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oü la marée fe fait fentir j de forte qu*on ne peut
a Signer exactement la direction des marées, qui ne
paroît pas décidée dans le fud & Annamooka. Le
flot porte à l’oueft-fud-oueft, & le juiîant à l ’eil-
nord-eft ; mais dans le havre de Tongataboo , ce
flot vient du nord-oueft, enfile les canaux étroits
qui font de chaque côté de Hoolaiva, où fa rapidité
eft confidérable, & fe jette alors dans la lagune.
Le jufiant retourne par la même route avec
une vitefie encore plus confidérable. La marée du
nord-oueft en rencontre une du nord-eft, à rentrée
de la lagune; mais cette dernière marée n'a
jamais beaucoup de force.
Les naturels des îles des Amis excèdent rarement
la taille ordinaire : on en voit cependant
quelques-uns qui ont plus de fix pieds : ils font
fores & bien faits, furtout aux cailles, aux jambes
& aux bras. En général, leurs épaules ont beaucoup
de largeur; & quoique leur ftature mufeu-
le u fe , qui paroit la fuite d'un grand exercice,
annonce plus la vigueur que la beauté, plufieurs
offrent réellement une belle figure. On eft lurpris
de la variété de leurs traits, & il n’eft guère pof-
fible de les caraCtérifer par une conformité générale.
On peut dire qu'il eft très-commun d'y voir
des pointes de nez épatés; mais, d'un autre côté,
on voit cent vifages pareils à ceux des Européens,
& de véritables nez aquilins. Ils ont les yeux &
les dents d'une bonne qualité, mais les dents ne.
font ni fi blanches ni fi bien rangées que celles
qu'on rencontre fou vent parmi les peuplades de la
mer du fud. Au refte, pour balancer ce défaut,
il y a peu de ces lèvres épaiffes , fi communes
dans les îles de l'Océan pacifique.
On reconnoît moins les femmes à leurs traits,
qu'à la forme générale de leur corps, qui n'offre
pas ordinairement l'embonpoint nerveux de celui
des hommes. La phyfionomie de quelques-unes eft
fi délicate, qu’ elle indique leur fexe , & qu'elle a
droit aux éloges qu’on donne à la beaute & à la
douceur du vifage ; mais les phyfionomies de cette
efpèce font affez rares. Au refte, c'eft la partie la
plus défeétueufe, car le corps & les membres de
ja plupart des femmes font bien proportionnés,
& il y en a qui pourroient fervir de modèles aux
artiftes. La petiteffe & la délicateffe extraordinaires
de leurs doigts, comparables aux plus jolis
doigts des Européennes, font ce qui les diftingue
davantage. Nulle part on ne rencontre des femmes
fi joyeufes : nombre d’entr’elles font allez libres
dans leurs manières ; mais il en eft beaucoup qui
paroi fient connoître les lois de la pudeur. Leur
chevelure eft en général noire, lifte, épaiffe &
forte : il y en a qui boucle naturellement.
La couleur générale de la peau eft d’une,nuance
plus foncée que le cuivre brun ; mais plufieurs des
nommes & des femmes ont tin teint vraiment olivâtre.
Quelques-unes des perfonnes du fexe font
fijême affez blanches : leur blancheur vient probablement
de ce qu’elles s’expofent moins au fo-
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le il, ainfî qu’une difpofition à l’embonpoint dans
un petit nombre des principaux du pays paroît
être la fuite d’une vie plus oifive. Les chefs offrent
fouvent aufli une peau plus douce & plus
propre ; celle, du bas-peuple eft ordinairement plus
noire & plus groftière, furtout dans les parties
qui ne font pas couvertes , différence qu'il faut
peut-être attribuer à des maladies cutanées. On
voit fur quelques-unes des îles de ce vafte archipel,
quelques exemples d'individus d’une blancheur
parfaite. On en a trouvé de pareils chez
tous les peuples noirs ; mais il eft à préfumer que
leur couleur eft plutôt une maladie qu'un phénomène
de la nature.
