
» que dans Tes premières années il furpafla en bonté
» oc en continence tous les rois qui l’avoient pré-
» cédé. Il vécut avec les filles de Darius, Prin-
» ceffes de la plus rare beauté, comme fi elles euf-
J> f*ent été Tes fçeurs ; & pour la reine, qui paffoit
» pour la plus belle perfonne de fon fiècle, il eut
” l’attention d’empêcher qu’il ne le paffât rien qui
i} Put lui déplaire : enfin il fe comporta avec tant
» d’humanité envers les princeffes fes captives,
v que rien ne leur manqua que cette confiance
tt qu’il efi impofiible au vainqueur d’infpirer».
Suivant Plutarque , Alexandre ne fe permit pas
même de voir la femme de Darius. Ce prince
avoit coutume d’appeller les dames perfes, Le mal
des yeux. Il n’en ufa pas de même avec la veuve
de Memnon, cet excellent capitaine de Darius ;
mais ce fut à la lollicitation de Parménion, qui
eut la bafleffe de corrompre fon maître & de fe
rendre le minière de fes Foibleffes.
5 Le fuccès de cette bataille, livrée aux environs
d’Iffus, ouvrit tous les paffages aux Macédoniens.
Alexandre envoya un. détachement à Damas en
Syrie, fe faifir du tréfor royal dePerfe', & alla
en perfonne s’affurer des ports & des villes maritimes
le long de la Méditérranée. Plufieurs rois
vinrent lui jurer obéiffance , & lui remettre l’ile
de Chypre & la Phénicie , à l’exception de T y r ,
qui, fière de fa fituation au miliéu de la mer , forma
la refolution de fe défendre. Alexandre employa
fept mois entiers au fiége de cette v ille , dont la
prife forme une époque remarquable dans la. vie
de ce conquérant. Il eut à combattre tous les élé-
mens, & il ne s’en rendit maître qu’après l’avoir
jointe au continent, dont elle étoit feparée par une
mer orageufe.
La prife de T y r fut fui vie de celle de Gaza,
capitale de la Syrie. Cette nouvelle conquête lui
coûta plufieurs bleffures. Dans toutes fes expéditions
, il eut la même fageffe, la même intrépidité
& la même fortune. Il fouilla cependant la gloire
qu’il s’étoit acquife devant Gaza , par fon inhumanité
envers ce. Betis qui en étoit gouverneur. Il
ne pouvoir reprocher à ce guerrier que fa réfifiance
généreufe,& fa fidélité envers fon maître. Alexandre,
oubliant dans ce moment les égards dus à la valeur
, le fit mourir de la mort des coupables ; &
tandis qu’il refpiroit encore, il lui fit paffer des
courroies à travers les talons , & l’ayant fait attacher
à un chariot, il lé traîna autour de la ville:
il ufa de cette barbarie à l’exemple d’Achille, dont
il fe difoit defcendu. C’eft ainfi qu’Homère fit le
malheur de Betis, en louant fon héros féroce dans
fes vengeances.
Alexandre fe rendit en Egypte, dont les peuples,
fatigués de la domination des Perfes qui les tr'ai-
toient en maîtres ambitieux & avares, l’attendoient
comme leur libérateur. IL s’avança vers Memphis,
qui à la première fommation, ouvrit fes portes,
tandis que fes lieutenans march oient vers Pelufe,
qui lui rendit la plus prompte obéiffance. La révolution
fut rapide. Les Perfes, épouvantés de cettè
défeéfion générale, abandonnèrent un pays qu’ils
étoient dans l’impuiffance de défendre. Mazaze,
lieutenant de Darius , ne fauva fa vie & fa liberté
qu’en livrant au héros macédonien les tréfors de
fon maître.
Alexandre, auffi politique que guerrier, étudia le
caraétère de fes nouveaux fujets, & profita de leur
foibleffe pour affermir fa domination , naiffante. Il
rétablit les anciennes coutumes Sc les cérémonies
religieufes abolies par les Perfes. Les Egyptiens ,
gouvernés par leurs propres lo ix , & libres dans
l’exercice de leur culte , oublièrent qu’ils avoient
un maître. Cette nation , naturellement indocile ,
devint foiimife & fidèle, dès qu’elle fervit fes dieux
fuivant fes penchans. Cette conquête fe fit fans
efiufion de fang. Alexandre paroît vraiment grand
dans les moyens qu’il prit pour la conferver. Il
favoit qu’un conquérant peut dévafier avec impunité
tout un royaume-, mais qu’il ne pou voit abafi*
tre un autel ou un bois facré fans exciter un bou-
leverfement général. Pour plaire à fes nouveaux
fujets, il affeaa pour Jupiter Ammon le refpeét
dont ils étoient pénétrés ; mais avant d’aller cpn-
fulter l’oracle de ce dieu, il s affiira d’une répônfè
favorable par des largeffes prodiguées aux prêtres.
