
fécond concile de Nicee, où les Iconoclaftes furent
condamnés, & le culte des images établi, le pape
Adrien , très-content de ce concile , & de la part
qu’il y avoit eue par feslégats, s’empreffad’en.envoyer
les a&es à Charlemagne fon ami. Sa furprife
& fa douleur furent extrêmes de ■ voir que Charlemagne
, loin d’y applaudir, compofa oufit com-
pofer par les évêques de fa domination, auxquels
il avoit donné ces a&es à examiner, un ouvrage
dans lequel il rejettoit les dédiions du fécond concile
de Nicée, comme contraires à l’ufàge & à l’opinion
de l’églife d’Occident , & s’efforçoit de
prouver que ce concile n’étoit point oecuménique.
Cet ouvrage que nous avons, ocqui eftfort connu
fous le nom de livres Carolins, n’eft ni {ans fiel, ni
même fans quelques légères erreurs. Il refpire en
plus d’un endroit la prévention 8c l’averfion contre
les Grecs. L’auteur, quelqu’il lut, ne montre pas
toute l’érudition eccléfiaftique néeeflaire , lorfqu’il
avoue qu’il ne connoîtni la perfonne, ni les écrits
de faint Grégoire de Ny ffe , dont l’autorité étoit
réclamée pa» le concile de Nicée.
Au relie, l’erreur principale de Charlemagne &
de fes évêques, lur la doctrine de ce concile,étoit
très-naturelle ; elle venoit de l’impéritie du traducteur
des aéles. On y avoit lu avec autant d’étonnement
que de fcandale, cette formule : Je reçois
& j ’honore les images, & je leur rends la meme adoration
que je rends à la fainte Trinité. On jugea en
France que la haine pour les Iconoclaîles avoit
jetté les pères de Nicee dans l’idolâtrie. L’original
grec portoit au contraire : Je reçois & j ’honore les
faintes images ; mais je ne rends qu’à la feule Trinité
Vadoration de Latrie. Ce qui étoit conforme à la
doélrine que l’églife avoit profèffée dans tous les
temps.
Il paroît que l’erreur de Charlemagne ne fut pas
promptement diflipée ; car au concile de Francfort
fur le Mein, qui fe tint en 794., 8c où il rafle m-
bla les 'évêques de toutes les provinces de fon
©bêiflance, le fécond concile de Nicée fut rejetté,
toujours fur le fondement de la même erreur. Cette
oppofition de deux conciles, tous deux très-nombreux
& très-folemnels, fit redouter dès lors au
pape Adrien la féparation des deux églifes, qui ne
devoit avoir lieu que dans le fiècle fuivant ; il
craignoit de voir naître ce fchifme d’un mal entendu
, dans le moment où l’églife grecque , abjurant
l’erreur dont on avoit voulu l’infeâer , fe réunifloit
à l’églife romaine fous une impératrice orthodoxe,
& preno'tavec le faint fiége de nouveaux engage-
mens. Adrien écrivit contre le livre de Charlemagne
, non en eontroverfifte, mais en père commun
& en pacificateur ; fa lettre à Charlemagne eft d’un
ton aufîi doux, aufli aimable, aufli paternel, & en
même temps aufli refpeâueux que celui des livres
Carolins eft aigre &. amer. Il eu vrai que le faint
Siégé ne pouvoit trop ménager un bienfaiteur tel
que Charlemagne ; mais enfin Adrien eut fur lui un
avantage marqué dans cette di'pute. Le mal entendu
cefla enfin, & la paix fe maitint entre les
deux églifes.
Adrien I fu t, dit-on, le premier pape qui exigea
qu’on ne parût jamais devant lui fans lui baifer les
pieds. Elevé au pontificat en 7 7 a , il mourut en
795 , ayant plus approché qu’aucun autre pape ,-de
ce terme , qu’aucun pape ne doit voir ; c’eft-à-dire
de vingt-quatre ans , cinq mois 8c dix jours, pendant
leiquels faint Pierre gouverna l’églile de Rome :
Non vide bis annos Pétri. Charlemagne ne le regretta
pas feulement comme un de ces alliés que donKe
la politique, 8c fur lefquels on ne peut compter
qu’en proportion de l’intérêt; il le pleura comme
un ami tendre, courageux, d’une,, confiance éprouvée
dans des temps difficiles & dont le coeur ne
s’étoit jamais démenti à fon égard dans tout le cours
de fa vie. Nous avons dit ( article A a r o n ) qu’Aa-
ron Rachid & Charlemagne s’étoient- aimés fidèh
lement fans s’être jamais vus ; Charlemagne &
Adrien s’aimoient d’autant plus qu’ils s?étoient vus*
& que leurs relations étoient plus intimes. Adrien
avoit fait en vérs l’éloge de Charlemagne, Charlemagne
fit aufli en vers latin l’épitaphe $ Adrien;
. il y peint fà tendrefle & fà douleur , c’efi un monument
de l’amitié d’un roi. On voit encore cette
épitaphe gravée fur une table de marbre, auprès
de ta porte de l’êglife du Vatican. Elle eft corn-
pofée en tout de trente-huit vers. En voici quelques
uns.
