
une draperie, ne fait que fouiller dans fon marbre
les plis qui doivent la faire valoir.
' Le torrent de la Marne, fe précipitant du plateau
de Langres, a creufé la vallée qui fe trouve
entre cette ville & Chaumont , & ainfi de fuite
jufqu’ à Meaux , Paris & la mer , & à mefure que
ces vallées fe font approfondies 3 il s’ eft formé,
par cette fuite de déblais , des collines & des montagnes
dont nous avons examiné les formes & les
reliefs. C ’eft ainfi que les eaux courantes du Nil
ont creufé infenfiblement cette célèbre vallée 3 qui
offre les côtes efcarpées dont nous avons parlé.
Les eaux qui ont creufé la grande vallée du
Danube, & en même rems le détroit deConftan-
tinople & celui des Dardanelles, ont produit ces
énormes excavations aux dépens du fein de la
terre qu’elles ont fouillée, & c’eft ainfi qu elles
ont formé infenfiblement les côtes & les montagnes
de toutes ces contrées. Les terrains qui
rempliffoient Iss vides de ces vallées, & réunif-
foient autrefois ces bords & ces maffes aujourd’
hui féparés, étoient d’ une nature & d’une conf-
titution intérieure femblables à ces bords , &
avoient été organifés en même tems.
La grande quantité d’ eau qui fort de tous les
pays de montagnes, & en particulier de celui-ci,
étonne toujours, parce que les pluies y font plus
abondantes que partout ailleurs. Les obfervations
& les réflexions que j’ ai eu lieu de faire fur ces
terrains, m’ ont fait penfer que toutes ces eaux
venoiènt des pluies, & que cette refiburce feule
avoit fuffi à la nature pour creufer les vallées à la
profondeur où elles fe trouvent actuellement.
Les têtes de toutes ces vallées font terminées
en demi-cercle, qui forment des entonnoirs plus
ou moins profonds , ifolés & efcarpés, fuivant
l ’abondance de l’eau des fources qui fortent du
fein de la te r re , ou celle des torrens que forment
les pluies.
Lorfque la naifiance de ces vallées eft d’une
pente douce, on reconnoît que c’eft parce que le
deflus du terrain a été ufé & fouillé par des eaux
èxtérieures , ou qu’ il s’eft opéré un affaiffement
caufé par les affouillemens des eaux fouterraines,
qui ont fait écrouler & fléchir aux environs les
terrains fupérieurs lorfqu’ iîs n’ont point eu afiez
de fojidité pour fe foutenir, & que l’eau des
fources n’ a pas eu afiez de force pour entraîner
tout-à-fait les terres. Ainfi, dans ces endroits, il eft
aifé de voir que toutes les deftruCtions provienn
en t, ou de ce que la terre a manque par fes
fendemens, ou de ce qu’ une caufe extérieure,
telle que celle des pluies, les a occafionnées par
le laps du tems. !
La plupart de toutes les ouvertures des fources
font dues ainfi à l’aélion dés pluies, qui ont creufé
les vallées dans lefquelles elles verfent leurs eaux
jufqu’au niveau des couches qui les tiennent &
les confervent. Ainfi l’ étendue de ces ouvertures
eft proportionnée non - feulement à la quantité
d’eau qui fort des fources, mais encore à celle
que les pluies peuvent fournir fur le revers des
vallées.
Il y a grande apparence que, dans le tems où
toutes les vallées ont commencé à s’ ébaucher, les
pluies ont fourni abondamment, non-feulement
aux torrens qui ont couru à la furface de la terre
prefqu’ unie, mais encore aux fources abreuvées
par cette même eau des pluies, qui pénétroit dans
les premières couches de la terre. V o ilà , autant
que j’ai pu le v o ir , les agens qui ont imprimé à
nos continens toute, leurs formes fuperficielles.
C ’eft fur le plateau de Langres que les pluies,
non-feulement font tombées abondamment, mais
que leurs eaux fe font diftribuées vers les points
de l’horizon les plus oppofés : c’ eft dans le cours
de leur premier jeu qu’elles y ont creufé ces prodigieux
entonnoirs qui forment la naiffance de la
plupart des vallées qui y aboutiflènt.