Ce voyage entrepris à la tête d'une armée , offroit
les plus grands périls dans un pays ou le ciel avaré
de fes eaux, fait dû fol une malle de pouffière &
de fable. Alexandre ne fut point arrêté par l’exemple
de Cambife qui, dans ce voyage , avoit perdu
une armée de cinquante mille hommes, enfevelie
fous des montagnes de fable. Les Macédoniens
étoient prêts à périr de foif & d e chaleur dans ces
contrées brûlantes, lorfqu’il furvint une pluie abondante.
Cette pluie fut regardée comme un miracle
opéré par Jupiter, en faveur du prince qui Venoit
vifiter fon oracle. Ce premier bienfait fut fuivi d’un
fécond. Les vents avoient couvert de fable les
bornes qui fervoient de guides aux voyageurs, &
les Macédoniens erroient . fans tenir de route certaine
, lorfqu’un effaim de corbeaux fe préfenta,
dit-on , devant leurs 'enfëignes, s’arrêtant de di-
flance en diflance pour les attendre, & les appelant
p'ar leurs croaffemens pendant la nuit. Alexandre
, qui avoit regardé comme faux les premiers miracles,
adopta ceux-ci, & prétendit les donner pour
marques de fon origine célefie , qui commençoit à
flatter fon ambition.
Le caractère de la divinité imprimé à ce conquérant
, affermit fon pouvoir fur un peuple fu-
perfiitieux ; mais cet orgueil le rendit méprifable
aux yeux des 'fages : leur voix furent étouffées par
les clameurs de la multitude; ils furent obligés
d’obéir & de fe taire. A fon retour du temple
d’Ammon, Alexandre voulut laiffer dans l'Egypte
un monument durable de fa puiffance. Il choifit un
efpace de quatre-vingt flades entre la mer & les
Palus Maréotides, pour y fonder une ville , qui
de fon nom fut appellée Alexandrie. La commodité
de fon port , les privilèges dont il la gratifia, les 1
édifices dont il l’embellit, eh firent une ville célèbre
qui devint dans la fuite là capitale île tout
le royaume. Tandis qu’il en traçoit l’enceinte avec
de la farine & de l’orge, fuivant l’ufage des Macédoniens
, une multitude d’oifeaux de toute efpèce
en fit fa pâture. Alexandre qui fàifok tout fervir à
fes deffeins , emprunta l’organe des prêtres pour déclarer
au peuple crédule,que ce phénomène étoit un
figne que toutes les nations s’y rendroient en foule.
Lorfqu’il eut établi fon culte & affermi fa domi-,
nation , il quitta l’Egypte , où il laiffoit autant d’adorateurs
que de fujets. Il en confia le gouvernement
à Echile de Rhode, & à Peucetès, macédonien
: il ne leur donna que quatre mille hommes
pour faire refpeétèr fon autorité. Polémon fut
chargé de garder les bouches du Nil avec trente
galères. La perception des impôts fut confiée à
Cléomêne ; & par-tout il établit un fi bel ordre,
que l’Egypte pouvoït fe flatter d’un calme durable.
Cependant Darius lui avoit écrit plufieurs lettres
fuperbes, auxquelles il avoit répondu avec plus de
•fierté. Il en reçut une plus modeffe de la part de
ce prince, qui lui offroit autant d’argent que pou-
voit en contenir la Macédoine , & pour dot de fa
fille qu’il lui donhoit en mariage , tontes les terres
& fouverainetés d’entre l ’Euphrate & l’Hellefpont,
pourvu qu’il voulût devenir fon ami, & faire avec
lui une -alliance offenfive & défenfive. Alexandre
communiqua cette lettre à fes officiers. Parménion
ouvrant le premier fon ayis : J'accepterais ces offres,
dit-il, f i f i étais Alexandre. Et moi aujfi, repartit
Alexandre avec une fierté dédaigneufe, f i f i étais
Parménion. Il fit réponfe à Darius.que, s’il vouloit
.venir le trouver-, il lui donnoit fa parole que non
feulement il lui laifferoit fon royaume , mais qu’il
lui rendroit toute fa famille fans rançon ; qu’en at-
t-endaot.il ail oit au-devant de lui pour le combattre.
