
ment, vouloit faire donner la queflion à Jeanne,’
toute malade qu’elle étoit ; il fit expofer à fes yeux
l ’appareil des tortures. Jeanne protefta dbyance, &
jura de défavouer après la queflion , tous les
aveux contraires à la vérité, fi la violence des
douleurs en arrachoit de tels à fa foibleffe. La
crainte qu’elle ne mourût à la queflion, fut le feul
motif qui la lui fit épargner
Avant fon jugement, on la conduifit à la place
du cimetière de l’abbaye de faint Ouen de Rouen.
Un doéleur , nommé Guillaume Erard, prononça,
Tous le titre de prédication charitable, un difcours
rempli d’inveélives contre elle & contre le roi de
France. C'efl à toi, Jeanne , que je parle , s’écrioit-
ï l , & te dis que ton roi eft hérétique & fchifmatique.-
Jeanne ne répondit rien fur ce qui ne concer-
noit qu’elle. Quand elle entendit infulter le roi,
elle interrompit le prédicateur : Par ma f o i , Sire ,
lui dit-elle , révérence gardée , je vous ofe bien dire'
6* jurer fur peine de ma vie, que mon roi ejl le plus
noble chrétien de tous les chrétiens, & ne f l point tel
que vous dites.
Qui ne feroit touché de ce témoignage d’amour
6c de zèle pour un roi indifférent, qu’elle avoit
fi bien fe r v i, & qui la biffoit périr fi miférable-
nient !
On vouloit tirer d’elle un aveu. On la preffa
d’abjurer. Elle dit qu’elle ne favoit point ce que
ce terme fignifioit. Puis, quand on le lui eut expliqué
, elle fe reflbuvint du confeil d’Ifembart :
Je m’en rapporte, dit - elle, à Téglife univerfelle fS
qu’elle juge f i je dois abjurer. Tu abjureras préfente-
ment, lui cria Erard, ou tu feras arfe. En même
temps on lui montroit l’exécuteur qui l’attendoit à
l ’extrémité de la place avec la charette toute prête
pour la conduire au bûcher. Le greffier s’approcha,
6c lui lut un modèle d’abjuration, qui contenoit
feulement une promeffe de ne plus porter les armes
, de biffer croître fes cheveux , 8c de quitter
l ’habit d’homme ; il falloit ligner cet écrit ou mourir
; elle figna : mais par une fupercherie digne de
ces monftres, il fe trouva qu’elle avoit ligné un
autre écrit, où elle fe reconnoifToit diffolue, hérétique
, fchifmatique, idolâtre , féditieufe, invocatrice
des démons, forcière , 8cc. toutes les qualifications
les plus incompatibles y avoient été accumulées.
C’efl l’ufage. Sur cet aveu efcroqué ,
l ’évêque de Beauvais prononça le jugement qui la ;
condamnoit, félon ie ftyle de l’inquifition, à une j
prifon perpétuelle , au pain de douleur & à Peau
d’angoijfe. Le comte de Warwick reprocha aux
juges la douceur de ce jugement, les Anglois trou-
voient que ces juges iniques n’avoient pas gagné
l’argent qu’ils avoient reçu, puifque Jeanne échap-
poit au fupplice : Ne vous embarraffei pas, dit un ■
ides juges , nous la rattraperons bien.
L’écrit qu’elle avoit ligné, contenoit, comme ■
celui qu’on lui avoit lu , la promeffe de quitter
pour jamais l’habit d’homme. La nuit, les gardes
enlevèrent les vêtemens de femme qui étoient fur .
le lit de Jeanne, 8c y mirent un habit d’homme»
Elle repréfenta aux gardes la défenfe qui lui avoit
été faite de mettre un tel habit : ils lui répliquèrent
brutalement qu’elle n’en auroit point d’autre.
Elle prit le parti de refier au lit ; elle y refia juf-
i qu’à midi. Forcée enfin de fe lever, dit moins pour
un moment, la pudeur lui fit prendre les feuls vêtemens
qui fuffent à fa difpofition. Des -témoins
apoflés entrent auffi-tôt 8c eonflatent la tranfgrefr
lion. Pierre Cauchon , tranfporté de joie du fuccès
de fon artifice, dit au comte de Warwick, en
éclatant de rire : C’en efl fa it , nous la tenons. Elle
eft livrée comme relapfe au bras fécu’.ier, 8c envoyée
au bûcher. L’évêque de Beauvais voulut
encore en ce moment l’obliger de fe rétraèler fur
l’article des révélations. Or ça, Jeanne, lui dit-il,'
vous nous ave^ toujours dit que vos voix vous di
fôient que vous ferie£ délivrée. (Nous avons vu pourtant
qu’elle avoit refùfè de répondre fur cet article.
