
ces anneaux, î e croyoient à l’abri de tontes fortes de
revers, & allurés du fuccès de tout ce qu’ils entre-
prcnoient ; on les appelloit Samothraciens, parce que
les peuples de cette île s’appliquoient particuliérement
à étudier les fecrets de la nature. ( L . )
ANNIBAL. (Hifl. des Carth.') Ce général, dont le
nom réveillé en nous l’idée d’un génie fait pour la
guerre, étoit de la famille Barca , la plus illuftre de
Carthage. 11 n’avoir encore que fept ans, îorfque fou
p*. lu; ère Amilcar, le plus grand capitaine de fonfiècle,
ni fit jurer fur les autels des dieux, protefteürs de
Carthage, une haine éternelle contre les Romains,
& jamais ferment ne fut plus religieufement rempli.
A n n ib a l , élevé fous latente de fon père, fe fami-
liarifa avec tous les périls ; les fatigues du camp
fortifièrent fa vigueur naturelle , les combats furent
les amufemens de fa jeimeffe; fon éducation toute
guerrière développa le germe d’hércïfme renfermé
dans fon ame , -& la nature fembla lui» avoir
révélé des fecrets que les hommes ordinaires n’apprennent
qu’avec le fecours de l’expérience.
Amilcar,'tué dans le fein de la viéloire, furvécut
à lui-même dans un fis qui a voit le feu de fes
regards, la fierté de fes traits & de fa démarche.
Ce grand homme lui laiffa pour héritage fon intrépidité
tranquille,Ton défintéreflement & fes inclinations
belliqueufes, fa capacité, & fur-tout fa
haine contre les Romains.
Hannon , chef de la faélion oppofée à la famille
Barca, regarda toujours la guerre comme deftruc-
tive dans une répubique commerçante. La faâion
Barcine étoit perfuadée que c’étoit par les armes
qu’on pouvoit affurer les profpérités publiques, en
fe rendant redoutable à fes voilins. Afdrubal, gendre
d’Amilcar, & fon fucçefTeur dans le commandement
de l’armée d’Efpagne, pria le fénat de Carthage
de lui envoyer A n n ib a l , âgé de vingt-deux
ans, pour le perfectionner dans l’art de la guerre,
Hannon s’oppofa à cette demande, 'prévoyant
que le feu de ce jeune courage alloit allumer un
incendie difficile à éteindre ; fon oppofition fut im-
puifTante. A n n ib a l partit pour faire l’effai de fes
talens fous fon beau-frère. Après la mort d’Afdnir
bal tous les yeux fe fixèrent fur lui. Les vieux
foldats qui avoient cojnbattn & triomphé fous
fon père , le demandèrent pour marcher à leur
tête, & le choix de l’armée fut confirmé par le
fuffrage du fénat. La conquête de Sagonte fut le
prélude de fes victoires : cette ville alliée dçs Romains,
étoit la feule qiii eût confervé fon indépendance.
A n n ib a l ne voulut pas laitier fubfifter ce
monument de la liberté qui fembloit reprocher
aux autres villes la honte de feur fervittidç. Ce
fiège mémorable eft un tri fie & fublime témoignage
de ce que peut fouffrir un peuple fier qui combat
pour fon indépendance. Les Sagontins aimèrent
mieux mourir libres que de vivre efclaves : toute
la jeunefiè moifionnée dans les premières attaques
ne laiffa à cette ville pour défenfeurs que des fem-
mes& des vieillards à qui A n n ib a l offrit de leur conferver
la vie ; mais ces furieux aimèrent mieux
s’enfevelir fous les ruines de leurs remparts , que
de biffer un monument de la clémence de leurs
vainqueurs : ils portent leur or & tout ce qu’ils
ont de plus précieux dans la place publique ; ils
allument un bûcher & fe précipitent au milieu des
flammes avec toutes leurs richeffes.
La ruine de cette ville fut la caufe de la fécondé
guerre punique. Les Romains , vainqueurs des
Carthaginois dans la Sicile & la Sardaigne, parurent
à A n n ib a l des ennetnis faciles à vaincre au fein
de Tltalie. Hannon, perfécuteür déclaré de la faction
Barcine , ne vit dans ce projet que l’ivrelie
d’un jeune préfomptueux qui croyoit pouvoir
tout exécuter -, parce qu’il ofoit tout concevoir.
A n n ib a l ne chercha point d’autre apologie que fes
vi&oires. Son entreprife étoit audacieufe, & il ne
pouvoit trouver de- modèle" que dans Pyrrhus,
dont le début avoit été brillant , mais q>ui avoit
été trop malheureux pour faire naître l’envie de
l’imiter. A n n ib a l n’eut d’autre guide que fon génie.
