
Le monarque conquérant fît étjuîper line flotte ",
fur laquelle il s’embarqua pour gagner la mer des
Indes. Après fept mois de navigation fur différens
fleuves, pendant lèfquels il fit des descentes fréquentes
, cherchant par-tout de nouveaux dangers
oc de nouvelles victoires, il jouit du fpeciacle de
cette mer qu’ilre'gardoit comme la barrièrë du monde.
Après y avoir navigué quelques fiades, il fe fit mettre
"à terre,pour examiner la nature de la côte, il offrit
plufieurs facrifices aux dieux, les conjurant qu’a-
près" lui aucun mortel ne portât plus loin fes armes.
Il ordonna à fes amiraux de conduire la flotte par
le golfe Perfique & par l’Euphrate : pour lui il
revint par terre à la tête de fa cavalerie, compofée
de fix vingt mille chevaux, dont il ramena à peine
le quart. Cette perte , qui ne diminua pas fa confiance,
n’excita aucun peuple à fe révolter; & monarque
paifible dans une terre étrangère, il imita
pendant fa route, les triomphes de Bacchus qu’il s’é-
toit propofépour modèle dans toutes fes expéditions.
Dès qu’il fut rentré dans la Perfe, il s’afliijettit
à l’ufage des anciens rois , qui, au retour de leurs
voyages, difiribuoient une pièce d’or à chaque
femme. Il s’appliqua enfuite à effacer toute dif-
tin&ion entre fes anciens & fés nouveaux fujets ;
& comme tous n’avoient qu’un feul & même maî-
; t r e , il voulut que tous fuffent fournis aux mêmes
loix & aux mêmes obligations. Il étoit impoffible
- de difcerner lequel lui étoit le plus cher d’un Macédonien
ou d’un Perfe. Le tombeau de Cyrus ayant
été pillé, l’auteur de ce larcin facrilége fut puni de
mort ; le titre de Macédonien, ni l’éclat de fa naif
fance, ne purent le préferver d’un fupplice ignominieux.
Ce vafte empire ne vit-plus qu’un père
chéri dans un maître refpeélé. Toutes les voix fe
réunirent pour bénir fon règne fortuné ; & quoique
conquérant, il fut plus aimé que les rois
héréditaires. Ce fut pour mettre le fceau à fon
ouvrage, qu’il favorifa les mariages entre la nation
conquérante & la nation fubjuguée , & pour apprendre
aux Macédoniens à ne point rougir de
ces alliances, il en donna lui-même l’exemple en
époufant Statira , fille aînée de Darius ; & en mariant
les plus grands feigneurs de la cour & fes
premiers favoris, avec les autres dames perfes de
la première qualité. Ces noces furent célébrées
avec la plus grande pompe & la plus grande magnificence
, oc l’on y étala tout le luxe afiatique.
Il y eut quantité de tables délicatement fervies
où furent admis tous les Macédoniens qui s’étoient
déjà mariés dans le pays* On ne doit donc pas
être furpris s’il ne garda que treize mille Macédoniens
pour conferver des conquêtes fi étendues.
Les autres furent renvoyés dans leur patrie, &
ce fut le tréfor public qui acquitta leurs dettes.
Pendant toutes ces expéditions, il avoit eu foin d’établir
des colonies dans les provinces, dont les
peuples indociles lui pareiffoient difpofés à là ré- ;
« volte ; & par cette politique, il contenoit dans Po-
hçjfîançe des hommes qu’il auroit eus à punir.
Alexandre., après avoir célébré fes noces à Suze ;
fe rendit à Babyione. C’étoit - là que Pattendoient
les ambaffadeurs de toutes les nations. La terre étoit
remplie de la terreur de fon nom. Tous les peuples
venoient le flatter à l envi , comme celui qui
devoit être le maître. Il fe hâtoit d’arriver dans
cette grande v ille ,’ pour y tenir les états généraux
de l’univers. En paffant parEçbatane, il perdit
Epheftion. La mort de cet illuftre favori le plongea
dans la plus profonde affliélion. Les foibleffes
de l’h omrne eclipfèrent la fermeté du héros. Il
parut difpofé à ne pas furvivre à cet ami fidèle.
