
fur fes genoux , il paffa trois jours dans cette attitude
, oc gardant un morne filence, également
humilié de fa paffion & de fa défaite. Arrivé au
cap de Tenare , il leva enfin les yeux, & les
tournant vers Cléopâtre, il oublia fa perfidie, &
fe livra avec une nouvelle complaisance à fes
careffes trompeufes. Sa flotte combattit longtemps
avec courage, & ne fut vaincue que par un
vent contraite, la plupart de fes vaiffeaux furent
pris, coulés à fond ou difperfés. Son armée de
terre, qui étoit forte de cent mille hommes, fe
rendit fans tirer l’épée, ayant été trahie & abandonnée
par fes chefs. De Tenare , Cléopâtre fe
rendit en Egypte, & Antoine en Lybie, où il avoit
une armée qui.étoit fa dernière reflource. Ayant
appris que ces troupes infidelles s’éteient déclarées
pour Oétave, il fe feroit donné la mort, fi fes
amis ne lui euffent confeillé de vivre pour les
défendre. Se voyant alors général fans armée,
il alla rejoindre Cléopâtre à Alexandrie, où il la
trouva occupée du plus vafte projet qu’eût pu
concevoir une femme : c’étoit de voiturer fa flotte
à travers l’Ifthme de Suez , & de gagner par la mer
rouge des régions inconnues, pour y vivre à l’abri
des guerres & de la fervitude. L’ayant détournée
de ce projet, il fe livra à des fêtes qui marquoient
plus fa ftupidité , que fon goût pour les plaifirs.
L’impcffibilité de continuer la guerre , le força
de recourir à la négociation. Il demandoit a
Oôave de le laiffer vivre fimple particulier dans
Athènes, s’il lui refufoit le gouvernement d’Egypte.
Il crut le fléchir en lui rappellant le fouvenir de
leur ancienne amitié. Oâave reçut fes préfens, &
ayant renvoyé fes ambaffadeurs fans réponfe, il
continua fa route vers Alexandrie. Antoine, inftruit
de la prife de Pelüfe, réfolut d’arrêter fon ennemi
dans fa marche. Il le chargea avec autant de valeur
que de prudence, & le vainquit dans un combat
de cavalerie. Ce premier avantage ranima fon ef-
poir. Il engagea une nouvelle aâion, dont le
mauvais fuccès l’obligea de chercher une retraite
dans les murs d’Alexandrie. Oélave l’y fuivit, &
campa près de l’Hippodrome , d ou il entretint des
intelligences avec la reine. Antoine, trahi au dedans
, & attaqué au-dehors, fit une yigoureufe
fortie fur les affiégeans, dont la cavalerie fe retira
en défordre. Fier de cette nouvelle viâoire , il
rentra dans le palais-, le fabre nud & fanglant.
II. falue Cléopâtre d’un baifer, & lui préfente un
foldat qui s’étoit montré fon émule. On célébra
cette joürnée par un feftin , où Antoine fit paroître
3a gaieté d’un philofophe aimable & détaché de
tout : v Mes amis , dit-il à fes officiers, traitez-moi
» bien aujourd’hui, il eft incertain fi vous me
3> verrez demain , & fi vous ne ferez pas a d autres
» maîtres «. Voyant que ces paroles prononcées
avec un foucire adreffé à fes amis, les faifoient
fondre en larmes, il effaya de les cônfoler. Rangeant
fon armée en bataille, il vit fa flotte & fa
cavalerie paffer du côté de Céfar. Alors trahi 8c
privé de toute efpérance, fl rentre dans la ville à-
gémiflant de ce qu’une femme, pour laquelle il
alloit fe facrifier, le livroit à fon ennemi.
La perfide Cléopâtre, craignant fa colère 8c fon-
défefpoir, fe retira dans fon tombeau , d’où elle
lui fit dire qu’elle étoit morte : » Qu’attends-tu?
» donc Antoine, s’écria-t-il auffi-tôt en détachant
» fa cuiralfe, qu’attends-tu \ la fortune ne t’a-f elle
n pas tout ravi ? ................. chère Cléopâtre , je
» ne me plains pas de ce que je vais te rejoindre ;
» mais un empereur , un Romain devoit - il fe
» laifler' vaincre par une femme en magnani-
mité « ? auffi-tôt fe retournant vers Eros , le
plus cher de fes affranchis , il lui rappella fa pro-
meffe de le tuer dès qu’il lui en donneroit l’ordre.
