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le plus grand nombre dans l’armée d’À îi, Ce firent
iin fcrupule de maflacrer des hommes couverts de
ce bouclier facré. Cette rufe arracha lavi&oire des
mains d’A li, qui fut réduit à foumettre aux lenteurs
de la négociation, le fort d’une guerre qui eût été
terminée par ce feul combat. Des arbitres furent
nommés, & il fut arrêté que les deux concurrens fe
dépouilleroient du califat,. afin de procéder à une
nouvelle éle&ion. L’arbitre des Alides ayant fait
aflembler la nation , dit à haute voix : Je dépofe
A l i , comme j*ote cet anneau de mon doigt. L’arbitre
Syrien parle enfuite, & dit : Mufulïnans r vous
venez d’entendre prononcer la dépofition d’A li; j’y
foufcris : & puifque le califat eft vacant, j’y nomme
Moavie , de la même façon que je mets cet anneau
à mon doigt. Ce lâche artifice ne fit que perpétuer
les haines. Les Arabes trompés périmèrent dans
leur, obéiflance ; & les Syriens ne reconnurent plus
que Moavie pour maître». On recommence la guerre
avec une fureur nouvelle ; & l’Arabie eft dévaftée
par deux armées, acharnées à détruire un empire
qu’elles venoient d’élever.
Le fpe&acle de tant, de calamités affligeoît tous
les Mufuimans. Trois fanatiques gémifîans fur les
malheurs publics., réfolurent d’affranchir leur patrie
de trois tyrans qui déchiroient fbn fein. L’un fè
•rend à Damas, où il frappe Moavie d’un coup de
poignard dans les reins la bleffure ne fut point
mortelle. L’autre part pour l’Egypte ,-pour aifaf-
finer Amru,, qui paroifioit vouloir y fonder un
empire indépendant ; ils!introduit dans la mofquée,
où le gouverneur avait coutume de faire la prière
publique : mais ce jour-là, il avoit chargé un de fes
lùbalternes de s’acquitter de ce devoir ; ôt le prépofé
fut facrifié au pied de l’autel. Ali fut le feul qui fut
afiafliné, à; l’âge de foixante - treize ans, après un
, règne de quatre ans & dix mois.. Quoiqu’il fût
zélé mufulman, il' n’eut pas le zèle féroce qui- c.a-
ra&érifa les premiers-héros de PIfiamifme. Son ef-
prit naturel & cultivé, ne demaiidoit que des temps
moins orageux, pour développer fes richeffes, Il
relâcha de la rigueur de la loi,fous prétexte que plu-
. fleurs'préceptes févères avoient été prefcrits par
î’aufière Abu-Beckre qui avoit fuppofé l'autorité
du prophète, pour, afiùj,ettir les autres à fon tempérament
chagrin il. n’admettoit que les dogmes-
contenus dans le koran , & retranchoit toutes les
traditions, comme des four.ces fùfpeâês & fiifcep-
tibles d’altération. Ses partifans, qui forment une
fcéle confidérable, le regardent comme lefuccef-'
. leur immédiat de Mahomet :& les trois autres califes
qui lui ont fuccédé,. comme des ufùrpateurs.
. Il avoit toutes les qualités qui rendent aimable un
. particulier, & tous les talens qu’on a droit d’exiger
d’un homme public..Quelqu’un lui demandant pourquoi
les règnes d’Abu-Bekre & d’Qmar avoient été
fi paifibles, & que celui d’Qthman & le lien avoient
été agités par tant de tempêtes ; e’e ft, répondit-il,
parce que Abu-Bekre & Omar ont été fervis par
Othman & moi ; au lieu que nous n’ayons l’un
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& l’autre trouvé que des fujets lâches & parjures
comme toi. Quand on le preffa de nommer fbn fuc-
ceflèur, il répondit que Mahomet n’avoit point dê-
figné lefien & qu’il étoitréfblu de fuivre fon exemple.
Dès qu’il fut expiré , tous les fuffrages fe réunirent
en faveur d’Affan fon fils,.prince fans ambition,
& incapable de gouverner les rênes d’un empire
ébranlé. Et tandis que confacrant tous fes momens
au miniftère facré, il infpiroit à fes partifans desfen-
timens pacifiques, Moavie à la tête de fon armée ne ’
refpiroit que les combats ; devenu plus fier depuis
que fon rival s’étoît rendu méprifable aux Arabes,
par fon averfion à répandre le fan g , il parle en vainqueur
avant d’avoir combattu. Afîàn , voyant que
pour gouverner l’empire, il faut plus de talens que
de vertus, préfère l’oblciirité de la vie privée A
l’éclat impofteur du trône. Son rival qui croit qu’on
ne peut acheter trop cher l’honneur de commander,
lui fait un fort brillant ;& foùverain dans fa retraite,
il femble ne s’être débarrafTé que. du fardeau des
affaires. Ses immenfes richeflès., dont il ne fut.que le
diipenfateur, firent regretter, aux Arabes un maître
fi bienfaifant. Sa modération & fes largefTes le firent
paroître redoutable au tyran qui. céda, à là barbare
politique de l’immoler à fès fôupçpns.