Plutarque rapporte que fa fenfibilité égarant fa
raifon , il fit couper les crins à tous fes chevaux
& à tous les mulets de fon armée, comme
s’il eût voulu que les animaux partageaient le
deuil public. Suivant cet auteur, il immola fur fon
tombeau , les Cufféens qui formoiciit un peuple
nombreux, voulant, ajoute Plutarque, imiter Achille
qui', barbare dans le délire de fa douleur, avoit
immolé plufieurs princes Troyens fur le tombeau
de Patrocle.
Cependant il approchoit lui - même du terme
fatal, & s’étant mis en marche, il mourut à la
vue de Babyione , dans la trente-deuxième année
de fon âge , la douzième de fon règne, & la
huitième de fon empire d’Afie. Il ne nomma point
de fucceffeur. Il avoit eu deux femmes , Barcine
& Roxane ; la première avoit un fils, & la fécondé
étoit greffe. Ni l’une ni l’autre n’eut la gloire de
donner un héritier au. trône. Ce fut Aridée, frère
.d’Alexandre, qui fut proclamé roi par le fuffrage
de l’armée. Voici l’ordre qui fut mis dans l’em-r
pire : Ptolomée eût la Satrapie d’Egypte & de
toutes les provinces d’Afrique qui en dépendaient}
Laomédon celle de Syrie & Phénicie. La Syrie &
la Pamphilîe furent données à Antigonus, avec
une grande partie de la Phrygie. La Gilicie échut
à Philotas.'Leonatus eut en partage la petite. Phrygie
, avec toute la côte de l’Hellefpont. Caftandre
eut le gouvernement de la Carie, & Menandre
celui de la Lydie, Eumenes eut la Cappadoce &
la Paphlagonie , jufqu’à Trebifonde. Python fut
établi dans la Médie ; Lyfimaque dans la Thrace
& dans le Pont. Tous lês fàtrapes établies par
Alexandre dans la Sogdiane, la Ba&riane & l’Inde,
furent continués, dans leur charge. Perdiccas refta
auprès d’A ridée, comme principal minifire de ce
prince & général de fes armées. Cet empire,
conquis par la plus étonnanté valeur, & gouvernée
par des chefs inftmits dans l’art de la guerre
& de la politique, fembloit repofer fur une bafe
durable, mais l’ambition de ces chefs furpaffant
encore leur capacité, fa fin fut aufii prompte &
aufii déplorable , que fa naiffançe avoit été* brillante.
Il eft bien difficile de tracer un tableau digne
$ Alexandre, lépeintre fera toujours aiî-deffous de
ce que Pou attend de lui. Il ne faut pas le juger
par les règles ordinaires. L’héroïfine a une marche
qui lui efl particulière. Alexandre fut plus
qu’un homme ou du moins il fut tout ce qu’un
homme peut être. Les projets qu’il conçut, furent
exécutés avec gloire. Heureux à conquérir, habile
à gouverner, il fut plus grand encore après
la victoire que dans le combat, & il fubjugua les
coeurs avec plus de facilité que les provinces. Le
plus beau de fes éloges , c’eft que Syfigambis,
mère de Darius , avoit furvécu aux malheurs
de fa maifon , & qu’elle ne put furvivre à la
mort d'Alexandre. Ce héros , dans l’efpace de
dix ans , fonda un empire aufii vafte que
celui que les Romains élevèrent en dix fiécles.
