
fauvages & bien fourrés, dont il s’approprie les
dépouillés.
Les environs de la baie de Tchinkitané ne.pré-
fentent cependant pas cet afpedfc hideubc de quelques
contrées limées fous une latitude moins éle-
vee. Les productions de la terre indiquent que la
nature , moins abandonnée à elle-même, y répon-
droit aux foins des cultivateurs. Les fapins, les
pins & les bouleaux compofent cette valte forêt,
qui règne depuis le bord de la mer jufqu’aux fom-
inets des collines & des montagnes. Mais ceux qui
font tombés de vétufté, & dont les troncs font
couverts de moufle j les plantes parafîtes qui obf-
traent les intervalles des arbres, tous les débris
des productions terreftres, s’oppofentà ce que l’on
puifle pénétrer dans l’épaiffeur des bois, où fans
doute les naturels ont fu fe frayer les rentiers qui
peuvent ouvrir leur marche dans les guerres qu’ils
ont déclarées aux animaux qui s’y réfugient*
Les arbuftes & les plantes ne fe montrent pas en
grand nombre. Le framboifier y eft commun : fon
fruit, aqueux & d’un goût fauvage, eft gros &
bien nourri , fuivant le journal du capitaine Dixon.
Le noifetier eft-très-multiplié, & le chirurgien
Roblot , qui faifoit partie de l’équipage de Marchand
, le nomme coudrier.
On trouve aufifi le fraifier & plufieurs efpèces
de fougères : on fait qu’à la Nouvelle-Zélande &
dans quelques autres contrées où la culture n’eft
pas établie, la racine tendre de cette dernière
plante eft employéd^comme aliment.
Dans le nombre des plantes que l’on vit en fleurs,
-on a diftingué une efpèce de lis des vallées ( lillium
conyallium) ou un muguet dont la fleur eft bleue,
& qui eft plus grand que notre muguet ordinaire,
& une autre plante dont on n’a pas déterminé
l’efpèce.
Tous les endroits découverts produifent abondamment,
fuivant le rapport du chirurgien Roblot,
une plante gramineufe, dont la tige & l’épi ref-
femblent à ceux du feigle d’Europe ; mais le grain
n en étoit pas mûr, & on n'a pu déterminer à
quelle efpèce des graminées cette plante appartenait.
On peut être alfuré qu’elle n’a pas été tranf-
portée d’Europeî car elle eft fi multipliée, qu’elle
ne peut être qu’indigène : on croit même que le
travail de l’homme & une culture fui vie pourroient
l ’améliorer & en rendre le grain propre à en faire
un aliment.
Le feul quadrupède qu’on ait vu vivant eft le
chien domeftique ; il eft de la. race du chien de
berger ; mais il a le poil plus long & plus doux. Les
Tchinkitaniens vantent beaucoup l’attachement,
l ’intelligence & le courage de cet animal , excellent
pour la chafle, & hardi à l’eau.
La loutre marine ou la faricovienne qu’on trouve
dans cette baie, doit être clafïee parmi les amphibies:
cet animal ne peut faire un long féjour fous
les eaux > car il eftobligé de revenir fur l'eau ou fur
la terre pour refpirer un nouvel air, fans lequel il
feroit fuffoqué.
La chair des femelles pleines ou prêtes à mettre
bas eft grade & tendre : celle des petits eft affez.
délicate & affez; femblabie à celle de l’agneau ;
mais celle des vieux eft ordinairement très-dure.
Steller, embarqué fur le vaifieau de Bering lorf-
que ce navigateur fit naufrage fur l’île qui porte
fon nom, nous apprend que cet animal fut la nourriture
principale des Rulfes, 6c qu’elle ne leur fit
aucun mal, quoique mangé feul & fans pain.
On peut conclure de cette épreuve, que la loutre
marine doit offrir aux Tchinkitaniens une reffource
de plus pour leur fubfutance. De toutes les pelleteries
que l’on peut tirer de la côte nord-oueft
d’Amérique, les peaux de la loutre marine font
les p ki s précieufes Sc les plus eftimées. Ain fi c’eft
avec raifon que les Rulfes ont appris que la fou-
rure de la loutre marine étoit plus douce & plus
fine que celle d'aucun autre animal connu, 6c fans'
doute que la découverte de la partie de l'Amérique
feptentrionale, qui offre ces fourrures , mérite
une attention particulière de la part de nos
nëgocians.