Cette, mort délivra. Moavie de tous ceux qui
faifoient ombrage à fon ambition.. Les uns furent
chercher un afyle dans les déferts. de l’Arabie; les
Abbaflides fe réfugièrent fur les frontières de l’A rménie.
AinfT. le fan g de Mahomet fut profcrîtpar
un ufurpatèur qui aftèâoit encore de refpeêfer fa
mémoire. Moavie placé fur un trône acquis.par fon
épée, tranfporte le fiège de l’empire à Damas.
Grand politique, heureux guerrier, il vit fon alliance
recherchée par Sapor, roi d’Arménie, & par
l’empereur des Grecs.. Ces deux princes le. choifi-
rent pour être l’arbitre de leurs querelles; mais il
aima mieux être le conquérant de leurs provinces,
qué. le pacificateur. Il afiocia fon fils à l’empire , que
’ par-là il rendit héréditaire. Il mourutâgé de plus de
quatre-vingt ans ,. dont il en avoit régné dix-neuf.
Il n’eut ni la foi v iv e , ni l’auftérité de fes préde-
! ceiTeurs. Les Mufuimans commencèrent à prendre
des moeurs plus douces; mais ce ne furent que dès
i nuances légères nui n’empêchent point $ y recon-
; noitre un fond de,férocité.. Les brigands quiinfef-
toient les routes, furent exterminés ; & à. mefùre
i que l’Arabie adoucit fon fanatifme, il y eut moins
dé crimes à punir: cliofe étrange!.que. dans les
fiècles où il y a■ le plus de crédulité & de fuperf-
tition, il y ait le plus d’atrocités,. Les dévots, lui
reprochèrent d’avoir introduit plufieurs nouveautés
. dans le culte. Il fut le premier qui s’afïit pour prêcher
;. ce fut encore lui. qui, le premier, entonna
la prière publique dans le lieu élevé du temple,
deftiné à la prédication. Il changea l’ordre de l’office
public : avant lui la prière qui eft d’obligation
précédoit le fèrmon, qui n’étoit que de confeil ; il
arrivoit fouvent que l’orateur n’avôit perfonne pour
l’écouter; mais Moavie étoit éloquent, il aioeoit à
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parler long-temps; & pour afîùjettir les Mufuimans j
à l’entendre, il ne faifôit la prière qu’après avoir
prêché ; mais le plus grave de tous les reproches,
etoit d’avoir rendu le trône héréditaire. C ’eft à lui
que-les Arabes font redevables de l’établifTensient
des chevaux de porte fur les routes.
Yefid, fon fils, fut l’héritier de fa puifiançe fans
l’être de fes vertus. Ofcin, foutenu d’une faéfion
puiflante, refùfe de le reconnoître : refpeêlé dans
la Mèque & dans Médine, il y voit tous les vrais
Mufuimans difpofés à partager fa fortune. Appellé
par les Cufiens, il fe rend avec fa famille dans leur
ville, où , au lieu de trouver des fujets, il ne trouve
que des ennemis. Il peut obtenir des conditions honorables,
mais il aime mieux mourir les armes à la
main, que de vivre fiijet. Le fpeâacle .de fés foeurs,
de fes femmes & de les enfans fondans en larmes ,
ne peut fléchir fon ftiperbe courage. Il n’avoif que
cent hommes avec lui, & il avoit cinq mille hommes
à combattre. Il inyoque Dieu pour la confer-
Vation du fang de Mahomet, & avec une poignée
de monde, il fe promet laviéloire. Ses ennemis
faifis d’un faint refpeâ pour les enfans de leur prophète
, pleuroient en combattant contre eux. La valeur
d’Ofcin fuccomba fous le nombre; il reçoit
trente-quatre contufions & autant de blefiùres. Il
tombe affoibli au milieu de foixante-doüzé hommes
de fbn parti, morts en combattant: dix-fept def-
cendoient, comme lui, de Fatime. Sa tête fut
portée à Damas , où Yefid parut s’attendrir fur le
fort d’un rival qui n’étoit plus à craindre. Les foeurs
d’Ofcin, amenées devant le tyran, s’exhalèrent en
ihvedives; & au lieu de les punir, il leur' rendit
les honneurs dûs aux petites- £11 es du prophète. L’enfance
des enfans d’Ofcin fut également refpeélée,
ce qui prouve que les plus cffîèïstÿràns confervent
fouvent quelques traits de conformité avec les
âmes généreufes. Le fàng d’Ofcin fut la femence
d’une nouvelle guerre. Abcîala, qui avoit une origine
commune avec A li , fe déclara le vengeur de
la famille. LesHafemites & leurs partifans fe rangent
fous fon drapeau ; ils s’afièmblènt dans la mofquée
de Médine, où l’un d’eux fe lè ve , & ditr Je
dépofe Yefid du califat comme j’ôte Ce turban de
deflùs ma tête. Un autre fè lè v e , & dit : Je dépofe
Yefid du califat comme j’ôte ce foulier de mon pied.
