
la nature, foutenant des myftères pour un myf-
tère, & des miracles quon ne comprend pas, pour
des miracles plus incompréhenfibles encore.
Toutes les inégalités que nous obfervons à la
furface de notre globe ne peuvent nous faire re-
connoître que l’effet des eaux courantes dans l’ap-
profondiflement de nos vallées, & tout ce que
l’intérieur de la terre nous découvre à la fuite du \
travail de ces eaux, nous annonce les dépôts des 1
eaux de la mer, qui ont féjourné fur ces maflifs
pendant une longue fuite de fîècles.
Ainfî, loin que le déluge ait pu opérer lui feul,
dans l’intérieur & à l’extérieur de nos continens,
tant d’événemens différens, il en a au contraire
produit bien moins qu’on ne lui en attribue ; & ce
doit être à jamais le fujet d’un étonnement profond
, de voir que ce déluge univerfel, comme on
le dit, cet événement fi mémorable, ait été tranf-
mis chez les hommes li confufément, qu’ils ont
été autorifés à en méconnoitre les effets, les vef-
tiges & les vraies preuves qui ont difparu, & qu’eo-
fuite nous trouvions aujourd’hui des veftiges &
des preuves du long féjour des mers, autres faits
certains qui n’ont aucune tradition ni même aucune
époque fixe.
La reffource qu’ont trouvée quelques-uns de
ceux à qui l’obfervation a fait reconnoître que les
coquilles marines ne pouvoient point avoir été
apportées de la mer fur les terres par les mouver
mens des eaux du déluge, mais que nous habitons
réellement un ancien lit de mer, a été de prétendre
que c’eft au tems de ce grand événement que
les anciens continens ayant été fubmergés , les
baffins des anciennes mers ont apparu hors des
eaux, & ont préfenté les Nouvelles contrées fur
lefquelles toutes les nations fe font multipliées &
ont habité depuis, & qu’ainfi l’on ne peut être
étonné d’y trouver tant de dépouilles des animaux
marins, tandis que l’on n’y rencontre aucun débris
des travaux & des habitations des hommes ;
ce qui devroit, félon eux , arriver fréquemment
fi les hommes étoient établis fur les mêmes continens
qu’ils occupoient avant le déluge. A bien
prendre le fentiment de ces phyficiens , il n’y a
fur la terre habitée aucun veftige pofitif du déluge,
puifqu’ils prétendent qu’il n’a pas eu lieu fur nos
continens. Cette réponfe, la meilleure qu’on ait
donnée, paroît fatisfaifante, & femblerépondre à
tous les phénomènes, néanmoins elle ne peut fou-
tenir un examen réfléchi, & fes fondemens ne font
pas plus folides que ceux des autres opinions.
C’eft déjà une brèche fort grande à cette opinion
, d’être forcé de convenir que les régions du
Tigre & de l’Euphrate n’ont point été eomprifes
dans cette loi générale, & qu’elLs ont été exceptées
de la fubmerfion totale des anciens continens.
Le nom de ces fleuves & des contrées cir-
çonvoifines, leur, fertilité incroyable , la férénité
du ciel | la tradition de tous les peuples & en particulier
de la Bible, tout les a mis dans la néceffïté
de foufcrirê à cette vérité, 8c de dire : Voici
encore le berceau du genre humain. ( Spectacle de la
Nature, tome V Ü I , pag. 93.)
Examinons comment cette exception a pu arriver
, & ce qui a dû s’enfuivre fi le cours du Tigre
& de l’Euphrate, & fi les pays qu’ ils arrofent ont
été confervés. On ne peut nier que cela ne foit
arrivé , parce qu’ il n’y a point eu alors d’ affaifle-
ment dans les fommets d’où ils defcendent, d’élévation
dans le lit des mers où ils fe déchargent,
ni aucun changement dans les chaînes orientales
& occidentales des montagnes qui en dirigent le
î cours, & qui y condùifent tous les ruiffeaux & les
i rivières dont la réunion forme peu à peu ces grands
1 fleuves. Toute cette étendue de terres &-de mers,
| bornée par la mer Cafpienne , Ja Mer-Noire, la
mer Méditerranée, le Golfe Perfïque , & c . , n’a
! dû recevoir aucune altération dans fon niveau ni
; dans fes pentes. De plus, fi tous les fommets de
l’Arménie, de la Perfe, de l’Afie mineure , de la
Syrie & de l’Arabie ne fe font point affaiffés, il
faut reconnoître encore que ce qui eft arrivé fur
les revers qui regardent le baflin de l’Euphrate 8c
du T ig r e , eft arrivé aufli fur les revers oppofés
de ces mêmes montagnes, par conféquent toutes
les régions limitrophes de l’Arménie, de la Méfor
potamie & de la Chaldée ont été de même néceffai-
rement épargnées en faveur de leur grande proxir
mité du berceau du genre humain j elles font partie
de cet illuftre échantillon des anciens continens *
& ce doit être une contrée fans doute affez étendue
pour y pouvoir examiner en (grand & en détail
en quoi il diffère des nouveaux continens.
