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De la Touvre.
Après avoir expofé la théorie de tout ce qui
contribue à l'origine dé. la Touvre , il convient
dans ce moment de Suivre le cours de cette fingu-f
lière rivière. Les fources de la Touvre font divisées
en deux parties remarquables, lt Dormant &
le Bouillant. Le Dormant eft le baflin le plus rapproché
du pied du coteau j il a environ vingt toi-
fes de longueur, fur dix de largeurj Jl eft fi profond,
que le repos de cet amas d’eau pénètre
l’ame d'une certaine terreur. Le Bouillant en eft
féparé par une digue naturelle , eompofée de rochers
terminés en dos d’âne, couvert d’ eau à un
pied de profondeur : cette digue paroît retenir
l’eau du Dormant, de manière qu’elle peut le franchir
pour fe jeter dans le Bouillant. C e fécond
baffin a environ quinze toifes en tous fens 5 il eft
terminé à l’aval par une maffe de rochers coupés
aplomb, & contournés en portion de cercle d environ
cinq toifes de longueur. L’eau Souterraine
venant heurter ces rochers avec une viteffe con-
. fidérable, forme des bouillonnemens finguliére-
ment variés, que l’on apperçoit à la furface de ce
baftin > ils augmentent en rai Son de l’abondance J
des eaux: d’où il fuit q ue , lors des ciues desri- !
- vières. qui alimentent la T ou v re , le jet s’élève
jufqu’ à un pied de hauteur.
L’eau épanchée de ce large badin coule fur line
largeur à peir près uniforme jufqu’à la forge de
Ruelle 3 elle fe fubdivife enfuite, jufqu’au village
du Gond,en différens bras ou canaux qui forment
des îles plus ou moins grandes , & fe jette de là
dans la Charente, en faifant avec elle un angle de
cinquante-huit degrés. Le lit de la Touvre eft fort;
1 plat > il ed en outré traverfé par une quantité côn-i
fidérable de digues, de moulins 6c de pêcheries J
qui retiennent les eaux de manière que la hauteur
des bords ed ordinairement d’ un pied ou dix-huit
pouces tout au plus. Cette circondan.ee, jointe à
la froideur & à la crudité des eaux , eft caufe que’
les prairies qui bordent la vallée, de cette rivière,
- fbnt marécageufes. : on ne les affranchit & on ne
: les foiitient en cet état qu'à force de dépenfes. Les
îles & les endroits trop bas pour en former des
prairies fûres, fervent à y établir des oferajes,;
dont le produit équivaut a peu près à celui d une
pareille fuperficie de prés de bonne qualité.
La Touvre eft couverte en été d’ une quantité
confidérable de- plantes, dont les piintipales font
le creffon, la be ri.e, les joncs & les glaïeuls ; elles;
, commencent à croître au printeJms. Les premières
gelées les'deffèchennî le courant pour lors les entraîne,
& ne forme, plus qu’une belle nappe d'eau.
- On peut bâtir fur les bords de la Touvre avec la
^plus*èrande Solidité- :• on rencontre d’abord dans la
fouille un gravier calcaire, mêlé de quelques calle
u x roulés ^enfuite-un gros fable tapé, & enfin
le. rocher plat. A fix .pieds réduits de profondeur
au deffous du lit de cette rivière, les eaux-qu’elle
roule, ne font pas auffi pures qu’on pourroit le de-
firer > elles font chargées de matières calcaires infiniment
divifées, qui forment en peu de tems des
incrufiations confidérable s fur les différens corps
qu’on y dépofe.
La fraîcheur que la Touvre communique aux
eaux de la Charente, eft fenfible à une grande dif-
tance au deffous de leur confluence : les unes font
fraîches dans le même canal pendant les mois de
juillet, août, 8cc. tandis que celles qui répondent
au courant de la Charente font prefque tièdes.
Les poiffons naturels de la Touvre font hftruite,
l ’anguille, l’écreviffe & les loches* Quoique toutes
ces efpèces foient excellentes, elles font néanmoins
plus groffes, & paffent pour être de meilleure
qualité, en remontant depuis la forge de
Ruelle jufqii’ au gouffre, qu’en defeendant au Pon-
touvre & a la Charente. L’on trouve quelquefois
du brochet dans les fources de la Touvre : l’on
ne trouve au contraire des écreviffes que Yis-à-vis
le bourg de Magnac, à cinq cents toifes environ
de diftance des fources.
