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amis le comte de Salisbury & Ton fils ÿ ce fameux
Richard Né vil , comte dé Warwick ,
qui mérita le furnom de king-Maker, faifeur de rois.
On crut devoir changer de conduite , on avoit
tué Gloçeftre, on ménagea Yorck & fes amis ,
on les fit entrer au confeil, dès lors ils furent les
maîtres , Sommerfet fut arrêté, le roi le fit fortir
de prifon, le duc d’Yorck arma , il livra en 1455
la bataille de faint Albans, où le roi, blefl'é d’un
coup de flèche à la gorge , fut fait prifonnier ,
& où le duc de Sommerfet fut tué.
Marguerite avoit toujours entretenu Henri VI
dans une dévotion pufillanime , qui lui faifoit abandonner
les rênes de' l’état, & c’étoit elle qui s’en
emparoit. »»Henri, dit le père d’Orléans, favoit
3» mieux prier dieu qu’elle; mais elle favoit mieux
»■ gouverner que lui «. Leduc d’Yorck , après
fa vi&oire , fut déclaré par Henri V I lui-même
proteéleur du royaume que ce roi imbécile ne
pouvoit plus gouverner; le duc d’Yorck en fut
dépouillé par les > intrigues de Marguerite , il
reprit les armes pour ne les plus quitter.
Le comte de Salisbury battit l’armée royale à
Bloreheath en 1459. Marguerite répara cet échec
en diflipant fans combat l’armée d’Y o rck , en ré-
duifant le duc & fes amis à la fuite par un mélange
de menaces & de promefles, qui intimida
une partie de cette armée & féduifit l’autre. Alors
le parlement déclara le duc d’Yorck & fes adhé-.
rens, coupables de haute trahifon , & leurs def-
çendans jufquà la quatrième génération, incapables
de recueillir aucune fiicceflîon. A peine
cet arrêt ridiculement infenfé étoit-il rendu, que
le comte de la Marche, fils aîné du duc d’Yorck,
entroit en triomphe dans Londres à la tête d’une
nouvelle armée avec Salisbury & Warwick; la
reine fut battue en 1460 à Norrhampton, où elle
faifoit toutes les fondions de général, tandis que
Henri attendoit dans fa tente la vi&oire ou la captivité.
Ce fut la captivité.
Henri alors fut gouverné par fes vainqueurs ,
comme il l’avoit été par fa femme , & le parlement
déclara les Yorckifies bons & fidèles fiijets.
Marguerite s’enfuit en Ecofle avec fon fils ; ie duc
d’Yorck lui fit ordonner, par Henri V I , de revenir à Londres, elle revint, mais à la tête de dix-huit
mille hommes ; elle défait le duc d’Yorck & le
comte de Rutland , fon fécond fils, dans leurs
propres états, à la bataille de Wakfeild, ( 1460 )
où ils périrent tous les deux, & fait expofer leurs 1
têtes fur les murs d’Y orck , avec celle du comte j
de Salisbury, qui ayant été blefle & pris, fut décapité.
On mit par dérifion une couronne de papier
fur la tête du duc d’Yorck.
Il reftoit, pour la vengeance de ces princes, le
comte de la JVJarche , fils aîné du duc d’Yorck &
Warwick. Marguerite eut l’honneur de vaincre
Warwick à la bataille de Barnet en 1461 , & de
mettre Henri V I en liberté ; c’efl-à-dire dans fa
•dépendance. Le comte de la Marche battit, à la ]
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eroix de Mortemer, dans le comté d’Héreford , les
troupes de Lancaftre ; il marche à Londres, il eft.
proclamé, c’eft Edouard IV.
Secondé de Warwick, il abbât le parti de Lancaftre
à la bataille de Towton encore en 1461 ,
où Marguerite, avec une armée fupèrieure , fut
mife en déroute.