Les autres animaux qui fe trouvent à Tchinkitané
& aux environs font les ours, les caftors, les
renards 6c quelques-unes des efpèces de rats qu’on
ne peut pas ranger parmi les zibelines. Si à ces animaux
on joint le vifon, l’écureuil & la marmote ,
on aura tous les quadrupèdes de Tckinkitané.
On a eu peu de remarques à faire fur les oifeaux :
les efpèces n’en font pas nombreufes. Ceux de
mer, qui fréquentent la baie, font le goiland, une
efpèce de mouette 6c un plongeon qui paroît être
: un oifeau de rivage. Au large fe montroient des
albatros. Les oifeaux de rivage & d’étang font une
efpèce d’oie toute noire, un canard plus petit que
notre canard commun , des hérons tout noirs , fort
fauvages ; enfin de« alouettes de mer. Les oifeaux
de terre font encore moins nombreux ; car on n'y
a vu que deux vautours, quelques aigles, une
douzaine de corbeaux, quelques verdiers & deux
roitelets. On ne doit pas s’étonner que, dans des
contrées où l’hiver eft long & rigoureux, où le
fol ne produit que très-peu de grains, les efpèces
granivores s’en éloignent comme leur refuTant la
fubiiftance. Ces oifeaux-Ià feuls peuvent y être
appelés , qui, carnivores comme l’homme, font
aflurés d’y vivre des débris des animaux qu'il chafle
& détruit pour fes befoins.
La mer & les rivières offrent des reffources
abondantes pour la fubfiftance des habitans & pour
celle des équipages. Nous ne citerons ici que le
faumon, la foie, une efpèce de plie d’un excellent
goût, la rafcaffe, la truite j enfin les moules, les
lepas, &c.
Au refte, le poiffon n’eft pas l’unique nourriture
des Tchinkitaniens j car ils confomment auflà
des légumes, des baies de divers arbuftes, quelques
fruits fauvages & une parti« de la chair des
animaux qu’ils tuent pour en avoir les dépouilles,
parmi lefquels nous avons indiqué la loutre marine.
Les productions marines, qui ont attiré l’attention
& mérité l’examen du chirurgien Roblot, font
l’algue marine & plufieurs plantes que la mer je t ce
fur les côtes en Europe, mais furtout une efpèce
de fucus qui croît fur les reffifs de la baie, & qui
parvient à une longueur d’environ foixante-qua-
torze brades ou trois cent foixante-dix pieds,
fans y comprendre celle des feuilles qui en couronnent
le fommet, & dont la plupart ont vingt
à trente pieds de longueur} ce qui porte la longueur
totale de la plante à quatre cents pieds. La
fubftance de la plante eft vifqueufe 6c le réfout
en eau quand on la met fécher} fa tige, de couleur
de corne, à- demi-tranfparente, elt éiaftique
& fait reffort fi on la comprime eqtre deux doigts :
dans toute fa longueur elle n’a ni noeuds ni branches
, & le tuyau qui en occupe le centre eft entièrement
libre & ne contient point d’eau.
On ne s’étonnera pas que le chirurgien Roblot
ait affigné à cette plante environ quatre cents pieds
de longueur, compris les feuilles du fommet,
Iorfqu’on l’aura qu’elle croît fur des reflîfs ou rochers
, fur lelquels la fonde trouve trente braffes
ou cent cinquante pieds d’eau} qu’elle ne peut
pas S’élever du fond par une ligne verticale, parce
qu’elle eft forcée de prendre l’inclinaifon que lui
donne la viteife des courans ou le mouvement que
les marées impriment à la mafle des eaux qu’elle
traverfe.
J’ai indiqué les productions végétales que la
terre & la mer préfentent en différens genres ; j’ai
parlé des oifeaux, des poiffons & même des quadrupèdes
que l’on a vus viyans ou entiers, & de
ceux que l’on n’a pu connoître que par leurs dépouilles
: il me refte à faire connoître les hommes
tels qu’on les a vus pour le phyfique, & , pour le
moral, tels qu’on a pu les deviner} & c’eft là le
principal objet de cette notice.