Les écreviffes de la Touvre font fi abondantes’,
qu’outre celles qu’ on débite aux environs d’An-
goulême, on en tranfporte encore à Bordeaux.
Les truites de la Touvre font de différentes espèces
: il y en a de rouffes, de noires & de piquées
de rouge : ces dernières font les meilleures. Ces
truites font plus eftimées après le mois de novembre
: celles de la Charente > au contraire, font
recherchées en hiver. Ces variations proviennent
inconreftablement de la qualité & de la température
des eaux de ces deux rivières, car elles font
fraîches dans l’une „ pendant qu’elles font prefque
tièdes dans l’autre.
; L ’anguille de la Touvre eft très-bonne en tout
S tems, & d’une qualité fupérieure à celle de la
. Charente.,
Les loches de la Touvre font excellentes, mais
affez rares : on ne peut en pêcher que pendant le
; mois de février, tems auquel elles fe promènent
pour frayer. Outre le plaifir de. la pêche, cette
rivière procure encore celui de la chalïe pendant
.plus de fix mois de l ’année > elle eft pour lors couverte
de jodeiles, de râles & de poules d’eau, & ,
pendant l’hiver, de quantité d’ oifeaux paffagers,
tels que les canes 6c canards fauvages.
Les poules d’eau ne font point leurs nids fur la
. Touvre ; elles y defeendent en hiver des étangs
.éloignés.- On y trouve en tout tems des râles &
des jodeiles : ce dernier oifeau y fait deux à trois
couvées, compofçes de quinze à dix-huit oeufs.
La prodigieufe quantité d’élèves qu’elles font’,
occafi.onne des chaffes agréables, qui en détruisent
beaucoup pendant les mois de Septembre &
d’oéfcobre-.
Lorfque la T ouvre vient à être dégagée j par les
: premières gelées, des herbes qui la couvrent, les
jodeiles qui ont échappé aux chaffeurs déferrent
pour fe.retirer ailleurs > il n’en refte qu'un petit
nombre
nombre dans les endroits qui font le moins expo-
fés au courant de l’eau ; elles fervent à repeupler
la rivière , l ’année Suivante, avec quelques autres
qui defeendent au p tinte ms des étangs voifins.
Lorfque les nids, font conftruits dans les jeunes
plantes que k belle faifon reproduit, une petite
crue d’eau peut les entraîner- 6c les ■ Submerger : !
alors il y a moins de; jodelles l ’automne Suivant ; i
mais lorfque ces nids réufliffent, la rivière fourmille
de ces oifeaux aquatiques, qui plongent 6c
qui nagent comme les mères, qui les conduisent
lorfqu’ ils font nés. 1
On voit toute l ’année des plongeons fur la Tou- >
vre; ils font fur les herbes naiffantes quatre à cinq
oeufs j qu’ils couvent Souvent dans l'eau.
On trouve dans la Touvre de petits infeéles|
aquatiques, qui s’attachent fur tous les corps qu’ils:
rencontrent : on les nommé des écrouelles. On prétend
qu’on a été éloigné d’établir fur la Touvre
des papeteries, parce que l’ eau de cette rivière ,
chargée devces infeétes, auroit infeété les papiers
qu'on auroit travaillés avec elle. Cet inconvénient
a écarté les fabricans de papier d’Angoulême de ■
leurs papeteries, qui font établies fur des rivières I
fort éloignées de la ville 5 ce qui Souvent interrompt
leur Surveillance.
Il n’y a que la paroiffe de Magnac dans laquelle
on élève beaucoup d’oies fur la Touvre : on Ls*
lâche le matin ; elles fe difperfent pêle-mêle fur
‘le gouffre ,* mais elles reviennent vers le fo ir , &
fe rendent à leurs retraites. On les dépouille trois
fois l ’annéé, 6c on ne leur laiffe à chaque fois que
les ailes , les nageoires & le duvet, qui forment
la production Suivante*
Nous revenons à ce qui concerne la Source de
la Touvre, & nous remarquons d’ abord q u ’elle eft j
le résultat de la tranfpofition de plufieurs rivières ■
par des conduits Souterrains. Ces conduits doivent
être fort nombreux, à en juger par.le grand
nombre d’entonnoirs ou s’engouffrent fucceffive- !
ment les eaux de la -Tardouere & du Bandiat, le
long de leurs cours ; ils doivent aboutir à des ré- :
fervoirs immenfes, vu la grande quantité d’eau
qu’ils verfent dâns la Source de la Touvre , fy. le ;
peu d’augmentation qu’elle éprouve à la fuite de j
pluies abondantes & Soutenues pendant long-tems.
