
que de fruits, couvert de peaux de bétes ; au
Mexique on peut reconnoître les -Cinabres & les |
Scythes, enterrant avec le roi mort les officiers
de la couronne tout vivans; au Pérou, comme au
Mexique 3 & même chez les petites nations épar-
ües, les druides , les jongleurs, les prêtres impof-
teurs & les hommes crédules ; fur toutes les parties
du continent & des îles qui en dépendent »
on y voit les Bretons, les Piétés & les Thraces,
hommes & femmes, fe peignant le corps & le vi-
la ge , fe piquant la peau, & ces derniers condamnant
leurs femmes à travailler à la terre, à porter
de lourds fardeaux, & les chargeant des travaux
les plus pénibles. Dans les forêts du Canada 3 dans
Je Bréfil & aux environs, on retrouvera les Can-
tabres faifant fubir la torture aux ennemis qu'ils
ont faits prisonniers; enfin, partout l’Amérique
offrira l’horrible fpeétacle des faerifices humains.
■ Le tableau que le Nouveau-Monde préfenta aux
voyageurs de l’ancien, qui le découvrirent fous
différens points, offrit donc tous les traits dont
notre propre hiftoire nous fourniffoit les anecdotes
dans l’enfance de nos! fociétés politiques.
L ' A m é r i q u e devoit avoir auffi fon enfance, parce
que la nature y auroit eu fes différens. âges & fes
périodes marqués : déjà même des portions de
cette vafte terre commençoient à fortir de la barbarie
qui caraCtérife l’enfance des nations; déjà
au P é r o u Mance-CapaCy & au M e x i q u e les
prédéceffeurs de Monteçuma, étoient parvenus à
réunir un grand nombre de hordes errantes, à les
fixer dans des villes, à leur donner un culte & à
leur faire reconnoître & aimer l’empire des lois.
Bientôt on eût vu les Otomies retirés dans les
montagnes que le M e x i q u e avoit pour bornes,
où le produit de la chaffe & les racines fauvages
foutenoient leur exiftence : on les eût vus, dis-je,
fucceffivement defeendre de leurs montagnes inac-
ceffibles à tous autres, & attirés par les douceurs
de la vie dont jouiffoient les hommes de la plaine,
adopter les moeurs & les ufages du grand peuple
dans lequel ils feroient venus s’ incorporer.
L’Empire du Pérou, fondé comme celui du
Mexique y & conftitué fur des principes peu diffé-
rens, en fuivant la pente naturelle & le cours des
fleuves, eût pouffé des branches de population
vers l’Orient, & de proche en proche il eût atteint
ces farouches Brafiliens : ainfi un troisième
.Empire fe fût élevé entre les grands fleuves du
Maragnon & de la. Plata ; & dans le même tems
que l’Empire du Pérou, en fe prolongeant par le
nord - eft jufqu’au golfe des^ Antilles, eût communiqué
avec çes îles fertiles., celui du Mexique
eût verfé le fuperflu de fa population fur les pays
fitués au nord & à l’eft de fon territoire, & , en
remontant le Mijfijfipiy eût pu s’étendre jufqu’aux
grands lacs & au fleuve du Canada. On peut préfumer
, par analogie., que les habitans des contrées •
.boréales & auftrales auroiçrtt fucceffivement reflué
dans les zones tejnpéré,e§ & ;vers les lifières dp, ïp. :
i ^0.n^ torride j & que fi ceux qui fe trouvent diffe-
minés fur la grande terre de 1 AmériqueSeptentrion
nale & aux extrémités de la Terre magellanique
n’euffent pas abandonné les contrées où iis étoient
nés, pour, fe porter fur les frontières du Mexique
d une part, & de l’autre fur celles du Bréfil & du
Pérou y ils euffent continué à végéter fur le fol
qui les nourrit, comme les petites nations qui,
dans l'ancien continent, occupent les parties de
l’Afie & de l’Europe, lituées dans le voifinage du
cercle polaire arCtique, les Tfchukfchis, les Sa-
moyèdes, les Lapons.
