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efcorte. Alors Frédéric leur dit qu’il ne les avoit
appellés que pour recevoir d’eux l’hommage qui
lui étoit dû par les valTaux de l’Empire ; que Canut
plus docile s’étoit acquitté de ce devoir, & qu’il
falloit le remplir , ou perdre tout efpoir de retour
en Danemarck. Les princes cédèrent à la néceffité,
& firent un ferment contre lequel ils réclamèrent
dès qu’ils furent libres. Le jeune Valdemar, moins
ambitieux que Suénon , l’engagea à céder à Canut
uelques terres difperfées dans le Danemarck : la
iftance des domaines qu’on lui laiffoit rendoit fa
révolte plus difficile ; Suénon y confentit ; mais
bientôt corrompu par l’ivreffe, qui fuit les profpé-
rités, il opprima & fon peuple, & Canut, & Valdemar
lui-même. Les deux malheureux fe réunirent
contre leur ennemi commun ; ils firent entre-
eux un partage des états dont ils étoient chaffés.
Valdemar fut reconnu roi par Canut, .& Canut par
Valdémar. Enfin après bien des -vi&oires & des
défaites , des négociations échouées , renouées ,
rompues , reprifes encore , on convint du partage
du Danemarck; on laiffa les îles à Canut. Le fuccès
de cette entrevue fut célébré par des fêtes publi-
<ques. Les deux princes auroient dû trembler de la
facilité avec laquelle l ’ambitieux Suénon leur abandonnât
les deux plus beaux fleurons de fa couronne
; les careffes dont il les combloit en fe dépouillant
ainfi pour eux, dévoient leur infpirer de
nouvelles alarmes; mais Valdemar, jeune & généreux
, étoit incapable de foupçon. Canut étourdi
par une profpérité fi inattendue, ne voyoit, n’en-
rendoit rien. Suénon, l’an 1 1 5 7 , les convia à un
feftin magnifique : ils s’y rendirent : Canut fut affadi
né ; Valdemar échappa aux bourreaux, tandis
qu’Abfalon, fon miniftre & fon ami, reçut Canut
mourant dans fes bras, croyant y recevoir fon
maître , défendit long-temps fon cadavre palpitant,
.& l’emporta du théâtre où fe pafloit cette fcène
• funefte. Canut étoit un prince fans vertus & fans
vices, plus opiniâtre que courageux, malheureux
fouvent par fa faute, il altéra par la lâcheté avec
laquelle il reconnut l’empereur pour fon maître,
l ’intérêt que fes revers auroient infpiré. Il laifla
deux fils légitimes., Nicolas qui fut faint, Harald
■ qui fut chef de parti, un fils naturel, Valdemar.,
qui fut évêque, & deux filles qui, malgré les infortunes
de leur père, trouvèrent des alliances
illuflres. ( M. d e S a c y . ) Canut V I , furnommé le Pieux, ( Hijl. de Danemarck.')
roi de Danemarck, étoit fils de Valdemar
ï , qui furvécutà l’infortuné Canut, & au perfide
Suénon; & qui, par la douceur de fon gouvernement
, effaça jufqu’aux traces des malheurs que la
guerre des trois rois avoit caufés. Élevé fous les
-yeux .d’un fi grand prince, partageant avec lui le
fardeau des affaires, apprenant de lui l’art de faire des
heureux, Canut ne pouvoit être un tyran. Valdemar
l ’avoit défignê pour fonfucceffeur : mais après la mort
du père arrivée en 1182,les Scanîens,peuples enclins
à là révolte, vexés par les intendans de Valdemar
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qui l’avoit ignoré, échauffés par Harald, prince de
lang Danois , qui cherchoit à troubler 1 état pour
faire époque , refusèrent de rendre hommage à
Canut VI. Ce prince, qui vouloir fignaler fon avènement
au trône, par un aéte de clémence, leur envoya
l’éloquent Àbfalon ( Voye{ ce mot ) pour leur
offrir une aminiftie , & les ramener à leur devoir
par les voies politiques. Elles ne réuffirent pas ; il
fallut en venir aux mains. Harald vaincu par-tout,
pourfuivi de retraite en retraite, alla mourir en
Suède, & la révolte s’éteignit avec lui. Peu de fang
avoit coulé dans cette guerre ; & la nature avoit
fait pour Canut les frais de la viétoire, dans la bataille
qui fe donna fur les bords de la Luma ; un
ouragan affreux s’éleva tout-à-coup, dirigeant fa
courfe du côté des Scaniens, enleva les boucliers
des plus foibles, mit les plus robuftes dans l’im-
poflibilité d’en faire ufage ; & les laiffant expofés
fans armes défenfives à tous les traits des roya-,
liftes, les contraignit de faire une retraite préci-,
pitée. La clémence de Canut s’étoit laffée ; il vou-;
loit. abandonner la province au pillage ; mais Ab»
falon défendit les vaincus contre la foreur de fon
roi, comme il avoit défendu fon roi contre la fureur,
des rebelles.
