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jeux qui avoient quelque*reffemblance aux tournois
qui fuccédèrent. La plûpart des auteurs Allemands
prétendent que l’empereur Henri I. fur-
nommé Xoifeleur, qui mourut en 936, fut Ins tituteur
des tournois ; mais quelques-uns avec plus
de fondement en font honneur à un autre Henri,
qui eft poftérieur d’un fiècle au premier. En ce
cas , les Allemands auroient peu d’avantage fur
les François, chez qui l’on voit les tournois établis
vers le milieu du onzième fiècle, par Geof-
fro i, feigneur de Preuilli en Anjou. Anno 1066,
dit la chronique de Tours, Gau fri dus de Pruliaco,
qui torneamenta invenit, apud Andegavum occiditur.
Il y a même un hiftorien étranger , qui parlant
des tournois, les appelle des combats françois,
confiions gallici , loit parce qu'il croyoit qu’ils
étoient nés en France , foit parce que de fon
temps les François y brilloient le plus. Henricus
rex Anglorum junior, dit Mathieu Paris, fous l’an
1 1 70 , mare tranfiens in confliétibus gallicis , &
profufiorïbus expenfis , triennium peregit, regiâque
majeflate depofitâ , totus eft de rege tranfiatus in mi-
litem. Selon les auteurs de l’hiftôire byfantine ,
les peuples d’orient ont appris des François l’art
& la pratique des tournois ; & en effet notre nation
s’y eft toujours diftinguée jufqu’au temps de
Brantôme.
La veille des tournois étoit annoncée dès le jour
qui la précédoit, par les proclamations des officiers
d’armes. Des chevaliers qui dévoient combattre,
venoient auffi vifiter la place deftinée
pour les joutes. « Si venoit devant eux un
v hérault qui crioit tout en hault , feigneurs
» chevaliers, demain aurez la veille du tournoy ,
J> où proueffe fera vendue, & achetée au fer &
» à l’acier ».
On folemnifoït cette veille des tournois par des
efpèces de joutes appellées , tantôt effais ou éprouves
, épreuves * tantôt les vêpres du tournoi, &
quelquefois efcrémie „ c’eft-à-dire efcrimes, où lès
écuyers s’efîayoient les uns contre les autres avec
des armes plus légères à porter , & plus, aifées à
manier que celles des chevaliers , plus faciles à
rompre, & moins dangereufes pour.ceux qu’elles
. blefioient. C ’étoit le prélude du fpeitacle nommé,
le grand tournoi, le maure tournoi, la maître éprouve ,
que les plus braves & les plus adroits chevaliers
dévoient donner le lendemain.
Les dames s’abftinrent dans les premiers; temps,
d’affifter aux grands tournois * mais enfin, l’horreur
de "voir répandre le fang céda dans le coeur
de ce fexe né fenfible, à l’inclination, encore plus
puiiiànte qui le porte vers tout ce qui appartient
aux fentimens de la gloire, ou qui peut caufèr de
l’émotion. Les dames, donc accoururent bientôt
en foule aux tournois, & cette époqu„ dut être
celle de la plus grande célébrité de ces exercices..
Il eft aifé d’imaginer quel mouvement devoit
produire dans les efprits la. proclamation de ces
toumoïsî olemnels, annoncés long-temps d’avance „
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& toujours dans les termes les plus faftueux ; ils
animoient dans chaque province & dans chaque
cour tous les chevaliers & les écuyers à faire
a autres tournois, ou par toutes-fertes d’exercices ,
ik fe difpofoient à paroître fur plus grand
théâtre.
Tandis qu’on préparoît les lieux deftinés aux
tournois, on*fetaloit le long des cloîtres (de quelques
monaftères voifins , les écus armoriés de
ceux qui prétendoient entrer dans les lices , &
ils y reftoient plufieurs jours expofés à la curio-
fité & à l’examen des feigneurs, des dames &
demoifelles. Un héraut ou pourfuivant d’armes ,
nommoit aux dames ceux à qui ils appartenoient ;
& fi parmi les prétendans, il s’en trouvoit quelqu’un
donf une dame eût fujet de fè plaindre,
foit parce qu’il avoit mal parlé d’elle , foit pour
quelqu’autre offenfe, elle touchoit fécu de fes
armes pour le recommander aux juges du tournoi ;
c’eft-à-dire pour leur en demander juftice.
