
& fi nous retrouvons ainfî, dans les îles voifines
de la côte nord-oucfl de l'Amérique , & les mai-
fons de l’Afie feptentrionale, & les arts du Mexique,
feroit-ce une conjecture trop hafardee de
fuppofer que des habitans de cette côte nord-oucft,
tranfplantés originairement en Amérique,
& parvenus enfuite jufqu’au Mexique , ou ils
fondèrent un Empire, ont abandonné leur nouvelle
patrie à l'arrivée des Européens, & ont reflué
fur ces mêmes côtes qu'ils avoient occupées
après leur tranfmigration d*Afie? Nous verrons par
la fuite les développemens naturels qui fuivent de
tous ces faits rapprochés & analyfés.
A quelque diftance de ces palais on apperçut
plufîeurs maufolées ou tombeaux, qui ont^beaucoup
de reflemblance avec les morais dés îles du
grand Océan. Ces monumens font de deux efpè-
ces : les premiers & les plus Amples ne font com-
pofés que d'un ou deux piliers, fur le fommet
defquels font fixées des planches formant un plateau.
Les corps dépofés fur cette plate-formë font
Tecouverts de moufle & de grottes pierres. Les
maufolées de la fécondé efpèce font plus com-
pofés j quatre poteaux plantés en terre, & élevés
de deux pieds feulement au deffus du fo l,
portent un farcophage travaillé avec art & hermétiquement
fermé : ceux-ci renferment les corps
des chefs de famille ou de tribu.
Les Américains qui occupent la partie que 1 on
a vifitée de la petite île du nord3 femblent avoir
un goût décidé pour l'archite&ure, & ne bornent
pas leurs travaux en ce genre de bâtir des habitations
fpacieufes, commodes & difpofées pour garantir
les hommes & les provifions du froid &
de l’humidité ; ils conftruifent aufli des temples.
C'eft fur un terrain ifolé & élevé que 1 Américain
les bâtit. De forts pieux, de fix ou huit pieds
de hauteur, forment une enceinte dans laquelle
font confervés les grands arbres qui s’y trouvent,
& tous les arbuftes en font foigneufement arrachés
: au milieu de cette enceinte , ou quelquefois
eft pratiqué un fôüterràià, on voit un édifice
carré & découvert } il eft conftruit en belles
planches dont le travail eft étonnant, & l'on ne
peut voir fans admiration que ces planches aient
vingt-cinq pieds de longueur fur quatre pieds de
largeur, & deux pouces & demi d’épaifleur. Quel
teras n'a-t-il pas fallu pour les préparer les
finir avec l’efpèce ü outils qui font employés a ce
* Un des chefs ayant propofé de vifiter fon habitation
, les Français profitèrent de cette occafion
pour examiner en détail I état intérieur d une
habitation particulière lorfqu'elle eft occupée par
le maître de la maifon. , , - , A
Le foyer eft établi au milieu'de 1 edince > c elt
là que fe préparent les alimens. Cette même pièce
dont nous avons décrit la charpente & la difpo-
fitioia générale, fert tout à la fois de cuifine, de
chambre à coucher, de raagafin & d'atelier, &
encore de remife à la pirogue quand elle n’eft pas
employée à la mer. Tandis que, d'un côté, quelques
femmes donnent leurs foins aux enfans &
au ménage, d'autres ailleurs fechent & fument
le poiflon pour la provifion d'hiver} d'autres font
occupées à trefler des nattes, à affembler & à
coudre les fourrures pour en compofer des manteaux.
On n'y diftingue point de places fixes pour
dormir, & , fuivant les apparences, tous les individus
d'une famille couchent pêle-mêle fur le
fol plancheyé de l’habitation. Mais s'ils font peu
recherchés pour eux-mêmes , ils le font davantage
pour leurs enfans : les plus jeunes font placés
dans des berceaux fufpendus comme des hamacs. '
On vit un grand nombre de cailles entafîees fur
les côtés & dans les encoignures de l'habitation,
& l'on fut que quelques - unes contenoient les
provifions d’hiver, & que dans d'autres étoient
renfermés les flèches, les arcs, &c.
