire comprendre les caufes de ces diffé-
rens effets, il faut obferver que ce qu’ on appelle
puna au Pérou, fe nomme paramo au royaume de
Quito, & que tout ce pays froid &; défert, où il
fi*y a aucune habitation, a le même ïiotn, quoiqu’il
s'y trouve des punas ou cimes plus hautes les
unes que les autres, félon (élévation des bafes :
de là vient qu’on appelle le foleil brûlant Soleil
de puna, & que les vents froids, âpres & incommodes
ont auflî la même dénomination.
Ce que dom Ulloa rapporte des propriétés de
Pair des hautes montagnes du Pérou & de leurs
effets fur le corps de l’homme & des animaux, s’ accorde
parfaitement avec les obfervations d’Acofta.
Après avoir parlé des vomiffemens qu’on éprouve
en mer, dont il croit que la caufe eft l’air même
de la mer , il ajoute : J’ai fait mention de ce vo-
miffement pour expliquer un fingulier effet que
l’air ou le vent dominant produit dans certaines
Contrées des Indes occidentales. On y éprouve
donc les mêmes accidens que fur mer, mais à un
degré beaucoup plus violent. Je vais rapporter ce
que j’ai éprouvé moi-même. Il y a au Pérou une
très-haute chaîne de montagnes, qu’on nomme
Sierra Pariacaca. J’avois ouï parler des effets que fa
traverfée produifoit fur le corps humain : je m’y
étois préparé} malgré cela, je fus à peine fur la
cime de ces monts, que f éprouvai une anxiété
prefque morcelle, & je crus que j’allois tomber
au bas de ma mule. Nous marchions en affez grand
nombre} mais chacun s’ empr effort de paffer cet
endroit dangereux auflî promptement qu’ il lui
étoit poffrble, fans s’occuper de fes compagnons
de voyage. Voilà pourquoi je me trouvai bientôt
feul avec un Indien, qua je priai de m’aider à def-
cendre de ma mule. A l’ inftant je vomis d’abord le
manger que j’ avois pris, enfuite des glaires, une
bile jaune & verte } enfin du fang, & même avec
un fi grand mal d’eftomac, que je crus que j’allois
mourir.
Ce dérangement ne dura que trois ou quatre
heures. Nous arrivâmes alors dans un pays plus
bas & dans un climat plus favoTable. J’y retrouvai
mes compagnons au nombre de treize à quatorze,
mais fi abattus, que plufieurs demandoient à fe
confeffer, croyant qu’ ils n’avoient plus long-tems
à vivre. Quelques-uns avoient mis pied à terre,
épuifés par de violens vomiffemens} »autres enfin
étoient reftés morts au paffage.
On n’y éprouve ordinairement aucun autre mal
confîdérable que ce vomiffement & cette anxiété
qu’on reffent pendant tout le tems qu’on met au
paffage. On eft expofé à ces accidens, non-feulement
fur la route de Pariacaca, mais encore fur
prefque toutes les routes où l’on traverfe les autres
cimes de la Cordillière, lefquelles occupent un
intervalle de cinquante lieues. Cependant ces effets
finguliers ne fe montrent pas partout au même degré
: c’eft furtout en fe portant des plaines baffes
fur les cimes, car on n’ a pas remarqué qu’on y
foit expofé en défcendant des montagnes dans la
plaine. J’ ai auflî voyagé dans plufieurs autres paf-
fages de ces montagnes parles Lucanas3 les Sortis,
les CdUaguas\ enfin en diffétens,côtés x & j’ai partout
reffenti dans ces contrées de femblables dé-
rangemens dans l’économie animale , mais jamais
au même degré que quand je traverfai le Pariacaca.
Je pourrois citer un grand nombre de voyageurs
qui ont éprouvé les mêmes incommodités.
Il paroit hors de doute que ce mal étrange eft
l'effet de l 'air ou d’un vent dominant dans ces
contrées. En e ffet, le feul moyen qu’on connoiflè
pour en être le moins affeété, & qui eft bien effen-
tiel, c’eft de fe couvrir la bouche, le nez & les
oreilles, mais furtout l’eftomac avec fes habits}
car l’air y eft fi fubtil, qu'il pénètre tout le corps.
Les animaux, comme nous l’avons d it , y font ex-
pofés aux mêmes dérangemens. On les voit quelquefois
fi abattus, qu’il n y a aucuns moyens qui
puiffent les faire avancer d'un feul pas.
Je regarde ces cimes comme les lieux les plus
élevés du globe, car les Puertos-Nevados d’Efpagne,
les Pyrénées, les Alpes mêmes, paroiffent auprès de
ces cimes , comme des maifons ordinaires auprès
des hautes tours. C ’eft ce qui m’a fait croire que
l’air, y étant fi délié , fi fubtil, n’eft plus propre à.
la refpiration, comme le devient un air plus épais*
tel qu’il réfide dans une région moins élevée de
ratmofphère; c’eft auflî la caufe des vives douleurs
qu’on y fent à l’eftomac , & celle de tout le dérangement
que l’économie animale éprouve. Il eft
vrai qu’on reffent, fur les plus hautes montagnes
de l’Europe, un froid fort pénible, qui oblige de
fe bien couvrir} mais ce froid n’ôte point l’appétit,
il l’augmente même plutôt : on n’y éprouve
pas ces naufees, ces vomiffemens j on reffent feulement
quelques douleurs aux pieds , aux mains $
en un mot, Ce n’eft qu’une affeélion externe.
Les montagnes de l'Amérique méridionale ne
font au contraire éprouver aucune incommodité
aux p ieds, aux mains ni à aucune autre partie
du coips } ce font les parties internes feules , les
entrailles , fur lefquelles l’ air qu’on y refpire *
porte fon a&ivité } mais ce qui étonne davantage x
c’ eft que le foleil eft même chaud à certain degré,
& c ’eft ce qui me perfuade que le mal vient dé
r<zzYmême qu’ on refpire, & qui eft finguliérement
raréfié : le froid doit auflî y contribuer, car il eft
fort pénétrant.
Cette Cordillière eft ordinairement déferte : or*
n'y voit aucune habitation , & prefque jamais de
voyagçur, car aucun ne trouveroit un gîte pour
s’ y retirer la nuit. Aucun animal , ni. utile ni nui-
fible, ne s’ y rencontre, fi l’ on excepte les vigognes::
l’herbe y paroît comme brûlée par la chaleur &
entièrement noircie. Cette chaîne déferte a trentè
lieues de large fur cinquante de longueur > comme
on l'a marqué ci-devants
On voit encore , dans te Pérou , d’ autres cimes
abandonnées, ou des paramos.qu'on connoît fous
le nom de punas. L’air y eft extrêmement maî-fai-
fant, & donne la mort fans avoir fait éprouver
aucun dérangement antérieur. Les Efpavp.ols oaf
(oient autrefois du Pérou au Chili x par la c1v.uk