Eros auffi-tôt tira fon épée 8c la leva, comme pour
l’en frapper; mais'tout-à-coup détournant la vue,
il fe la paffe au travers du corps , 8c tombe mort
aux pieds de fon maître. Antoine s’écria : généreux
Eros , tu m'apprends mon devoir r auffi-tôt
il fe perce le flanc, & fe jette fur un lit où il
appelle la mort, trop lente à venir à fon fecours„
Ses 'mains foibles ne peuvent élargir fa bîeflùre ;
fl redemande fon épée à fes amis, que l’excès
de la douleur éloigne de ce fpe&acle funefle.
Cléopâtre apprenant qu’il meurt pour elle, qu’il
lui adreffe fes derniers foupirs, lui fait favoir qu’elle
eft encore vivante; il ordonne fur le champ à fes-
efcîaves de le porter dans le tombeau où elle s’étoit
retirée. Cléopâtre foupçonnant la foi d’Augufte ,
& craignant d’être furprife par fes émiffaires, ne
fit point ouvrir les portes. Elle parut aux fenêtres T
d’où elle jetta des cordes, auxquelles on attacha
Antoine, qui, flottant en l’air & expirant, tournoit
encore-fes regards vers elle. Dès qu’il fut dans les
bras de Cléopâtre, il lui confeilla de v ivre, fi elle-
le pouvoit avec gloire; & fur ce qu’elle fondoit
en larmes voyant fa plaie & fon corps couvert
. de fang : » Confolez-vous , lui dit-il, & au lieu de*
« gémir de ma difgrace, louez mon bonheur. La
» fortune m’a comblé de tous fes biens, je me fuis
» vu le plus plus grand, le plus glorieux 8c le plu&
» puiflant homme de la terre, & à la fin dermes
» jours, romain , je ne fuis vaincu que par un ro-
» main ». Il eut à peine fini ces paroles , qu’il expira
fur le fein de Cléopâtre, dans la foixante-r
troifième année de fon âge, d’autres difent dans
la cinquante-fixiéme. Il laiffoit fept enfans qu’il'
avoit eus de fes trois femmes , Fulvie, Oétavie &
Cléopâtre. On ne fait quel fut le fort de fes- deux
fils, Alexandre & Ptolomée, que lui avoit donnés la
reine. La vertueufe Oélavie éleva fa fille Cléopâtre
avec le même foin que fes propres enfans, & la
maria à Juba, roi de Mauritanie, l’un des princes
les plus accomplis de fon fièclé. Antillus , l’aîné
des fils qu’il avoit eus de F u lv ie fu t livré , par
fon propre gouverneur, entre les mains des foldats
d’Oétavien , qui le firent périr par les ordres de leur
maître. Julius Antonius, frère puîné d’Antillus *
6c iffu de la même mère, fut un des principaux
favoris d’Augufte, 8c époufa Marcella, fille d’Oc-
tavie, fa belle-mère ; mais ayant été Surpris avec
Julie, fille unique de l’empereur, il fut puni du
dernier fupplice. Oâavie donna à Marc - Antoine
deux filles, toutes deux nommées Antonia. La
première, qui fut mariée à L, Domitius Enobarbns,
donna le jour à Cn. Domitius , père de l’empereur
Néron. La cadette, anffi vertueufe que fa
mère, quelle égalôit en beauté, époufa Drufus,
frère de Tibère 8c fils de Livie. Ce fut de. ce
mariage que fortirent Germanicus, fi célèbre par
les regrets dont les Romains honorèrent fa mémoire,
& l’empereur Claude, qui régna avant Néron.
Caïus Caligula, -fils de Germanicus, régna
pareillement dans Rome. Si Antoine, avant fa
mort, eût fu lire dans les livres des deftins , il eût
été fatisfait, en voyant fa race fur un trône fondé [
par fon ennemi qui lui refufoit une maifon dans i
Athènes. (M—Y . ) - | Antoine de Bourbon, ( H i f l . m o d .') roi de {
Navarre par Jeanne d’Albret, fa femme, prince |
Toible, indécis , flottant entre les deux religions & £
les deux partis, qui fignala fa valeur en mille oc- §
-cafions, & ne montra de la réfolution qu’une fois ;
qui fervit fes ennemis qu’il craignoit, contre fes
parens qu’il aimoit,' 8c qui mourut en combattant
pour la cour, après en avoir reçu mille outrages;
tel Fut le père du roi Henri IV.
