
mer, où fans doute ils alloient attendre les baleines,
& ils fe rangèrent fur une ligne de marche
bien formée, en iaillant un intervalle égal entre
chaque pirogue.
Ces Américains font beaucoup plus blancs que
ceux qui habitent la baie de Tchinkitané : ils
n'avoient pour tout vêtement que des couvertures
, dont les unes étoient des tiffus d'écorces
d’arbres , & les autres, de laine, paroiifoient, au
deflin, devoir être de fabrique eipagnole : ils por-
toient auifi des colliers de grains de verre & des
pendans d'oreilles, ils montrèrent un hameçon
européen ; quelques-uns firent entendre qu'ils le
tenoient, ainfi que leurs couvertures de laine,
d'un vaifieau femblable au Solide que montoit
le capitaine Marchand- Quelques-uns avoient au
tour de la tête un morceau d'étoffe bleue. Leurs
chapeaux de joncs treflés, comme ceux des Tchin-
kitaniens , en différoient un peu pour la forme.
Ils ont paru fortement taillés & robuftes, mais
fort laids & allez -maigres. Leurs cheveux font
hoirs & liffes.
Leurs pirogues font conflruites avec béaucoup ;
plus d'intelligence & plus d'art qu'aucune de
celles qu'on eût vues fur la côte , quoiqu'on général
tous les naturels de cette partie excellent
dans ce genre de travail : elles font auifi plus grandes,
elles peuvent avoir de trente à trente-cinq
pieds dp longueur, & leur largeur eft de trois
pieds. Elles font creufées dans un feul tronc d'arbre
, & .la proue eft exhauftee par des pièces de
rapport artiftement liées au corps de la pirogue.
L'arriéré eft terminé en poupe arrondie & perpendiculaire
: leurs façons de lavant & de 1 arrière
font taiHées d une manière fi avantageufe
pour la marche, qu’un conftruétéur européen ne
les défavoueroit pas: Les Américains les meuvent
avec des pagaies qui fa oiffent deftinées a fervir
en même tems de rame.& d arme offenfîve.
Les inftrumens de pêche attirèrent particuliérement
l'attention des marins français. Une forte
lancé de douze ou treize pieds de long, taillée en
pointe i un des bouts, & renforcée de diftance
<h diftance par de larges roifures de cordes , qui
offrent à la main des points d'appui & empêçhent
eu'elle ne gliffe; deux ou trois lances plus minces
èc fans renforts , mais de la même longueur ;
deux ou trois pièces de cordages de deux pouces'
ou deux pouces Ôc demi de circonférence un.
nombre égal d’outres , de, trois pieds de long fur-
quinze pouces de diamètre, remplies,d’air enfin,,
une caiffe contenant des harpons , dès lignes, des
hameçons & d’autres uftenfiles de pêche, çompo-
lÔient l'armement de chacune des pirogues.
Les naturels s'empreffèrent, fur la demande
des Français, de leur expliquer l'ufage qu’ils fai-
foient de ces équipages. La forte lance eft defti-
iiée à frapper le cétacée quand ilTe préfente à la
fui face de. l'eau, & . rarement un Américain manque
t-il de le bleifer du. premier coup. A l’ihftaqç
les lances les plus légères font employées à lancer
les harpons, à chacun defquels eft attachée une
des longues pièces de cordages. L’autre bout de
la ligne eft fixé à line des grolfes outres remplies
d'air. Ces efpèces de ballons flottant fur l’eau ne
ceffent d'indiquer la place où fe trouve la baLine
morte ou bleffée , qui a emporté avec elle un
harpon, & les pécheurs, diriges par ce fignal, fe
mettent à fa fuite. Mais le plus difficile n'eft pas
d'ôter la vie au monftre : il refte à s’en emparer;
& l'on ne croiroit jamais, fi l’on n’en avoit la
certitude, qu’avec des nacelles auffi légères, aufïi
frêles que des pirogues creufées dans un tronc
d’arbre, quelques hommes reufliffent à traîner,
l’efpace de quatre à cinq lieues, une maffe énorme
, & parviennent à l’échouer fur une plage ou
I ils puiflènt la dépecer. On ne pourroit croire qu'il
fût donné à des hommes d’exécuter, avec le ieul
fecours de leurs bras, ces grands-travaux. Il fem-
bie. que la nature , en affeétant particuliérement
| la baleine aux mers froides qui baignent les terres
boréales & auftrales, ait voulu dédommager
confoler ces contrées malheureufes, auxquelles
. elle a refufé la fertilité, en douant leurs habi-
tàns , à Un degré fupérieur, du courage & de la
dextérité nécelïaires pour attaquer & vaincre l'animal
qui doit fournir à une partie de leurs befoins,
& que fa maffe impofante & fon agilité redoutable
fembloient mettre à l'abri des entreprifes
d'un ennemi comparativement aufîi foible que
l'homme.
