
dans l‘âge viril ils y paffoient une pierre de la
longueur du doigt.
On doit être étonné qu’un ornement auffi bizarre
fe foit préfenté à l'efprft de deux peuples
différens, dont l’un n’a pu fervir de modèle à l'autre
, à en juger par les diftances. Les peuplades du
nord-oueft, comme on le voit , enchériflent beaucoup
fur les Brafiliens. Cette coutume eft générale
entre le cinquantième & le foixantième paraP
lèle 3 avec cette différence très-remarquable que,
dans les parties les plus feptentrionales , les hommes
feuls portent l'ornement labial, & que, dans
les parties méridionales, comme à la baie de Tchin-
kitané , il eft réfervé pour les femmes.
Comme la jeunelfe inïpire toujours de l'intérêt
& de l'indulgence, les voyageurs français affurent
que les jeunes filles ne font pas aufli laides ni aufli
dégoûtantes que les femmes.
; Les individus des deux fexes, enfans, jeunes &
vieux, font couverts de vermine ; 8c comme ils
font la chaffe à ces animaux dévorans pour les dévorer
eux-mêmes, il n'eft pas étonnant qu’ils les
laiffent multiplier. Ce goût, au refte, leur eft
commun avec le peuple delà Chine.
On ne peut douter que la petite vérole ne fe
foit introduite fur les terres qui bordent la baie
de Tchinkitané ; car plufieurs individus des deux
fexes en portoient des marques non équivoques.
Le capitaine Portlock fut témoin, en 1787, des
ravages qu’elle avoit faits quelques années auparavant,
& de la dépopulation qui en avoit été la
fuite dans le havre auquel il a donné fon nom, &
qui eft fitué à peu de diftance nord-oueft de Tchin-
kirané , vers 5-7 degrés 50 minutes de latitude
nord. D’après les informations qu’il put fe procurer,
il penfe que les Efpagnols, qui en 1775 étendirent
leurs découvertes fur cette côte jufqu'au
cinquante - huitième parallèle, y ont laiffé cefte
trace ineffaçable de leur apparition & de leur
vifite.
L’habillement des hommes & des femmes de
Tchinkitané confifte en une chemife ou dalmàtique
de peau tannée, coufue fur les côtés, dont
les manches larges ne parviennent qu’un peu au
deffous de l’épaule, 8c en un manteau de fourrures
dont le poil eft en dehors. Les femmes portent en
outre, par-deffus la chemife, un tablier de peau
pareille, qui ne monte que jufqu’à la ceinture, &
un fécond manteau de loutre par-deffus le premier.
Le rédacteur du Voyage de Dixon nous apprend
qu’indépendamment du vêtement ordinaire , les
hommes font aufli ufage, pour fe garantir du froid,
d’un manteau fait avec des rofeaux-coufus fort
étroitement enfemble, & que ce manteau eft fem-
blable à ceux des habitans de la Nouvelle-Zélande.
Les deux fexes font ufage d’un petit chapeau
d’écorce treffé&delâ forme d’un cône tronqué au
quart ou au tiers de fa hauteur. Nous ne parlerons
pas ici de leurs habits de fêtes ou de cérémonie,
comme des rolesrde farceur 8c de jongleur, quoiqu’il
y ait beaucoup d'art dans leurs différences
pièces.
La population de la baie de Tchinkitané, comme
celle de toute la. cote nord-ouefl de VAmérique ,
n’eft pas nombreufe. Dans les diverfes relations
qu'on a eues avec ces habitans, y compris les femmes
& les enfans, on n’y a pas vu plus de deux
cents individus} 8c Dixon, qui n’en a pas vu plus
de cent foixante-quinze, penfe qu’en doublant
ce nombre on auroit celui de tous les habitans de
la baie; 8c il ajoute que fi l'on comprend dans cette
énumération les vieillards, les infirmes, ceux qui
font employés à la chaffe, â la pêche, & qu'on
porte la totalité à quatre cent cinquante, on aura
donné à ce calcul de probabilité la plus grande
extenfion dont il paroi f i e f ufcept ible.
Ou ne doit pas être étonné de trouver une foi-
ble population fur des terres dont les forêts, peut-
être aufli anciennes que le (ol qu'elles couvrent,
occupent toute la furface que n'atteignent pas les
flots de la mer. L’homme qui, pour affûter fa fub-
fiflance, ne compte que fur les-hafards de la chaffe
& de la pêche ,-fuffit difficilement à fes befoins.