Mais l’arrivée des Européens a arrêté la nature
dans fa marche, & a condamné l’Amérique à vieillir
dans une longue enfance. La raifon & l’humanité
fe révoltent également quand on fe-rappelle
que, par notre fait, un grand nombre de nations
ont difparu de deffus la furface de la terre qu’elles
dévoient partager avec nous j & l’on s’ étonne que
les conquérans qui ont dévafté le Nouveau-Monde,
n’ont pas introduit chez les peuples qui ont fur-
vécu à la deftruttion des autres, un régime vraiment
focial, qui auroit réparé une partie des
maux qu’avoit caufé leur conquête !
Mais l’Européen, en détruifant les hommes du
Nouveau-Monde, n’a cru pouvoir remplir le vide
immenfe qu’il avoit fait, qu’en introduifant des
aventuriers que leur patrie avoit rejetés de fon
fein, & en combinant avec ces élémens impurs
quelques milliers d’hommes noirs, achetés fur
les fables d’Afrique, qui ont apporté fur un fol
étranger l’horreur du travail qui leur eft naturelle
: telle eft l ’efpèce de population qui a remplacé
les pertes qu’avoit faites l'une & l’autre
Amérique. Ce n’eit pas avec de nouveaux principes
de deftruCtion que cette^ moitié de la terre
pourra réparer fes pertes ,& * fe régénérer. Les
maîtres du Nouveau-Monde font trop forts contre
le foible Américain, pour qu'il puiffe par lui-même
brifer le joug qui l'opprime, & qui s’oppofe conf-
tamment & invinciblement aux progrès de la civi-
lifation.
Si jamais il s’opère une révolution en faveur de
l'Amériquey ce ne peut être que par des Européens
devenus Américains, comme nous l'avons vu par
rapport aux Etats-Unis ; eux feuls peuvent lui
rendre les avantages que, par l’étendue de fon
territoire, par fes fleuves navigables & les plus
grands du globe, par la variété de fes productions
indigènes, par fes métaux précieux, fes diamans,
fes perles, funeftes préfens de la nature, elle devoit
avoir dans la balance politique du globe,
comme elle l’a dans la balance phyiique.
Mais en attendant que l’Amérique prenne le
rang que la nature lui avoit marqué, la côte du
Nord-ouesty échappée jufqu’à préfent aux orages
qui ont bouleverfé J’inté.rieur du continent ,
nous ouvre une voie de faire le bien pour com-
penfer en partie tout le .mal que nous avons fait,
ignorée pendant, xpqis fièçles .à coté d’une terre qui
a vu fes en fans détruits par le fer des étrangers
venus de l'orient, ou réduits en efclavage & fuo ;
combant dans les mines fous le poids du travail,
cette côte privilégiée a dû fon indépendance à fon
obfcurité : fa fituation à la limite occidentale de
l’Amérique feptentrionale, l'âpreté de fon climat,
l’heureuie privation des métaux dont l'Européen
a fo if, le caraCtère de fes habitans, le genre de
fes productions, qui ne font que les produits de la
chaffe ou de la pêche, tout lemble aujourd’hui
lui affurer le maintien de la liberté. Mais fans
attentera un bien dont elle doit être fi jaloufe,
ne pôurroit-on pas introduire, parmi les peuplades
qui l’habitent, le goût & la pratique des arts .
utiles? leur enfeigner l'ufage des iniirumens de la
culture? naturalifer, fur un fol qui n’attend que
les bras de l’homme pour rendre utile fa fécon-
dite, les productions qui enrichiffent d’autres parties
de la terre, lituées fous les mêmes latitudes?{
établir les vrais principes de l’ordre focial ? acquitter
enfin envers l’humanité la dette des nations
qui ont devancé les autres en civilifation, & ajouter
ainfi de nouveaux peuples au genre humain?
A m é r i q u e m é r i d i o n a l e .
Cette partie du nouveau continent fe diftingue
furtout par fes vaftes plaines & par fes terrains
élevés, connus fous le nom de Cordilliéres .-ces
montagnes forment des maffes fi confidérables, qu’ il
femble que ce foit le fragment d’un monde ajouté
à un autre. Dans ces deux parties, le fo l, les faifons
d è l’année, la température, les végétaux,les animaux,
tout annonce des différences très-frappantes.
Ici c’ eft le plus beau printems; à peu de dif-
tance règne un hiver rigoureux. Le fol produit des
plantes & des arbres, qui n’ont aucun caractère de
retiemblance avec les plantes & les arbres qu'on
trouve à quinze ou vingt lieues plus loin. Enfin
les fruits, les quadrupèdes, les oifeaux, offrent les
mêmes contraftes. Saififfons maintenant les diverfes
caufes d’ èffets fi difparates.