Outre ce la , il faut que ces eaux aient de grands
• efpaces pour fe repoler , attendu qu’elles ne font
pas1 fujètes -à fe troubler ou ài Sortir chargées de
vafes: & de limon au débouché de la Source même,
après les pluies.;- . ' ^ uh
il paroît que l’arrondiffement .concave du bord ;
efearpé de la Charente s’eft prolongé fort avant ■
dàiïs les terres, 6c s’eft étendu vers la pkrrie de lai
-contrée, au milieu de laquelle s’eft creüfé le vallon
de la Touvre. On en v.oit les bords &r les li-
-mites. dans la fuice des caps ten?eftres, qu L dorai-
ment la vallée depuis Angoùlême jufquîàurd^làidfe
l'Ille, 6c même jufque Cke^-Grelet. ' y:
v.: Le vallon, de.'la Touvre &;.fQ.n.apptofondiffe-
Géographie-P kyfique. Tome II.
ment ne doivent dater,que d’un tern* bien .pofté-
rieur à l'approfondiSSement des vallées du Bandiat
6c de la Tardouère j car il eft n.éceflaire;qu:e la nature
ait Suivi cet ordre dans ces opérations. La
Source de la Touvre.étant le produit des entonnoirs
qui , au fond ou à côté des vallées du Bandiat
& de la Tardouère , abforbent ïa. plus grande
partie des-eaux de ces deux rivièresy, & même la
totalité dans l’état ordinaire :des chofes; Il a fallu
que toutes ces circonftances aient concouru à raf-
fembler la maffe des eaux que fournit la T ou vre,
à mefure qu’ elles fe rendent dans les réfervoirs
Souterrains dépendans, de cette Source:.: il eftné-
oeffairé d’ailleurs quelles fe foient iportées au dehors
avec affez d’abondance pour agir contre l'extrémité
.'des canaux Souterrains à l ’endroit du débouché
commun , & qu elles aient éboulé liés
voûtes de ces canaux, & creufé ainfi, par une fuite
de ces éboulemens , la partie fupérieure de la vallée
de la Touvre. Il paroît donc que cette partie
eft due au travail des eaux, lefquelles le prolongent
& le continuent peut-être encore de nos jours.
Je connois beaucoup de. fources ’qui font dans
le même Cas que la Touvre j car, comme ces Sources
& leurs débouchés font affujettis à uni certain
niveau, à une certaine profondeur, les vallées au
fond desquelles ces fources s’épanchent, n’ont pu
être approfondies par les eaux courantes fuperfi-
-cielles, qui n’auroient pu produire dansles premiers
tems une excavation Suffisante pourfervir. au d ébouché
total des eaux de la Source : il a donc fallu
que ces eaux des fources y. travaillaifenc comme
Sources.
- 11 y a beaucoup de ces'fources abondantes qui
font reftées couvertes , & dont les.conduits Souterrains
n’ont pas été entamés de manière à former,
par l'éboulëment de.leurs voûtes, des vallées
affez étendues, &;quileur Soient particubè-
res ; mais ayant continué ainfi à couler pendant
un long trajet, elles n’ont paru au dehors que
dans des vallées profondes, creufées par des eaux
courantes bien différentes des leurs, c’eft-à-dire ,
par des rivières confidérables, dans le lit desquelles
ces fources débouchent. J'ai déjà cité ces cir-
conftanées, qui ont;lieu dans h Source âlimentéè
par la perte des eaux du haut Vezè re , & qui ont
leur débouché dans la vallée de la rivière de l’Ille
en Périgord.
; Si:: le: vallon de .la .Touvre , ou du moins uhë
trèsTgrande partie :de: ce^vallon, atfucçédé à queh-
ques-uns des conduits Souterrains de cette.fourc&,
donD 'les voû-tes fe font, éboulées ou s'éboulent
peut-être encore chaque, jo u r , on a eu tort-d-’ah-
noncer comme un phénomène très-fingiilkr-l’ é-
boulement de quelque portion de terrain qui fit
paroître .une,nouvelle frturce.^enVi7^-3., lors du
tremblement de terre de Lisbonne. Les efforts
,dôntiûhels qiie-fait la.nriifo d’eatr immenie qufïbrt
parjil’ouverturè dévia••fburcei'j: §5 qui fort. à gr<5s
.bomhons iélbhæ biefs: .pi as • - ptadreselà ébouler ies
‘ l u i