Tous fuivent leur exemple , & dans le moment la
mofquée fut couverte de fouliers & de turbans.
Tranquille an milieu de Forage , Yefid abruti dans
la débauche de la table, donnoit à Damas le fcan-
dale d’un amour inceftueux avec fa foeur qui par-
tageoit fon affeftion avec fes chiens : fes generaux
veilloient pour lui. Ils entrent dans l’Arabie , &
marchent vers Médine, qui fut prife & faccagéè ;
les vainqueurs n’enveloppèrent point la famille
d’A li dans le carnage des habîtans. Ils marchèrent
enfùite vers la M èque, pour lui faire fubir la même
deftinée; mais la nouvelle de la mort d’Yefid' les
fit retourner en Syrie. Depuis ce temps lés Mu- J
fùlmans drvifés reconnurent deux califes., Il fut le
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premier qui but du vin en public, & qui fe fit
fervir par des eunuques.
Apres la mort d’Yefid , fon fils Moavie fut
proclamé calife par l’armée; mais ce prince religieux
& ami de la retraite, fentit qu’il étoit trop
foible pour foütenir le poids de l’empire , qu’il abdiqua
fix fera aines- après y avoir été élevé. Il fit
afièmbier le peuple dans la mofquée, & lui fit les
adieux , en difant : jj Mon ayeul envahit la chaire
» où devoit monter le gendre du prophète, que
» fes droits , fes talens & fes vertus rendoient
v digne d’un fi haut rang. Je reconnois que Moavie
» ne fut qu’un ufurpatèur. Yefid mon père rendra
r> compte du fang d’O fcin, petit-fils de l'envoyé de
» Dieu, mafTacré par fes ordres. Je ne veux point
jouir d’un bien ufurpé : je vous rends vos feç-
» mens. CboififTez le calife qui vous fera le plus
» agréable, je fuis prêt à lui obéir comme à
» mon maître. Pour' moi je vais pleurer dans le
» filence les fautes & les crimes de mes pères, 8c
« prier le prophète de leur pardonner les iniqui-
». tés exercées fur fes defeendans. Les Syriens indignés
de fon abdication, s’en vengèrent fur fbn
précepteur-, foupçonné de lui avoir donné ce
confeil, & ils le condamnèrent à être brûlé vrf.
Le calife s’enfevelit dans une retraite, d’où il ne
foî'tit plus le refte de fa vie , qui fut eonfacré aux
exercices les plus auftères de fa religion.
C’étoit un moment favorable de placer le califat
fur une feule tête, & les Syriens paroiftoient dif-
pofes à reconnoître Abdala calife de l’Arabie ; mais
ayant appris qu’il avoit fait égorger .ce qni reftoit:
«TOmmiades dans les pays de fa domination, ils
craignirent de fe donner un barbare pour maître r
ils jettèrent les yeux fur Mervan, defcëndant
d'Ommias. Ce nouveau calife , avant d’être-
prcclamé , jura de remettre le feeptre au fils:
d'Ÿefid , & pour gage de fon - ferment , ’ il
en époufa la veuve ; mais la douceur de commander’
le rendit parjuré ; il régna avec gloire pendant
dix mois, & défigna pour fon fùccefîèur fon fils
Abdàlmalec, qui fe montra digne de l’être par fon
amour pour la juftice. Les Chrétiens eurent le courage
de lui refufer une églife qu’il vouloir changer
en mofquée. Il pouvoir lés punir de leur refus, &
il fut a fiez généreux pour leur dire : » Je reconnois
» que vous avez une opinion avantageufe dé votre
» maître, puifque vous ofez lui déplaire. Ce fut
lui qui le premier, à l’exemple des autres fouve-
rains , fit battre de la monnpre à fon coin, avec
cette légende : Dieu ejl éternel. Jufqu’alors e’étoit
la monnoie des Grecs qui avoit eu cours en Arabie :
cette nouveauté, & fur-tout la légende,fcandahfa
l'es fuperftitieux, qui craignirent de profaner le nom
de Dieu, en faifant circuler leurs drachmes dans
les mains des infidèles ; mais il leur remontra que.
Pillage d’une monnoie étrangère avilifloit là ma-
jefté de l’empire ; & les intérêts de la vanité firent
faire les fcrupules de la religion
L’Arabie étant foumife à Abd’aiâ que les enfans d’A li