
une démarche qui s’accordoit peu avec fa défiance
ordinaire; il accepta, ainfi qu’Antoine, lin repas
que Pompée leur offrit fur fa galère amirale : c’eft
ainfi qu’ils fe convoient l’un & l’autre à la .foi d’un
ennemi qui avoit de grandes vengeances à tirer
d’eux. Cette confiance de la part des triumvirs,
fait honneur à Pompée, & rend croyable un trait
rapporté par Appien : fuivant cet auteur, Menas,
fon lieutenant, s’étant approché, lui dit que s’il
le vouloit, il alloit le défaire de fes rivaux, &
le rendre maître de l’empire ; mais ce romain avoit
des principes de vertu, contre lefquels [toutes les
promeffes de la fortune étoient impuiffantes. Menas
peut manquer à fa parole , répondit - il aufli-tôt ,
niais cette perfidie nefl pas digne du fils de Pompée :
quelle différence entre ce vertueux romain, dont
on parle à peine, & cet Augufle :dont les plus
grands rois fe font gloire de porter le nom 1
Lépide , Antoine & Pompée ne fongeoient
qu’à maintenir dans l’obéiffance les provinces dépendantes
de leur gouvernement ; mais il n’en
etoit pas de même; d’Oélavien. Son ambition ne
devoit s’arrêter qu’après avoir rangé l’empire en--
tier fous fes loix. Il commença par la ruine de
Pompée , qui maître de la fertile Sicile tenoit en
quelque forte fous fa dépendance les Romains,
dont cette ifle fortunée étoit depuis long-temps la
principale reffource dans les temps de difette : le
Péloponèfe fervit de prétexte à cette guerre. Cette
province avoit été cédée à Pompée fans aucune-
réferve ; O&avien prétendit que les taxes dévoient
appartenir aux triumvirs. Leurs prétentions reci-.
proques n’ayant pu fe terminer à l’amiable , ils en
vinrent plufieurs fois.aux mains; mais la fortune
d’Octavien & la valeur d’Agrippa, fon général ,
le rendirent maître de la Sicile & de toutes les
forces de fon ennemi. Pompée traînant les débris
de fon armée, paffa en A fie , où il périt, après
avoir inutilement tenté de relever fon parti: Rome
perdit en lui le dernier de fes citoyens. Le vain-,
queur ne parut en Italie que pour y chercher de
nouvelles victimes ; & fur le plus léger prétexte,
il déclara la guerre à .Lépide , qui, ayant été trahi
& abandonné, abdiqua le triumvirat , & rentra
dans une obfcurité, où la foiblefle de fon efprit le
rappelloit fans ceffe. Ces fuccès élevèrent Oétavien
au plus haut degré de gloire & dev puiflance ; il
fe voyoitsà la tête de deux cens mille légionnaires,
de vingt-cinq mille hommes de cavalerie, de cent
foixante mille hommes armés à la légère , & de
fix cens vaiffeaux du premier rang, fans compter
un nombre infini de bateaux de tranfport. Cette
haute fortune étoit encore au-deffous de fon ambition
; le fénat, fi cependant on peut appeller de
ce nom un corps dégradé , lui rendit les plus
magnifiques honneurs , & lui déféra le triomphe
de l’ovation: l’adulation fut portée à un tel point,
que la pudeur du triomphateur , qui n’étoit rien
moins que modefte, en fut offenfée. On lui éri- J
gea une ffatue d’or au milieu de la place publique 1
avec cette infcription: A Céfar, vainqueur fur terre
& fur mer. Le jour où il avoit vaincu Pompée
fut mis au nombre des fêtes folemnelles. Comme
il méditoit la ruine d’Antoine, il ne négligea rien
pour s’infinuer de plus en plus dans la faveur du
peuple ; l’ayant convoqué dès le lendemain de fon
ovation , il diminua les taxes , & remit à tous
ceux qui avoient loué des maifons du public, ce
qu’ils dévoient au tréfor ; & , fur les plaintes que
les voleurs infefioient Rome & les, campagnes voi*
fines, il créa un lieutenant de police , protfe6lus
yigûüm, &- des compagnies de gens armés, chargés
de maintenir l’ordre , & de garder les routes
à la campagne & les rues dans la ville, ; on tranf-
porta en Italie tous les bleds de Sicile ; ainfi l’on
vit fuccéder l’ordre à la confufion , la fûreté publique
au vol & au brigandage , & l’abondance à
la difette. Toutes les villes d’Italie , oubliant les
précédens maffacres , l’appelloient leur commun
bienfaiteur ; on porta la reconnoiffance jufqu a lui