Ceux-ci, après avoir fait les informations né-
ceftaires, dévoient prononcer ; & fi le crime avoit
été prouvé juridiquement, la punition fuivoit do
près. Le chevalier fe préfentoit-il au tournoi
malgré les 'ordonnances qui l’en excluoient, une
grêle de coups que tous les autres chevaliers fai-
foient tomber fiir lui, le puniffoit de fà témérité,
& lui apprenoit à refpeéter l’honneur des dames
& les loix de la chevalerie. La merci des dames,
qu’il devoit reclamer à haute voix , éroit fèule capable
de mettre des bornes au châtiment du coupable^
Je ne ferai point la defcription des lices- pour
le tournoi, ni des tentes & des pavillons dont la
campagne étoit couverte aux environs, ni des.
hours , c’eft-à-dire des échafauds d'reftes autour
de la carrière où tant de nobles perfonnages dévoient
fe fignaler. Je ne diftinguerai point tes différentes.
efpèces de combats qui s’y donnoient,,
joutes , caftîlles , pas d’armes. & combats à la.
foule \ il me fuffit de faire remarquer que ees;
échafauds, fouvent conftruits en forme de tours ,
étoient partagés en loges & en gradins , décorés,
de riches tapis, de pavillons „ de bannières, de
banderoles & d’écuftbns. Auffi les deftinoit - on à
placer les rois, les reines, les princes & princëf-
fes, & tout ce qui compofoit leur cour , les dames
& les demoifelles, enfin les anciens chevaliers
qu’une longue expérience au maniement des.
armes avoit rendu les juges , les plus compétens.
Ces ♦ vieillards, à qui leur grand âge ne permet-
toit plus de S’y diftinguer encore, touchés d’une
tendreffe pleine d’eftime pour cette je.unefle valeu-
reufe , qui leur rappelloit le. fouvenir de leurs
propres exploits, voyoient avec plaifir leur ancienne
valeur renaître dans ces efiaims de jeunes
guerriers-
La richeffe des étoffes & des pierreries relevoi ;
encore l’éclat du fpeâacle. Des juges nommés
exprès, des maréchaux du camp, des confeillers
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ou affiftans \ avoient en divers lieux des places
marquées pour maintenir dans le champ de bataille
les loix des tournois, & pour donner leur
avis à ceux qui pourroient en avoir befoin. Une
multitude de hérauts & pourfuivans d’armes, répandus
de toùtes parts, avoient les yeux fixés
fur les combattans, pour faire un rapport fidèle
des coups qui feroient portés & reçus. Une foule
de méneftriers avec toute forte d’inftrumens d’une
mufique ' guerrière, étoient prêts à célébrer les
proueffes qui dévoient éclater dans cette journée.
Des fergens aâifs avoient ordre de fe porter de
tous les côtés' où le fervice des lices les appelle-
roit, foit pour donner des armes aux combattans.,
foit pour contenir la populace dans le filence
& le refpeél.
Le bruit des fanfares annonçoit l’arrivée des
chevaliers fuperbement armés & équipés., fuivis
de leurs écuyers tous à cheval. Des dames & des
demoifelles amenoient quelquefois fur les rangs
Ces fiers efclaves attachés avec des' chaînes qu’elles
leur ôtoient feulement, lorfqu’entrés dans l’enceinte
des lices , ils étoient prêts à s’élancer. Le
titre d’efclave ou de ferviteur de la dame que
chacun nommoit hautement en entrant au tournoi,
étoit un titre d’honneur qui devoit être acheté
par des exploits ; il étoit regardé par celffi qui le
portoit, comme un gage de la vi&oire, comme
un engagement à ne rien faire qui ne fût digne
de lui. Servans d’amour, leur dit un de nos poètes
dans une ballade qu’il conipofa pour le tournoi
fait à Saint-Denis, fous Charles V I , au commencement
de Mai 1389.
