
à doute milles de la mer, diftance que Pline hous
a indiquée dès le premier fiècle de l’ère chrétienne.
Cependant je'dois dire que* dans 1*intérieur
des terres , il s’ett fait, même depuis les
Romains, plufieurs atterrijfemens conlidérables &
particuliers dans le golfe que formoic l’embou- :
chute de la rivière de Narbone. Je montrerai dans ;
dés articles particuliers cés'détails, qui rentrent !
parfaitement dans la théorie que j’ai expofée aU
Commencement de cet article.
Il n’en eft pas de même de l’ autre partie de ces
côtes, où tout indique qu’il s’ eft fait de grands
atterrijfemens, 8c que 4a mer s’eft beaucoup retirée.
Comme cette queftion eft importante, &
qu’elle n’eft pas fans difficulté -, il eft néceflaire
d’examiner en détail les différentes preuves que
l’autorité dès anciens géographes ou l’infpeftion
des lieux peut fournir.
i° . Strabon ( i ) , dans la dèfcription qu’ il fait
du golfe de Lyon, qu'il appelle Sinus gallicus ,
remarque d’abord que ce golfe s’étend depuis un
promontoire Confidérable qui eft au couchant, 8c
a cent ftades Ou quatre lieues de Marfeille, appelé'aujourd’hui
le cap Couronne } jufqu’au promontoire
Apkrodificn dans les Pyrénées, connu
aujourd’hui fous le nom dé cap de Creux ; enfuite
il ajoute que ce golfe eft partagé en deux autres
golfes plus petits par la montagne dé Cette (Mons
Sigius) & par l’ île de Brefcou (Infula Blàfco) ,
qui eft auprès de cette montagne; que le plus
grand de ces deux golfes eft celui où le Rhône fe
jettey 8c que l’ autre, qui eft du côte des Pyrénées,
eft le plus petit.
Cela feul devrôit décider la queftion, car c’eft
aujourd’hui tout le contraire : le golfe du côté
des Pyrénées, qui s’étend depuis Brefcou jufqu’au
cap de C reu x , &c qui étoit autrefois le plus pet
i t , eft aujourd’hui le plus grand & le plus enfoncé;
& le golfe compris entre Brefcou & le cap
Couronne, qui étoit autrefois le plus grand, eft
le plus petit 6c le moins enfoncé, fuppofé même
qu’il mérite encore le nom de golfe ; car il eft
certain que cette étendue de côte eft aujourd’ hui
prefqu’en ligne droite.
Pline, en décrivant la côte de la province nar-
bonoife, qui eft aujourd’hui comprife dans le
Languedoc (2 ) , remarque qu’ il y avoiVpeu de
villes, â caufe des étangs qui s’y trouvoient. A
préfent ces étangs n’empêchent pas qu’il n’y ait
•dans ce pays-là plufieurs villes 8c plufieurs bourgs,
confidérablès : il falloit donc que ces étangs fuf-
Tent autrefois plus étendus qu’ils ne font aujour-
• d’hui.
1 C ’ eft ce qu’on peur inférer, ce femble, de la
route que les Romains tenoient de Nîmes à Béziers
: cette route étoit une grande demi-lieue
(î) Geograph. lib. 4 -
(a)- Hijloria naturàlis, lib. 3, cap; 4*
plus haut que le chemin qu’on fuit aujourd’hui,
8c cependant, au lieu d’aller aboutir à Pézenas,
comme le chemin moderne, elle alloit à Cejfero
ou Saint-Tiberi, qui eft une grande demi-lieus
plus bas que Pézenas. Par-là, pour aller de Nîmes
à Ceffero, au lieu de marcher fur une ligne droite,
on faifoic un contour ou un arc de cercle, qui
alongeoit le chemin d’une greffe lieue. 11 y » apparence
qu’on nes’étoit déterminé à fuivre cette
route que parce que les étangs occupoient alors
la pins grande partie du chemin qu’on tient aujourd’hui,
ou que du moins la plupart des endroits
par où ce chemin pafle aujourd’hui étoient
alors fi marécageux, qu’ ils n’étoient point praticables.
