
de la terre. C ’eft ainfi que les longues 8c vaftes val- 1
lées du Danube & du Rhin, de l'Euphrate & di*
T ig re , du Nil 8c du Niger, de T Amazone & de
l’Orénoque ont été creufées. Il eft vrai peut-être
que ces eaux ont été autrefois plus abondantes;
mais on auroit tort de fuppofer qu'elles ont formé
dans ces vallées des inondations qui les remplif-
foient bord à bord. Les différentes formes des
bords prouvent au contraire que ces eaux ont varié
dans leurs effets comme dans leur abondance.
C ’eft à la fuite de toutes ces obfervations & des
conféquences qu’on peut en tirer, que je me fuis
cru autorifé à conclure que ces profondes excavations
qu’on nomme vallées, étoieht l’ouvrage fuc-
ceflifdes eaux courantes auxquelles nos rivieves &
nos fleuves ont fuccédé, ouvrage que nos rivières
6c nos fleuves continuent même à un certain point
dans leur état préfent de force 8c de viteffe. Je
me fuis convaincu également, je le répète, qu’il
n’a pas été néceffaire, pour opérer tous ces change-
mens à la furface de la terre, que les excavations
aient été exécutées par les eaux courantes, rem-
pliffant bord à bord ces vallées.
Pour concevoir le jeu de ces eaux dans toutes
les circonftances , il faut diftinguer deux fortes
d'états où elles fe font trouvées & où elles fe trouvent
encore a&uellement, l’état fluvial & l’état
torrentiel. Dans les premiers tems, Veau courante
torrentielle fe portoit contre les grands bords de
nos vallées, & éprouvoic en conféquence des
tranfports de terre qu’elle faifoit en raifon de la
diftance des bords elcarpés & des plans inclinés.
En tous pays, les efcarpemens fe font trouvés dif-
tans les uns des autres en raifon de la largeur de
h v allée, & cette largeur eft suffi déterminée en
raifon de l’abondance des eaux courantes. Ainfi,
dans les moyennes vallées, cette diftance eft ordinairement
d’ une demi-lieue, & dans les grandes,
de deux ou trois.
Mais il en eft bien autrement fi l’on confidère
feulement le fil d’une rivière dans l’état fluvial. On
voit qu’elle y éprouve beaucoup d’ofcillations &
de'contours. L’eau embarraffée dans les dépôts
du fond, de cuve de fa vallée , formés dans les paf-
fages de l’état torrentiel à l’état fluvial, y ferpente
tellement, qu’elle va fouvent contre le fens de la
grande vallée. Ainfi, comme le-lit & le fil d’ une
rivière varient fans ceffe, & qu’en ofciilant dans
une plaine où elle eft au large, elle change fenfi-
blement de lie u , de figure 6c de direction, il en
réfulte que les afpe&s du fond de la vallée qu’elle
dégrade, doivent changer continuellement.
Ainfi donc les changemens fuivis qu’on peut
remarquer, tant fur les bords des vallées depuis
je haut jufqu’en bas , & fur les fonds de ces vallé
e s ,o n t été faits & s’opèrent peu à peu par les
eaux courantes, fuivant qu’ elles fe font trouvées
& qu’elles fe trouvent dans les différens états torrentiels
ou fluvials que nous avons diftingués ci-
devant,
Dans toutes les variations de leurs cours, ces
eaux, endéraoliffant les différens bancs des rochers
qui s’offrent à leurs efforts, foit fur les bords, foit
fur les fonds, fe font toujours attachées, quoique
dans des intervalles de tems différens 6c très-longs,
à détruire la même c ô te , & fertilifer le même fol.
Mais une preuve inconteftable que ce font nos
rivières & nos fleuves q u i, dans ces deux états
différens, ont creufé avec le tems nos vallées, c’ eft
que , dans certaines parties, 6c furtout dans les
parties fupétieurès où les eaux courantes font torrentielles,
le fond eft à découvert pendant que
dans d’autres parties les lits des fleuves fe relèvent
par les dépôts, parce que les eaux n’y ont pas affez
de force, foit pour dégrader les bancs de pierres
dont nos vallées font bordées , ni pour entraîner
les anciens fables de leur lit, ceux que les ravines y
portent, ni les vafes que les débordemens & les
pluies jettent dans les plaines ; c’eft par toutes ces
combinaifons d’effets qu’ il y a,tant de rivières dont
les vallées font comblées par des dépôts de vafes .