Il y a peu de défe&uofités ou de difformités
naturelles parmi eux : ils font fujets à quelques
maladies. Les dartres, qui femblent affeéler la
moitié des infulaires, & qui laiffent après elles
des taches blanchâtres & ferpentines, font la maladie
la plus commune; mais elle eft moins grave
qu'une leconde très-fréquente , laquelle fe mani-
fefte fur toutes les parties du corps, en larges
ulcères qui ont de groffes bordures blanches, &
qui jettent une matière légère & claire. L'eau peu
falubre , & furtout la boifîbn faite avec la racine
de poivre ou de l’ava, contribue beaucoup à ces
infirmités cruelles. Deux autres maladies font encore
répandues fur ces îles : la première eft une
j enflure qui affrète les jambes & les bras, & les
j grofllt extrêmement dans toute leur longueur ,
mais qui n'a rien de douloureux. La fécondé
eft une tumeur de la même efpèce qui viént aux
tefticules, & qui furpaffe quelquefois la grof-
feur des deux poings : mais ces états fâcheux ne
les empêchent point d'aller & de venir, & ils ne
s'en inquiètent guère. On peut d’ailleurs regarder
comme des hommes très-fains les habitans de
ces contrées. On ne voit aucune perfonne détenue
chez elle pour caufe de maladie. Au contraire,
leur force & leur activité font à tous
égards proportionnées à la vigueur de leurs muf-
cles ; & ils déploient tellement l’ une & l'autre
dans leurs occupations habituelles & dans leurs
amufemens, qu'ils font à coup fur peu fujets
aux maladies nombreufes qui réfultent de l’indolence
ou d’une manière de vivre contraire à la
nature.
Leur contenance eft gracieufe & leur démarche
ferme : ces avantages leur paroiffent fi naturels &
fi néceffaires, qu'envoyant tomber un étranger
fur les racines des arbres ou les inégalités du
terrain, ils rient de fa mal-adreffe plus que de
toute autre chofe.
Leur phyfionomie exprime à un point remarquable
la douceur & l’extrême bonté de leur ca-
raétère. On n'y apperçoit pas le moindre trait de
cette aigreur farouche qu’ on remarque fur le vifage
des peuples qui vivent encore dans un état
de barbarie. Leur maintien eft fi calme, ils ont
tant d’empire fur leurs pallions & tant de fermeté
dans
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dans leur conduite, qu’ils femblent aftujétis dès
l ’enfance aux prohibitions les plus févères ; mais
ils ont d'ailleurs de la franchife & de la gaîté ; ils
font vifs & animés, quoiqu’ils prennent quelquefois
fous les yeux dé leurs chefs une forte de gravité
& un air férieux qui leur donnent de la roi-
deur , de la mauvaife grâce & de la réferve.
L’accueil amical qu’ont reçu tous les navigateurs,
montre affez les. difpofitions pacifiques des naturels
'à&slles desAmis.Lom d’attaquer les étrangers
ouvertement ou clandeftinement, à l’exemple de la
plupart des habitans de ces mers, on n’a pas à leur
reprocher la plus légère marque d’inimitié ; ils ont
au contraire, à l’exemple des peuples civilifés, cherché
à établir des communications par.des échan-
-ges., c’eft-à-dire, par le feu! moyen qui^réunit les .
différentes nations. Ils font fi habiles dans les échanges
, qu’on juge d’abord qu’ils fe lont formés en
commerçant avec les îles voifines;. mais il eft certain
qu’ils ne.font point de trafic, ou qu'ils en font
un peu confidérable, excepté Feejée, d'où ils tirent
k s plumes rouges, qu'ils apprécient.beaucoup.Il
n’y a peut-être pas, fur le globe, de peuplade qui
mette plus d’honnêteté & moins de défiance dans
le commerce. On ne court aucun rilque à leur permettre
d'examiner les marçhandifes, & de les manier
en, détail , & ils comptent également fur la
bonne foi, Si l’acheteur ou le vendeur fe repent
du marché, on fe rend réciproquement, d’ un commun
accord & d’une manière enjouée , ce qu’on ]
a reçu. En un mot, ils femblent réunir la plupart j
des bonnes qualités qui font honneur à l’homme ,
telles que l’induftrie,.la candeur, la perfévérance,
l’affabilité, & peut-être des vertus moins commu- !
-nés qu’ une connoiffance-plus parfaite mettroit à
même d'obferver.
