
des montagnes j ils s'y rendent à préfent par eau , t
& quelquefois en fuivant la côte. Cette route eft j
fort pénible & même dangereule , mais non autant j
que celle de ces hautes cimes , où Ton voit des J
fdaines élevées où nombre de perfonnes'ont perdu
a vie. Si d’autres ont échappé à la mort, elles en
font revenues eftropiées ou même mutilées. Il y
règne un air qui , fans affréter fortement, y eft fi
énétrant, qu'il tue fans qu'on ait rien fenti ; ou
ien les voyageurs voient avec étonnement les
doigts des pieds & des mains fe détacher. Comme
fi on les avoit coupés, & fans la moindre douleur.
Un général & un prélat dominicain m'ont confirmé
tous ces faits, dont ils avoient été témoins.
Ils étoient convaincus que l'air étoit fi pénétrant
dans ces contrées, qu'il détruifoit toute chaleur
dans le corps, & fupprimoit l’aétion qu'elle pou-
voit avoir pour entretenir la v ie ; mais ils ont
éprouvé que cet air étoit en même tems fi fec,
qu'il s'oppofoit à la pourriture des corps, parce
que cette pourriture e f t , comme on fait, la fuite
de la chaleur & de l'humidité combinées.
Zarate nous décrit les difficultés quedom Diegue
d’Almagro eut à vaincre pour fe rendre au Chili
par cette chaîne de montagnes, & ces détails font
encore plus effrayans que ceux que nous avons ex-
pofés ci-deffus; le grand froid fut furtout ce qui
caufa le plus grand défaftre à fon armée. Le capitaine
Ruydias, qui accompagnoit dom Diegue,
vit plufieurs de fes foldats tués par le froid &
yefter roides morts fur la route. Les chevaux n'y
furent pas moins maltraités. Dom Diegue, retournant
à Cufco cinq mois après, trouva en plufieurs
endroits les cadavres de fes foldats gelés avec
leurs chevaux, fur lefquels ils étoient encore , &
appuyés contre les rochers près defquels ifs s’é-
toient retirésfCe froid exceflîf les avoir préfervés
de la moindre putréfaction, & l'on en trouva les
chairs auffi fraîches que s’ils venoient de mourir.
Le rapport de Bouguer vient à l ’appui de ce
que dom Ulioa & d’Acofta nous ont appris fur
tous ces phénomènes, quoique l’académicien français
diffère beaucoup dans la manière dont il détermine
les caufes de ces étranges accidens ; mais
Bouguer n’a fait fes obfervations que fur le Pi-
chinca, dans le royaumç de Quito , & n'a point
vifité les contrées que cite d'Acofta ; par conféquent
il n’ a pu être, témoin des accidens fuheftes dont
c,elui-ci & dom Ulioa nous font le récit.
L’extrême raréfa&ion de Y air devint très - pénible
à Bouguer & à fes compagnons : ceux qui
àvoient la poitrine délicate fentirent encore plus
la différence de l’ air, & faignèrent fouvent du
nez. Bouguer attribue avec raifon ces accidens a
la plus grande légèreté dè l’air, qui ne pefoit plus
affez poiir maintenir Je fang dans les vaiffeaux.
Quant à lu i, il ne remarqua point que cette in-
çommodité-lui devînt plus pénible .en montant
encore plus haut : peut-être, dit-il, eft-ce parce
que je m'étois déjà accoutumé à ce pays, ou parce ,
que le froid empêchoit que la raréfa&ion de Pair
ne fût auffi confidérable qu'elle àuroit dû l'être
fans cela. Plufieurs tombèrent en foibleffe eh
montant, & vomirent fouvent; mais ces accidens
lui parurent p'utôt les effets de la fatigue que de
la difficulté de refpirer : ceci lui fembla démontré
, en ce que l’on n’étoit pas expofé à ces incommodités
fi l’on montoit à cheval, ou lorfqu’on
étoit ai rivé à une cime où l’air étoit plus raréfié.
Il ne nie cependant pas que la grande raréfaction
de Pair n’ ait contribué à cette fatigue pénible St
à l’abattement qu’ on éprouvoit, puifque la refpi-
ration, qui devenoit très-difficile pour peu qu’on
s'agitât, ne l'étoit pjus fi l’ on reftoit en repos.
Après ces détails concernant ce qui arriva aux
académiciens fur la montagne de Quito, Bouguer
nous apprend ce qu'ils éprouvèrent fur' le Pichinca.
