
pitre prêta territoire à l’évêque de Beauvais, qui
ne pou voit faire aucune fonction de juge dans un
diocèfe étranger fans cette permiffion. Il eut pour
affeffeurs les eccléfiafliques qu’on crut les plus dévoués
aux Anglois.
L’évêque Affaire au village de Donremy, des 5
informations fur les moeurs de la pucelle pour tout
le temps qui avoit précédé l’arrivée de cette guerrière
à la cour de Charles VII ; mais l’homme
qu’il avoit envoyé à Donremy n’ayant rapporté
qu’un témoignage avantageux, l’évêque refufa de
lui payer fes frais de voyage , & l’accabla -d’injures.
Les réponfes de Jeanne à fes juges furent d’une •'
fagefTe fupérieure à fon fiècle, & -d’une modération
qu’on ne devoit guères attendre d’une enthou-
fiafte. On lui fit jurer de dire la vérité ; elle mit
des reftriétions à ce ferment. Vous pourriez., dit-
elle , me demander ce que je . ne puis vous révéler Jdns ,
parjure.
On lui défendit de longer à fe fauver. S i je me
fauvois , dit-elle , on ne pourroit ni’accufcr d’avoir
violé ma parole, puifque je ne vous ai point donné
ma foi.
On lui demanda fi le roi Charles avoit aulfi des
vifions. Envoyéz lui demander, répondit-elle.
Si elle croyoit avoir bien fait d’avoir attaqué les
remparts de Paris un jour de fête; ( C’étoit le 8
Septembre, jour delà nativité de Notre-Dame.)
3> Il eft jufte, dit-elle, de refpeéferla folemnité des
3) fêtes; fi j’ai péché, c’eft à mon -confeiTeur à en :
» juger«.
» Vous dites que vous êtes mon juge , dit-elle à
l ’évêque de Beauvais ; jj mais prenez garde au for-
7i deau que vous vous êtes impofé «.
On lui demanda fi les bienheureux lui avdient
-annoncé l’irruption des Anglois en France : elle
répondit que les Anglois étoient en France depuis
long-temps, lorfqu’elle avoit eu fes premières révélations
; ( car elle foutmt toujours la réalité de
fes révélations.) ce fut Je foui tribut qu’elle parut
payer aux .erreurs de fon temps.
Si elle avoit eu dès fon enfance le défirde combattre
les Bourguignons?
Réponfe. J'ai toujours foühaité que mon roi recouvrât
fes états.
Si les efprits .céleftes lui avoient promis qu’elle
échapperoit ?
Réponfe. Cela ne touche point mon procès ; voulez
vous que je parle contre moi.?
De tous les reproches que les juges mêloient à
leurs queftions,, le foui raifonnable, s’il eût été
fondé, concernoit lefuppiice de Franquet d’Arras.
Il méritoit la^jiîort ,• dit la pucelle ; cependant
jj je fis tous mes efforts pour lui fauver la vie «.
On l’interrogea au fujet d’un enfant qu’elle avoit,
difoit-on , reflufcité à Lagny. L’évêque de Beauvais
efpéra qu’en avouant ce miracle, elle alloit fê
trahir,( car chaque queftion qu’on lui faifoit, étoit
un piège qu’on lui tendoit. ) Elle répondit que cet
enfant qu’on avoit cru mort, avoit été porté à
l ’églife, qu’il y avoit donné quelques fignes de vie
fumfans pour qu’on lui adminiftrât le baptême;
que ce prodige, fi ç’en étoit un , n’étoit dû qu’à
Dieu,
C ’étoit principalement de fuperftition que fes juges
fuperftitieux vouloient la convaincre , & il faut
convenir que par fa perfévérance fur l’article des
révélations, elle leur fourniffoit un prétexte ; mais
quand elle n’auroit pas eu ce tort contre elle-même-,
•auroit-elle échappé à leur ‘ rage ? Leur parti étoit -
pris , fa perte étoit réfolue ; fon crime , c’étoit d’avoir
vaincu les Anglois.
Ils lui demandèrent fi elle chàngçoit fouv.ent
d etendart? —> Toutes les fois qu’il, étoit brifé. .
Si elle les faifoit bénir, & avec quelles cérémonies
? —« Toujours avec les cérémonies ordinaires.
Pourquoi elle y faifoit broder les noms de Jé-
fus & de Marie ? — C’eft des eccléfiaftiques que
j’ai appris à foire ufage de ces noms foçrés.
