
le courage de Brutus , il prit le chemin des
Gaules à deffein de fe joindre avec Lépide, Plancus
& Afinius-Pollio,qui commandoient dans cette contrée
chacun un corps de troupes affez confidérable.
Cette journée dans laquelle Brutus & Augujle
avoient combattu fous les mêmes erifeignes , fem-
bloit devoir les réunir pour toujours ; Brutus le
defiroit ; mais un affocie aufli clairvoyant, aufli
•difficile à corrompre n’étoit pas du goût d'Augujle.
Celui-ci lui connoiffoit un amour trop violent pour
la liberté , il défefpéroit de pouvoir jamais en faire
un efclave. Dans la néceffite d’avoir un collègue ,
il préféroit encore Antoine. Le conful Vibius le
détermina pour ce dernier parti. Ce conful étant
près de mourir, le fit venir à Bologne où il lui
parla en ces termes : « J’ai toujours aimé Céfar
» plus que moi - même , & quand il fut aflaffiné,
» j aurois hafardé ma vie pour fauver la Tienne ,
» fi j’avois eu des armes. Je n’ai jamais renoncé
» jufqu’ici au defir ni à l’efpérance de venger quel-
» que jour fa mort. Quelques motifs de prudence
s» que vous avez vous - même approuvés, m’ont
» lié les mains & m’ont retenu dans le fparti du
3) ienat. Ma mort, qui s’approche, me prive d’un
s» efpoir fi cher à mon ceeur : mais avant que d’ex-
*> pirer, je m’acquitterai envers le fils de ce que j’ai
3> dû au père. Sachez donc que vous êtes détèfté
3> de ce fénat qui vous careffe. Rien ne feroit plus
33 agréable aux pères confcripts que la nouvelle de
33 votre défaftre & de celui d’Antoine. Ils n’afpi-
33 rent qu’à vous voir périr l’un & l’autre, & vous
33 regardent comme des infirumens réciproques
>3 de votre ruine. N’allez pas croire , que ce foit
s? par amitié qu’ils fe font déclarés en votre faveur,
37 c’eft qu'ils vous regardent comme le moins
37 redoutable. Ils en ont fait plus d’une fois l’aveu
97 à Hirtius & à moi. L’amitié dont Céfar ma hono-
•37 ré , m'oblige à vous donner un avis que je fui-
37 vrois à votre place. Etouffez, Antoine & vous,
s? toutes les femences de difcorde qui vous divi-
33 fent; c’eft l’unique moyen d’éviter votre 'ruine.
v Mon deffei’n n’a jamais été , comme le fénat
37 l’a cru , de détruire Antoine, mais feulement de
37 le forcer à main armée à faire avec vous , un
37 traité d’alliance durable, afin de pourfùivre con-
37 jointement les affaffins de notre commun bien -
37 faiteur. Je vous remets vos deux légions, je defi-
37 rerois de même vous faire paxTer toute l’armée,
37 mais je n’en fuis pas le maître. La plupart des
37 officiers font des efpions du fénat 37. Telles furent
les dernières paroles de ce conful. Elles firent une
vive impreffion fiir l’ame d Oâavien ; & ce fut fans
dout: cet avis qui produifit dans la fuite le fameux
triumvirat.
La conduite du fénat répondit bientôt à cet avis.
Croyant n’avoir plus rien à-redouter d’Antoine,
qu’elle voyoit très-aftoibli, cette compagnie commença
à négliger Oéiavien & à careffer le parti
çles conjurés. Le triomphe qu’il demandoit , fut
déféré à Brutus qui fut maintenu dans fon .go 11-
vernemetit des Gaules, & fait général des troupes
qu’avoient commandées les conluls Hirtius & Paoefa.
Hirtius avoit péri à la journée de Mutine d’un
coup que lui porta O ftavien, par malheur, d’autres
difent exprès. Ceux qui font de ce dernier
fendaient, accufent encore Augujle d’avoir fait
périr Panfa en corrompant le médecin qui pan-
ioit la blciTure. Quoi qu’il en foit, cette conduite
du fénat ne permit point à Augujle de s’abufer fur
fes^ deffeins. Il longea dès - lors à fe réconcilier
ferieufement, avec Antoine. Il lui envoya fur le
champ les prifonniers de marque faits à la journée
de Modène. Il lui fit dire par Ventidius , qu’il
voyoit avec peine qu’il fe . faifoit illufion fur fes
Vrais intérêts. Dans le même temps il écrivit à
Lépide, a Plancus & à Afinius - Pollio, qui, tous
étoient dans la familiarité d’Antoine, que le fénat
dévoué fans réferve aux meurtriers de Céfar ,
avoit conjuré fa perte, & qu’ils s’abufoient eux-
memes étrangement, s’ils en efpéroient un traitement
plus favorable. Il ajouta quelques plaintes
contre Antoine ; mais les expreilions étoient û
ménagées , qu’elles ne pouvoient l’offenfer.