Le froid y étoit fi for t, que plufieurs eurent des
fymptômes fcorbutiques. Les Indiens & plufieurs
perfonnes du pays qu’ils avoient prifes à
leur fervice, fentirent de violentes douleurs internes,
vomirent du fang & furent contraints de
defcendre : cette incommodité fe raanifeftpit lorfqu’on
s'arrêtoit pour quelque tems fur la cime des
rochers ; mais, félon Bouguer, elle n'etoit due
qu'au froid extrême auquel ils n'étoient pas accoutumés
: la raréfaCtion de Pair ne lui parut pas
en être la caufe.
f Bouguer nous parle auffi du paffage de Guana-
i cas, par lequel on traverfe les Cordillières de f eft,
8c par où il lui fallut revenir au fleuve de la Magdeleine
: c'eft une route qûe l'on ne fait qu’avec
crainte & danger, furtout lorfqu'on vient du
dehors. Les mulets y font encore plus expofés*que
les hommes; car, outre le froid exceflîf qu'ils
doivent éprouver comme eux, ils ont outre cela
la fatigue de plus., & ils y perdent fouvent toutes
leurs forces. La route-, qui a deux lieues de longueur,
eft fi remplie d'offemens de mulets qui y
font morts, qu'on peut à peine pofer le pied fans
en rencontrer; mais Bouguer fe reffentit peu de
la fatigue de ce paffage , parce qu'il prit par le
milieu des Cordillières. Il eft, outre cela, bien
différent de traverfer des pays bas & d’un climat
modéré, & de s’élever fur ces hautes cimes où le
froid eft exceflîf & Y air extrêmement raréfié, ou
de quitter ces monts & de defcendre de ces climats
rigoureux dans les pays bas, où l'on rencontre
une température de plus en plus modérée,
comme le remarque d’Acofta.
Quant à la caufe des anxiétés & des vomiffe-
mens auxquels font expofés les voyageurs au Pérou,
nous croyons qu'on doit l’attribuer en même
tems au froid & à la grande raréfaction de Pair,
fuivant l’opinion de d'Acofta. Bouguer au contraire
ne l’attribue qu'à la fatigue : la preuve qu’ il en
donne eft prefqu'oppofée aux faits que cited' Acofta,
dont les compagnons de voyage, ou périrent, ou
furent fi incommodés ; car ces accidens ne peuvent
affurément pas être attribués à la fatigue.
Dkifléurs,
D’ailleurs, il paroît, par ce que nous apprend Ul-
lo a , que Bouguer ne s’eft pas trouvé fur les lieux
où il auroit pu obferver ces accidens au degré de
violence dont ils (ont fufceptibles dans certains
paffages, Oc il eft à croire qu’ il auroit changé
d’opinion.
Des fymptômes qui fe manifeftent, furtout lorfqu’on
s'élève des pays bas fur les cimes hautes,
& qui difparoiffent lorfqu’on defcend des cimes
hautes aux pays bas, ne femblent-ils pas dus à
l'aétion d'un air raréfié & froid ? Car la moindre
aCtion que fait cet air fur les fibres & les mufcles
d’un corps organifé qui s’ y trouve plongé, peut
bien occafionner de la foic>leffe dans fes mouve-
mens, & donner lieu de préfumer à ceux qui s’élèvent
fur ces cimes, qu’ils ont une refpiration
gênée.
J’ajouterai,encore ic i, pour jeter quelque.jour
fur ces phénomènes, les obfervations qui ont été
faites fur les plus hautes montagnes de l'Europe ,
concernant les qualités de l’air, 8c les effets qu’il
a produits fur le corps humain. Ulioa, qui les
compare avec ceux qu’on éprouve dans les Cordillières
d’Amérique, né trouve qu'un rapport
très- éloigné, relativement aux accidens qui en
réfultent. -
Effectivement, quant aux effets que produit l’air
froid raréfié fur le corps des voyageurs, lorfqu’ils
font parvenus au plus haut degré d’élévation où
ils peuvent arriver fur les monts glacés de l’Europe,
on les trouve infiniment moindres que ceux
dont nous parlent Ulioa & Bouguer. Dans le dernier
Voyage que M. Deluc fit au mont Sixte, il
remarqua que la peau fe ridoit & devenoit fort
pâle, de forte qu’elle reffembloit affez à une veflie
ridée : on n'éprouvoit cependant là d’autre incommodité
que celle du froid & du vent ; la poitrine
& tout le refte du corps faifoient librement
leurs fondions. En effet, aucune gêne, aucune
fenfation défagréable,ne firent fentiràces voyageurs
que l’ air qu’ils refpiroient, étoit prefque
d'un quart moins pefant que dans la plaine, 8c
qu'il exerçoit fur leur corps une preflion à peu
près moindre de cent quintaux. M. Deluc cite à
cette occafion l’exemple des gens qui chaffent aux
chamois, & celui des femmes du village voifin du
mont Sixte, qui tous les jours vont des vallées
profondes.au plus haut point des cimes fans en
reffentir la moindre incommodité.