Le penchant au v o l, univerfel & très-vif dans
les deux fexes .& parmi les individus de tous les
âges , eft le feùl défaut que les étrangers puilfent
leur reprocher ; mais il faut remarquer toutefois';
que cette partie défeCtueufe de leur conduite fem-
ble ne regarder que les voyageurs qui abordent
dans ces lies , & qu’ ils ne fe volent pas entr'eux
plus fouvent, peut - être pas aufli fréquemment
. qu’ en d'autres pays, où les larcins de quelques perfonnes
corrompues ne nuifent pointa la réputation
du corps du peuple en général. Il faut avoir beaucoup
d’indulgence pour les tentations & les foi-
bleffes de ces pauvres infulaires de la mer Pacifique,
à qui nous infpirons les defirs lès plus ardens en
leur montrant des objets nouveaux dont l’utilité
ou la beauté fafeine leurs efprits. Les vols des
naturels des Iles des Amis paroiffent réfulter d’une
curicfité ou d’un defir très-preffantde pofféder des
chofes qui font abColument nouvelles pour eux , &
qui appartiennent à des hommes très-différens de
leur propre race. Si des homhies aufli fupérieurs à
nous en apparence , que nous le fommes à eux ,
arrivoient parmi nous avec des richeffes aufli fé-
duifantes que le font les nôtres pour des peuplades
Géographie-Phyjique. Tonie I I .
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étrangères aux arts, eft-il fur que nos principes de.
juftice fuffiroient pour contenir la plupart des individus
? La caufe de leur penchant au v o l , que
l'on vient d'indiquer, paroît d’autant plus vraie ,
qu'ils volent tout indifféremment dès la première
vu e , avant de fonger le moins du monde à fe fervir
de leur proie d'une manière utile. Au refte, la dil-
pofitîon de ces infulaires au v o l, très-défagréable
& très-incommode d'ailleurs, fournit un moyen
de connoître la vivacité de leur intelligence , car
ils commettent de petits larcins avec beaucoup de
dextérité , & les vols les plus capitaux avec une
fuite & des combinaifons proportionnées à 1 importance
des objets.
Le chagrin & la douleur que caufe à ces infulaires
la mort de leurs amis ou de leurs compatriotes,
eft la meilleure preuve de la bonté de leur caractère
& de la fenfibilité de leurame. Pour fe fervir d'une
expreflion commune, leur deuil ne confifte point
en paroles, mais en aérions, & dans ces triftes cir-
conftances ils fe macèrent de la manière la plus
cruelle.
Les femmes fabriquent les étoffes qui ont dif-
férens degrés de fineffe, & des deflins divers. C'eft
de l'arbre du mûrier - papier dont elles tirent la
fubftance néeeffaire à leur fabrication. Elles font
! aufli des nattes qui furpaffent en beauté toutes
celles que l'on voit ailleurs : les autres ouvrages
qui fortent de leurs mains , ont tant d‘élégance &
de goût, qu’un étranger ne peut s’empêcher d’admirer
leur confiance & leur adreffe.
Le département des hommes eft plus laborieux
& plus étendu. Ils font chargés de l’agriculture.,
de la conftruCtion des maifons 8é des pirogues, de
la pêche, & d’autres chofes relatives à la navigation.
Comme ils fe nourriffent furtout déracinés
& de fruits cultivés , ils s'occupent fans ceffe du
travail de la terre , & ils femblent avoir porté l’agriculture
au degré de perfection que permet l’état
où ils fe trouvent ; ils connoiffent même les améliorations
de la culture , & leurs plantations pré-
fentent des lignes régulières & complètes , de
quelque côté qu’on jette les yeux.
Il faut obferver que cette peuplade, qui montre
beaucoup d’efprit & de goût en plufieurs chofes ,
en montre peu dans la conftruCtion de fes maifons.
Au refte, l'exécution en eft moins défeCtueufe que
la forme. Celles du bas peuple font de pauvres cabanes
très-petites , & elles garantiffent à pëinedë
la rigueur du tëms. Celles des infulaires d’un rang
diftingué font plus grandes 8c mieux abritées,
mais elles devroient être meilleures. La feule rai-
fon plaufible qu'on puiffe donner de leur dédain
pour les ornemeus de l’atchiteCture de leurs chaumières,.
c'eft qu'ils aiment paffionnément à fe tenir
en plein air. Ils ne mangent guère dans leurs maifons
; ils y couchent, ils s'y retirent lorfque le teins
eft mauvais, & c’eft tout l’ufage qu'ils femblent en
. Leurs foins & leur dextérité pour ce qui a ray-,
p p p