• • •
Les anciens auteurs ont parlé avec éloge des
bains de Dax & de Bagnières, fous le nom d’Aqua
Auguft& fixe Tarbellics., 8c d*Aqu& Ouefii , quoique
i ces bains fuffent à l’extrémité des Pyrénées, 8c
fort éloignés de la province romaine. Quelle apparence
qu’ils euffent négligé ceux de Balaruc,
auflï efficaces qu’aucun des autres, 8c plus avarn-
tageufement fitués pour eux s’ils ies avoient connus
1 8c auroient-ils manqué de les connohre fi
ces bains avoient été de leur tems tels qu ils font
aujourd’hui? H falloit donc que ces bains fulfenc
alors couveits de l’étang de Taur, au bord duquel
ils font placés ; 8c fi cela eft, il faut en conclure
que cet étang étoit alors plus grand 8c plus étendu
qu’il n’eft préfentement. Mais l’infpeétion des
lieux fournit des preuves qui font démonftradves.
Il eft vifible que les étangs qui s’étendent le long
de la côte du Bas-Languedoc, depuis Aigues-Mortes
jufqu’à Agde, ont fait partie autrefois de la
mer même, dont ils n’ont été féparés que par un
long banc de fable qui s’eft formé entre-deux ,
connu fous le nom de la Plage : leur fituation ,
leur niveau avec la mer, la falure de leurs eaux,
ne permettent pas de douter de ce fait. On doit
porter le même jugement des étangs d’Efcaman-
dre 8c d’Efcoute , des grands marais qui font auprès
, le long de la Robine>& du Viftre ; des étangs
qui font autour d’Aigues-Mortes, qu’on nomme
les étangs de Saint- Laurent, de Refpoujfet, de lu
faille | -du Roi, 6’c. ' | ^
L’état des lieux montre encore que la mer s’é-
tendoit autrefois au-delà de l’efpace que ces étangs
occupent aujourd’hui ; qu’elle alloit du côté de
Frontignan jufqu’au pied des montagnes, qui forment
une chaîne continue depuis ce lieu jufqu’ à
Mirevaux , & qu’on appelle le Pied fegnié ou la
montagne de Saint-Félix y qu’elle avançoit de la
jufqii'au pont Juvenal, près de Montpellier;
• qu’elle'couvroit enfuite toute la plaine de Mau-
guio , Candillargues, Laufargues, Maffillargues,
le Gaila , Franquevaux , jufqu’à Saint-Gilles, 8c
que les deux lits mêmes du Rhône fe trouvoient
alors moins longs qu’ ils ne fon t, de près de trois
lieües. Si l’on prend la peine de décrire fur une
I carte de Languedoc une ligne courbe, qui renferme
le pays qu’ on vient de marquer, on aura
par ce moyen la véritable étendue de cet ancien
golfe dont Strabon fait mention , & qu’on ne
fauroit plus reconnoître dans l’état où le trouve
aujourd'hui cette côte. A ces preuves que la çon-
noifiànce des lieux fournit,.on peut ajouter des.
faits hilforiques qui les fortifient. Notre-Dame-
des-Ports (Sanâla Maria de Porta) étoit un port
fur l’étang de Mauguio en 898 , quand Arnufte,
archevêque de Narbone, y tint le concile de fa
province : aujourd’hui elle en eft éloignée de plus
d’une dëmi-lieue.
Pfalmodi étoit une île en 8 15 , comme il paroît
par une chartre de Louis-le-Débonnaire, que les
Bénédictins ont rapportée darjs YHifioire du Languedoc,
& cette île , félon ces Pères ( r ) , étoit
bornée par la Méditerranée du côté du midi,
quand ce. monaftère fut fondé ; mais aujourd’hui
Pfalmodi tient à la terre ferme, <& eft à deux
lieues dë la mer. Il paroît. par une autre chartre
(2 ) , rapportée par le Père Mabillon, que la
ville d’Aymargues, en latin Armafanics, , étoit au
bord de la mer, in littorariâ3 au commencement
du neuvième fiècle, & elle en eft maintenant à
trois lieues. Sous l’empire de Charlemagne il n’y
avoit qu’une tour (3) à l’endroit où eft aujourd’hui
Aigues-Mortes : il s’y forma dans la fuite un
village?avec un port ; ce qui détermina faintLouis
à le fermer de murailles. C ’eft là où ce prince
s’embarqua en 1248 & en 1269, & c’étoic alors
le meilleur port qu’il y eût fur la Méditerranée :
aujourd’hui Aigues-Mortes eft éloigné de la mer
de près d’une lieue. Ainft, à juger par les atter-
rijfemens qui fe font faits fur ces côtes depuis neuf
cents ans, de ceux qui ont dû s’y faire de même
dans des tems plus reculés, on ne fauroit douter
qu’ ils n’ aient dû s’accroître de toute l’étendue
que nous avons marquée.