ériger des autels. Un procédé vraiment, généreux,
mais qui tenoit plus à fa prudence qu'à fa bonté y
mit le comble £-cette ivreffe populaire : Pompée,’
dans une fuite précipitée, n’aVoit pu mettre à couvert
fes papiers, parmi lefquels il y avoit'une infinité
de lettres qui lui avoient été- écrites par le>
parti républicain ; ces papiers ayant été remis à
Odavien, il les fit brûler dans la place publique ,■
protefiant qu’il ne vouloit pas même connoîtrefes
ennemis , & qu’il étoit charmé de. trouver cette'
oceafion de facrifier fon reffentiment particulier
au bien de la patrie. Mais un trait , qui doit être
regardé comme le chef-d’oeuvre de. la politique y
c’étoit de renoncer au titre odieux de triumvir ,
& d’en conferver toute la puiflance, fous une dénomination
révérée du peuple. Il fe fit déférer le
tribunat à perpétuité, & promit d’abdiquer le triumvirat
au retour d’Antoine, qu’il prétendoit engager
à en faire autant, fans l’aflocier aux honneurs de1
fa nouvelle dignité. On fait quelle étoit l’autorité
des tribuns ; placés à la tête du peuple, comme
des furveillans contre les entreprises du fénatr, ils
étoient vraiment rois ; ils avoient droit de révi-
fion & d’oppofition : toutes les loix, propofées par
le fénar , dévoient leur être déférées; ils y don-
noient la fan&ion , ou les rejettoient à leur gré.
Il eft vrai que dans certaines occafionsils devoienti
confulter le peuple; mais ce peuple .aveuglepour
fes patrons, qu’il révéroit comme fes idoles , n’al-
loit jamais contre ce qu’ils avoient décidé. On fenf
bien qu1 Augufle, ce tyran formidable, qui venoit
de faire trembler tous les ordres de l’état, une
fois revêtu de cette charge , pouvoit aifément en
augmenter les-prérogatives; cependant comme il
y avoit toujours eu plufieurs tribuns , il étoit à.
craindre qu’Antoine n’êntreprît de fe faire déférer
le même titre à perpétuité : cette confidération.
engagea Augufle à rendre fon concurrent odieux
& méprifable ; attentif à toutes fes démarches , il
déyoiloit toutes fes foibléffes. Antoine , viéfime de -
fa paflion pour les femmes & pour la table , four-
nifloit une ample carrière aux plaintes & aux reproches
; prodigue de fes propres biens , il ufoit
de même des domaines la république : Cléopâtre
venoit d’en obtenir la Phénicie , la Celé--
S y r ie , Chypre , la Judée & une partie de l’Arabie.
Les Romains , naturellement jaloux d’une
domination vafte , virent avec indignation qu’un
de leurs chefs les dépouilloit de ces riches provinces
pour une reine dont ils avoient toujours
eu le nom en horreur: un affront que reçut Antoine
de la part des Parthes, augmenta l’averfion
qu’infoiroitfa conduite. L’artificieux tribun, voyant
les efprits échauffés par fes déclamations , chercha
tous les moyens'd’en venir à une rupture ouverte.
Le mécontentement d’O d av iè, qui vdyoit avec
un fecret dépit les infidélités d’Antoine, lui parut
line circonftance propre à confommer l’ouvrage
de fon ambition ; il engagea, cette époufe mécontente
à aller revendiquer fes droits, bien déterminé
à venger l’affront auquel il l’expofoit. La
vertueùfe O&avie ne s’apperçut point du piège
que fon frère tendoit à fon époux, elle fe rendit
à Athènes , d’où elle écrivit à Antoine, qui étoit
pour lors à Leucopolis ; elle lui témoignoit la joie
qu’elle fe promettoit en le revoyant, & lui an-
nonçoit. des habits pour fes foldats , un- grand
nombre de chevaux , des préfens confidérables ,
tant pour fes amis que pour fes lieutenans , & deux
mille hommes parfaitement équippés , pour recruter
fa cohorte prétorienne ; Antoine , féduit &
entraîné par Cléopâtre, fut infenfible aux démarches
de fon* époufe , il refufa dé la voir , & lui fit
dire de retourner à Rome , tandis qu’efclave de fa
rivale * il alloit à Aléxandrie pafler l’hiver dans
les plaifirs & la débauche.
O&avie obéit aufli-tôt ; fon frère feignant de
partager l’humiliation qu’elle venoit de recevoir^
tâcha d’exciter fa jaloufie , & lui dit de fortir de
Ja maifon d’un époux qui la trairait avec tant de
dédain : il lui promettent de venger fon injure.