Les naturels, qui occupent les environs de la
baie de Tchinkitané, font d’une taille au deflous
de la moyenne : on n’en voit aucun qui ait cinq
pieds quatre pouces} leur corps eft ramaffé, mais
affez bien proportionné. Leur vifage rond & aplati
ne peut être confidéré comme embelli par un nez
camus, par des yeux petits, enfoncés 6c chaflieux,
& des pommettes proéminentes, Le rouge ou le
brun clair par.oît être leur teint naturel} mais un
enduit de craffe naturelle, renforcé par un mélange
de fubftances rouges & noires dont ils fe
peignent la face, ne laiffe pas percer leur peau primitive.
Leur chevelure, aure, épaiffe, couverte
d’ocre & de toutes les ordures que la négligence
& le tems y ont accumulées, contribue à rendre
leur afpeCt hideux. Ils ne portent la barbe qu’à un
certain âge. Il eft aujourd’hui bien prouvé, par le
rapport unanime de tous les voyageurs qui ont
vifitéles côtes de l’Amérique occidentale du nord,
que tous les Américains ont de la barbe, contre
le lèmiment de quelques favans qui l’avoient re-
fufée aux hommes du Nouveau-Monde, 6c pré-
tendoient faire de ce manque de^poiis. une variété
dans l’efpèce humaine. Il eft probable que ie vi»
lage de ceux de la baie de Tchinkitané feroit moins
repouffant s’ils confervoient celui que la nature
.leur a donné j car les jeunes garçons ont une figure
agréable 6c même intéreflante, mais l’âge & plus
encore la peiné qu’ils prennent pour s’embellir >
finiffent par leurdonner des traits durs & greffiers.
Le tatouage eft peu en ufage parthi les Tchinkitaniens
: quelques hommes feulement font tatoués
fur les mains & fur les jambes, au deffus du genou :
prefque toutes les femmes- le font fur les mêmes
parties du corps«
Les femmes, plus blanches ou moins noires que
les hommes, font plus laides encore. Une tête
groffe & lourde, une face ronde, un nez écrafé
dans le milieu de fa longueur, des yeux petits 6c
inanimés, les os des pommettes très-proéminens,
les cheveux, ou plutôt les crins, épais, touffus 6c
rudes, liés derrière la tête avec des lanières de
cuir} les épaules fortes & larges, la gorge baffe ,
affez foutenue, bien arrondie à celles qui n’ont
pas feize ans, mais très-flafque & très-pendante
à celles qui ont allaité, & fur le tout une malpropreté
dégoûtante. Allurément fi l’on place ce
portrait à côté de celui d’une de ces femmes que
la nature s’eft plu à former fur les îles jetées au
milieu du grand Océan , de celui d’une Taïtienne ou
d’une Mendofaine, on fera très-étonné que ces individus
appartiennent à la même efpèce.
Les femmes de Tchinkitané ont cru devoir ajou-
- ter à cette beauté naturelle par un ornement labial,
auffi bizarre qu’incommode : elles pratiquent à
environ fix lignes de la lèvre infériefhre, par le
; moyen d’une incifion, une fente longitudinale,
parallèle à la bouche: on y infère, dans le principe,
une brochette de fer ou de bois, & Ton
augmente graduellement le volume de ce corps
étranger : on parvient enfin à y introduire une
pièce de bois proprement travaillée, dont la forme
& la grandeur font à peu près celles du cuil-
leron d’uns cuillère à loupe. L’effet de cette
opération eft de rabattre la lèvre inférieure fur le
menton, de développer une grande bouche béante
, & de mettre à découvert une rangée de dents
jaunes & fales. Comme ce cuilleron s’ôte & fe
replace à volonté, lorfqu’il eft fupprirné la fente
tranfverfale de la lèvre préfente comme une fécondé
bouche qui, chez quelques femmes, a plus
de trois pouces de longueur.
Ce prétendu ornement n’eft pas particulier à la
côte nord'-oueft de l’Amérique : on le trouva en
ufage parmi les Brafiliens quand on fit la découverte
de leur pays : iis fe perçoient la lèvre inférieure
dès l’enfance, 8c alors ils fe conte moi en t
d'y porter un petit os blanc comme i’ivoice} mais