Rien ne prouve mieux la fécondité de fes ref-
fources , que les moyens qu’il employa pour
préparer fes fuccès & pour en affurer la durée.
Son premier foin fut d’éteindre, dans le foldat,
cet attachement qui nous rappelle fans ceffe vers
les lieux qui nous ont vu naître : il leur exagéra
les richeffes de l’Italie qui dévoient être leur ré-
compenfe. Rien n’infpire plus de confiance en noua
que d’en avoir dans les autres , il parut affûté de
la fidélité de fes foldats ; il leur permit d’aller
faire leurs adieux à leurs parens, dont ils alloient
être pour long-temps’ éloignés, en leur faifant pro- .
mettre de fe rendre fous leurs drapeaux au retour
du printemps. Ils furent fidèles à leur engagement
& tous eurent le même empreffement.
Lorfqu’il fit la revue de fon armée, il s’apper-
çut que quelques-uns münhuroient d’avoir les
Alp.es à traverfer; & fur-tout d’abandonner leur
famille pour aller chercher les périls dans une terre
étrangère. Sept mille de ces murniurateurs furent
licenciés avec ignominie, & l’armée moins nom-
breufe n’en fut que plus redoutable , parce que la
lâcheté eft contagieufe. Ce fut dans le choix des
nations dont il forma fon armée, qu’il montra le
plus de difeernement. La Numidie & l’Efpagne
renommées par la bonté de leurs chevaux, formèrent
fa cavalerie. Les îles Baléares lui fournirent des
frondeurs , & la Crete des archers. Chaque peuple
fut encore employé dans l’exercice de fon talent ;
il arma fes foldats à la Romaine, & ne rougit pas
d’emprunter de fes ennemis le fecret de les vaincre.
Avant de s’éloigner , il pourvut à' la défenfe
de Carthage, en tranfportant lesEfpagnols en Afri-
que & les Africains en Efpagne , afin que les deux
nations euffent des gages réciproques de leur fidélité.
A n n ib a l s’affura dé l’amitié de tous les petits rois
dont il avoit à traverfer les états. Il fe mit en
marche ’avec une armée de quatre - virigts mille
hommes de pied de douze mille chevaux & de
trente-fept
A N N
trente - fept éléphans. La religion quifert la politique
des grands, fut employée à élever le courage
des foldats ; il fit publier qu’il avoit vu en fonge
un jeune homme d’une taille extraordinaire, que
Jupiter envoyoît pour le conduire en Italie : ce ;
menfonge ne trouva point d’incrédules. Son armée
étoit un affemblage d’hommes dont la guerre étoit
l’unique reffource. La plupart qui avoient combattu
fous Amilcar, fe flattoient de vaincre encore
fous fon fils. La licence eft bannie du camp, & le
néceffaire fe trouve fous la tente où l’on ne con-
noît pas le fuperflù. Les petits fouverains des
Pyrénées & des Gaules qui ont à négocier avec
lui, n’exigènt que fa parole pour gage des traités.
Sa: franChife militaire infpire une confiance qui réfute
les calomnies dont les écrivains Romains ont
flétri fa candeur. Les rois qu’il ne peut s’attacher
par des bienfaits, éprouvent fes vengeances ;
quoiqu’il évitât de multiplier fes ennemis, il eut
toujours à combattre jufqu’à fa defcénte dans l’Italie
: Ton efprit fécond en inventions , fe mani-
fefta dans les moyens qu’il employa pour faire
paffer le Rhône à fes éléphans. Son armée tombe
(dans le découragement, à la vue des Alpes couvertes
de neiges & de glaces. Les habitans, avec
leur barbe fale & longue, étoient vêtus de peaux,
& reffembloient plutôt à des animaux féroces qu’à
des hommes. On avoit tout à craindre des Allobroges
, habitans de ces montagnes arides & glacées
, qui feuls en connoiffoient les abîmes & les
défilés. Le général Carthaginois, frappé de leur pauvreté
, les crut plias acceftibles à la fédu&ion de fes
préfens ; mais ils affe&èrent d’être généreux & dé-
fintéreffés, afin qu’il ne fe précautionnât point contre
le deffein qu’ils avoient formé de s’enrichir de
Tes dépouilles. Ils le fiüvirent dans fa marche, &
ils fe tinrent le jour Tur la cime des rochers, d’où
ils rouîoient des pierres qui écrafoient dans leur
chûte les hommes & les chevaux. Leurs hurlemens :
devenus- plus affreux par l’écho des montagnes ,
effrayoient les bêtes de fomme qui fe précipitoient
dans les abîmes avec le bagage. A n n ib a l s’étant ap-
perçu qu’ils quittoient leurs rochers pendant la nuit,
profita des ténèbres pour s’en emparer , & quand
à la renaiffance du jour ils vinrent, pour reprendre
leur pofition ordinaire, il furent étonnés de voir
les Carthaginois maîtres des hauteurs qui domi-
noient fur leurs têtes.