Oclavie étoit bien éloignée d’approuver fes def-
feins ; elle répondit à fon frère qu’elle ne fayoit
•que pleurer fur les égaremens d’un mari, & non
s’en venger ; elle lui recommanda de fe montrer
plus avare du fang de fes Compatriotes , & de
ne pas le verfer pour les chagrins d’une femme.
Plus O&avie montrait de vertu , plus Antoine
devenoit odieux, & Augufle ne manquoit pas d’in-
téreffer , par des pratiques fecrètes , le peuple en
faveur de fa foeur. Il faifoit voir avec une affectation
, dont il avoit foin de cacher le motif, cette
femme, le modèle de fon fexe , élevant fes en-
fans avec le plus tendre foin , fans faire à cet
égard aucune diftin&ion entre les fiens propres
ceux que fon mari avoit eus de Fulvie. L’indif-
crétion qu’eut Antoine de s’affeoh fur le trône
d’Egypte, porta au comble le mécontentement du
peuple romain. Tout fembloit* éonfpirer à élever
Augufle fur le trône du monde, en conduifant fon
concurrent à fa perte inévitable. Antoine, aflis
fur un trône étranger avec Cléopâtre, la proclama
reine d’E gypte, de Chypre , de Celé-Syriè & de
toute la partie de l’Afrique- qui obéifloit aux Romains.
Céfarion qu’elle avoit eu' de Jules-Céfar ,
fut déclaré collègue du triumvir : quant aux en-
fàns qu’il avoit eus de cette princefle , il donna à
celui qu’il nommoit Alexandre, l’Arménie, la Mé-
diè, la Parthie, & généralement cet iinmenfe pays
compris entre Tindus & l ’Euphràte. Son efprit étoit
tellement dérangé par fa paflion , qu’il donnoit
des pays où jamais les armées romaines n’avoient
pu pénétrer. Ses autres enfans reçurent des pré-'
fens non moins magnifiques, & tous dévoient
avoir le titre fublime de rois des rois : le triumvir
fe livra encore à mille autres extravagances, que
nous avons eu foin de décrire à Ion article.
Oétavien , profitant du mécontentement général
, qu’excitoit une conduite fi répréhenfible , cita
fon collègue devant le fénat & le peuple, l’accu-
fant d’avoir trahi la majeffé romaine. Antoine
voulut en vain fe juftifier ; .fon teftament , vrai
ou fuppofé, par lequel il exigeoit que fon corps,
en quelque endroit qu’il mourût, fût transféré en
Egypte , ( V. ci-devant A n t o in e . ) rendit la guerre
inévitable. Augufle fit fes préparatifs, qui furent
immenfes; tous les refforts furent tendus; il attaqua
d’abord fon rival par les traits du ridicule ,
qui produifirent leur effet. Ses flatteurs , dont il
empruntoît 1 organe , publioient qu’on ne deVoit
plus s’attendre à voir Antoine à la tête de fes armées
, mais l’eunuque Mar dion , qui devoit avoir
pour conseillers de guerre Phroline , Tras & Char-
mion , fuivantes de Cléopâtre. Le politique tribun
eut encore l’attention de ne point attaquer direc-
■ tement Antoine : il fombla ne vouloir diriger fos
armes que contre Cléopâtre. Ce fut à cette reine
que fes ambaffadeurs remirent la déclaration de
guerre ; on fent la raifon dé cette conduite, il
fa voit- bien qu’Antoine, idolâtre comme il l’étolt
de la reine, ne manquerait pas de fe déclarer en
fa faveur , & que cette démarche le ferait déclarer
ennemi de la patrie : les égaremens dAn-
toine , la perfidie de Cléopâtre le fervirent plus
puiffamment encore , qu’une politique fi rafinée.
Nous ne répéterons point ici par quel revers de
fortune, Antoine perdit la plus belle moitié de l’empire
du monde, lorfqu’abandonnant une armée
intrépide , il courut après une ingrate , qui ne
parut le regretter & le plaindre que quand elle fut
forcée de le donner , comme lu i, la mort, pour
éviter la honte d’être traînée en triomphe à
Rome.
Oftavien, (an de Rome 713. ) vainqueur d’Antoine
& de.Cléopâtre, fe rendit en Egypte, &
la rangea fous fon obéiffance. Après avoir réglé
dans Aléxandrie j le deftin de ce royaume , il en
fortit, & pareçurut la Syrie, T Afie mineure & la
Grèce portant un oeil fatisfait fur ces floriffantes-
Q sq *