Marguerite ne perdoit jamais le courage, & trou-
voit toujours des reflources. Le feul intérêt de régner
fous le nom de fon mari, lui avoit fait tout entreprendre;
l’intérêt de faire régner fon fils fut encore plus
puiflant fur fon ame ; les uns, pour l’exclure, difoient
feulement qu’il n’étoit pas fils de Henri, d’autres le difoient
entièrem ent fuppofé; Marguerite montra bien
qu’elle étoit fa mère. La tendrelfe maternelle,
fource de tant de force & de foiblefle , l’élevant
au-deflùs d’elle-même, fit de cette ambitieufe une
héroïne intéreflante. Elle négocia en Ecofle, en
France ; Pierre de Brezé , fénéchal de Normandie ,
s’enflammant pour elle & pour fa caule d’un zèle
de chevalier, s’embarque avec elle pour l’Angle-«,
terre. De nouvelles difgraces y attendoient cette
reine infortunée. Repoufîee des premières côtes
où elle voulut aborder, battue par la tempête,
féparée de Brezé, qui ne la rejoignit qu’-avec peine
à Berwick, s’étant fauvée du naufrage dans une
barque de pêcheur , elle alla perdre la bataille
d’Hexham en 1462. Peu de temps après, Henri V I ,
que le parlement venoit de déclarer ufurpateur ,
après l’avoir fi long-temps reconnu pour ro i, tomba
entre les mains du vainqueur. On lia ce malheureux
roi fur un cheval, 011 le conduifit ainfi à
Londres, où on l’abandonna aux outrages de la
populace ; Warwick lui-même n’eut pas honte de
l’infulter dans cet état ; on finit par enfermer
Henri VI dans la tour de Londres.
Pendant qu’il entroit dans fa prifon, Marguerite
errante, abandonnée , dépourvue de tout, fe ca-
choit dans les bois , s’enfonçoit dans les déferts
infenfible à les dangers , tremblante pour fon fils
qu’elle tenoit entre fes bras ; des voleurs la dé-,
pouillent, & prenant querelle entre eux pour le partage
du butin,lui laiflent la liberté de s’échapper avec
fon fils. A quelque diftance de là , elle rencontre
un autre voleur; la fatigue', l’épuifement ne lui
permettent plus de fuir ; fon courage lui fournit une
de ces reflources qui n’appartiennent qu’aux grandes
âmes, elle s’avance vers cet homme avec une ma-
jefté qui l’étonne, elle remet le prince dans fes
mains : tiens, mon ami, lui dit-elle, fauve le fils
de ton roi. Cet homme, faifi d’une pitié refpeéhieufe
à la vue d’une telle infortune, flatté d’ailleurs
du grand perfonnage dont il fe voit chargé ,
répond à cette fublime confiance par une noble
fidélité, il oublie que fa fortune pourroit être le
prix dHine délation ; il porte le prince , il aide à
marcher à la reine, & les conduit tous deux au
bord de la mer, où ils s’embarquèrent pour l’Eclufe.
Bientôt des révolutions nouvelles leur envoyèrent
un défenfeur qu’ils n’attendoient pas, Warwick,
■ brouillé avec Edouard IV , voulut détruire fon
ouvrage ; il tendit à Marguerite cette même main
qui avoit mis fon mari dans les fers ; il fouleva
contre Edouard fon propre frère le duc de Cla-
rence, auquel il donna fa fille aînée, il donna la
cadette au prince de Galles, fils de Marguerite.
Edouard endormi dans les voluptés, dédaigna
ftupidement la colère d’un homme tel que Warwick
; il donna plus ftupidement encore fa confiance
au lord Montaigu, frète de Warwick. Ce
nom feul, & Y ours blanc de Warwick, pris pour
enfeigne par cinq cents payfans à peine enrôlés ,
gagnèrent en 1469 la bataille de Bambury. Warwick
paroît, il furprend Edouard , & le fait prifonnier
; les deux rois font en fa puiflance ; mais
tandis qu’il cour t à Londres pour délivrer Henri V I ,
il apprend qu’Edouard a échappé à fes- gardes, &
qu’il eft à la tête d’une armée ; il repafle en France
pour chercher du fecours ; il reparoît en Angleterre
; Montaigu lui livre l’armée royale, Edouard
s’enfuit dans les Pays-Bas , Henri V I remonte fur
le, trône aux acclamations du même peuple qui
avoit infulté à fon malheur. Edouard, rentre en
Angleterre , il traite en fecret avec le duc de Cla-
rence, fon frère, qui trahit Warwick, comme
Montaigu avoit trahi Edouard. Ce monarque heureux
& chéri, quoiqu’indôlent, eft introduit dans
Londres par fes amis, fes créanciers & fes mai-
trefles ; Warwick eft défait & tué avec le lord
Montaigu , fon frère, a la bataille de Barnet le 14
avril 1471. Henri eft encore précipité du trône, &
pour jamais.
