
le fort de l’Angleterre avoit été décidé, le comte
de Richemont regnoit paifiblement en Angleterre
fous le nom de Henri VII ; il ne refufa point- fes
fecours à la princeffe Anne, mais, il les (lui vendit,
& comme elle n’avoit pas d’argent pour les
payer, il fe fit donner des places de fureté. Anne
ne crut point avoir acheté trop cher des fervices
dont elle ne pouvoit fe paffer, ils furent efficaces,
puifqu’ils accélérèrent le traité par lequel Anne de
Bretagne devint reine de France. En effet Charles
V I I I , voyant que l’Angleterre agiffoit puiffam-
ment, jugea qu’il falloit renoncer au projet de
conquérir la Bretagne ; refroidi d’ailleurs fur l’alliance
de Maximilien , depuis ht découverte de fes
vues fur cette même Bretagne, il prit le parti de
lui renvoyer fa fille & de lui prendre fa femme.
Mais la princeffe refufoit ayec effroi fa main à fon
perfécuteur ; il fallut que fon amant la priât de
fe donner à fon ennemi ; on fit fortir le duc d’Orléans
de fa prifon pour Cette négociation, il pof-
fèdoît le coeur de la princeffe, elle n’époufoit Maximilien
que par politique ; le duc d’Orléans la
perfuada, elle comprit que ne pouvant fe marier
pour elle-même, il falloit qu’elle fè mariât pour
fes fujets, elle fe fournit ; mais en montant fur un
des premiers trônes du monde, elle fentit feulement
qu’elle étoit facrifiée. Plus heureufe dans la
fuite, elle époufa le duc d’Orléans, devenu roi
de France, fous le nom de Louis XII, & qui pour
fe réunir à elle & la replacer fur le trône, répudia
Jeanne de France, fille de Louis XI.
En époufant Charles V III, Anne de Bretagne
avoit fait conferver aux Bretons leurs privilèges :
mais fans la confulter on avoit -ftipulé dans le contrat
de mariage, i° . que fi le roi mouroit fans en-
fans , Anne feroit obligée d’époufer fon fucceffeur,
2°.‘ que fi elle mouroit avant lui, foit qu’elle eût des
enfans ou qu’elle n’en eut pas, laBretagne refteroit
unie à la France. Cette fécondé claufe la révoltoit ;
ion zèle pour les intérêts bien ou mal entendus
de .la Bretagne lui faifoit voir avec indignation
ce duché réduit en province ordinaire de l’empire
François ; elle vouloit lui affurer un duc particulier
; ce défir étoit dominant dans fon ame ; aufli
en époufant Louis X I I , fe fervit-elle de tout fon
pouvoir fur lui pour le faire fouferire aux deux
conditions fuivantes : i °. que fi elle mouroit fans
enfans, le duché retoumeroit aux héritiers de fa
maifon ; 2°. que fi elle avoit plufieurs enfans, le
puîné auroit le duché de Bretagne. C ’étoit faire
perdre à la France tout le fruit de fes travaux; c’étoit
lui préparer pour l’avenir les mêmes embarras
, les mêmes troubles dont on avoit voulu couper
la racine ; c’étoit enfin procurer à la Bretagne
une indépendance orageufè, qui l’eût toujours privée
de la paix, le plus grand des biens politiques.
L’Empire de la reine Anne de Bretagne étoit fans
bornes en France ; elle gouvernoit Louis X II, qui lui
accordoit tout, en difànt : il faut foujfrir beaucoup
d’une femme, quand elle aime fon honneur & fon mari•
La comteffe d’Angoulême , Louife de Savoie^
mere^du prince qui fut dans la fuite François I ,
étoit peu foigneufe de plaire à la reine, elle lui
déplut bien-tôt ; leur inimitié fut éclatante. En vain
le roi étoit fans çeffe occupé à les réconcilier ; leur
antipathie, fupérieure à fes efforts, rompoit toujours
les noeuds trop foibles dont il les uniffoit :
le rang de la comteffe d’Angoulême, veuve du
coufin-germain du roi , mere de l’héritier pré-
fomptit de la couronne, lui donnoit un crédit redoutable
à fa rivale. Tous les méeontens qui font
toujours en grand nombre fous le régné le plus-
heureux , groffiffoient & fortifioient fon parti ; la
reine chercha des prétextes pour la renvoyer en
favoie, le roi n’y voulut jamais confentir.
Louis X I I , & Anne de Bretagne n’a voient plus
d’enfans mâles , mais il leur refroit deux filles ,
Claude & Renée. La reine prétendoit difpofer de
leur établiffement, fur-tout de celui de l’aînée, parce
qu’elle avoit une fouveraineté importante à lui donner.