I PoJI patvem lacrymans Carotus hcec carmina fcripjt
Tu mihi dulcis amor ; te modb plango , pater.....
Nomina. jungo Jîmul titulis , clarijjïme 3 nqftra.
Adrianus , Carolus , rex ego , titque , pater. ► .
Tàm memot ejlo tui nati , pater optime > pof to ,
Cum pâtre die natus pesgat & ijle. tuus.
Charlemagne, en envoyant au même pape un
pféautier en lettres d’or , comme le pape lui avoit
donné à Rome le recueil‘ des canons r l’avoit ac- .
compagné de vingt vers, latins, aufli héxamêtres.
&. pentamètres , qui fervent de dédicace , comme
l’acroftiche ÜAdrien en avoit fervi au recueil des
canons.
A drien IL Tout étoit changé fous-^/rie/zII. Elevé,
au pontificat en 867 & mort en 872,. Les. papes alors.
. vouloîent être les maîtres des empereurs & des rois ,
& vouloient fe .mêler non feulement de leurs af- j
faires * mais encore, de leurs amours. Nicolas I ,
prédécefleur d'Adrien I I , avoit excommunié le
! jeune Lothaire, roi de Lorraine, arrière p ^ t - fils
de Charlemagne * pour avoir répudié Thietberge *
& avoir époufé Valdrade. Cette affaire étoit prefi
que dans toutes fes circonfianc.es la même que celle:
q u i dans la fuite occafionna le fchifme d’Angleterre,
fous le pontificat de Clément VII, 8c le régné .de..
Henri VIII. Lothaire feignit de fe foumetere & de
renvoyer Valdrade. Nicolas mourut : les Sarrafins.
ravageoient alors l’Italie. Lothaire imagina d’aller
offrir au nouveau pape Adrien II fes fervices &.
fes fecours contre les Sarrafins; U crut qu’ua teü
bienfait lui tiendront lieu de la foumifllon fi impé-
rieufément exigée par Nicolas ; il fut acceuilli en ;
effet avec toutes les dèmonftrations de la reconnoif-
fance ; la confiance & l’amitié parurent régner entre
Adrien 8c lui. Lothaire, dans un jour de folemni-
t é , voulut communier de la main du pape avec
tous les feigneurs francois de fa fuite, fansfoup-
çonner le piège 011 le pape l’attendoit. Aufli - tôt
qu’ils eurent reçu la communion., le pape les força
de jurer avec le roi fur l’euchariftie, qu’il avoit
en effet obéi au pape Nicolas fon prédécefleur, &
que fa rupture avec Valdrade étoit fincère 8c fans
retour. Le ferment fur l’éuchariftie étoit alors au
nombre des épreuves ou jugemens de Dieu, en
vertu des paroles de faint Paul : Que celui qui reçoit
indignement le corps & le fangde Jéfus-Chrijl, mange
& boit fon jugement. On croyoit en conféquence
que quiconque offrit fe parjurer fur l’euchariftie,
mouroit infailliblement dans l’année. Lothaire &
fes François, furpris, effrayés mais trop avancés
our pouvoir reculer fans une extrême confufion,
égayèrent en tremblant le ferment redoutable
qu’on exigeoit d’eux , 8c fi nous en croyons les
hiftoriens de ce ftècle, ils moururent tous peu de
temps après, comme fi le glaive de l’ange exterminateur
les eût frappés. Ce qui eft certain, c’eft
que Lothaire tomba dans une maladie de langueur
dont il mourut à Plaifance , lorfqu’il retournoit
dans fes états.
Charles, roi de Provence , fon frère puîné,
qui n’avoit point fiibi comme lui l’épreuve de
l’euchariftie, mourut affez-tôt pour n’avoir pas le
temps d’hériter de lui.