) Vous voyeç maintenant comme elle vous ont
déçue ; dites-nous-en la vérité. Jeanne perfifta : Soit
bons, foit mauvais efprits , dit-elle ils me font ap-
parus. Quant à ma délivrance, l’état oit vous me
voye\[ vous juflifie, & je n’efpere rien. Cependant;
en allant au fupplice , elle s’écrioit quelquefois r
Ah ! Rouen, Rouen , feras-tu ma dernière demeure ?
Mot qui fembloit annoncer encore un refte d’efpé-
rancé.
Plufieurs hiftoriens ont trouvé beau de donner
à. Jeanne , au moment de fa mort, une confiance
plus qu’héroïque 8c un enthoufiafme prophétique ;
ce n’étoit pas la peine d’altérer la, vérité pour diminuer
l’intérêt par cet étalage d’une infenfibilité ftoï-
que. Les monumens atteftent que Jeanne eut, dans
ce terrible moment, toutes les foibleffes de la nature
: 8c elle n’en eft que plus intéreffante. Elle
pleura beaucoup , mais ne fe permit que de douces
plaintes , fans emportemens , fans bravades, fans
injures. Malgré les imputations odieufes 8c-les qualifications
infamantes qu’on lifoit fur la mître dont
fa tête étoit couverte, 8c fur un grand tableau placé
en face du bûcher, le pêuple fondoit en larmes ,
8c eût voulu la délivrer ; le bourreau pleuroit 8c
trembloit. L’évêque de Beauvais lui - même, ce
tigre , fe fentit attendri, lorfque Jeanne lui dit avec
douceur : Vous m’avie^ promis de me rendre à TégTtfe,
& vous me livres^ à me S ennemis ! Il rougit d’avoir
pu connoître la pitié, il dévora des pleurs , refte
d’humanité que fon coeur féroce navoit pu dépouiller
entièrement, mais qu’il défàvouoit. Quelques
juges, honteux'd’avoir prêté leur mimftère à
tant d’injuftices, s’étoient retirés. Un d’eux, nommé
André Marguerye, ayant ouvert un avis qui pou-
voit fauver la pucelle (c ’étoit de lui demander
quels motifs l’avoient portée à reprendre l’habit
d’homme. ) il penfa lui en coûter la vie. Ceux de
ces mêmes juges qui biffèrent échapper quelques
marques de repentir, eurent peine à éviter eux-
mêmes le fupplice ; deux d’entr’eux furent arrêtés
, 8c n’obtinrent leur grâce qu’en fe foumettaiy:
â la honte d’une rétractation publique. Après l'exécution
, le boureau vint trouver les deux religieux
dominicains qui avoient affifté Jeanne à la mort :
ïl leur dit en pleurant, qu’il ne croyoit pas que
Dieu lui pardonnât jamais le tourment qu’il avoit
fait fouffrir à cette fainte fille , ( ce furent fes termes)
8c que jamais il. n’avoit tant craint défaire
une exécution.
Un fecrétaire du roi d’Angleterre cria tout.haut:
Nous fommes tous perdus 8* deshonores par ce fup-
püce. affreux d’une femme innocente.
Comme on vouloit qu’il ne pût refter aucun
doute fur 1a mort de la pucelle , ( 14 Juin 1431 )
on l’avoit élevée fur un échaffaut de plâtre, afin
qu’elle fût diftinélement apperçue de tout le peuple.
Cette précaution rendit fes tourmens beaucoup
plus longs, parce, que les flammes ne pou voient
qu’à peine l’atteindre. Pendant toute 1a (durée du
lupplice, à travers les cris de.douleur que la violence
des tourmens lui arrachoit, on n’entendit
fortir de fa bouche que le nom de Jéfus. Le cardinal
de Winceftre fit jetter fes cendres dans 1a
$eine.
Charles VTI fit revoir le procès , 8c réhabiliter
Ja mémoire de Jeanne, (jugement du 7 juillet
1145,6 ) réparation dont 1a gloire de cette guerrière
n’avoit pas befoin, mais qui étoit néceflaire à la
gloire de Charles lui-même.
Le juges qui ayoient. condamné b pucelle , devinrent
un objet d’exécration pour les François ,
6c de mépris pour les Anglois ; on les montroit
dans les rues, on les évitoit avec horreur. Louis XI
jugea que fon père n’avoit pas affez fait en caffant
leur fentence, il leur fit faire leur procès ; la plupart
étoient morts, mais il en reftoit deux qui fu-
birent 1a peine du talion.