Leur fédition avoit été fecrètement fomentée par,
Frédéric Barberouffe, qui vouloit faire fentir à
Canut VI la néceffité de fe reconnoître fon vaffal J
afin d’obtenir l’appui de la puiffance impériale. Il
l’invita en 1188 , à venir renouveller à fa cour
cette inviolable amitié qui l’avoit uni, difoit-il, à
Valdemar fon père : il ne falloit pas une politique
bien profonde, pour pénétrer le deffein de l’empereur
: l’exemple de Suénon & de Valdemar fufi*
fifoit pour inftruire Canut. Il différa fon voyage
fous divers prétextes. Frédéric prit ces délais
pour un refus; la chimère de la monarchie uni-
verfelle, prefque réalifée par Charles-Quint, corn-;
mençoit à flatter dès-lors les ambitieufes efpéé
rances des empereurs. Leurs liaifons avec les papes
les accoutumoient à fe regarder, ainfi que les pontifes,
comme maîtres de l’univers. Frédéric écrivit
à Canut avec ce ftyle impérieux, dont fe fervoit
leur fàinteté, lorfqu’elle daignoit écrire aux rois#
Il lui manda que, s’il ne vouloir lui faire hommage
de fes états, il alloit en difpofer en faveur
de quelque prince mieux inftruit de fes devoirs#
Canut répondit«qu’avant de donner le Danemarck»
» il falloit le prendre ;puis mêlant la plaifanterie à
» la fermeté , il ajouta que , fi Frédéric vouloit lui
» céder la moitié de fon empire, il s’avoueroit
» fon vaflal pour cette partie ». Cependant Valdemar,
auffi efclave des promeflès de fon père que
des fiennes, lui envoya fa foeur, âgée de fept ans,
que Valdemar avoit promife à Frédéric, duc de
Souabe, fécond fils de l’empereur.
Canut, peu inquiet du côté de l’Allemagne, pafla
en Juthland , où quelques troubles avoient rendus
fa préfence néceffaire : Bogiflas, duc de Poméranie ,
créature de Barberouffe, & qui avoit juré d’arrar
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ther les armes à la main, l’hommage que le roi
refufoit à l’empire, faifit cette circonftance, équipa
une flotte, & prépara une irruption dans l’île de
Rugen , dont le prince étoit vaffal du Danemarck.
Ablalon qui penfoit qu’un bon miniftre peut, fous
®m bon ro i,. agir par lui-même, n’attendit pas les
ordres de Canut ; il arma une flotte, attaqua celle
de Bogiflas la mit en déroute, & ôta aux Vandales
tout efpoir de difputer déformais aux Danois
Fempire dë la mer Baltique.
Bogiflas apprit bientôt combien il eft dangereux
pour un prince fôible, d’époufer les querelles des
grandes puiffances^ Canut, revenu au fein de fes
ctats, ne refpira plus que la vengeance. Il réfolut
de porter le fer 6c la flamme au fein dè la Poméranie
: l’infulte • que lui fit l’empereur en lui renvoyant
fa foeur, dèftinée au duc deSouabeaccrut
encore fa fureur. Il entra dans les états de Bogiflas,
a la tête d’une puiffante armée, laifla un libre cours
au brigandage de fes foldats , prit dés villes , rafà
lès fortereffes, défit le düc en plufieurs rencontres ,
le pourfuivit, la lance dans les reins, jufques fous
les murs dé Camin , où il fut contraint de fe renfermer.
Il voyoit fa province ravagée., fes foldats
découragés ,. fes amis chancelans, l’empereur fe
bornant à le plaindre au lieu de le feeourir, un
ennemi triomphant, prêt à forcer fon 'afyle ; i l ré-
fblut de céder à; fa mauvaife fortune, & compta
plus fur la générofité de fon vainqueur, que fur
ramifié politique dè Barberouffe. Il lortit de Camin
avec fâ famille, dans tout l’appareil de l’infortune,
fè jetta aux pieds de Canut, lui remit fes états,
& lui demanda la vie : cette fcène étoit l’inftant dit
Héros. Canut lui rendit la Poméranie, ^condition
que de vaffal de l’empire, il deviendroit vaffal du
Danemarck. Le vainqueur ne détacha de la principauté
qu’il lui laiffoit, que lafeigneurie deBarth,
dont il fit préfent au prince de Rugen, pour payer
fe fidélité, & l’indèmnifer dès pertes qu’il avoir
eflùyées- Tant de grandeur fit fur le. coeur dè
Bogiflas une impreffion profonde, qui ne s’effaça
jamais. Il cqnçut tant d’eftime pour Canut, que,
lorfqu’il mourut en i iqo , il ne voulut point partager
fes états entre fes enfans , « Prenez Canut
» pour arbitre, leur dit-il ; je cannois fa candeur.