Si elle avoit fait croire aux troupes fra.nçoifes ,
que eet étendart portoit bonheur ?
» Je ne foifois rien croire; je difois aux fol dais
jj françois : Entrez hardiment au milieu des Anglois
jj .& j’y entrois moi-même«.
Pourquoi à la cérémonie du couronnement de
Charles, elle avoit tenu fa bannière levée à côté
.de ce prince ?
?> .11 étoit bien jufte qü’après avoir partagé les tra-
» vaux '& les périls, je partageaffe l’honneur «.
Lies interrogatoires étoient quelquefois auffi ridicules
que perfides ; on foutoit dun objet à un autre
; à des queftions captieufes, on en .mêloit de
burlefques, foit par une dérifion barbare, foit pour
embarraffer la pucelle.
On lui demanda fi les bienheureux qui lui ap-
parOifioient, ayoient des boucles d’oreilles , des bagues
? Vous m’en avez pris une., dit elle à l’évêque
de Beauvais ; rendez-lu moi.
S ’ils étoient nuds ou habillés?
j) Penfez-vous que Dieu n’ait pas de quoi les
I jj vêtir « ’
Si elle avoit vu des fées., & ce qu’elle en pen-
! foit ?
jj Je n’en ai point v u , j’en ai entendu parler,
v je n’y ajoute point foi «.
Si elle avoit eu autrefois une mandragore, &
ce qu’elle en avoit fait.?
jj Je n’en ai point eu ; on dit que c ’eft une chofe
jj dangereufo & criminelle «.
Quelquefois les juges lui foifoient tous enfemble
des queftions différentes. Beaux pères, leur difoit-
elle, l’un .après F<autre, s’il vous plaît.
Quelquefois excédée de la multitude de quef-
tions inutiles, déplacées, indécentes même , que
l’évêque de Beauvais fur-tout affeâoit de lui foire,
elle difoit 1 Demandez à tous les juges ajjîflans , f i
cela efl du procès, & j ’y répondrai.
Qn difeourut beaucoup devant elle fur la différence
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rence del’êglife militante & de l’églife triomphante;
on- la fomma de reconnoître cette différence : fans
vouloir entrer dans ces diftinétions, elle répondit
qu’elle feroit toujours foumife'à l’églife.
On la preffa de déclarer ce qu’elle penfoit du 1
pape actuellement régnant : Que je ne le connais pas, ;
dit-elle.
Un de fes jnges , moine auguftin, nommé
Ifembart, ( il mérite qu’on le nomme) fut touché
de compamon & faifi d’horreur, en voyant une
fille de dix-neuf ans aux prifes avec une troupe de
théologiens, qui alloient épuifer leur fcolaftique,
pour arracher à fa fimplicité ignorante quelque
héréfie quî pût fervir à là foire brûler ; il iaifit le ",
moment où on lui parloit du pape & de l’églife
pour lui confeiller de s’en rapporter au jugement
«u pape & du concile, qui alloit fe tenir à Bâle.
Jeanne fuivit cet avis, 8c fit fon appel à l’inftant.
L ’effet de cet appel étoit de dépouiller les juges ,
oc de fouftraire Jeanne à leur fureur. L’évêque de
Beauvais en fentit la conféquence : Taife^-vous de
par le Diable, cria-t-il à Ifembart, en lançant fur
lui un regard foudroyant. Enfuite parlant bas au
greffier , pour n’ètre pas entendu de Jeanne, il lui
défendit de foire mention de cet appel. Jeanne s’en
apperçut : A h ! d it-e lle , vous écrivez lien ce qui
fait contre moi, 6* vous ne voulez pas qu’on écrive
ce qui fait pour moi.
On eut recours au honteux expédient d’altérer
fes réponfes, pour les foire paroître criminelles,
ou pour y inférer l’aveu de quelque crime. Un des
greffiers attefta dans la fuite , que l’évêque de Beauvais
avoit exigé de lui cette infidélité, & fur fon
refus, s’étoit emporté à des menaces & à des injures;
on lui affocia un autre greffier, qui fit tout
ce qu’on voulut. Un prêtre , nommé P Oyfeleur,
fut mis dans la même prifon que Jeanne, on lui
permit de la voir ; captif & malheureux comme
e lle , il gagna fo confiance. Jeanne étoit pieufe,
- & fouffroit fur-tout de l’interruption de fes devoirs
religieux ; elle défiroit de fe confeffer , le prêtre
s’offrit pour cet office, & fut accepté. C ’étoit un
efpion apofté par l’évêque de Beauvais. Tandis
qu’il recevoit la confeffion de Jeanne, deux hommes
cachés derrière une fenêtre couverte d’un ri-
deau-de forge , écrivoient ce qu’elle difoit. Ce lâche
artifice ne produifit rien. L’innocente Jeanne n’a-
voit point de crimes à confeffer. L’expédient d’altérer
fo confeffion & fes réponfes étoit beaucoup
plus fûr.