En même-temps qu'Antoine étoit roi de Navarre
par fa femme , il étoit de fon chef premier prince
du fang de France, 8c le roi François II, quoique
majeur par la loi, étoit enfant ; le connétable de
Montmorenci, déchu de fa faveur par la mort de
’ Henri II, & remplacé par les Guifes, oncles de
Marie Stuart, femme de François II, Montmorenci,
pour balancer le crédit des Guifes , preffoit le roi
de Navarre de venir prendre dans le confeil, &
auprès du roi, la place qui lui appartenoit ; mais
î’irréfolu Antoine n’ofoit fe fier à Montmorenci,
qui avoit confeillé autrefois à Henri II de s’emparer
des reftes de fon petit royaume de Navarre ,
déjà prefque réduit à rien par l’ancienne ufiirpa-
îion de Ferdinand le Catholique ; le roi de Navarre
vendit lentement & à petites journées ; il n’arriva
que pour entendre François II lui déclarer qu’il
avoit confié l’adminiftration à fes oncles de Guife ;
d’ailleurs il n’éprouva qu’oubli & que mépris de
la part de la cour, on ne lui avoit pas même ré-
fervé un logement, &le maréchal de Saint-André ,
quoiqu’attaché aux Guifes, fe crut obligé, par décence
, de lui céder le fien. Le roi de Navarre enfin,
pour pouvoir quitter la cour avec honneur, fut
trop heureux de fe faire donner la commiffion de
conduire fur la frontière la princeffe Elifabeth, qui
alloit époufer Philippe III. C’étoit précifément au
roi de Navarre que cette commiffion n’auroit pas
dû être donnée ; car elle portoit, que la princeffe
feroit conduite fur les terres d’Efoagne, 8c cependant
c’étoit à Roncevaux , qui eft fûr les terres de
Navarre, que la princeflè devoit être remife aux
députés efpagnols. Àuffi le roi de Navarre fut - il
obligé de protefter contre cette énonciation.
Le prince de Coudé , fon frère , déjà plus que
foupçonné d’avoir été le chef fecret de la conjuration
d’Amboife , redoubloit d’efforts auprès du
roi de Navarre pour l’entraîner dans la révolte.
Sur le bruit d’une nouvelle conjuration, le roi de
Navarre,-, le prince de Condé, le Connétable furent
mandés à la coiur. Les princes auroient pu y*
paroître à leur avantage, s’ils avoient accepté les
Secours que la nobleffe s’empreffa de leur offrir ;
mais le roi de Navarre ne voulut être armé que
de fa feule innocence, & le prince de Condé crut
qu’il fe juftifieroit de cette nouvelle conjuration ,
auffi facilement que de la première.
Au moment où le roi de Navarre alloit entrer
dans l’appartement de François II, il reçut, avis
que les Guifes avoient arraché à la foibleffe de ce
prince un confentement de le faire affaffiner en fa
préfence ; ce fut alors qu'Antoine montra une fermeté,
qui n’étoit pas de fon cara&ère : » s’il me
» tuent, dit-il à Reinfy fon gentil-homme, portez
v à ma femme & à mon fils mes habits tout fan-
» glans , ils y liront leur devoir. Il entre d’un air
intrépide 8c modefte, les Guifes jettoient des regards
inquiets fur le roi, qui balançoit à donner le
lignai & qui ne le donna point ; Antoine fortit, fans
avoir paru troublé ni inftruit du danger qu’il cou-
roit; le duc de Guife fortit après lui plein de colère
contre François I I , & s’écriant: ô faible 3 6 lâche
roi !O
bfervons cependant que M. de Thou, qui rap-‘
porte ce fait, ne paroit pas le garantir.
Le prince de Condé fut arrêté, jugé, condamné,
on fe contenta d'obferver le Roi de Navarre.
Celui-ci, pour fauver la vie à fon frère, céda la
régence à Catherine de Médicis pendant la minorité
de Charles I X , & fe contenta de la lieutenance
générale du royaume, qui ne fut qu’un titre entre
les mains. C ’en à cette occafion qu’on fit des vers
où on le comparoit avec Marc Antoine le Triumvir,
dont il avoit la valeur & la foiblelfe.
Marc-Anto.ine , qui pouvoit être
Le plus grand feigneur & le maître
De fon pays, -s’oublia tant,
Qu'il fe contenta d’être Antoine ,
Servant lâchement une roine !
Le Navarrois en fait autant.
Il faifoit plus. Il fervoit une reine qu’il haïffoit ;
| Marc Antoine avoit fervi une reine qu’il aimoit.
Il fit plus encore, il fe réconcilia même avec les
Guifes. On lui faifoit efpérer, tantôt que le roi
d’Efpagne, avec lequel les Guifes étoient étroite»
ment liés, lui reftitueroitfon royaume de Navarre,
tantôt qu’il lui donneroit la Sardaigne en échange;
» Il prit, dit Bayle , l’ifle de Sardaigne , pays de
» banniffement, pays malheureux 8c difgracié, il
v la prit, dis-je , tant-il oonnoiflbit la carte 4 pou?
A a a x