Servans d’amour, regardez doucement
Aux échafauds, anges de paradis,
Lors joutere^ fort, & joyeufement,
JLt vous ferez honorés & chéris•
A ce titre, les dames daignoient joindre ordinairement
ce qu’on appelloit faveur, joyau, no-
bleffe , nobloy, ou enfeigne ; c’étoit une écharpe,
un voile, une coëffe, une manche , une mantille,
un braffelet, un noeud, en un mot quelque pièce
détachée de leur habillement'ou' de leur parure ;
quelquefois un ouvrage tifiù de leurs mains, dont
le chevalier favorifé ornoit le haut de fon heaume
ou de fa lance , fon écu, fa cotte d’armes, ou
quelqu’autre partie de fon armure.
Souvent dans la chaleur de l’a&ion, le fort des
armes faifoit pafler ces gages précieux au pouvoir
d’un ennemi vainqueur, ou divers accidens en oc-
cafionnoient la perte. En ce cas la dame en ren-
voyoit d’autres à fon chevalier pour le confoler,
& pour relever fon courage : ainfi elle l’animoit
à fe vanger , & à conquérir à fon tour les faveurs
dont fes adverfàires étoient parés, & dont
il devoit enfuite lui faire une offrande.
Ce n’étoit pas les feules offrandes que les chevaliers
vainqueurs faifoient aux dames ; ils leur
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préfentoîent auffi quelquefois les champions qu’ils
avoient renverfés, & les chevaux dont ils leur
avoient fait vuider les arçons.
Lorfque toutes ces marques, fans lefquelles on
ne pouvoit démêler ceux qui fe fignaloient ,
avoiént été rompues & déchirées, ce qui arri-
voit fouvent par les coups qu’ils fe portoient en
fe heurtant les uns les autres, & s’arrachant à
l’envi leurs armes, les nouvelles faveurs qu’on
leur donnoit fur le champ, fervoient d’enfeignes
aux dames , pour reconnoître celui qu’elles ne
dévoient point perdre de vu e , & dont la gloire
devoit rejaillir fur elles. Quelques-unes de ces
circonftances ne font prifes à la vérité que des
récits de nos romanciers ; mais l’accord de ces
auteurs, avec les relations hiftoriques des tournois ,
juftifie la fincéritè de leurs dépofitions.
Enfin, on ne peut pas douter quelles dames
attentives à ces tournois ne priflent un intérêt fenfible
aux fuccès de leurs champions. L’attention
des autres fpeâateurs n’étoit guères moins capable
d’encourager les combattans : tout avantage remarquable
que remportoit quelqu’un des tour-
noyans , étoit célébré par les ions des ménétriers,
& par les voix des hérauts. Dans la viétoire on
crioit, honneur au fils des preux ; car, dit Monf-
trelet, nul chevalier ne peut être jugé preux lui-
même, û ce n’eft après le trépaflement. D ’autrefois
on crioit, louange & prix aux chevaliers qui
foutiennent les griefs, faits & armes, par qui valeur
, hardement & proueffe efi guaingné en fang mêlé
de fueur.
A proportion des criées & huées qu’avoient
excitées les hérauts & les ménétriers, ils étoient
payés par les champions. Leurs préfens étoient
reçus avec d’autres cris ; les mots de largeffes ou
nobleffe , c’eft-à-dire libéralité, fe répétoient à chaque
-diftribution nouvelle. Une des vertus les plus
recommandées aux chevaliers, étoit la généro uté ;
c’eft auffi la vertu que les jongleurs, les poètes
& les romanciers ont le plus exaltée dans leurs
chanfons & dans leurs écrits : elle fe fignaloit
encore par la richefle des armes & des habille-
mens. Les débris qui tomboient dans la carrière,
les éclats des armes, lés paillettes d’or & d’argent
dont étoit jonché le champ de bataille, tout fe
partageoit entre les' hérauts & les ménétriers. On
Vit une noble imitation de cette antique magnificence
chevalerefque à la cour de Louis XIII,
lorfque le duc de Buckingham, allant à l’audience
de la reine, parut avec un habit chargé de perles
, que l’on avoit exprès mal attachées ; il s’é-
toit ménagé par ce moyen un prétexte honnête
de les faire accepter à ceux qui les ramafloient
pour les lui remettre.
Les principaux réglemens des tournois, appellés
écoles de proueffe dans le roman de Perceforeft,
confiftoient à ne point frapper de la pointe, mais
du tranchant de l’épée, ni combattre hors de fon
| rang ; à ne point blefler le cheval de fon adver-, y z