37 N’appeliez point de fa décifion, elle fera-diélée
9) par l’équité même »:
Cependant Canut, adoré dè fes fujets, craint dè
fes vaffaux, eftimé dè fes voifins , fe voyoit en état
de rendre à l’empereur tous les maux qu’il lui avoit
faits. Il s’èmpara dè Meklembourg r fit prifonniers
Burewin & Niclotyqui fe difputoient cette principauté
, la partagea entre les deux concurrens reçut
leur hommage ,& leur rendit la liberté.-Enflé de ce.
fuccès, il pénétra plus avant,-fournit tout le Hol-
ftein , & recula les bornes de fa domination, dèpuis
l ’Elbe jufqu’à l’orient de la Poméranie. Ainfi une
démarche imprudente coûta à Barberouffe une partie
de fon- empire.
Canut * vy-dXit fatisfait ainfi fa vengeance & fon
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ambition, ne fongea plus qu’à verfer fes bienfaits
fur fon peuple & fur fa famille ; il donna à fon frère
Valdemar le duché de Slefwick, appanage ordinaire
des princes du fang, à condition de foi & hommage.
Une circonftance imprévue fit fa paix avec
l’empereur. La frénéfie des croifades règnoit alors-
dans toute l’Europe : Frédéricavoit pris la croix; il fe
préparoit à paffer en Paleftine, & craignoit que,
pendant fon abfence, Canut ne fê vengeât de tant
d’hoftilités-accumulées, en s’emparant d’une parti®
de l’empire : il rechercha donc fon alliance. Canut
promit de ne point troubler le repos de l’Allemagne,
jufqu’air retour de Barberouflè. Cette réponfe tran-
quillifa l’empereur. Mais, pouraffurer encore mieux
Ig calme qui règnoit dans fes états, il appuya, par
fes ambaffadeurs, la lettre que Clément III écrivoit
à Canut. Le pontife invitoit le roi de Danemarck à
venir maffacrer les Sarrafins qui ne lui avoiènt fait
aucun mal, pour venger un Dieu qui prioit pour
fes ennemis en expirant fous leurs coups. L’en-
thoufiafme de la chevalerie prêtoit une nouvelle
force aux confeils du faint-père. En effet, quelques
feigneurs s’enrôlèrent pour cette expédition. Les
moines excitèrent les autres gentilshommes à aller
laver leurs péchés dans le fang dès Sarrafins, & fe
firent donner ou achetèrent à vil prix des terres
que leurs mains laborieufês rendirent très-fêrtflès;
Mais l’exemple du fage Canut contint le refte de la
nobleffe. Il oppofà aux follicitations dit pape une
réfiftance très-ienfée j il aima mieuï continuer pai-
fiblement à répandre le bonheur fur fés états, que
d’àllèr avec les autres princes chrétiens, porter
dans ceux de Saladinla terreur, la- m ort, &. l’è-
xemple de tous les crimes.
Canut auroit joui dix calme le plus profond , fi
fon imprudence n’avoit pas confié aux mains ffun
prélat ambitieux, le dépôt dangereux d’une autorité
paffagère. Valdemar étoit trop jeune encore pour
gouverner par lui-même le duché de Slefwich. L’évêque
de Slefwich, bâtard de Canut' V > & qui
portoit auffi le nom de Valdemar, fut donc chargé
de tenir, jufqu’à la majorité du prince, les rênes
de l’adhuniftration. Il eft peu de régens peut-être
ui , dans le fecret de leur ame , n’aient été tentés
’envahir le patrimoine de leur pupille-Le prélat
Valdemar prétendit que, les bâtards n’étant point
exclus du; trône par lés loix fondàmentales de la
monarchie dânoife, il devoit au moins la partager
avec Canut. Ce prétexte éblouit les efprits avides
de nouveautés fur-tout cette claffe d’intriguans ,
dont la fortune eft fondée fur les malheurs de l’état,
& qui attendènt de fanglantes révolutions pour for-
tir du néant. Un parti fut bientôt formé : Valdemar
paffa d’abord en Norwege , où il prit le titre de roi».
& fêligua avec Adolphe de Schaffembourg , comte
de. Holftein, ennemi né de Canut, & de tous les
grinces que divers intérêts animoient contre ce
prince.
L ’armée des confédérés s’avança donc, en 1192 »
vers l’Eidcr ; Canut » avare du fang des hommes 9