Jeanne d’^rc avoit été annoblie avec toute fa
famille, par Charles VII ; elle l’étoit affez par fes
exploits. Les lettres de nobleffe comprennent également
les mâles 8c les femelles à perpétuité. Ce
privilège en faveur des femmes de 1a famille de
Jeanne , afubfifté jufqu’au commencement du dernier
fiècle. En 1608 , Lude le Maire, qui defcen-
doit par fa mère de 1a famille de Jeanne dé Arc ,
fit enregiftrer fes lettres d’annobliffement. Six ans
après ,, la nobleffe fut bornée aux feuls defcendans
de mâle en mâle. Il faut préfumer qu’on eut de
bonnes raifons pour reftreindre ainfi ce privilège;
cependant comme il devoit fon origine à la valeur
d ’une femme, il pàroiffoit affez naturel qu’il pût
être communiqué par les femmes.
La précaution qu’on avoit prife d’exécuter Jeanne
$ Arc en plein jour , 8c de 1a tenir élevée, pour
qu’elle fut bien vue de tout le peuple, n’êmpêçha pas
qu’après fa mort il ne parût plufieurs fauffés Jean-
nes a Arc. Une entre autres avoit une reffemblance
fi marquée avec 1a pucelle, ou joua fi bien fon
perfonnage , qu’elle trompa les frères mêmes de la
pucelle. On fait qu’à la faveur de cette impofture,
elle époufa un gentilhomme de la majfon des Armoîfes
; elle reçut à Orléans les hoüftèurs dus à la
libératrice de 1a ville.
Une autre trompa encore :1a reconnoiffanee dî>
Orléanois; mais fa fourberie ayant été découverte,
elle fut expofée à Paris, aux regards du peuple, fur
une pierre de marbre, q u i. etoit alors au bas des
grands dégrés du palais.
Ces deux premières fe difoient échappées au
fupplice par des moyens plus ou moins merveilleux.
■ * , v*'-. * "
' Il en vint une troifième, qui, en convenant du
fupplice 8c de 1a mort, prétendoit avoir été reffuf-
citée. On dit que le roi prit 1a peine de 1a confondre
lui-même, en lui demandant compte d’un
fecret réel ou chimérique, qu’il difoit n’avoir été
connu que de lui 8c de 1a pucelle. Ce prétendu fecret
n’étoit point entré dans les inftruélions de cette
femme; ce qui prouve que du vivant de la pucelle
il n’en avoit pas été queflion ; car fi le roi eût
déclaré du vivant de Jeanne d'Arc, comme on le
prétend, qu’elle avoit fu par révélation un fecret
connu de lui feul, quelle femme eut ofe prendre
fur ellè de jouer ce perfonnage ? Celle-ci, déconcertée
par une queflion qu’eile n’avoit pas prévue,
fe jetta aux pieds du roi , lui demanda grâce, 8c
l’obtint.
Ce que nous avons rapporté de Jeanne dé Arc f
eft le réfultat de fon procès combiné avec le récit
des hiftoriens. Ces deux fources, les feules où il
foit poffible de puifer , fe fentent fûrement beaucoup
deTenthoufiafme qu’infpira de fon temps cette
fille fingulière. La philofophie peut en retrancher
ce qu’elle voudra ; elle peut modifier les faits par
les circonftances, 8c les témoignages hiftoriques par
les vraifemblances,; elle peut partager plus également
entre 1a pucelle 8c les généraux de Charles VII
1a gloire des exploits de ce temps, ou même n’attribuer
qu’à ces derniers le plan & 1a conduite des
opérations , 8c regarder la puçelle comme n’ayant
été qu’un infiniment entre les mains de la politique
; cet inftrumqnt du moins fut bien _aâif &
bien efficace. Peut-etre en tout, çe phénomène hil—
torique eft-il inexpliquable. La condition , le fexe,
l’â ge , les vertus, 1a piété, la valeur, la bonne
conduite, les fuccès de ce vengeur inattendu de
Charles V i l offrent un enfemble où le merveilleux
domine, quelque effort qu’on faffe pour l’écarter ,
ou pour l’affoiblir. S’il falloit abfolument expliquer
ce merveilleux , nous l’expliquerions par le vertueux
8c fublime enthouüafme qui animoit la
pucelle, par, l’idée répandue parmi les' François ,
qu’elle étoit infpirée, 8c parmi les Anglois, qu’elle
étoit magicienne. Ce dernier point eft prouvé par
la lettre du duc de Bedfort que nous avons rapportée.
On fent combien une pareille idée étoit
naturelle dans le temps dont il s’agit, 8c quel effet
prodigieux elle devoit produire.
ARCADIUS & HONORIUS, { Hifi. de l’Empire
d’ Orient, j furent affociés à l’empire par le tefta-
ment de Théodofe le Grand, leur père. Leur jeu-*
P d d *