Mais c’ eft dommage, pour la validité de l’ opinion
récente, qu’à la-première vue il n’y ait aucune
différence. L’ancien 8c le nouveau fol font arrangés
, conftruits & formés de même. Les fleuves y
font deflinés, irrégulièrement finueux , comme
partout ailleurs. On y trouve, dans les lits des
fleuves, les mêmes altérations, les mêmes dégradations
: les parties ftériles & les parties fertiles y
font difpofées fuivant l’ordre confiant que la nature
a généralement fuivi dans tous les pays du
monde ; les montagnes y font groupées, mutilées
& tronquées de même, Bc leur intérieur eft com-
pol'é banc par banc , & fuivant le témoignage de
l ’Écriture, comme fuivant le récit des voyageurs
modernes, il eft aufli rempli de métaux, de minéraux
& enfin de foflîles marins de toutes les efpè-
ces, aufli bien que toutes les autres contrées de la
terre.
La Babylonie, cette ancienne Sennaar, étoit
renommée du tems de Pline, pour les boucardites.
La Perfe qui l’avoifme, abonde, félon lu i, en fof-
fîles, & le même auteur parle des dents d’hippopotames
que l’on y trouve. Les montagnes d’Arménie,
le Caucafe, les fommets où l'Euphrate & le Tigre
prennent leurs fources, & qui s’étendent jufcju'aux
rivages du Pont-Euxin 8c de la mer Cafpienne ,
offrent des bivalves d’efpèces différentes, des tutquoifés,
8c furtotit l’aftroïte,confidérée comme un
bijou faint 8c facré par les Anciens. La Phénicie
n’eft pas moins riche en coquillages, ainfî que
l’Arabie, les environs du. mont Sinai, le Liban,
le mont Carmel, Suez, &c. Tous ces lieux font
célèbres par les monumens naturels qu’ils ont con-
fèrvés de leur ancien féjour fous les mers.
Si donc l’intérieur & l’extérieur des anciens
continens étoient conftitués comme ceux du nouveau,
les auteurs de la nouvelle opinion n’en font
pas plus avancés, & ils ont fait un raifonnement
faux ou au moins inutile pour ramener tous ces
fofliles embarràffans à l ’époque du déluge, puifqu’il
eft de la dernière évidence qu'il y en avoit auparavant,
dans les anciens continens & dans le berceau
du genre humain , ou bien il faudroit reconnoître
que le déluge eft plus ancien que l'époque que l’ on
nous en donne, car le monument ne peut exifter
avant le fait : i) feroit abfurde de le fuppofer.
Admettons cependant pour un inftant cet échange
du lit des terres 8c des mers dans l’époque donnée
du déluge : cette tranfmutation fe feroit-elle
opérée par toute la furface du globe avec une fi
grande exa&itude, qu’il ne foit reftéen aucun endroit
des nouveaux continens, nul veftige des anciens?
Tous les golfes, ports, havres, anfes &
baies ont-ils donc été changés en pareil nombre
de caps, de promontoires & de prefqu’ îles ? Nos
mers intérieures, nos golfes, ont-ils été autrefois
des îles? Et au confraite, nos îles grandes &
petites étoient elles des lacs & des mers intérieures,
& des bafîinsavant cette grande époque, avant
ce fingûlier échange, puifqu’il n’y a fi pçtit coin
de la terre qui n’ait fes fofïiles 81 les autres empreintes
du féjour de la mer ? Je raifonne ici d’ après
les auteurs de cette opinion ; car s’ils euffent
connu la diftin&ion de Y ancienne terre que nous
avons admife , ils n'auroient pas fans doute manqué
de s’y attacher; mais ils n’auroient pas établi
leur échange fur les mêmes bafes qu’ils ont fuppo-
fées. Je continue au refte à fuivre leurs raifonné-
mens : ainfî dans le milieu de l’Océan ces petites
portions de terre, qui fe trouvent prefque noyées
encore & féparées de nos continens par de fi grands
efpaces, les Antilles, la Trinité', l ’Afcenfion , l’île
de la Réunion, & toutes les îles de l’Orient, ont
foutes leurs foffiles marins ; elles étoient donc de
petites mers, de petits lacs dont le lit s’eft relevé ,
tandis que l’immenfe Océan qui les inveftit aujourd’hui,
étoit une grande terre que là tourmente a enfoncée.