a Antoine etoit dans des circonfiances trop
fâcheufes, pour être infenfible aux procédés d’Oc*
tavien; On peut lire à fon article le déplorable état
ou il etoit réduit , il prit le commandement
des troupes qu avoit Lepide , & fit les préparatifs
pour entrer en Italie à la tète de dix - fept légions
& de mille chevaux. Les pères confcripts, étonnés
d’apprendre qu’il marchoitvers Rome, changèrent
de fyftême & comme ils ignoraient que c’étoit aux
intrigues d Oéiavien qu’ils dévoient imputer cette
marche d’Antoine, ils conférèrent à Oéiavien,
conjointement avec Brutus, la conduite de la guerre.
Oéiavien inflruit par la nature & par l’ar t, cacha
fes fentimens fous de fauffes careffes. Il remercia
- d’abord le fénat dans les termes les plus affeétueux ;
mais lorfqu’il eut des troupes à fa difpofition, il
leva le mafque. Ayant afîemblé fes principaux
officiers , il leur déclara Tes véritables deffeinss.il
fonda auffitot les légions qui , féduites par l’éclat
de fes promeffes, envoyèrent des députés à Rome
demander qu’on lui déférât le confülat. Ce n’étoit
qu’une vaine formalité ; il avoit formé la réfolu-
tion de le prendre de force, fi on fe refufoii à
le lui accorder de bon gré. Le fénat qui vouloir
encore ufer de quSlque ménagement, fit aux députés
une réception obligeante; mais leur demande
fut rejettée fur ce qu’Oâavièn n’avoit point
atteint l’âge preferit par les loix. Ge n’étoit
qu’un prétexte, puifqu’un décret l’en avoit difpenfé.
Les députés alléguèrent les exemples de' Rullus ,
de Décius., de Corvinus, des deux Scipions , de
Pompée & de Dolabella ; & fur ce que dés féna-
teurs répondirent que la plupart des grands hommes
que l’on venoit de citer, s’étoient diftingués
par leur zèle pour la liberté , ils répliquèrent qu’en
ne s’en tiendrait point à leur refus. Cornélius, l’un
de ees députés, portant la main fur la garde dé
fon épée, quitta l’affeinbiée d’un air menaçant':
voilà, ajouta-t-il, ce qui faura faire un conful. Les
légions offenfées du refus des fénaténrs , pref-
sèrent Oéiavien de les conduire à Rome, difant
que comme héritier de Céfar il avoit droit de diT
pofer du confülat. On voit comment le droit de
conférer les grandes charges de là république paffoit
infenfiblement du fénat à l’armée. Des écrivains
©ut accufé Augujle d’avoir introduit cette nouveauté
qui occafionna le meurtre d’un fi. grand
nombre de fes fucceffeurs : mais on voit que ce
fut l’ouvrage des circonfiances, & non pas de la
réflexion. Augujle mettant à profit l’heureufe diT
pofition de l’armée,. paffa le Rubicon, foible ruif-
fieau , mais fameux depuis que Céfar s’étoit arrêté
fur fes bords. Ayant partagé Ton armée en deux
corps, il marcha à la tête de l ’un vers la capitale,
iifant de la plus grande célérité. L’approçlie inattendue
de ce prince remplit la ville d’une terreur fou-
dairîe.Les fénateurs délibéroient à la hâte , 8c leurs
décrets étoient auffitot révoqués que conçus. Plusieurs
n’ofant pofer la main lur le timon de l’état,
s’écartèrent des endroits que l’orage menaçoit, 8c fe
retirèrent à leurs maifons de campagne. Le timide
Ci:éron j hcntîux d’avoir été. le jouet d’uii enfant,
é.toit de ce nombre. Rome enrichie des dépouilles
des nations affervies offre un fpeélacle bien moins
intéreflant que Rome pauvre & fans efclaves. On
n’y voyoit plus ces âmes fières qui favoient envifa-
ger la mort fans pâlir. Les Romains dégradés crai-
gnoient l'efclavage, non parce qu’il eft honteux,
mais feulement parce qu’il efi pénible. Dès qu’Oéla-,
yien parut devant les murs, tous les ordres de l ’état
vinrent à Ta rencontre, non pour le combattre,
suais pour lui donner des marques de la plus entière
©béiffance. Il fembloit moins un rebelle , qu’un
roi qui montoit fur lin trône dont la poffeiïion
lui étoit confirmée par une longue fuite d’aïeux.
