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flottantes, mais plates comme des radeaux, &
qui ont plus de deux cents toifes de longueur, fur
foixante ou quatre-vingts de largeur y mais ces.
dernières glaces , qui forment des plaines immen-
fes fur la mer, n'ont communément que dix à
douze pieds d’épailfeur. Il paroît qu’elles fe forment
immédiatement fur la furface de la mer dans
la faifon la plus fri ide, aU lieu que les autres glaces
flottantes & ti c s-élevées viennent de la terre,
c ’eft-à-dire, des golfes & des côtes, d’où elles ont
été détachées & précipitées dans la mer. Il y a
d’ autres élémens de ces grandes glaces qui ont été
détachés des bords des fleuves, & voiturés dans
la mer par ces fleuves : ces dernières glaces entraînent
beaucoup de bois, qui font enfuite jetés
par la mer fur les côtes orientales du Groenland.
Une partie de ces bois paroît venir de la terre de
Labrador, & non pas de la N o rvè g e , parce que
les vents du nord-eft, qui font très-violens dans
ces contrées, repoufferoient ces bois comme les
courans, qui portent du fud au détroit de Davis
& à la baie d’Hudfon, arrêteraient tout ce qui
peut vepir de l'Amérique aux côtes de Groën*-
land.
La mer commence à charier des ; glaces au
Spitzberg dans les mois d’avril & de mai i elles
viennent au détroit de Davis en très-grande quantité
: une partie vient de la Nouvelle-Zemble. Les
glaçons fe rangent aufli le long de la côte orientale
du Groenland, étant portés de l'eft à l’oueft,
fuivant le mouvement général de la mer.
En 1609 fir Thomas Smith aborda fur la côte
orientale au Spitzberg} & les gens de fon équipage
, qu’ il mit à terre, lui apprirent que les lacs
& les mares n’étoient pas tous gelés : c’éroit le
26 mai : l’eau en étoit douce. Il remarque qu’on
arriveroit aufiitôt aü pôle par cette route que par
nn autre chemin, vu que le foleil produit une
grande chaleur dans ce climat, & que les glaces
n’y font pas d’une groffeur aufft énorme que celles
qu’il avoit vues vers le 7 * e. degré.
M. Phipps vit le ƒ juillet des glaces en grande
quantité vers le 79e. deg. 34 min. de latitude : le
tems étoit brumeux. Le 6 juillet il continua fa
route jufqu’au 79e. deg. ƒ9 min., entre la terre du
'Spitzberg & les glaces. Le 7 il continua de naviguer
entre des glaces flottantes, en cherchant une
ouverture au nord, par laquelle il auroit pu entrer
dans une mer libre ; mais la glace ne formoit
qu’une feule maffe au nord-nord-oueft, & au 80e.
deg. 36 min. la mer étoit entièrement glacée > en
force que toutes les tentatives de M. Phipps pour
s ’approcher du pôle ont été infruélueufes.
Le 12 feptembre, pendant une violente raffole,
le deéleur îrv ing, qui accompagnoit M. Phipps,
mefura la température de la mer dans cet état d'agitation,
& il trouva qu’elle étoit beaucoup plus
chaude que l’atmofphère. Cette obfervation eft
d'autant plus intéreffame, qu’elle eft conforme à
paffage des queftions naturelles de Plutarque,
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où il dit que la mer devient chaude lorfqu'elle eft
agitée.
Ces raffales font aufli ordinaires au printems
qu'en automne dans ces parages. M. Phipps croit
qu’en partant d’Angleterre à la fin de mai, il a
iaifi la faifon la plus favorable pour fon expédition,
vu qu’après le folftice d’été il avoit la plus grande
probabilité de trouver la mer ouverte & dégagée
fuffifamment de glaces au nord, parce qu’alors la
chaleur des rayons du fo.leil a produit tout Ion effet
, & qu’il refte d’ailleurs une affez grande portion
d'été pour vifiter les mers qui font au nord
& à l’oueft du Spitzberg, pour peu que la navigation
au pôle fût praticable.