Tous les voeux des François êtoient pour la
réunion de la Bretagne à la couronne , & pour le
mariage de madame Claude avec le jeune comte
d’Angoulême ; mais fa mere etoit trop odieufe à
la reine, & la reine étoit trop fidèle au projet de
donner un duc particulier à la Bretagne. D’un autre
côté la comteffe d’Angoulême, qui féritoit de quelle
importance étoit ce mariage pour fon fils, en faifoit
l ’objet de toutes fes négociations ; mais incapable
d’abbaiffer fon orgueil aux pieds de fon ennemie
, elle mettoit fa gloire à obtenir* la princeffe
direâement du roi & de l’état, & à l’arracher pour
ainfi dire, des bras de la reine ; c’étoit à la fois fatif-
faire fa haine & fon ambition, s’élever avec font
fils & mortifier fa rivale. La reine eut toujours en
vue l’alliance du prince. d’Efpagne , & elle contribua
beaucoup à une multitude de traités, où Claude
fut promife à ce prince, qui fut depuis Charles-
Quint. Pendant cette fermentation, le roi eut une
maladie qui fembla lui ouvrir le tombeau ; les médecins
défefpérèrent de fa v ie , la douleur de la
reine ne l’empêcha pas de prendre dès mefures pour
fe retirer en Bretagne avec fes filles. Quelques bat-
teaux chargés de fes meubles les plus précieux, défi-
cendoient déjà vers Nantes par la Loire ; le maréchal
de G y é , gouverneur de l’Anjou , ofa pen-
fer qu’il étoit de fon devoir de faire arrêter ces bat-
teaux. La reine dont il étoit né fujet, fentit cette
injure jufqu’au fond du coeur ; fes grandes vertus lui
avoient laiffé le grand défaut d’être- implacable.
En vain le roi parut applaudir à la fidélité hardie
du Maréchal de G y é , il ne put réfifier éternellement
aux plaintes d’une femme adorée , il fallut
livrer le maréchal à fon reffentiment ; elle fit rechercher
avec rigueur toute fa vie ; on vouloit des
crimes, on ne manqua pas d’en trouver. On nomma
pour faire le procès au maréchal, le parlement
de Touloùfe, parce qu’il avoit la réputation d’être
le plus févère du Royaume ; mais ce parlement
fi févère ne fit que manifefier l’innocence du maré^
chai de Gyé par la douceur des peines qu’il lui infligea;
il fe contenta de le fufpendre pendant cinq
ans des fondions de maréchal de France, & de le
bannir à dix lieues de la Cour : le public trouva
encore ce jugement trop rigoureux.
Cependant un nouveau traité ; conclu à Blois
en 1504, avoit confirmé le traité de Lion, de
M°3 ? renouvellé la promeffe faite au prince
d Efpagne de lui donner madame Claude en ma-
fiage, & fembloit achever d’ôter toute efpérance à la
comteffe d’Angoulême & à fon fils; car pour donner
plus de poids à ce traité, ort le faifoit ligner aux
grands du royaume, aux princes du fang & au duc
de Valois lui-même. .La comteffe d’Angoulême
ne fut point découragée. Elle vit d’abord quel
remède il falloit appliquer à un tel" mal; elle
devina que le roi n’avoit pas fouferit bien volontairement
ce traité , que fa complaifance pour la
reine, & les conjonctures avoient tout fait, & que
>e r°i Tauroit gré à qui le mettroit dans l’heureufe
împuiffance ffexécuter une convention fi défavan-
tageufe à 1 état. En effet, par ce mariage, Claude
alloit tranfporter à la maifon d’Autriche, non-
îeulement la Bretagne du chef de fa mère, mais
encore le Milanès du chef de fon père, ce duché .
Ie patrimoine de la maifon d’Orléans ; j
c étoit renouveller la faute énorme qu’avoit faite
Louis XI de laiffer paffer la fucceffion de Bourgogne
a la maifon d’Autriche. On vit donc tout-
a-coup les grands du royaume & les députés des
villes s aflem hier à Tours de leur propre mouvement,
difoient-ils, faire au roi des remontrances
fur les fuites de l’alliance propofée & demander
que madame Claude fut donnée au duc de Valois.
( C eft François I. y Le roi fut très-content de leur
accorder leur ^demande : on fiança les deux par«-
ties le 2,2 mai 1506; la reine en fut malade de
douleur ; mais bientôt elle imagina un moyen
d anéantir le triomphe de la comteffe d’Angoulême.