A n n ib a l forti de ce danger , eut de nouveaux
combats à foutenir contre une nation Gauloife, qui
avoit formé des établiffemens dans ces lieux dif-
graciés de la nature.Ces Gaulois tranfplantés avoient
lubftitué à la candeur de leur première patrie les
rufes italiennes : ils s’offrirent à lui fournir des
guides, qui l’engagèrent dans des, défilés, où.tous les
Carthaginois euffent péri fous un général moins
fécond en reffources. Après neuf jours de marche,
fon armée épuifée de fatigues, arrive au fommet
des Alpes, d’où elle découvre les plaines riantes &
fertiles de l’Italie. Cette armée nombreùfe & brii-
H i jlu ir e . T om f /.
A N N m
îante,en partant de la nouvelleCarthage , fe trouva
réduite à vingt mille hommes en entrant en Italie.
Il n’avoit alors ni places, ni magafins, ni alliés ;
toute fa confiance étoit dans la bonté de fes troupes
, dans la fupériorité de les talens. Si on lui
eût fourni une flotte pour tranfporter fes troupes ,
on eût prévenu la perte que devoit naturellement
caufer une marche fi longue & fi pénible ; mais
Carthage , follement ambitieufe, avoit négligé fa
marine au moment même qu’elle avoit eu la vanité
d’être conquérante.
A n n ib a l ne pouvoit réparer fes pertes qu’en fe
faifant des alliés. Il publia qu’il n’étoit venu dans
l’Italie que pour l’affranchir du joug; de les tyrans ,
motif dont fe couvre toujours l ’ambitieux & qui fé-
duit toujours un peuple chargé de fers. Turin rejetta
fon amitié , elle en fut punie par le carnage de fes
habitans. Cette févèrité lui parut néceffaire pour
déterminer les efprits flottans entre les Romains
& lui : on croit aifément que celui qui punit efi:
le plus fort. La cruauté, fi l’on en croit les hifto-
riens Romains , lui étoit naturelle; mais ilparoît
quelle lui fut infpirée par la politique. Il fut
cruel quand il fut dans la néceffité de l’être;
mais toujours maître de fes penchans , il fut généreux
& clément pour le fuccès des affaires , &
fon cara&ère fut toujours affervi à fes intérêts.
! Les Gaulois, ennemis fecrets des Romains , dont
I ils avoient à fe plaindre , penchoient pour les
! Carthaginois qui pouvoient le> venger ; mais ils
n’ofoient fe déclarer avant que la vifioire eût
décidé du fort des deux peuples rivaux. A n n ib a l
réduit à la nécefiité d’être heureux dans la guerre,
ne pouvoit fe difiimuler qu’une feule défaite déci-
doit de fa ruine, & qu’il lui falloir une Continuité
de vifioires pour fe maintenir dans une terre
étrangère. Les Romains en temporifant l’auroient
; ruiné infenfiblement : mais leurs généraux qui
avoient plus de courage que de capacité, auroient
cru flétrir la gloire de.la république, s’ils n’avoient
accepté la bataille que, les Carthaginois leur pré-
fentèrent. Les deux armées en vinrent aux mains
fur les bords du Tefin. A n n ib a l avant d’engager
l’aéfion , immole un agneau dont il écrafe la. tête,
en conjurant Jupiter de l’écrafer de même , s’il
n’abandonnoit pas à fes foldats tout le butin ,
promeffe bien féduifante pour des hommes qui
laifoient la guerre moins par un motif de gloire ,
que par un fentiment d’avarice. La viéloire fe
déclara pour les Carthaginois , & ce furent les Numides
qui eurent tout rhonneur de cette journée.
Les anciens Romains faifoient confifter leur force
dans l’infanterie, & leur mépris pour la cavalerie
fubfifta jufqu’à la guerre de Pyrrhus, qui, avec
fes efeadrons Theflaliens , leur fit changer de fentiment.
La cavalerie Numide d'A n n ib a l infpira
tant de terreur aux légions, qu’elles n’osèrent plus
defeendre dans la plaine pendant tout le cours de
cette guerre.
Dès qu'A n n ib a l fut heureux., fon alliance fut