
& s’éloigne de cette fcène de carnage. Il feroît
tombé au pouvoir de l’on vainqueur, fi Parménion,
preffs par 4a droite des Perfes , n’eût fait prier
Alexandre de venir le dégager. La préfence de ce
monarque décida de la vi&oire, 8c fon premier
devoir fut d’en témoigner fa reconnoiffance aux
dieux, par des hymnes & des facrifices. Il fe fit
enfuite proclamer, roi de toute l’Afie. Magnifique
dans les récompenfes , dont il honora la valeur
des officiers & des foldats , il voulut encore que
tous les peuples de fa domination, participafiènt
à fa gloire. La liberté qu’il rendit aux républiques
de la Grèce, fut le premier monument de fa vi&oire,
toutes les villes de la Grèce que fon père & lui
avoient détruites, furent rebâties par fes ordres. Ses
bienfaits ne fe bornèrent point à la Grèce : il envoya
du champ de bataille une partie des dépouilles aux
Çrotoniates , en Italie, pour honorer la mémoire de
PhaiT, qui, du temps de la guerre des Mèdes,
avoit équipé une galère à fes dépens, & s’étoit
rendu à Salamine , pour partager le péril des
Grecs. Ce fameux athlète y acquit beaucoup de
gloire ; & ce furent fes concitoyens qui , longtemps
après fa mort , en recueillirent les fruits.
Alexandre parcourut en vainqueur les "provinces
d’Arbelle & de Babylone , & la marche avoit
l’éclat d’une pompe triomphale. Il fe rendit enfuite
à Suze, qui étoit l’entrepôt de toutes les richeffes
de l’orient, C’êtoit-là que fe gardoient les tréfors
des rois de Perfe. Il s’appropria cent cinquante
millions d’ai gent monoyé, & cinq cens mille livres
de pourpre d’Hermione, qui le vendoit alors
jufqu’à cent écus la livre. Une feule heure mit
aii pouvoir d’un étranger des richeffes , que l’avarice
des rois avoit accumulées pour leur poflérité.
Le monarque conquérant eut la vanité de fe faire
voir fur le trône des Perfes ; & ce fut dans cette
occafion, qu’il donna un nouveau témoignage
de fa bonté compatiffante. Lé trône fe trouvant
trop élevé, un page lui apporta une table pour
lui fervir de marchepied : un eunuque de Darius,.
touché de ce fpe&acle , fondît en larmes. On
l’interrogea fur la caufe de fa douleur : c étoit fur
cette table , répondit l’eunuque > que' mon maître
prenoit fes repas. Alexandre loua beaucoup fa fen-
fibilité, & il auroit fait ôter cette table, fans
P h ilo ta sq u i lui fit craindre qu’on ne tirât de
finifrres préfàges d’un fentiment fi généreux...
Après avoir réglé tout ce qui pouvoît affurer le
calme dans cette'ville pendant fon âbfènce, il la
défigna pour être le féjour de la famille de Darius ,
à laquelle il ordonna de rendre les mêmes honneurs
qu’elle recevoir dans le temps de fa première fortune.
Avant de partir, il voulut rendre vifite à
la mère dé ce prince infortuné ; il lui témoigna
des refpeéh auffi affeébieux, qui fi elle eût été fa
propre mère : il la combla de magnifiques pré’fens;
8c comme dans fon compliment,, il blefia quelques
ufages de Perfe, il lui en fit les excufes les plus
touchantes* Il dirigea fâ marche vers Perfepolis „.
fiège des anciens rois, 6c capitale de tout Tem-
pire. Cette ville lui ouvrit fes portes, fans s’ex-
pofer au danger d’un fiège. Il eut de grands périls
à efiùyer, en franchiffant des défilés qu’on avoit
regardés jufqu’alors comme inacceffibles à une
armée. Les délices du climat caufèrent une grande
révolution dans fes moeurs. Ce héros fobre 6c
tempérant, qui afpiroit à égaler les dieux par fes
vertus, & qui fe difoit dieu lui-même, fembla fe
rapprocher du vulgaire des hommes , en fe livrant
aux plus grands excès de l'intempérance. Un jour,,
plonge dans Tivreffe, il s’abandonna aux confeils
d’une courtifané qui avoit partagé fa débauche,
8c qui lui demanda, comme un gage de fon amour,
de réduire en cendres la demeure des anciens rois*
Alexandre, follement complaifant, quitte la falle
du fefiin ; 8c accompagné de fon amante infenféé,
qui comme lu i, porte une torche enflammée, il
met le feu au palais de Perfepolis, qui, prefque
tout bâti de cèdre , pafibit pour la ' merveille du
monde. Les foldats fè répandent en un inftant
dans toute la v ille , qui bientôt ne fut plus qu’un
amas de cendres 8c de débris. Tel fu t , dit Quinte-
Curce , le deftin de Perfepolis , qu’on appelloit
\ce.il de l'orient, 8c où autrefois tant de hâtions
venoiônt pour y perfectionner leurs loix 8c leurs
ufages. Les adulateurs de la. fortune de ce héros
ont tâché d’adoucir l’horreur de cette aélion, en
alléguant que la politique ne permettoit pas de
laiifer fubfifter une ville qui rappelloit aux Perfes
le fouvenir de-leuh grandeur éclipfée. C’efl: ainfi
que les adorateurs des caprices des rois érigent en
vertus, les plus, coupables excès. Alexandre, plus,
frncère, 8c juge rigide de lui-même, en fut puni
par fes remords, & il répondit à fes courtifâns ,
qui le félicitoient d’avoir ainfi vengé la Grèce :.