Enfin je dirai que M. de Sauffure nie formellement
qu’on fente fur les Alpes la moindre gêne 1
dans la refpiration ; mais il convient qu’on ;y:
éprouve un abattement extraordinaire 3 une envie
de dormir, & que la peau y pèle.
Voilà donc à peu près à quoi fe réduifent les
obfervations que l’on a .faites concernant les fen-:
fations dont ori eft affedé fur lesjplus hautes montagnes
dé l’Europe. Il eft aifé de. voit qu’elles ne
nous préfentent qu’une trës-foible partie de ce
qui arrive fur les Cordillières de l’Amérique ; mais
Géographie-Phyjique. Tome IL
ces montagnes font d'un quart plus hautes que les
fommets les plus élevés de l ’Europe. g
Air couvert. C'eft furtout dans le Pérou &
dans le plarpays, que l'on trouve cette difpofî-
tion de l’air. La foibleffe des vents du fud , 8c
quelquefois leur ceffation totale pendant plufieurs
jours , donne liéu à la formation du nuage qui
couvre le foleil dans cette partie baffe. Comme
il n’y a point de vent qui en agite l'air, les vapeurs
humides qui s’élèvent de la terre s’y arrêtent.
Ce nuage n’eft jamais auflî élevé que la partie
haute de la terre, & fe tient à une hauteur moyenne
déterminée. Les vents du fud3 qui font continuels
dans les mers qui bordent la côte -du Pérou ( on
les appelle ainfi quoiqu’ils foient fud-ouefi'), perdent
leur force dans~k région baffe de l ’atmof-
phère, & la confervent dans celle qui eft plus
élevée. Comme ils parcourent un efpace fupérieur
aux nuages, ils fe trouvent au niveau de la partie
haute, 8c la traverfent fans aucun obftacle. De
cette manière-ils empêchent non-feulement qu’ il
s’y forme des nuages, mais même i's les diflîpent,
parce qu'ils y font conftans.
Revenons maintenant aux nuages qui régnent
fur la partie baffe du Pérou. Comme ils fe trouvent
interpofés entre les rayons du foleil 8c la
furface d’une terre baffe, on doit les confidérer
comme un rideau naturel qui s’oppofe à l'effet de
fes rayons, 8c ne leur permet pas de paffer outre :
d’où il arrive que la contrée fur laquelle ils dévoient
tomber, & qu’ils auroient neceffairement
échauffée à un certain degré, n'éprouve que des
chaleurs d'autant plus modérées, que ce nuage
refte plus long-tems interpofé.
C'eft à la fuite de ce brouillard épais, dont la
terre eft couverte aux environs de Lima, & qui
intercepte les rayons du foleil, que l’on éprouve
une certaine température fort douce dans cette
contrée ; c a r , comme nous l'avons v u , les vents
foufflent fous ces brouillards, & entretiennent le
froid qu'ils apportent des contrées d’où ils foufflent.
Ces brouillards paroiffent auflî épais dans
les vallées du plat pays qui font au nord de Lima :
ils ne font pas même bornés à la côte. On les voit
auflî couvrir une partie de la mer du fud. >.
C ’eft régulièrement pendant toute la matinée
• qu’ ils couvrent la terre, & ils font fi épais qu’ils
: obfcurciffent tous les objets. Vers dix à onze
heures avant midi ils s'élèvent, fe partagent,
mais non entièrement. Les nuages ne dérobent
; plus la vue des objets de la région inférieure ; ce-
i pendant ils cachent toujours le foleil pendant le
; jou r, & même les étoiles pendant la nuit.
. On voit que le ciel eft continuellement caché
dans cette faifon. La feule différence qu'on y re-
- marque, eft que le brouillard èft tantôt plus &
1 tantôt moins près de là terre. De tems à autre ces
vapeurs fe divifent, laiffent appercevoir le difque
du ffoleil ; mais fes rayons ne font fentir aucune
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