Il entra dans la ville au milieu des acclamations
de tout le peuple. Les veftales, précédées par fa
mère & fes foeurs, l’accompagnèrent jufqu’à fon
palais, où les patriciens le rendirent en foule pour
lui faire des foumiffions que leur coeur défavouoit.
Cicéron fut le .dernier à lui rendre hommage. Cet.
orateur reçut un accueil affez froid,, & c’efi une
mortification que l’on n’efi pas fâché de lui voir *
effuyer. Le caraélère faux qu’il fit paraître dans les
dernières années de: fa v ie , nous retient fur les,
éloges dont il fe montra fi jaloux. Ennemi d’abord
de Céfar ,: il étoit devenu fon flatteur ; & ce protecteur
d’Oélavien avoit récemment prononcé une
harangue dans laquelle ildifoit, en termes équivoques
, qu il J ail oit le faire périr. Cornu tus fut le
feul qui refufa de fe plier au joug du tyran. Il
avoit gouverné Rome depuis la mort des derniers
confuls ; n’ayant pu voir fes compatriotes courir
d’eux-mêmes à la fervitude,. cet homme s’étoit
tué de défefpoir. Ce trait de. fermeté romaine eût
été célébré dans d’autres temps ; mais les écrivains
mercenaires qiiirecuçillirent les annales de l’.emr
pire fous Augujle 8c les fucceffeurs, ont eu peine à
le confacrer. Après avoir exercé dans Rome plufieurs
aéles de Souveraineté, Augujle en fortit le jour où
on dèvoit l’élire conful. C ’eft ainfi qu’il feignoit
de laiffer aux comices la liberté des fuffrages , lorfqu’il
venoit de faire tout trembler, fous le poids
de fon defpotifme. C ’efi encore une efpèce de
réfutation des auteurs qui ont reproché à ce prince
d’avoir fait paffer aux Soldats le droit de fe choifir
des maîtres. Il paroît qu’au moins dans la forme ,
il, lailTolt an peuple le droit d’éleélion. Il fut nommé
conful d’une voix unanime , & eut pour collègue-
un de Tes parens appelle Q, Pædius. La flatterie
publia qu’on avoit apperçu douze vautours , dans
le temps où il offrait un facrifice aux Dieux en
recpnnoiffance de fon eleélion, d’où l’on conclut
qu’il feroit un jour, revêtu dîme autorité égale à
celle de Romulus.
Le premier ufage que fit Oéiavien de fon autorité,
fut de faire confirmer fon adoption dans
une affemblée. du peuple. Il obtint enfuite du fénat
un décret qui ordonnoit de faire le procès à;
tous; ceux qui avoient trempé dans le meurtre de
Céfar , & comme ce décret eût pu le rendre
odieux, il avoit eu foin de le faire fo’.liciter par
fon collègue. Tous les conspirateurs furent cités y
8c loifque le héraut prononça le nom de Brutus*
’ le', fénat & le peuple fondirent en larmes, c’étoit
un dernier hommage que les Romains rendoient
à leur antique vertu. Entre les juges qui furent
choifis pour prononcer fur le fort de tant d’illuftres
citoyens -, Sicilius Coronas fut affez généreux pour'
fe déclarer en leur faveur , & ce trait de magnanimité
lui coûta la vie : Oéiavien le fit périr après
une réconciliation apparente. Malgré ? l’oppofitioir
de ce digne Romain , tous les conjurés furent
condamnés , fans être entendus, à un exil perpétuel,
8c tous leurs biens furent confifqués. La
difficulté d’opprimer Brutus & Caffius , accéléra
le traité qu’Oélavien méditoit avec Antoine, dont
le bras lui étoit néceffaire ; la conférence fe tint
dans une île formée par le Reno, petite rivière
qui, après avoir arrolé le territoire de Bologne,,
fe déchargé dans le -Po. Ce fut dans cette île que
fe forma ce fameux triumvirat, qui porta le dernier
coup à la république, 8c entraîna l’a ruine
de ce qu’elle avoit de plus illuftre. Lépide qui
fans avoir les talens de ces deux hommes fameux,,
devoir être affoçié à leur fortune, vifita-
l’endroit où on devoir s’affembler, dans la crainte*-
q Augujle n’y eût placé quelqu’einbufcade la
conférence dura trois jours, après lefquels il fut
décidé, i°. qu’Oélayien abdiquerpit le confülat
en-faveur de Ventidius, lieutenant d’Antoine ;;
2-0- qile l’autorité fouveraine réfideroit toute entière
dans eux trois.,, pendant l’efpace de cinq;
ans, fous le nom de triumvirs, & de réformateurs
de la république ; 3 0. qu’ils feroient ratifier ce
partage par le peuple romain : c’efi ainfi qu’ils-
dégujfoiyit les. chaînes, .qu’ils préparoient au peu.»-