On a déjà dit qu’il avoit été ftipulé dans le
contrat de mariage d’Anne de ‘Bretagne avec
Louis X I I , que fi l’aîné des enfans parvenoit à la
couronne , le puîné auroit le duché ; la reine
affecta d’étendre cette claufe aux filles , & elle
611 e^ t PGlîr elle les termes du contrat.
lÊ kajpée , difoit-elle, va parvenir à la couronné
>■> puifqu’elle époufe l’héritier préfomptif ; le duché
.» doit donc appartenir à la puînée, & la puînée
» epoufera le prince d’Efpagne ; par-là on rem-
« plira tout à la fois & les voeux de la nation
v qui demande le mariage de Claude avec Fran-
37 ’ & les engagemens pris avec le prince
» d’Efpagne. L’inconvénient de tranfporter à la
37 maifon d’Autriche le patrimoine du père & celui
” | e “ “ ère, fera diminué de moitié; les droits
?» fur le Milanès appartiendront à Claude, Renée
?» n’aura que la Bretagne, & les Bretons auront
?» le duc particulier qu’ils fouhaitent «.
Anne de Bretagne ne voulut point voir, tant fa
haine pour la comteffe d’Anioulême l’aveugloit!
combien ce plan étoit contraire à fes propres
vues pour l’indépendance de fon pays ; que fi les
Bretons défiroient un duc particulier , c’étoit un
duc réfident parmi eux & qui lès gouvernât par
lui-même, non par un vice-roi ou un gouverneur
étranger, comme eût fait le prince d’Efpagne,,
& qu’enfin s’il falloit que la Bretagne fit partie
d’une plus grande fouveraineté, il vaîoii mieux
qu’elle devînt province françoife, puifque tant
de noeuds l’uniffoient d’ailleurs à la France , que
province efpagnele ou autrichienne. Le roi fentit
bien que fa femme, en voulant tranfporter la
Bretagne à une monarchie rivale', n’étoit en effet
ni bretonne, ni françoife ; qu’elle n’étoit qu’ennemie
de la comteffe d’Angoulême : il ne fouffrit point
qu’une paflion aveugle décidât ainfi du deftin de
fa fille & de celui de l’état ; il «fut trouver de
la fermeté contre fa femme dans cette occafion ,
& le mariage de Renée avec le prince d Efpagne
ne fe fit peint : mais celui de Claude avec le duc
de Valois ne fe fit pas non plus pendant la vie
iïAnne de Bretagne, elle fut y mettre des obfracles
que m le mérite du duc de Valois, ni la fenfi-
bilité qu’il avoit infpirée à la princeffe , ni les
voeux de la nation entière, ni les infiances de
Louis XII ne purent jamais vaincre.
La mort delà reine fut le moyen violent dont
la fortune fe fervit pour terminer les divifions de
la cour. Cette princeffe mourut à trente fept ans
le 9 janvier 1514. Louis XII malgré fon accablement,
jugea que ce qu’il devoit à la mémoire
à Anne de Bretagne étoit fubordonné à ce que
l’état & fa famille exigeoient de lui. Le temps étoit
venu de lever finjulte oppofition que cette reine
avoit eu la foibleffe de mettre à l’union de la
princeffe Claude avec le duc de Valois : le mariage
s accomplit le 18 mai fuivant. La princeffe
porta en dot à fon mari la Bretagne, outre beaucoup
d’autres droits; la princeffe Renée , aufii
.fouvent promife que fa foeur au prince d’Efpagne ,
j P j^ a P°int j elle fut mariée dans la fuite aiï
fils du duc de Ferrare , fans lui porter les hautes
prétentions que fa mère avoit eues pour elle &
qu un prince fi foifcle eût d’ailleurs été peu en état
j d' 6 va^°'r' ^a réunion entière & formelle'
de la Bretagne à la couronne fut confommée par
une charte du mois d’août 1532,, donnée fur la
réqùifition même des états, que des négociations
habiles avoient préparée,
, A nne d'A utriche , (Hifl. moi. ) fille aînée
de Philippe III roi d’Efpagne, femme de Louis
XIII roi de France & mère de Louis X IV , prin-
cefle aimable, ne fut peint aimée de fon’ mari
Beaucoup d’hommages & de voeux ou éclatans on-
fecrets len dedomagèrent. Tout l’aima, jufqu’air
terrible Richelieu lui même , fait pour «lacer
1 amour par fa févérité & pour l’effrayer par &
violence. Il ofa, dit-on , porter fes voeux jufqu’à;
cette reine, dont le foible crédit fur l’efprit de
ion foible mari, avoit befoin de s’étàyer de cela»