La culture peut feule appeler la population, &
quelques arpens cultivés d’une de ces îles placées
entre les tropiques donnent la vie à un plus grand
nombre d hommes, que des contrées entières où
la terre épuife fa fécondité à reproduire fans ceffe
des forêts qui fervent de retraite à quelques animaux.
La nourriture principale des naturels de Tchinkitané
eft le poiffbn frais ou fumé, les oeufs de
poiffon féchés, dont ils font une efpèce de gâteau,
& la chair de quelques - uns des animaux qü’ils
tuent : ils y ajoutent, dans les intervalles des repas,
l’ufage d'un légume farineux dont le goût eft
comparable à celui de la patate, & qu'on croit
etre la faramie ( liIlium flore atro rubente ). C’eft le
lis de Kamtchatka. Les habitans des pays ou croît
cette plante font une efpèce de gruau avec fa racine
bulbeufe. Les fruits fauvages des baies, qui
fe trouvent en abondance dans les bois, & la racine
tendre de la fougère, leur fourniiïent encore
un fecours accidentel.
Ils mêlent toujours de l'huile de baleine avec
leur bouillon j cette huile, que fon odeur forte 8c
âcre nous détermine à rejeter de notre cuifine ,
n excite pas la moindre répugnance chez les Américains
du nord 8c les autres peuples qui occupent
les contrées voifines des pôles. L'huile de poiffon
eft une liqueur dont l'habitant des climats glacés,
établi fur les bords de la mer, & vivant de fes
productions, fait un ufage habituel & néceffaire :
elle dévéloppe la chaleur concentrée dans l’efto-
mac, & en la portant jufqu’aux extrémités, elle
entretient dans toute l’habitude du corps le mouvement
des fluides, & garantit les membres d’un
engourdiffement qui en détruiroit le jeu & l'action.
On n'a pas connoiffance que les Tchinkitaniens
faffent ufage d'aucune liqueur forte> ils ont adopté
celui
celui de prefque toutes les nations de l’Amérique
& del’Afie, qui eft de mâcher habituellementquel-
qu’efpèce d'herbe , 8c dès qu'ils eurent connu la
feuille du tabac, ils lui donnèrent la préférence
fur celle qu'ils émployoient pour fatisfaire le même
befoin.
Les premiers navigateurs qui ont vifité la côte
nord-oueft de l'Amérique, en remontant depuis le
42e. degréjde latitude jufqu’au 60e. , ont trouvé
que la connoiffance & l'ufage du fer y étoient parvenus
depuislong-tems. Il eft probableque ces lau-
vages les ont reçus de l'intérieur, en communiquant
de proche en proche avec les tribus qui en
reçoivent immédiatement des Européens*, foit par
les établiffemens de la baie d'Hudfon, l’oit par les
préfides efpagnols. D’ailleurs, le commerce.des
Américains avec les Ruffes a dû leur faire connoitre
le fer & le cuivre.
Les Tchinkitaniens font armés d’un poignard de
métal. Leurs piques, qui dans ie. principe fuient
armées d’une pierre dure & taillée en pointe, ou .
de l’aiête d'un poiffon, le font aujour-i hui d'une j
pointe de fer de fabrique européenne, fis ont cependant
confervé l'arc & la flèche de leurs pères.
Ils n'ont pas changé l'inftiumenc dont ils s'ar- .
ment pour la pêche de la baleine ; cet infirmaient
eft un harpon d’os, barbelé, 6c emmanché d'une
longue perche. Forts de cette arme qu'ils manient
avec une adreffe extrême, deux Tchinkitaniens
attaquent ce cétacée, 6c s'en rendent maîtres.
Ce peuple d ailleurs eft indultrieux, aétif & laborieux.
Différens ouvrages d'ofier, treffes avec
une forte d'élégance j des manteaux de poils filés,
tiffus artiftement, entre-mêlés de morceaux de peau
de loutrè, & très-propres à préferver du froid 3
l’apprêt 8c le tannage des peaux, divers ouvrages
de fculpture & de peinture> tout annonce un long
emploi des arts utiles & quelque connoiffance des
arts d'agrément.