Il donna auffi-tôt fes ordres pour fé mettre en
marche : niais il fut arrêté par les obsèques de
Statira, femme de Darius, qui venoit de mourir
en accouchant. Les larmes dont il honora cette
princeffe, excitèrent les foupçons jaloux de Darius,
qui ne pouvoit s’imaginer que l’on pût avoir en fa
puiffance une femme fi belle & la refpeétèr. Ce fut
à Gaugamele , bourg voifin d’Arbelle-, à quelque
diflance de l’Euphrate , que fe donna la fécondé
bataille.^ Darius étoit à la tête de huit cents mille
hommes de pied, & de deux cents mille de cavalerie.
Les généraux cl’.Alexandre , étonnés à la vue d’une
armée fi nombreufe, étoient d’avis de combattre
pendant la nuit, tyui cacheroit aux Macédoniens,
leur inégalité; mais il leur'ferma la bouche, en
leur clifant qu’il ne déroboit point la viétoire. L’ordre
fut donné pour le lendemain, & il alla fe re-
pofer dans fa tente.
Quoique cette bataille dût décider de fon fort, il
ne témoigna aucune inquiétude. Son ame étoit fi
..calme, qu’il dormoit encore à l’heure qu’il avoit
marquée , pour ranger fon armée en bataillé. Ses
officiers, furpris de ne le point v o ir , fe rendirent
à fa tente, & le trouvèrent plongé dans un profond
fommeil. Parménion l’appella plufieurs fois : Conv-
ment fieigneur, lui dit-il , nous fommes en préfence
de. L’ennemi, 6* vous donner^, comme f i vous avie£
vaincu ! Mon ami, lui répondit-il avec bonté ,
nous avons ejffe&ivement vaincu, puifique Darius efl
p ré fient, 6» qu’il nous exempte la peine de le chercher
dans des plaines qu’il a changées en ajffreufies fioli-
tud'es. Après les avoir renvoyés à leurs poftes, il
prit fon armure : c’étoit line double cuirane de lin,
bien p iquéequ’il avoit gagnée à la journée d’Iffus ;
un cafque de fer, mais plus brillant que l’argent
le plus pur ; fon hauffe-col étoit auffi de fer , mais
tout fémé de diamans. Sa cotte d’armes s’attachoit
avec une agraffe d’un travail exquis, & d’une magnificence
tort au-deffus du refie de fon armure.
C ’étoit un préfent que lui avoit fait la ville de
Rhodes, pour marque de fon admiration. Il avoit
pour armes offenfives ime épée & une javeline.
Lorfqu’il eut fait fes difpofitions pour l’attaque ,
& qu’il eut excité le courage de fes foldats, il
fe fit amener Bucéphale, cheval excellent, & qui
lui avoit été d’une grande utilité dans toutes fes
expéditions : il s’y étoit d’autant plus attaché, que
lui- feul avoit fu le dompter. Ce cheval, quoique
vieux , n’ayoit encore rien perdu de fa vigueur.
Avant de prendre le pofte qu’il étoit réfolu de
garder pendant la bataille, Alexandre fit paroître
le magicien. Ariffandre, qui promit à l’armée le
fuccès le plus favorable. Auffi-tôt la cavalerie ,
fière de le voir à fa tête, s’avance au galop, &
la phalange Macédonienne la fuit à grands pas
dans la plaine. Mais avant que les premiers rangs
fuffent affez près pour donner, l’avant-garde des
Perfes prit la fuite. Alexandre profitant de ce coup
de fortune, pourfuit avec ardeur les fuyards, ot
les renverfe fur le corps de bataille , ou il porte
l’épouvante. Le roi ambitionnoit la gloire de prendre
, ou de tuer Darius, qu’on voyoit paroître
fur un char élevé au-deffus de fon efcadron royal,
& qui fe faifoit remarquer par fa fierté, oc la
magnificence de fon équipage. Ses gardes firent une
belle contenance ; mais voyant de près Alexandre ,
qui renverfoit les fuyards fur ceux qui oppofoient
de la réfiftance, ils imitent l’exemple de leurs
compagnons. Quelques-uns, plus audacieux, jet-»
tent leurs armes , & faififfant les Macédoniens au
corps, ils les traînent fous les pieds de leurs chevaux
, &- meurent eux-mêmes , fatisfaits d’avoir.
fait de leur corps un rempart à leur roi. Darius fe
trouva , comme dit Plutarque, frappé du fpec-
tacle le plus effrayant. Sa cavalerie, rangée devant
fon char qu’elle vouloit défendre , eft taillée
en pièces, & les mourans tombent à fes pieds.
Les roues du char embarraffées par les cadavres
Si les bleffés, ne peuvent fe mouvoir. Ses chevaux ,
percés, couverts de fang, n’obéiffent plus à la
main qui les guidé. Sur le point d’être pris, il fe
précipite de fon char ; il fe jette fur un cheval , JÇka