Il femble que l ’accroiffement fucceflif.de ces
cotes foit marqué à l’oeil par l’ordre des tours
bâties le long.du Rhône. Strabon nous apprend
que les Marfeillois, devenus maîtres de l’embouchure
de cette rivière pàr la conceflîon de .Mari
us, y conftruifirent des tours pour fervir de
fignaux , &: pour en faciliter l’entrée & la fortie.
Si le Rhône avoit toujours eu la même embouchure
, on n’auroit eu befoin d’ y conftruire qu’une
•feule tour, ou du moins n’aurnit-il fallu y en conL
truire que deux, une de chaque côté de cette embouchure.
Cependant on en compte aujourd’hui
quatre ou cinq de chaque c ô té , rangées de dilatance
en diftance le long du fleuve : du côté gauche
, la tour de Mauleget, la tour de Saint-Ar-
e ie r , la tour de Parade , la tour de Belvare ; & du
côté droit, la tour deMondoni, la tour de Vaflale 3
la tour du Grau, la tour du Timpan, bâtie en
( 1 ) Hijloire du Languedoc:
(2) Annal.-com. II, ad ann. 8i3. i
(3) La tour de Matafère. Hijloire -du Languedoc, com; I.
1614, 8c la tour de Saint-Geniei;., bâtie en 16y6.
C ’eft donc une preuve que le lit du Rhône s eft
prolongé par des atterrijfemens fucceffifs ; que les
anciennes tours fe font trouvées par-là trop éloi-,
gnées de l’embouchure pour pouvoir fervir à 1 u-
fage pour lequel on les avoit bâties, & qu’on a
été obligé d’en conftruire de nouvelles de tems
en tems, & de diftance en diftance.
On peut, fur toutes les preuves qu’on vient de
rapporter, regarder ie fait des atterrijfemens arrivés
fur la côte du Languedoc, depuis la mon-,
tagne de Cette jufqu’au Rhône, comme un fait
certain. Par ce que nous avons déjà dit des atter-
rijfemçns du Rhône, la caufe qui a pu produire
ceux-ci n’eft pas difficile à trouver : c’eft le Rliône
même, qui entre dans la Méditerranée au milieu
de ces atterrijfemens, qui les a produits. ,Çe fleuve
porte dans la mer les eaux de près du tiers du
royaume ; il doit donc y porter aufli, comme
nous l ’avons d it , beaucoup de limon, de fables 8c
de terre que fes eaux enlèvent, :en détruifant, pat
la rapidité de leur cours , les lieux-par pù elles
paflènt, furtout quand elles débordent. Ce limon
8c ces fables, rejetés par ies vagues de la mer 8c
par les vents du midi, s’attachent peu à peu fur
les côtes , 8c y produifent ces accroiff-meos qui
les ont déjà fi fort étendues, 8c qui continuent
de les étendre de jour en jour : c’eft de tout tems
que le Rhône a produit de pareils atterrijfemens à
fon embouchure. Nous favons d’ailleurs que les
fables qui s’étoient accumulés à l’entrée des Bouches
du-Rhône, & qui en rendoient l’abord difficile
aux vaifleaux, déterminèrent Marins à faire
creufe.r un canal, dans lequel il détourna une
bonne partie de l’eau du fleuve pour fervir à transporter
des vivres;au camp où il s’étoit retranché,
fur le bord oriental de ce fleuve. Ce canal eft com*
blé depuis long-tems.
Ce n’ eft pas des atterrijfemens que le Rhône
forme en Languedoc qu’on doit être furpris,
mais de ce qu’il ne.s’en forme que dans le Lan?
,guedoc, 8c que la Provence, qui fe trouve à la
même diftance, en eft entièrement exempté.
Le port de Marfeille eft aujourd’hui tel qu’il
étoit il y a plus de mille ans, quand les'Phocéens
s ’y établirent. On recon.ioit encore l ’étang de
Martigues daps la dèfcription que Strabon en a
faite fous le nom de Stagnum Afiromela y enfin , le
village de F o s , bâti à l’embouchure de la foffe
Mariané, c’eft-à-dire, du canal que Marius avoic
fait creufer, eft;encore fur le bord 4e la mer, ou
n’ en eft éloigné.que d’pn.quart de iieye, quoique
fort près du Rhône-
Une différence fi marquée entre deux provinces
également.contiguës au .Rhône ,ne peut venir que
du courant qui règne fur les.côtes d e Provence 8c
de Languedpc, 8c qui va du.levant va.u couchant.
A quelque caufe que l’on attribue ce courant, il
eft réel, 8c fe fait fentir quand on navigue fur ces
côtes de Marfeille à C e t te , ^qu de Cette à
p p p p p 2