Le goût des ornemens domine dans tous les ouvrages
de leurs mains : leurs pirogues, leurs cof-,
fies 8c divers petits meubles à leur ufage font
chargés de figures qu’on pourrait prendre pour des
hiéroglyphes, des portions 8c d'autres animaux.
Des têtes d hommes & divers deflîns bizarres
font mêles & confondus pour compofer un enfemble
d'ornement. Leur- génie 6c leur induf-
txie fe montrent principalement dans la conftruc-
tion de leurs pirogues : toutes font prifes dans
un feul tronc d'arbre, & ont une forme fembla-
blej leurs extrémités, qui ne diffèrent point l’une
de l’autre, font très-aiguës 6c fe terminent par un
taiile-mer de douze à quinze pouces de faillie,
qui n’a pas plus d'un pouce d’épaiffèur. Quoique
les Tchinkitaniens poflêdent des haches européennes
depuis quelque tems, ils ne font point,
encore ufage de cet infiniment pour abattre l’arbre
qu'ils deflinent à la conilruétion d’une pirogue}
ils l'abattent en minant le pied à l'aide du fc-u,
& c’eft par le fecours du même agent qu'ils par-
Géographie-Phyflque, Tome II,
viennent à le creufer, à le façonner en dehors,
de manière à lui donner la Tonne la plus propre à
flotter fur l’eau, à fendre le fluide par l ’une ou
l’autre extrémité indifféremment.
Les établiffemens temporaires que les Tchinkitaniens
forment fur la côte donnent lieu de croire
qu’ils ont peu de talens pour l’architedhire civile}
mais d'après ce qu'on a pu apprendre d 'eux , ils
ont, dans l'intérieur des terres, des habitations
bien construites, fpacieufes & commodes. Ainfi
l'on doit conclure de leur rapport, que ces Américains
ne font pas une peuplade errante, & ne
quittent leurs foyers que lorfque la faifon de la
pêche, de la chaflè ou le commerce avec les étrangers
les détermine, pour un tems, à fe porter fur
les bords de la mer.
. Les Tchmkitaniens ont un goût décidé pour le
chant, & il paroît chez eux une efpèce d’inftitu-
tion fociale, à des époques fixes de la journée:
le matin & le foir ils chantent en choeur, chaque
affiftant prenant part au concert.
Une infpeétiori rapide peut fuffire à un voyageur
qui fait obferver, pour connoître la conftitution
phyfique des peuples qu'il vifitei & fe mettre en
état d'en décrire le; coftume, les armes , les arts,
les aliméns} en un mot, tout ce qui frappe les sens.
Mais fi une nation n'eft pas raff-mblée en grand
nombre fur un même point, il n'eft guère poffible
d'acquérir quelque connoiffance de fes moeurs >
de fes ufages : on ne doit donc pas s'attendre que
ce qui concerne les inftitutions religieufes & politiques
, les qualités morales & le caractère des
Tchinkitaniens, foit préfenté ici en détail.
11 n'eft pas poffible de s'affurer fi ces peuples
reconnoiffent un Etre fuprême, 8c s'ils lui rendent
une efpèce de culte. L’occafion ne s’eft pas
préfentée d'obferver les cérémonies funéraires que
pratiquent les Tchinkitaniens lorfque la mort enlève
le chef d’une fâmillé^u quelqu'un de fes
membres} mais on fait du moins qu'ils font très.-
occupés 8c très - ioigneux d’orner leur dernière
demeure. Le capitaine Dixon, qui avoit décou-
; vert le port Mulgrave, fitué à deux degrés & demi
dans le nord de Tchinkitané, y rencontra dans fes
excurfions plufieurs farcophages.
Les Français n’ont pas pu s'affurer fi la totalité
des naturels qu'ils ont vus raflemblés dans la baie,
& qui appartenoient à la côte environnante, for-
moient une feule & même tribu, 8c s'ils recon-
noiffoient un chef fuprême.
La conduite des Américains, dans les échanges,
annonçoit à la fois du jugement & de la défiance.
Différens des peuples qui habitent les îles du grand
Océan, ils ne prêtèrent jamais l'agréable à l'utile :
on voyoit chaque pirogue s’approcher du vaiffeâu
à fon rang, fans confufion, fans difpute, & ceux
qui les montoient, n’étoient ni prtffes ni pref-
fans, ni bruyans pi importuns.
La manière de vivre des Tchinkitaniens eft
très-réglée : ils quittoient le vaiffeau d'affez bonne