Comme, malgré les additions précédentes
dont le capitaine Marchand nous a fourni les
matériaux, & que nous avons cru devoir faire à
la defeription raifonnée de la-côte nord-oueft que
nous avons tirée du troifième Voyage de Cook,
il nous refte encore de grandes parties de la même
côte que la Péroufe, Yan Couver & les derniers
navigateurs anglais ont vifitées, & dont ils nous
ont fait connoïtre les fols, les productions & les
peuplades, nous avons,cru convenable de renvoyer
ces détails précieux à notre Atlasj à l’article
Amérique; ç'eft là où nous nous propofons de
donner un enfemble général de la côte nord-oueft,
& particuliérement la concordance de toutes les
dénominations que les différens navigateurs ont
affignées aux mêmes parties de la c ô te , qui figureront,
dans nos cartes tracées à grands points.
Co n j e c t u r e fur l'origine des peuplades dijféminées
- le long de La côte, du nord-oueft de l Amérique, &
V u e s g é n é r a l e s f o u s le rapport d e la c i v i l i -
fatiàn de cette côte & des deux Amériques.
La côte occidentale de l’Amérique feptentrio-
nale, dont;)a connoiffance eft.due aux dernières
années dû fiècle dernier, mérite d’être confidérée
fousquelques points de vue généraux,en attendant
que des recherches plus multipliées & plus appro-
* fondies nous aient mis à portée de l’examiner fous
des rapports particuliers. Le rapprochement des
notions que nous avons acquifes fur la partie de
côtes renfermée entre le 5,2e. & le 57e. parallèle,- ■
& fur les îles qui en dépendent, nous a conduits à
former des conjectures fur la manière dont a pu fe
peupler cette portion de la côte occidentale de
l'Amérique, & fur l’origine des diverfes peuplades
qui fe trouvent aujourd’hui difféminées fur fa vafte
étendue, jÉ
Les peuples qui habitent la côte nord-oueft ne
fe font pas montrés dans un état de fimplicité primitive
: ils n’étoient même plus dans la première
enfance de la vie.fpciale ; car nous y avons trouvé
des maifons à deux étages, où la combinaifon de
la charpente & la force des bois fuppléoient ingé-
nieüfement à d’autres matériaux. Dans de petites
île s , chaque liabitation préfentoit un portail qui
occupoit toute l’élévation de la façade., & qui
étoit; furmonté.de ftatues de bois en pied, & de
figures fculptées d’ oifeaux, de poiffons & d’autres
animaux. Nous y avons vu des temples , des
monumens en l’honneur des morts , & , ce qui eft
également remarquable, des tableaux peints fur
bois, de neuf pieds de long & cinq de hauteur,,
fur lefqueis toutes les parties, du corps humain,
tracées féparément, fe trouvoient figurées en dif*
férentes couleurs, dont les traits,en partie effacés,
nous ont rappelé l’ancienneté de l’ouvrage & ces,
peintures emblématiques, qui tenoient lieu d’hif-
toire écrite aux peuples du Mexique. Tous les
meubles à l’ufage des naturels ont paru chargés
d’ornemens divers & de cifelure en creux* en rel
ie f , qui ne font pas dépourvu^ d’agrément &
d’une forte de perfection. On y a vu des habille-
mens recherchés, très-compofés & très-variée,
réfervés pour les,jeux, les fêtes, les cérémonies,
les combats : enfin on y a trouvé des ftjftets de Pan
à onze tuyaux, & la harpe repréfentée dans quelques
unes de leurs fculptures.
Ainfi l’architeCture, la fçulpture, la peinture,
la mufique, fe trouvent réunies & comme natura-
lifées parmi des hommes q u i, fous d'autres rapports,
fe montrent encore dans l’état de fauvages.