Le peu de fuccès qu’a eu ce célèbre navigateur
femble nous autorifer à croire que l’on ne parviendra
pas à fe faire jour au pôle , quelque faifon
u’on choiliffe, & qu’on n’arrivera pas au-delà du
i*. ou 83e. deg. Ceux qui croient que le paffage
par le nord eft poflible, ne le croient praticable
que par la baie d’Hudlon. Ce fur Cabot qui le
premier eut l'idée d’un paffage par le nord-oueft
à la mer du Sud} mais fes fuccès fe terminèrent a
la découverte de 111e de Terre-Neuve. On vit
entrer dans la carrière, après lui, un grand nombre
de navigateurs anglais * mais ia plus heureufe
ne donna pas la moindre conjecture lur le but
qu’on fe propofoit. On croyoit enfin que c étoit
courir après des chimères, lorfque la decouverte
de la baie d’Hudfon ranima les eiperances prêtes
à s’éteindre. A cette époque les expéditions recommencèrent
; mais il convient de dilcuter ce
qu’on doit efpérer de leur continuation.* |
Il eft certain d’abord que les marées viennent
de l’Océan, & qu’ elles entrent plus ou .moins
avant dans les autres mers, à proportion que ces
divers canaux communiquent avec le grand badin
par des ouvertures plus ou moins conliderablès :
d’où il réfulte que ce mouvement périodique ne
fe fait pas fentir dans la Baltique & dans les autres
golfes qui leur reffemblent.
La fécondé vérité de fait eft que les marées
arrivent plus tard & plus foibles dans jes lieux
éloignés dé l'Océan, que dans les endroits qui le
font moins. Le troifieme principe eft que les vents
'violens qui fouflent avec la marée, la font remonter
au-delà de fes bornes ordinaires, & qu'ils la
retardent en la diminuant lorfqu’ ils fouflent en
fens contraire. ^
D’après ces principes il eft confiant que fi la
baie d'Hudfon étoit un golfe enclavé dans les terre
s , & feulement ouvert à la mer Atlantique, la
marée devroit y être peu marquée & affoiblie, vu
l’éloignement de fa fource : outre cela, lorfqu'elle
auroit à lutter contre les vents, elle devroit perdre
de fa force. O r , par des obfervations faites
avec la plus grande intelligence & la plus grande
précifion, on fait que la marée s’élève à une grande
hauteur dans toute l’étendue de ia baie, 6t fur-
tout au fond, que dans le détroit même ou dans
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le voifinage } enfin, que cette hauteur augmente
encore lorfque les vents oppofés au détroit fe font
fentir. Il en réfulte donc que la baie d’Hudfon n’a
d’autres communications avec l’Océan, que celle
qu’on connoît.
Ceux qui ont cherché à expliquer des faits fi
frappans, én fuppofant une communication de la
baie d'Hudfon avec la baie de Baffin, avec le détroit
de Davis, fe font manifeftement égarés. Il
fuffît, pour abandonner cette fauffe prétention j
de conudérer que la marée eft beaucoup plus baffe
dans le détroit de Davis, dans la baie de Baffin,
que dans la baie d’Hudfon.
Si les marées qui fe font fentir dans le golfe
dont il s'agit ne peuvent ven ir , ni de Y Océan atlantique,
ni d’aucune autre partie de la mer fep-
tentrionale, où ellés font plus foibles, on ne
pourra s’ empêcher de penfer qu’elles doivent avoir
leur fource dans la mer du Sud. Ce fyftème doit
tirer un grand appui d’une vérité inconteftabïe ;
c ’eft que les plus hautes marées qui fe fafTent remarquer
fur ces côtes font toujours caufées par
les vents du nord-oueft, qui fouflent diredtement
contre ce détroit.
- Après avoir conftaté, autant que la nature le
permet, l’exiftence d’ un paffage fi déliré, il refte
à déterminer dans quelle partie de la baie il doit
fe trouver. Tout invite à croire que c ’eft le Wel-
combe, à la côte occidentale, car on y voit le fond
de la mer à la profondeur de onze braffes. C ’eft un
indice que l’eau y vient de quelque grande mer,
parce qu’une femblable tranfparence eft incompatible
avec des décharges de rivières.& des eaux
courantes, produites par la fonte des neiges &
les pluies. Des courans dont on ne peut expliquer
l’origine qu’en les faifant partir de quelque
mer occidentale, tiennent ce lieu débarraffé de
glaces , tandis que le refte du golfe en eft entièrement
couvert j enfin les baleines , qui dans l ’ar-
rière-faifon cherchent conftamment à fe retirer
dans des climats plus chauds, s’y trouvent en fort
grand nombre à la fin de l’été ; ce qui paroît indiquer
un chemin pour fe rendre à l’oueft & dans
la mer du Sud.