En vain voudroit-on nous faire croire que les
eaux des pluies, fi elles euffent creufé nos vallées,
auroient dépouillé des terres végétales, tous les
r plateaux & tous les lieux veifins du point de par-
| tage dès eaux. On n’a pas vu que chacune des
! couches qui a été coupée & mife à découvert
par l ’excavation des vallées, foit à leur origine,
foit ailleurs, renfermoit non-feulement des bancs /
de pierres folides, mais auflï des lits de terres qui
fervoient à la diftin&ion & à la féparation de ces
bancs, & , fuivant l’épaifleur de ces lits, il n’eft
pas étonnant qu’ une infinité de lieux foient couverts
de terres, non-feulement dans les bas, mais
encore fur les pentes & fur les fommets. C ’eft à la
fuite de ce travail de l’eau des pluies, & de cette
confticution phyfique des couches, que, dans-certaines
contrées des environs de Langres, on rencontre,
dans l ’épaiffeur confidérable du lit de la
terre végétale , de grandes prairies & des plaines
marécageufes , d’où les rivières prennent leurs
fources , comme la Meufe, & enfuite l’Amance,
qui fe jette dans la Saône : ceci s’obferve aufii fur
les fommets qui réparent la Loire de la Seine. On
y trouve les plaines de la Beauce & du pays Char-
train, qui nous offrent tous ces phénomènes ; c’eft
pourquoi j’ ai cru devoir ici les en rapprocher.
On peut faire cette remarque en bien d’autres
contrées élevées., fur les plateaux defquels fe trouvent
encore des étangs & des marais, ou des bancs
de terres glaifes & de marnes.
On v o it , dans l’examen de tous ces points de
partage des eaux, que les pluies font le principe
des fources, & que celles qui font tombées &
qui tombent encore de nos jours fur le plateau de
Langres, peuvent fuffire à l’entretien de ces eaux
courantes que l ’on en voit fortir de tous côtés >
que,-bien plus, les pluies peuvent fournir à
toutes les eaux torrentielles , qui, avec les filtrations
intérieures, ont dû concourir à creufer, à
l’ origine des points de partage, plufieurs vallées"
de cent toifes de profondeur, pareilles à celle qui
enviponne la ville de Langres du côté de h Marne.
Que feroit-ce fi je rapprochois de ce travail de
l’eau des pluies ces précipices tffrayans qui environnent
les plus hauts fommets des Alpes, des
Cevennes & des Pyrénées ?
On a remarqué que certaines croupes des vallées
étoient chargées de bonnes terres, pendant
que d’autres fe trouvoient entièrement dépouillées,,
de manière à montrer les rochers entièrement
nus.
Il paroît que les eaux courantes ont laifle, fur
les pentes douces, beaucoup de terre végétale^
pendant que les bords efcarpés ont été dégradés
par ces mêmes agens qui onr porté, fur le côté
oppofé, les terres, les vafes & les débris qu’ils
en avoient enlevés. Cette difpofition des croupes
de montagnes eft un fait confiant, & que l’on
reconnoît à chaque pas en fuivant les différentes
vallées de nos rivières , & j’ ofe dire que cette
circonftance en donne l’explication & le dénoû-
menr.
Il ne faut point imaginer , pour expliquer ces
phénomènes , une certaine difpofition du nord ou
du midi, du couchant ou du levant, qui occa-
fionne la deftru&ion de certaines côtes qui y_ fe-
roient expofées , pendant que d’autres auroient
été épargnées. Si cela é to it, & que ce fû t , par
exemple, le midi dont l’âfpeéfc offrît des côtes
fertiles, & que les plaines fertiles fuflent placées
au deffous des mêmes côtés, & préfentaffent une
zone uniforme & épaifle de bonne terre ; fi , par
la même raifon, les côtes expofées au nord & les
plaines inférieures offroient des pays fecs & ^arides
ou d ’une moindre fertilité, alors ces phénomènes
dépendroient de l’expofition des côtes $
mais ces détails ne fe remarquent nullement, car
les côtes fertiles fe préfentent alternativement au
,nord & au midi, & il en eft de même des côtes
fèches & arides, & la feule c-fcillation des eaux
courantes a produit ces effets.