Des témoins dépofent qu’ils ont eu lieu de
foupçonner que l’évêque de Beauvais, dans le dépit
de ne pouvoir convaincre la pucelle d’aucun
crime, avoit voulu l’empoifonner. Il faut avouer
qüe cette idée eft peu vraifemblable ; ç’eût été mal
répondre aux vues des Anglois, & mal fervir leur
▼ engeance,
Jean de Luxembourg - L igny , qui avoit fi lâchement
vendu cette refpeftable fille , eut la nouvelle
lâcheté d’aller la voir dans la prifon, accom-
Hifloire. Tom, ƒ,
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pügné des comtes de Warwick & de Stafford. Par
une lâcheté peut-être plus grande encore, il voulut
lui perfuader qu’il venoit pour traiter de fa
rançon avec les Anglois : fans daigner lui foire de
reproches, elle fe contenta de lui répondre : Vous
n’en avez ni la volonté ni le pouvoir. Je fais bien,
que ces Anglois me feront mourir , croyant qié'après,
ma mort ils gagneront le royaume de France ; mais ils
n’auront pas ce royaume.
Irrité de cette prophétie, Stafford s’emporta juf-
qu’à tirer l’épée contre une femme fans défenfe ;
il alloit la tuer, fi le comte de W arwick ne l’avoit
retenu. La pucelle déclara qu’un très-grand feigneur
d’Angleterre l’avoit voulu violer dans fa prifon.
Nous n’ayons point d’éclaiciffemens furcette infâme
particularité. La manière dont quelques hiftoriens
s’expriment, fembleroit indiquer le dus de Bedfort.
Il fout l’avouer, toute la conduite connue de ce
prince femble réclamer contre un tel foupçon. Mais
le trait fuivant eft attefté.
On fit vifiter la pucelle ; l’objet de cette vifite
étoit l’opinion reçue qu’une forcière ne pouvoit
être vierge , & cette opinion même nous avertit
que le grand feigneur anglois défigné dans la plainte
de la pucelle, pouvoit avoir eu un motif plus exécrable
que l’incontinence. Quoiqu’il en foit, le fait
attefté eft que le duc de Bedfort vit cet examen
d’une chambre voifine, par le moyen d’une ouverture
pratiquée dans le mur.
Jeanne, dans fo prifon, étoit chargée de fers ;
& de plus, attachée avec une chaîne pendant la
nuit ; les gardes, fes juges ne cefloient de lui prodiguer
l’infulte & l’outrage; le promoteur, qu’on
nommoit Bénédicité, ne lui parloit jamais qu’en
l'appellant hérétique , infâme, &c.
Maffieu, curé de Paint Candide de Rouen, l’uiî
des greffiers, étoit chargé de la conduire devant
les juges, il lui permettoit de s’arrêter en paffant
devant la chapelle du château, pour y foire fa
prière. Le promoteur le fu t , & reprocha durement
à Maffieu cette foible indulgence. Truand., lui dit-
il , qui te fait f i hardi d’approcher cette P ......... excommuniée
, de l'églife, fans licence? Je te ferai mettre
en telle tour que tu ne verras ni lune, ni foleil d’ici
à un mois, f i tu le fais plus.
Jeanne fuccomba enfin à l’horreur de fa fitua-
tion, & fut dangereufement malade. Le duc de
Bedfort, le cardinal de Winceftre, le comte de
Warwick lui donnèrent deux médecins, auxquels
ils recommandèrent inftamment d’employer toutes
les reffources de leur art pour empêcher qu’elle ne
mourût de fa maladie, ajoutant que le roi d’A ngleterre
l’avoit achetée trop cher pour n’avoir pas
la fotisfodion de la faire brûler ; que l’évêque de
Beauvais connoiffoit fur ce point les intentions du
roi, & que dans cette vue , il preffoit avec la plus
grande ardeur l’inftruétion du procès. Ces étranges
aveux font atteftés par la dépofition des médecins.
L’évêque de Beauvais, pour accélérer le juge-'
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