Il eft raifonnable de conjecturer que le paffage
eft court. Toutes les rivières qui fe perdent à la
côte occidentale de la baie d’Hudfon font foibles
& petites j ce qui paroît prouver qu’elles ne viennent
pas de loin, & que par conféquent les terres
qui feparent les deux mers ont peu d’étendue. Cet
argument eft fortifié par la force & la régularité
des marées. Partout ou le flux & le reflux obfer-
vent des tems à peu près égaux, avec la feule différence
qui eft occafionnée par le retard de la lune
dans fon retour au méridien, on doit être affuré
de la proximité de la grande mer, d’où viennent
ces marées.
Si le paffage eft court, & qu’ il ne foit pas avancé
dans le nord, comme l’indiquent les obfervations
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'de M. Huérne, on doit préfumerquil’ n’eft pas-
difficile : la rapidité des courans .qu’on o.bferve
dans ces parages , & qui ne permettent pas aux
glaces de s’y arrêter, ne peut que donner du poids
à cette conjecture} mais nous ajouterons q u e ,
malgré toutes ce s raifons, & la vraifemblance qui.
réfulte de la découverte faite par M. Huerne de
l’Océan feptentrional, on ne peut croire au paffage
de la baie d’Hudfon dans la mer du Sud avanç
qu’il ait été tenté, & que quand même on feroit
parvenu à s’approcher au détroit de Bering , ce
détroit eft tellement obftrué de glaces, qu'on ne
pourroit pas déboucher par ces mers étroites &
glacées dans la mer du Sud . G’eft ce qui nous pa-r
roît réfulter définitivement des obfervations faites
par le capitaine Cook dans ces latitudes élevées
1 mais retournons à Y Océan atlantique, dont il nous
refte à décrire les autres particularités.
L’étendue des terres dans l’hémifphère boréal,
en la fuivant depuis le pôle jufqu’ à l’équateur,
eft fi grande en comparaifon des terres prifes de
même dans l’hémifpnère auftral, que Y Atlantique
en a reçu desagrandiffemensproportionnels}mais
d'ailleurs, il y a fi peu de diftance entre l’Europe
& l’Amérique vers les régions de notre pôle, qu’il
y a lieu de croire que ces deux continens étoient
contigus dans les tems qui ont précédé la retraite
des eaux } en forte que u l’Europe eft aujourd’hui
féparée du Groenland, c’eft probablement parc©
qu’il s’eft fait un affaiffement confidérable entre
les terres du Groenland, les côtes de Norvège &
de la pointe d’Ecoffe, dont les Orcades , l’ île de
Schtland, celles de Feroé , de l ’Iflande & de
Hola , toutes terres volcaniques, ne nous mon-»
trent plus que certaines parties les plus élevées des
terrains fubmergés} & fi le continent de l’Afie
n’eft plus contigu à celui de l ’Amérique vers le
nord , c’eft fans doute en conféquence de caufes
femblables. Ces premiers atfaiffemens que les volcans
de l ’Iflande nous indiquent inconteftabïe-.-
ment, font de même date ou poftérieurs aux affaif-
femens des contrées voifines de l’équateur , &
furtout à la retraite des mers de deffus nos continens.
On doit préfumer auffi , que non-feulement le
Groenland a été joint à la Norwège & àTEcoflèi
mais aufli que le Canada a été joint à l’Irlande
par les bancs de Terre-Neuve, & à i’Efpagne par
les Adores & les autres îles & hauts-fonds de cette
zone. Ils femblent nous préfenter les fommets des
terrains les plus folides & les plus élevés, dont les
autres parties ont été affaiffées fous les eaux. La
fubmerfion en peyt être encore plus moderne que
celle des contrées voifines de l’iflande, puifque
la tradition paroît s’en être conlèrvée} car on doit
confidérer comme telle l’ hiftoire de Y île Atlantide
, que nous ont tranfmife Platon & Diodore,
& donc les principaux détails ne peuvént s’appliquer
qu’à une très-grande terre, qui s'étendait
fort au loin à l’occident de l’Efpagne, & dont il
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