Les habitations font en général peintes &
décorées~de diverses manières} mais ce qu'on remarqua
particuliérement dans celle qu'on vifitoit,
ce fut un tableau allez femblable à celui que nous
avons indiqué dans la defeription de la redoute
élevée fur la petite île du détroit. Parmi un grand
nombre de figures qui ne reflembloient à rien, on
en diftingua une qui repréfentoit un homme, &
que fes proportions' extraordinaires rendoient
monftrueufe.
Nous avons fait connoître une partie du mobilier
de l'habitation que nous décrivons : fi nous
continuons, nous dirons que les uftenfîles de cuifine
paroiffent en être une portion confidérable :
on y voyoit confondus avec les vafes de bois &
les cuillères de corne ou de fanon de baleine, propres
au pays, les marmites de fe r , les cafleroles,
les poêles à frire , &c. que les Européens ont
fournies aux Américains, & dont l'ufage leur eft
devenu aufli familier qu’à nous : on y vit aufli des
haches, des cifeaux de menuifier, des fers à rabot,
des poignards & des lances de fabrique anglaife,
mêlés avec des lances américaines} des os crénelés
ou barbelés pour armer la pointe des lances >
des hameçons de pierre ou d’o s , des nattes de
j cordes, des chapeaux de joncs, inftrumens qu’on
peut appeler indigènes, parce que les Américains
• les avoient fabriqués eux-mêmes avant que les
Européens., en introduifant dans ces îles les produits
de notre induftrie, leur euflent fait connoître
de nouvelles commodités & de nouveaux befoins.
Je dois ajouter ici que la mufiquè ne femble pas
étrangère à cette peuplade : on ne parle pas ici
I feulement de cette mufique de chant, de cette
mufique en choeurs, qui, dans quelques-unes des
tribus de la côte nord'-ouefi de iAmériquet paroit
être une efpèce de rite} car le chirurgien Roblot
rapporté qu’ il a vu, dans les habitations, de ces
flûtes à pîufieurs tuyaux, imitant en petit une
portion d'orgue, connues parmi les inftrumens de
i mufique des Anciens, fous le nom àefifflet de Pan.
11 a compté à quelques-unes de ces flûtes jufqu’à
onze tuyaux.
Ces Américains annoncent un caractère focial,
des moeurs douces, & ils paroiflent exempts de
défiance. Cette fécurité de leur part eft un témoignage
en faveur des Européens qui les avoient
vifités précédemment, & elle prouve qu'ils n’ont
été envers ces infulaires ni violens ni injuftes. Les
femmes le difputoient aux hommes pour leurs prévenances
envers les Français.
Si l’on doit juger de la fécondité des femmes
par le nombre des enfans que l'on trouvoit dans
k s habitations , il excédoit toujours celui des
femmes & des hommes réunis.
Si nous reprenons J'enfemble des diverfes productions
du fol que le capitaine C hanal a vues
& examinées fur la partie occidentale de la grande
île Charlotte , nous trouverons que cette partie
de côte eft couverte de bois} que les montagnes
dé l’intérieur préfentent le même afpeét, étant
également boifées, en même tems que leurs fom-
mets font dépouillés & ftériles. Les pins & les
lapins de forte végétation dominent dans cette
immenfe fo rê t, & l'on y voit èntre-mêlés le bouleau
, une efpèce de faule ,& quelques noifetiers
d'une très-belle venue.
Dans les divers endroits où l'on a abordé, on
a trouvé plufkurs des arbuftes &, des plantes qui
croiffent lur le terrain de la France, le framboi-
fier, le grofeiller fauvage ou cacis, le rofier, le
céleri, le perfil, le pourpier, le creflon, la patience
, la grande centaurée, l'or tie, une efpèce ,
de mauve, une efpèce de fougère dont la racine
a le goût de celle de la réglifle, le muguet, une
reine-marguerite. On fut étonné de voir partout
des plantes de pois & de vefees, répandues par !
touffes, & l'on jugea qu’elles dévoient être une !
production naturelle & fpontanée du fol. On a
mangé de ces pois, & l’on n’ a pas apperçu de différence
avec ceux qui fe mangent en France. Ils
viennent tout naturellement, comme ceux qu’pn.
a voit vus à Tchinkitané fur toutes les parties éler.
vées des plages, dans les endroits découverts.