& de fables fi profonds, qu’on ne peut conftruire
fur ces amas factices fans piloter. On voit donc
par-là que, dans les pays de montagnes, les eaux
courantes roulent, à caufe de la pente, fur des
lits de rochers & de couches naturelles qu’ elles
dégradent plus ou moins, furtout lorfque les accès
torrentiels ont lieu à la fuite des pluies abondantes
& foutenues pendant long-tems. C ’eft auflî dans
ces contrées, qu’elles démoliffent les bords des vallées
fi leurs rives approchent du pied nu des côtes >
mais partout ailleurs les lits des rivières dont la
pente eft très-adoucie, ne touchent prefque jamais
le vrai fol du pays, qu’ ils traverfent 5 car alors
furtout, dans les tems ordinaires,v où domine
l’état fluvial, les rivières coulent fur les dépôts
profonds de fables 8c de vafes où .elles : entretiennent
une marche vermiculaire , dont on n’a
pas encore étudié toutes les circonftances , q uo-
au’elles foient très-curiejifes. ( Voyej Varticle V er-
MiCül AIRE dans le Dictionnaire, & dans VAtlas les
plans de ces mouvemens.J
Outre ces dépôts des plaines, on en trouve de
femblables que les rivières &f!es fleuves ne peuvent
atteindre, même dans leurs plus grands débordemens.
Ces dépôts atteftent les différens progrès de
l’approfondiflement des vallées ; ils prouvent auffi
que le même jeu des eaux torrentielles 6c fluviales
a eu lieu à tous les ni-veaùx où elles fe font trouvées
dans toutes les parties de leur travail d’ excavation.
Il eft aifé de prouver que , dans la plus
grande partie de nos vallées, les lits de nos rivières
font élevés au deffus du fond de cuve de ces
vallées, puifqu’ils ne fe trouvent placés & pris que
dans des dépôts poftiches dont on a la coupe dans
les figures de l’Atlas, qui ont pour objet les vallons.
C ’eft ce dont on a vu plufieurs exemples dans
les fouilles que les ingénieurs des ponts & chauffées
ont faites pour la fondation des nouveaux
ponts. Je puis en citer outre cela une autre fouille
très-remarquable ,
très-remarquable dont nous avons été témoins :
celle faite pour le.puits de l’E cole-Militaire,
dans la plaine de Grenelle, ayant été pouffée à
près de cent trente pieds au dèffous du lit de la
Seins, l'on n’y a trouvé que des dépôts de fables
& de glaifes, remplis en certaines parties de troncs
■ de bois, de branches , de feuilles, d’écorces &
autres débris. On n’y a trouvé le vrai fol de cette
contrée qu’à la profondeur de cent trente pieds:
on peut donc juger, d’après cela, de la force 6c des
accès fucceffifs des eaux qui ont d’abord creufé 6c
démoli le fol jufqu’à cette profondeur, & qui par
la fui.te ont comblé la vallée au point où elle eft.
C-eft ce même travail qui a donné à la ville de
Paris un fol faétice, élevé de plufieurs pieds, le quel
n’a cependant remplacé qu’ une très-petite
partie de l'ancien primitif & naturel qui exiftoit
avant la plaine a&uelle. On verra tous ces détails
décrits & figurés aux articles Grenelle , Fônd
de cuve des vallées.7 Pa r i s , /o/z fo l ; Marne ,
SEINE , fleuves, rivières , hydrographie,
N° . VII. A necdotes relatives a la durée du tems.
Le tems eft un élément principal, que l’on doit
confidérer comme capable de produire continuellement
& à la longue tous les changemens que
nous remarquons fur la terre. Il eft aifé de voir
qu’effeélivementla fuperficiedu globe eft fans ceffe
altérée par les vents, par les pluies, par les eaux
courantes 3 par le retour des- faifons que le tems
amène 6c change à la fuite d’ une révolution continuelle.
C ’eft le tems, c’eft ce grand ouvrier, qui
par fa durée, à qui rien ne réfifte, a infenfiblement
défiguré tous nos continens, au moyen de tous les
agens deftru&eurs qu’il met en oeuvre chaque jour.