( SpeSt. de la Nature , tom. VIII, pag. 89*)
Tout ceci eft fort difficile à digérer. Ne ferpit-
il pas plus aifé & plus naturel de regarder ces îles
comme des reftes d’ anciens continens , 8c non
comme de nouveaux terrains auxquels le déluge au-
roitpu donner une exiftence récente? Lorfque, par
exemple, après l’élévation des continens d’Europe
& d’Afrique, qui étoient des fonds de mer, les terres
qui les unifloient, ont été précipitées fous les
eaux de la Méditerranée , ne pourroit-on pas fuppofer
que les îles de Corfe 8c de Sardaigne, & les
autres, difperféesau milieu de cette mer, étoient
les fommets des malheureufes contrées perdues,
&dont la,grande hauteur auroit fait le falut? La nature
8c les obfervations auroient certainement fa-
vorifé cette fuppofition, mais il faudroit admettre
des fofliles dans ces anciennes terres, & c’eft ce
que la nouvelle opinion veut & doit éviter.
Elle fe croit peut-être encore forte de cetter
autre difficulté qu’elle oppofe. Si cet échange des
mers & des terres n’a pas eu lieu au tems du déluge
, & fi nous fommes encore fur les mêmes terrains
que les hommes occupoient avant nous, nous^
devrions , difent-ils, trouver les débris de leurs *
habitations & de leurs villes, 8c mille traces de
leurs établiflemens 8c de leurs ruines, ce que l’on
n’a trouvé nulle part; Ceci paroît d’ abord en effet
digne de notre attention, mais ne prouve point
l’échange des terres avec les mers fous cette époque,
car l’homme n’étoit pas le feul être qui réfî-
dât fur la terre avant le déluge: il y avoit des animaux,
des arbres, des plantes, &c. Or, nous
trouvons en abondance des dépouilles de tous les
animaux & des amas confidérables de tous les végétaux.
Si l’on n’y trouve point de villes, c’eft encore
une preuve qu’il n’y en avoit point ou très-
peu. Si l’on n’a trouvé aucun ouvrage des hommes,
c’eft qu’en général ils avoient peu d’induftrie ,
qu’ils vivoient fans luxe 8c fans villes femblabies
aux nôtres, comme vivent encore de tems immémorial
les peuples de l’Amérique & de la moitié
de l’Afie.
Au moins, ajoutent-ils, devroit-on trouver des
cadavres humains. Cette difficulté ne devroit pas
être préfentée par des favans qui prétendent que
le déluge a fait périr tous les hommes , puifqu’elle
femble devoir prouver qu’il n’en eft pas péri un fi
grand nombre qu’on le penfe, & que dans chaque
pays ils fe font fauvés fur les éminencesSc les
montagnes, ainfî que le font préfumer les circonf-
tances de détail confervées dans chaque contrée ,
fur cet événement. Mais, fans voulôir détruire ici
cette opinion, il femble qu’on peut répondre cjue
les hommes ayant pu gagner les hauteurs, ou s’ être
embarqués en grand nombre fur des bateaux, des
radeaux ou des trains de bois ,les eaux du déluge,
qu’on fuppofe des eaux courantes , auront pu les
entraîner jufqu’au milieu de nos mers, où ils auront
tous péri; au lieu que beaucoup d’animaux, dont
rinftinéjt eft moins éclairé 8c moins indultrieux
que celui de l’homme, n’ayant pris aucune précaution
, auront été acculés peu à peu dans les
gorges 8c les culs-de-facs de nos vallées, où ils auront
été noyés : c’eft là que l’on trouve quelquefois
autant d’os que dans nos voieries , & de toutes
tailles & de toute efpèce.
Au refte, ce n’eft pas une chofe bien décidée,
que l’on ne trouve aucun offement d’hommes : il
y en a au Pérou , il y en a dans les Pyrénées. Plu-'
t fleurs obfervateurs croient en avoir vu encore ail-
O o o o 2.