Tous les terrains de la terre ne font pas dans les
mêmes rapports, tant à l’égard de leur pofition '
qu’à l’égard de la nature du fol : il eft des contrées
plus baffes, d’autres élevées, & enfin quelques
autres très-élevées , en comparaifon de ces
deux fortes de terrains. De toutes ces gradations
différentes rél'ulte la variété des températures, qui
font les caufes de tous les effets diffemblables que
nous venons d'indiquer.
C ’eft principalement, dans la partie de l’Amérique
méridionale & occidentale qui nous occupe,
qu’on remarque, d’ une manière plus frappante, le
phénomène ae l’ inégalité des terrains, & en conséquence
celui de la difparité dans les climats &
dans les produirions; de forte qu’on a deux contrées
à confidérer dans une feule. Tout le pays qui
jègne le long de la mer du fud eflbas & plat, formant
une efpèce de bordure qui s'étend depuis
C hoco, à 7 ou 8 degrés au nord de l’équateur,
jutqu’au 26e, ou 28e. degré au fud de la ligne. La
largeur de cette bordure eft de huit à vingt lieues,
fe rétréciffant plus dans certains endroits que dans
d’autres. Dans la ligne cù finit cette bordure plate
& baffe commence à s’élever infenfiblernent la
maffe des Cordilliéres, dont les cimes font li hautes,
que fous l’équateur élles font couvertes de neige,
& fe perdent dans les nues. Ces malles pyramidales
paroilfent établies fur une bafe qui eft coupée par
des vallées que les eaux qui s’échappent de ces
hauteurs ont ereufées,& au milieu deiquelles elles
coulent.
Cette contrée, fupérieure aux autres terrains ,
s’étend , dans toute la’longueur de cette partie de
l’Amérique , fur trente à cinquante lieues de largeur
: c'eft là que les chaînes de montagnes ,
d’abord fi prodigieufement élevées, ou plutôt leur
bafe, s'abaiffent pour fotn.er un autre pays bas,
qui s’étend du pied de ces montagnes jufque vers
les côtes orientales, dans le Bréfil & la Guiane5
c’eft là que le trouvent auffi ce que l’on nomme
les montagnes des Andes ÿ car à partir des Cordii-
lières on rencontre, en beaucoup d’endroits, des
inégalités & furtout d’épaiffes forêts. On v o it ,
par ces détails, que cette partie de l’Amérique
méridionale préfente une bande de terrain fenfi-
blement plus élevée que tout le refte, & même
que toutes les autres contrées habitées du globe:
cette grande élévation a été conftatée par des me-
fures très- précifes, qui ne permettent pas d'en
douter.
On voit auffi, dans cette partie haute de l'^Amérique
méridionale, des chaînes de montagnes détachées
des premières, & qui s’élèvent à des hauteurs
confidérables, comme celles qu’on rencontre
dans plufieurs contrées de l’Europe; & s’il y a ,
dans la partie haute qui fert de bafe à ces montagnes,
des royaumes & des provinces fort peuplés
, on y voit auffi de vaftes contrées très-froides
& entièrement défertes. Ces pays font fi différens
; des contrées inférieures, qu’on n’y trouve aucun
! caractère de reffemblance; ce qui doit être né-
ceffairement, puifque la différence des climats &
de la température fait varier, non-feulement l'af-
pe& du fol, mais encore furtout les productions.
Pour donner une idée de tous ces ordres de terrains
, il fuffit de dire que la partie haute, habité
e , eft à quatre mille cinq cent trente-fix vares
au deffus des terrains qui bordent la mer du fud,
pendant que les cimes des montagnes qui s’élèvent
fur cette même bafe élevée ont plus de fix mille
fix cents vares au deffus de ces mêmes terrains, je
veux dire que les cimes des montagnes furpaffent
les plaines habitées,.qui font à leur pied, d’environ
deux mille foixante-trois vares.
On peut donc établir trois ordres de gradations
différens pour les terrains de l’Amérique méridionale
: le premier eft celui des terrains bas, voifins
de la mer; le fécond, celui de la maffe qui fert de