Ainfi l’on voit que toutes ces alternatives de
côtes de qualités différentes dépendent de la
marche des eaux courantes dans les vallées, jointe
à celle des eaux de pluies qui s’ y réunifloient. Je
dirai donc d’abord : la bonne ou mauvaife qualité
de toutes les côtes m’a paru dépendre de leur
fituation refpeCtivement au fommet général, qui
eft l’origine des vallées principales * en fécond
lieu, qu’elle eft due aux fommets particuliers des
vallées fecondaires. Je ne doute pas que, généralement
par toute la terre, toutes les côtes fèches
ou arides, dépouillées de terres végétales, n’aient
pour afpeCt confiant le fommet d’où les eaux courantes
ont pris leur écoulement & le continuent.
L’explication d’un phénomène fi général ne peut
donc ê tre , comme je l’ai déjà remarqué, que
relativement à la marche des eaux courantes, prife
depuis les culs-de-facs qui fe trouvent à l’extrémité
fupérieure des vallées, jufqu’à l’extrémité de
leurs cours 5 car j’ ai trouvé dénué de terres tout
terrain frappé latéralement & fie front par 1 eau
des fleuves & des rivières, & qui fe préfente dans
le fens feul oppofé à leur direction.
Pour rendre toutes ces obfervations plus fen-
fibles, & les reconnoître de manière à en faire la
comparaifon & à en déterminer les rapports, je
fuppofe que trois naturaliftes, frappés de cette
uniformité du travail des eaux dans leur contrée,
aient voulu examiner chacun une vallée principale,
pour s’afiurer de la caufe & de la généralité
de ces phénomènes. Je place l’un dans la vallée
de la Seine, l’autre dans celle de la Meufe, & le
troifième dans celle du Rhône. En remontant le
long du cours de ces fleuves, ils obfervent d a-
bord qu’ ils laiflent toujours derrière eux les grandes
& larges cô te s , qui regardent conftammenc
les fommets d’où ces fleuves descendent. Ils^re-
connoiffent partout que cette difpcfit.'on des côtes
ne peut être que l’ouvrage des eaux, qui ont
couru & ofeilié dans ces vallées' ; & en continuant
leur route jufqu’au lieu d’où font parties ces eaux
courantes, ils voient partout leur marche tracée
continuellement par la forme régulière de ces
côtes. La difpofition & l’afpeâ: des deftruCtions
& des dégradations indiquent toujours le côté
d’où les eaux font venues, par conféquent il n’eft
qüeftion, pour nos obfervateurs, que d’arriver
aux premiers termes où ces dégradations fe font
remarquer.
I/oblèrvateur de la Seine aura pu remonter par
la Marne , celui de la Meufe fuivre toujours la
même vallée, & enfin celui du Rhône remonter
la Saône & la Vingeanne. Le premier aura vu que
les eaux qui ont coupé les maflifs que traverfent
la Seine & la Marne , n’ont pu venir que de l ’orient.
Le fécond , qui examine le cours de la
Meufe, aura fenti bientôt que l’origine qu’ il
cherchoit, ne pouvoit être que vers le midi ; &
enfin le troifième , qui îemontoit le Rhône , la
Saône & la Vingeanne, s’eft toujours dirigé vert
le nord. Des directions fi oppofées les font arriver
fur le même plateau des environs de Langres, où
ils ne pouvoient douter que ce ne fût le terme de
leurs recherches, 8c en même tems l’ origine des
eaux courantes qu’ils cherchoient.
Je fuppofe que ces trois obfervateurs , arrivés
à ce terme, fe foient réunis & communiqué les
réfuitats de leurs remarques, tels que nous les
avons indiqués 5 qu’ils reconnoiflent enfuite de
concert que les fources de la Meufe fortent en
partie des marécages du Bafligny , & en partie de
vallées très-étroites, très-profondes & très-efear-
pées ; qu’ il en eft de même de l’Amance & de la
Vingeanne, qui fe jettent dans la Saône $ que la
vallée de la Marne fous Langres a déjà cent toifes
environ de profondeur 5 que toutes ces grandes
vallées n’ont point diminué de profondeur, mais
que leurs côtes font devenues au contraire plus
rudes à proportion qu’on approchoit davantage
des fommets.