Leur feul héritier légitime étoit l’empereur Louis
leur frère. Charles-le-Chauve, au mépris des droits
de Louis fon neveu , s’empara de la Lorraine. Louis
ainfi dépouillé, eut recours à l’autorité du faint
Siège, 8c lui qui, à titre d’empereur, devoit être
le prote&eur du pape, en devint le protégé. Adrien
prit avec Charles-le-Chauve le même ton d’empire
que Nicolas avoit pris avec Lothaire le jeune. Il
le menaça de l’excommunier : il ordonna même
aux évêques françois de fe féparer de la communion
de Charles, s’il diffèroit de reftituer la Lorraine à
l’empereur. Le pape cependant ne montroit tout ce
zèle que pour récompenfer l’empereur du bon exemple
qu’il avoit donné de recourir au faint Siège ; car
d’ailleurs Louis étoit de tous les princes Carlovin-
giens , celui dont le pape défiroit le plus l’affoi-
bJiffement, précifément parce qu’il étoit empereur
& qu’il avoit l’Italie dans fon partage.
Nicolas 18 c Adrien II avoient du moins le mérite
de défendre la caufe la plus jufte ; car Lothaire
avoit vraifemblablement- tort à l’égard de Thietberge
fa femme, 8c Charles - le - Chauve avoit
certainement tort à l’égard de l’empereur Louis fon
neveu; mais les torts des rois ne pouvoientdonner
fur eux aux papes, que le droit de fepréfenta-
tion 8c d’exhortation ; les papes ne dévoient jamais
©ublier que le royaume de Jéfus-Chrift n’eft pas
de ce monde, 8c que s’ils poffédoientun royaume
temporel, ils en avoient l’obligation à la munificence
des rois Carlovingien's.
Le defpotifme d'Adrien révolta une partie du
clergé de France;les deux hinemar fe partagèrent,
l’oncle , le grand Hinemar, l’archevêque de Reims,
qui ne vouloit de defpotifme que le fien, fe porta
pour le défenfeur de fon roi Charles-le-Chauve &
des libertés de l’églife gallicane, lefquelles ne permettent
pas pourtant d’envahir le bien d’autrui ;
le neveu , l’évêque de Laon , qui ne trouvoit point
de defpotifme plus infupportable que celui de fon
oncle", devint le chef du parti papifte. Charles-le-
Chauve , qui ordinairement trembloit devant fes
évêques, le fentant appuyé par le meilleur hinemar
(car il s’en falloit bien que le neveu eut la
confidération de l’oncle’) ofa confeiller au pape de
montrer plus de modération, afin que lui & fes
prélats neuffent occafion de l’éconduire.
Sous le pontificat dé Adrien II fe formoit le grand
fchifme d’Orient ; Adrien tint à Rome, en 868,
un concile où il fit condamner Photîus, il eqvoya
des légats au concile de Conftantinople, huitième
concile oecuménique, qui condamna encore plus
folemnellement ce patriarche.
Adrien I V , anglois, fils d’un mendiant, men*
diant lui-même, après avoir erré long - temps de
pays en pays, comme les gens de cette profeflion,
regarda enfin comme une bonne fortune d’être reçu
en qualité de domeftique chez les chanoines,
réguliers de faint Ruf; ces chanoines lui ayant
trouvé d£s talens très-fupérieurs à fon état, l’ag-
grégèrent Sabord à leur ordre, & le mirent en-
fuite à leur têfe, il fut leur général. Le pape Eu*
gêne III le fit cardinal, évêque d’Albano, & l’envoya
en légation dans le Danemarck & dans la
Norvège. Il fut fait pape lui-même le 3 décembre
1154 , 8c fe diftingua entre tous les papes par fon
zèle pour les intérêts du faint Siège, 8c par fon
indifférence pour les intérêts de fa famille. Quant
au premier point, fon zèle eut occafion d’éclater
dès le commencement de fon pontificat. Arnaud
de Breffe vivoit encore ; ce fameux hérétique,
difciple d’Abailard, beaucoup plus hardi que fon
maître, enfeignoit une do&rine , qui eft celle de
toutes les héréftes qui doit le plus déplaire au
clergé. Selon lui, tout eccléfiaftique pofledant des
terres, étoit damné ; l’églife ne devoit rien pofféder
8c tous fes biens appartenoient aux princes temporels.
Si cette doârine devoit lui faire de puiflans
ennemis , elle lui procuroit aufli de zélés partifans.
Arnaud fut chef de parti, il eut une armée, il fe
rendit le maître dans Rome, il en chafl^ les papes,
il en changea le gouvernement, il voulut y rétablir
le fénat. Eugène III enfin après plufieurs combats
fut reçu dans Rome ; Arnaud tut fait prifon-
nier ; mais les Romains ne fe preffant pas de prononcer
fur fon fort, Adrien IV , fécond fucccneur
d’Eugène III, les excommunia jufqu’à ce qu’ils
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