Les oifeaux de mer & de terre fe montrent en
troupes nombreufes : ils font les mêmes que ceux
qu'on voit à Cloak-Bay & dans le canal de Cox. La
chatte & la pêche aflurent la fubfîftance des naturels.
Le poiflon abonde fur la côte en telle quantité
, qu’une demi-heure fuffifoit pour prendre,
avec deux lignes feulement, tout celui dont l’équipage
de la chaloupe avoit befoin pour fa confom-
mation d'une journée, & la qualité en étoit excellente.
On n'a pas fait un féjour aflez. long pour avoir
pu juger du climat de ces côtes : tout ce qu’on en
peut dire, c'eft que pendant ce féjour le tems a
été communément très-beau. A terre on éprou-
voit une chaleur fenfible le matin, & telle qu'on
l'éprouye fous la latitude de Paris dans les mois
d’avril & de mai, & la nuit les rofées étoient
très-abondantes.
Nous avons dit que les termes numériques employés
aux îles de la Reine-Charlotte n’avoient
rien de commun avec ceux du langage de T chin-
kitané ; nous devons ajouter que quelques-uns
des termes recueillis à Cloak-Bay par le capitaine
Chanal, font communs aux autres parties de ces
îles qu’il a vilitées ; ce qui prouve que ces tribus
communiquent habituellement entr’elies. D’ailleurs,
cette identité de langage prouve encore
que les peuplades qui habitent ces îles ont une
même origine.
B e r k l e y - S o u n d .
Le capitaine Marchand, en quittant i'archfpel
de la Reine-C harlotte, que nous venons de
faire connoître d'après fes obfervations, fe décida
à ne continuer fa traite fur la côte du continent
qu’à Berkley-S ound, fitué dans le fud de
Nootka par 49 degrés de latitude, & à l'étendre
de ce point en redefeetidant jufqu’au cap Mendo-
' cino, fitué entre 42 & 41 degrés.
Le 4 feptembre, à quatre heures du foir, on
eut la vue de la côte d’Amérique. La latitude du
vaiffeau, au même inftant, étoit de 49 degrés 41
minutes. Cette pofition plaçoit le vaiffeau dans le
nord-oueft.de Berkley-Sound, & à l’oueft nord-
oueft 4 degrés oueft de Nootka - Sound 3 à neuf
lieues de diftance de ce dernier, & à environ
quatre lieues de la terre la plus prochaine.
Le y au matin on eut en vue différens.fpeâa-
clès. Des baleines en grand nombre fe jouoient au
tour du vaiffeau, & des troupes de canards,..de
plongeons, de macareux, de cormorans, de goi-
ians, croifoient leur vol dans coures les directions.
L’éclaircie permit, à midi, d’obferver la hauteur
méridienne, qu'on trouva de 48 degrés y 1 minutes.
A cette époque on diftinguoit dans le nord un enfoncement
qu’on jugea devoir êtrq.NooTKA-
Sou nd, & , d’après la pofition du vaiffeau, la
terre ne pouvoit être-que l'extrémité feptentrionale
de Berkley-Sound.
Le 6 à midi on étoit, fuivant l'obfervatic.n, à
48 degrés J9 minutes de latitude, c’eft-à-dire, à
une minuté près fur le parallèle de Berkley-Sound,
dont on n étoit plus éloigné que de quatre ou cinq
lieues dans l’oueft.. D e Nootka à Berkley, la côte
aroît former une efpèce de golfe terminé par de
autes montagnes : on diftinguoit diverfes ouvertures;
elles font formées par de hautes terres détachées
, qui fembloient 11'être que des îles, près
defquelles il en paroiffoit d’autres plus petites.
Le 7 , à fix heures du matin , on apperçut cinq
pirogues venues de la partie de la côte qui reftoic
au nord-nord-eft ; chacune de ces embarcations
portoit fix hommes, tous d’un âge mûr. Après
s'être ariêtés auprès du vaiffeau pendant unelierai
heure, ils dirigèrent leur route vers la haut»