Marguerite connut enfin le découragement, elle
trembla pour fon fils , elle le cacha dans un mo-
naftère ; mais bien-tôt à la follicitàtion des principaux
feigneurs de fon parti, elle fe.remit à leur
tête avec fon fils , qui commençoit ,à être en
état de s’armer pour fa caufe ; elle tenta la fortune
à Tewkesbury , encore en 1471. Ce fut le
dernier de tant de revers : Edouard eft vainqueur;
on lui amène après, la bataille le prince de Galles
prifonnier. »> Jeune téméraire, lui dit arrogamment
Edouard , »» qui t’a infpiré l’audace d’entrer les
» armes à la main , dans ce Royaume ? »> J’ai cru,
répondit le prince de Galles avec une fermeté
modefte, »> pouvoir pr ndre les armes pour faire
» .rendre à mon père un trône qui n’appartient
» qu’à lui. On feignit de trouver de l’infolence
j> dans cette réponfe. » Il manque de refyeCl ! s’écrie
Richard duc de Gloçeftre, fécond frère d’Edouard,
qui fut depuis l’affr; ux Richard III, & qui en immolant
tour-à-toür les Lancaftres & les Yorcks,
parvint de crime en crime jufqu’au trône qu’il n’occupa
,<ïlie deux ans ; Edouard indigné, ou voulant
le paroître, d’une réponfe qu’il eût dû eftimer,
frappe avec fon gantelet le prince de Galles au
vifage, ce fut l’arrêt du vaincu ; le duc de Gloçeftre,
le duc de Clarence, & d’autres tigres s’élancent fur
le prince de Galles, qui tombe percé de coups. Marguerite
fut trouvée mourante fur le champ de
bataille , elle ne’frevint à la vie que pour pleurer
fon fils, fon mari & fa liberté. Enfermée à la tour
de Londres, elle y"gémit quatre ans , au bout def-
quels Louis XI fe. détermina enfin à payer la rançon
d’une reine de fon fan g. Marguerite ayant tout
perdu, s’étoit laifîee traîner dans la captivité par
les Anglois, fe laifla mettre, en liberté par les
François, également infenfible aux rigueurs de'
l ’une & aux douceurs de l ’autre ; elle pafla le refte
de fa déplorable vie à regretter ce fils, le principe
de fon grand courage, & l’objet de tous fes travaux.
Elle mourut en 1482.
. On trouva Henri V I mort dans fa prifon, foit
de chagrin , quoiqu’il en parût peu fufceptible, foit
par un nouveau crime du duc de Gloçeftre; cette
fécondé opinion eft la plus vraifemblable & la plus
générale.
Henri VI eut quelques vertus de tempérament ;
fon humanité , qui malheuieufement n’éioit en
général que de la foiblefle & de la douceur fans
lumières , alloît jufquà ne confentir jamais qu’avec
une extrême répugnance , au fupplice des plus
grands criminels ; d’ailleurs il n’eut point de caractère
;• il ne mérite d’être remarqué que comme un
exemple des viciflitudes humaines & de l’inconftance
du fort. Mais s’il fut incapable de goûter les faveurs
que la fortune lui prodigua dans fon enfance, il
ne paroît pas qu’ l ait fend les malheurs dont elle
fembla vouloir l’accabler dans i’àge mur, la nature
vînt à fon fecours , en lui fàiïant le trifte don de
l’infènfibrlité.
Le jeune Edouard, prince de Galles , fon fils ,
arraché aux efpéranées de la nation par le fer du
barbare Gloçeftre , promettoit des vertus & montrait
du courage. Il paroît que l’ame ardente de fa
mère eût vivifié en lui les vertus douces de fon
père. Nourri parmi les dangers Sc les malheurs,
la fenfibilité eût pu en faire un bon roi.?Son dernier
mot à fon tyran , annonçoit de la grandeur
fans orgueil, & de la modeftie fans foiblefle.
Marguerite, que nulle femme , dit le père d’O rléans
, ne furpafloit en beauté , & que fi peu
d’hommes égaloient en courage, la fublime Marguerite
fut peu regrettée des Anglois ; fes pallions
pouvoient lui avoir attiré fes revers; mais obfer-
vôns combien l’équité des jugemens publics devoit
alors être altérée par l’efprit de parti. Les Anglois
haïfloient fur-tout dans Marguerite fon attachement
fidèle à la France, fa patrie, fentiment dont ilferoit
injufte de faire un crime à cette princefle.
Marie d'Anjou, femme de Charles V I I , étoit la
tante de Marguerite. Elle fe trouva aufli dans des
conjonâures délicates, & fi elle n’eut pas d’occa-
fion de déployer tout l’héroïfme de fa nièce, elle
mont a bien de la fagefle & de la fermeté, lorf-
que Charles VII découragé, étoit prêt de renoncer
à tout; elle lui fit reprendre courage , elle y
employa même Agnès Sorel, & cette femme,
qu’une autre eût regardée comme une rivale odieufe«