. Ce n'eft pas en pourfuivant les animaux des forêts
que les Américains,qui aujourd’hui paroiflent
faire leur principale occupation de la chaffe, ont
pu acquérir l’idée d’ une architecture compofée.
On peut donc conclure que le peuple livré à la
chaffe , chez lequel le goût de eps arts eft dominant
, n’a pas créé ces; arts dans la folitude des
bois; qu’il les a apportés d’ailleurs, & qu’ il ne
defcend pas d’ un peuple-qui n’auroit été que-
chaffeur. ; , > - : a ■
Si l’on examine les habi.tans de la côte nord-
oueft fous d’autres rapports, on reconnoîtra d’autres
veftiges d’une civilifation ancienne : o,n trouvera,
dans leurs langues parlées, une abondance
de mots que les peuples fauvages n’ont pas : outre
,cela on a pu admirer, dans leurs conftruCtions
navales, une perfection qui, en petit, égale celle
Géograpiue-Pkyfique, Tome IL
des nôtres, &dans le maniement dé leurs bâtimens
de. mer une très-grandeidextérité îïdans;tous les
ouvrages de leurs madns, une recherche & un fini
qui dénotent une induftrie anciennement perfectionnée
: enfin l’idée qu’ils.ont de la .propriété
nous , porte à préfumer l’exiftence d’une efpèce
de paéle focial d’ une, très-ancienne date.
;Si jamais nous parvenons à entendre les langues
parlées fur les ^inérens points de la côte, & peut-
être dans ces concerts en parties qu’ils répètent
en. famille, découvrirons-nous quelque trace de
leur origine; car la première hiftoire d’ un peuple
n’a été le plus fouvent qu’un recueil de chaofons.
S’il eft vrai, comme tout fetfible le prouver ,
que l’Afïe ait peuplé la côte occidentale ae l’Amérique
feptentrionale; fi Fon doit accorder quelque
croyance aux traditions qu’avoient les Mexicains
fur lepr propre origine, & qui avoient été
confervées avec foin,on pourroit croire que leurs
ancêtres étoient venus d’un pays éloigné, fitué au
nord-oueft de leur Empire : ils indiquoient même
les différens lieux où ces étrangers s’étoiént arrêtés
en avançant graduellementdans les provinces
de l’ intérieur; &; c’eft précifément la route qu’ ils
ont dû tenir , en fuppofànt qu’ils vînflent du nprd
de l’Afie; car il eft. dit qu’en s’avançant au midi
ils traverferent d!abord le Rio Colorado , qui a (pn
; embouchure à l’extrémité ^du golfe de la Çalifor-
; nie, & enfuite la Gila, qui eft une branche du
Colorado, & que ce dernier paflage fe fit dans un
endroit où fe voient les reftes d’ une grande conf-
truétion qu’ ils y avoient.élevée^;.
En effet, la tranfmigration a dû,commencer à
s’opérer, comme bous l’avons d it , fur les.parties
du nord de l’Amérique occidentale , & bientôt,
attirée infenfiblement par l’accroiffement fuçceftîf
de la chaleur, vers, les lieux que le foleil éçlairoit
! plus long-tems & . fécondoit par .fon influence ,
une partie des Afiatiques a pu parvenir jufqu’aux
fertiles plaines du Mexique, où la beauté du climat
& la richeiïe du foi ont d.û les déterminer à
fixer leur demeure. Mais lorfque la terreur qui
marchoit devant Cortès, chaffa les Mexicains du
centre de l’Empire vers les points de la circonférence
oppofés au cours des brigands dévaftateurs,
alors une partie des Américains dut fe porter vers
le nord-oueft plutôt que vers le fud-eft, où les
terres, très-réfièrrées entre les deux Océans, & occupées
par dès montagnes inacceflibles, offi oient
très-pçu> d’efpace pour la .fuite, & peu de refi-
fources pour les befoins.de la vie. Parvenus aux,
côtes que baigne la mer de l’oueft, ils fe font
diftribués fur cètte lifière immenfe, où FOcéan,
d’une part j & de l’autre les forêts, offroient un
double moyen de fubfiftance,.heureux de retrouver
, dans les antiques forêts de leurs pères, un
afile contre la tyrannie & l’efclavage.
Il ne feroit donc pas hors de vraifemblance aue
la côte du nord-oueft comptât trois efpèces d’ ha-
bitans ; en première date, les Afiatique$;du nord,
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