Je penfe que vous àurie( été mieux vengés ,. en contemplant
votre roi affis. fur te trône de Xerxès , que-
j e viens de détruire.
Il fôrtit auflï-tôt de cette v ille , qu’il venoit de
changer en un affreux défert ; & fe mettant à la
tête de fa cavalerie, il alla à la pourfuite de Darius :
il étoit impatient de lavoir en fâ puiffance , non
pour jouir du fpeflade barbare de fon malheur,
. mais pour faire éclater fa clémence & là modération.
Plutarque prétend qu’il fit cent trente-deux
lieues en moins d’onze jours , ce qui efl difficile à
cjoire , dans un pays aride, & ou il fàlloit tra-
verfer d’immenfes folitudes qui ne produifent rien
pour les befoins de l’homme. Ses troupes, êpuifées.
de fatigues, fè livraient à des murmures, fédïtieux »
& faifoient même difficulté de le fuivre. Sa dextérité
à manier l’efprit du foldat, lui devint inutile?
il fût fur le point d’en être abandonné.. On man-
quoit d’eau depuis plus djun jour, & on marchoit
fous un ciel brûlant & avare de pluie. L’exemple
de fa patience contint les foldats. Un vivandier
lui ayant préfènté fur l’heure de midi de l’eau dans
un cafque , il la rejetta , difant qu’il ne youloit &
1. défaltérer qu’avec fes troupes.
Arrivé k Thabas, aux extrémités de la ^areta-
fenne , fur les 'confins de la ïfàâriaiae, on apper-
çut dans le fond d’une vallée une miférable charrette
traînée par des chevaux percés de traits.
Cette charrette portoit un hpmme couvert de
blefiùres, 8c lié avec des chaînes d’or ; ^c’êtoit
Darius. Ce prince infortuné, depuis la journée
d’Arbelle, avoit erré de province en province,
j'nfqu’au moment où il fut afiafliné par Befiiis ,
gouverneur de la Baéhiane , qui crut par cet
attentai s’approprier le refte de fes dépouilles.
Alexandre énnl de ce fpeéiacle , donna un libre
cours à fes" larmes : il ne put voir en cet état
le monarque de toute l’A fie , que fes peuples,.
quelque temps auparavant, avoient révéré comme
un dieu, 8c qui s’étoit vu à la tête d’un million
d’hentmes dévoués à le défendre. Il détacha cette
riche cotte-d’armes , dont les Rhodiens lui avoient
fait préfent, 8c en couvrit le cadavre. Après lui
avoir fait rendre les honneurs funèbres avec la
magnificence ufitée chez les Perfes , il fe mit en
marche pour le venger. Le parricide Befiùs ne put
échapper à fon adivité ; il fut pris à quelque distance”
du Tanaïs. Ses officiers , qui avoient été fes
complices le trahirent. On le conduifit chargé
de chaînes à Alexandre, qui lui reprocha fon
crime avec une éloquence forte 8c vertueufe :
Monflre, lui dit-il, comment as-tu pu te réfoüdre à
enchaîner ton roi, ton bienfaiteur, & à le percer des
traits deflinés à le défendre ? Dépofe ce diadème,.
prix de ton exécrable parricide. Befiùs fut remis
entre les mains d’Oxatrês | frère de Darius, qui
le fit expirer dans des tourinens proportionnés à
fon crime.