Il n’eft pas néceffaire , pour expliquer les inégalités
de leur furface & les irrégularités de leur
intérieur, de recourir à des faits inconnus , à des
hypothèfes monftrueufes & folles, inventées pour
confondre tout ce que nous voyons. C ’eft le tems
qui a préfidé à la conftruétion fucceffive de tous
les maffifs qui compofent le globe ; c’eft lui qui a
contribué à l’ approfondiffement des vallées, par
l’aétion des eaux courantes ; & plus on fuit les traces
des opérations de la nature par un examen rai-
fonné 6c réfléchi, plus on peut fe convaincre qu’avec
tous les agens que nous voyons fe mouvoir
fous nos yeux , on a pu confommer ces immenfes
travaux. Il fuffit, pour s’en convaincre, de com-
pofer chacune de ces opérations, comme elles ont
été dirigées 6c conduites par la fuite des fiècles.
Il luffiroit, ce me femble, d’expofer la multiplicité
des événemens dont les traces font écrites
à la furface du globe , de détailler le nombre des
révolutions qui ont influé fur la conltrüélion des
divers maffifs, pour autorifer toutes les affertions
qui ont été avancées fur la vieilleffe de la terre,
6c fur l'abîme impénétrable des fiècles paffés.
.Commentavec toutes ces raifons, croire que
Géographie-Phyflque. Tome II.
la terre eft toute récente, 6c qu’on peut fixer 1 inf-
tant précis de fa naiffance, car l’ouvrage du tems
peut-il être auffi étendu, fi fa durée ne l eft pas .
Ç ’eft cependant ce qu'on hafarde en admettant Jè
terme defix mille ans , 6c j’avoue que c eft par-la-
qu’éclate vifiblement la force ou plutôt la to i-
bleffe de nos préjugés. Nous'ne concevons que
trop la petiteffe de l’efpace qui comprend toute
l’étendue de notre vie. Pourquoi ne jugeons-nous
pas auffi fainement de l ’efpace qui a compris toutes
les générations que nous connoiffons? Au lieu
de fix mille quatre cents ans dont l’ expreffion^emphatique
femble nous montrer un tems indéfini,
difons que la terre a duré foixante-quatre fiecles,
mais ces foixante-quatre fiècles ne nous donnent
guère que quatre-vingts de ces vies humaines que
nous jugeons fi courtes, que vingt fois la vie d un
oranger, d ’un olivier 6c d’ un chêne ordinaire.
Eft-çe donc là cette longue fucceffion d années
pendant laquelle ont été produites toutes les irrégularités
de nos continens? Seroit-ce pendant la
durée de ces quatre-vingts époques, que le tems ,
agiffant fur la terre , & la minant ligne à ligne oc
pouce à pouce, auroit formé & former oit encore
les vallées & les montagnes, en faifant baiffer nos
plaines près de foixante toifes dans chaque fiecle.
Mais comme ce progrès dans l’excavation de nos
vallées n’a pu avoir lieu» il faut donc neceffaire-
ment agrandir ën même raifon la duree de ce travail,
6c par conféquent le tems de la naiffance de
ces inégalités de nos terrains. Voici encore d autres
raifons qui nous forcent a reculer tiès-lom
les limites que nous devons prefcrire à cet ordre
de chofes. * ,
Nous favons, par exemple, que le mveaupu
foi n’a pu varier que très-peu dans les lieux habités;
car toutes les villes bâties dans là première
& même dans la moyenne antiquité, au milieu des
plaines, devroient aujourd’hui fe trouver lur un
fommet de montagnes , & toutes les villes bâties
autrefois fur les montagnes , devroient être inac:-
ceffibles fi ce progrès d’excavation de nos valle.es
avoit eu lieu. Le lieu de la citadelle de Lyon de-
vroit être un des pics les plus élevés de la terre >
les lits des fleuves auroient dû. éprouver des changemens
notables dans leur niveau 6c leur direction,
6c la terre, xableau mouvant dans fa fuperficie,
; ne devroit plus répondre aux anciennes defcrip-
tions que l’on en a confervées, & qui font fi re-
connoiffables encore, qu’ il eft facile de voir que
quarante à cinquante fiècles y ont très-peu produit
de changemens. Rome a.conferv.é fes fept collines;
le terrain de l’Egypte ne s’ eft ni baiffé ni élevé
bien fenfiblement aux pieds des pyramides ; le
Tigre & l’Euphrate- coulent dans les mêmes plaines
qui ont reçu peu d’aterriffemens ; les Commets
de l’ Arménie font toujours dans les nues , &c.
Les montagnes , il eft v rai, exiftoient dans les
premiers de ces foixante-quatre fiècles: on n’en*
.peut difconvenir » mais il eft probable qu’elles
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