Alexandre n’ayant plus de rivaux à combattre ,
ne s’occupa que des moyens de captiver le coeur
de fes nouveaux fujets. Les larmes , dont il avoit
honoré les cendres de Darius, fes égards refpec-
tueux pour la mère de ce prince, 8c pour fa
famille, qu’il combloit chaque jour de nouveaux
bienfaits., les avoient heureufement prévenus en
faveur de fa domination ; 8c comme il favoit que
les hommes règlent leurs a'ffedions fur le degré
de conformité que l’on affecte avec eux, il adopta
les ufages des Perfes , comme il avoit fait ceux des
Egyptiens. Il fe fit faire un habit moitié mède
& moitié perfe ; 8c pour prix de cette condefcen-
dance, il engagea ces peuples, à fe dépouiller de
leurs moeurs antiques, pour fe façonner à celles
des Macédoniens. Il fe flattoit, par cet échange, de
confondre les vainqueurs avec les vaincus, 8c d’étouffer
ces antipathies naturelles , qu’entretient la
différence des ufages. Ce prince, plus jaloux du
titre de protecteur, que de celui de conquérant,
fonda des écoles pour trente mille enfans Perfes ,
qui dévoient être formés à tous les exercices de la
Grèce. Cette politique eut un fuccès heureux ,
ces nouveaux fujets, en fe dépouillant des vices
ïnhérens à leur nation , perdirent te fouvenir de
leurs anciens maîtres, 8c fe portèrent à lui obéir
avec ■ autant de-zèle, que les Macédoniens mêmes,
qu’ils égalèrent d’ailleurs en courage.
Alexandre s’étant approché du Tanaïs, fit dé-
fenfe aux Scythes, qui habîtoient fur fes bords ,
de jamais paner ce fleuve, 8c de faire des incur-
fions fur les terres de fa nouvelle domination r
ces peuples fuperbes, nourris dans l’indépendance
naturelle, furent étonnés d’entendre un, homme
qui leur diéfoit des loix ; 8c après lui avoir fait une
réponfe fière 8c dédaigneufe, il fe décidèrent pour
la guerre ; mais la fortune féconda mal leur courage.
Alexandre , après tes avoir vaincus , bâtit une
vide à quelque difiance du Tanaïs, 8c y mit un©
garnifon puifiànte , pour réprimer les brigandages
de ces barbares. Les remparts de cette ville, la
fécondé qu’il fit.appeller Alexandrie , furent commencés
8c finis en dix-fept jours. Il en bâtit fix
autres aux environs de l’O xus, qui, s’étant unies
par une confédération , donnèrent pendant longtemps
la loi à tous les pays voifins.
Alexandre infatiablede gloire, vouîoit dominer
par-tout où il y avoit des hommes. Son ambition
enflammée par fes fuccès , ne connoiffoit jfour
bornes de fou empire , que les limites du monde.
Les vafles régions de l'Inde , dont le nom étoit
à peine connu, lui parurent une conquête digne
de fon courage. Il en prit la route, 8c pour n’ètre
point embarrafie dans fà marche, il fit brûler tous
fes bagages. Porus, un des rois de ce pays, s’avança
fur les bords del’Hydafpe , avec une armée
qui combattit avec courage, 8c qui ne put éviter
fa défaite. C e prince tomba au pouvoir de fon
vainqueur, qui mit fa gloire à le rétablir clans fon
ancienne dignité. Alexandre, après ce premier
fuccès, parcourut l’Inde , moins en ennemi que
comme le maître de la terre, l’arbitre des deffinées ,,
le difpenfateur des trônes, il y élève ceux qui
s’abaifient devant lu i, 8c il en précipite ceux qui
réfifrent. Enfin cédant aux larmes, des Macédoniens ,
fatigués de leurs longs travaux, 8c jaloux de
revoir leur patrie , il ne paffa pas le Gange.. Ce;
fleuve, itn des plus considérables de l’Inde , fut
le terme de fes courfes. Ses bords étoient défendus;
par une année de deux cens vingt mille hommes ,
de huit mille chariots 8c de fix mille êléphans
dreffés à la guerre. Il érigea, fuivant l’ufage des-
anciens eonquérans , des autels en l’honneur des
dieux , 8c avant de revenir fur fes pas, il fit
jetter dans tes campagnes des mords de brides
d’une grandeur 8c d’un poids extraordinaires. Il
ordonna encore de confiruire dès écuries, dont les
mangeoires feinbloient avoir été plutôt defiinées.
pour des éléphans que pour des chevaux. Plutarque
cite cette anecdote pour accufer de vanité le héros -
mais Alexandre pouvoir être guidé par la politique
d’exagérer l'idée qu’on devoir fe former des Macédoniens.
C’etoit un moyen d’infpirer plus de terreur
aux peuples naturellement indociles, en leur
faifant craindre d avoir a combattre des ennemis;
dont tes chevaux étoient fi. monfirueux*.