Tant qu’il vécut, fes généraux relièrent dans l’obf-
curité , parce qu’ils ne, furent que les exécuteurs
de fes ordres , & dès qu’il ne fut plus, ils éclip-
fèrent la gloire des plus grands rois de la terre ;
ce qui preuve fon dïfcernement dans le choix de
fes agens. Ce prince, ami des arts & proteâeur
de ceux qui les cultivent , récompenlbit avec
magnificence les grands hommes dans .tous les
genres. Il donna près de deux millions à Arif-
tote , pour lui faciliter les moyens de faire fes
expériences phyfiques. Il entretint une infinité
de chaffeurs & de pêcheurs pour procurer à ce
naturalise des fecours dans fes recherches fur
la conftitution interne des animaux. Son fiècle
fut le fiècle du génie. Ce fut celui qui enfanta
les Diogène, les Pyrrhon. Les arts étendirent
leurs limites. Protogène & Apelle firent refpi-
rer la toile avec leur pinceau ; Praxitèle, Poly-
clete, Lyfippe animèrent le marbre , le bronze
& r airain. Alexandre, indifférent pour le médiocre,
étoit épris de tout ce qui fortoit des bornes ordinaires.
Stafurate , architeéle fameux, lui propofa
de tailler le Mont - Àthos en forme humaine & de
lui en faire une ftatue où il eût été reprêfenté
portant dans une main une ville peuplée de dix
mille habitans , & dans l’autre un fleuve, dép.o-
fant fes eaux à la mer. Le projet de ce coloffe-
refta fans exécution, & la gloire du héros n’a pas
eu befoin de ce monument gigantefque pour fe perpétuer
dans tous les âges. Les fiêcles d’Alexandre.,
d’Augufte , de Léori X-, & de Louis XIV , font
des époques intéreffantes dans l’hiftoire des arts
& du génie. (M - Y. )
(Nous laiffons cet article tel à peu près qu’il a
paru dans le fupplément de l’encyclopédie ; il contient
les principaux faits de l’hiftoire $ Alexandre.
Quant à l’opinion qu’il faut fe former de ce conquérant,
il y en a deux principales qui ont l’une
cl l’autre en leur faveur d’affez grandes autorités.
La première eft celle que Boileau a exprimée
dans ces vers.
Quoi donc ! à votre avis fut-ce un fou qu’Alexandre ?
Qui ? cet écervelé qui mit l’Âfie en cendre ?
Ce fougueux l’Angeli , qui de fan g a lté ré ,
Maître du monde entier , s’y trou y oit trop ferré :
L ’enragé qu’il é to it , né roi d’une province
Qu’il pouvoir gouverner en bon & fage prince ,
S’en alla follement , & penfant être Dieu ,
Courir comme un bandit qui n’a ni feu ni lieu ,
Et traînant avec foi les.horreurs de la guerre,
De fa vafte folie emplir toute la terre.
Heureux ! fi de.fon temps , pour cent bonnes rai fon s
La Macédoine eut eu des petites - maifons ,
Et qu’un fage tuteur l’eût , en cette demeure ,
■ Par avis de parens enfermé de bonne heure.
A travers les exagérations & les plaifanteries
que la poéfie autorifoit, l’avis de l’auteur eft affez
bien motivé , & les conquérans n’ont rien à répondre
à cette objeéüon.
Né roi d’une province
Qu’il pduvoit gouverner en bon & fage prince.
En effet, avant de fonger à conquérir , ne faudrait
il pas s’affurer d’avoir tiré de fon pays tout
le parti poffible en tout genre. ?
Rouffeau pareilpenfer comme Boileau, lorfqu’il
dit :
J’admirerai dans A le x a n d r e
Ce que j’abhore en Attila?
J’appellérai vertu guerrière
Une vaillance meurtrière
Qui dans mon" fang trempe fes mains?
Et fe, pourrai forcer ma bouche
A louer un héros farouche.
Né pour le malheur des humains?
Voilà bien Alexandre confondu avec tous ces antres
fléaux de Dieu, ces ravageurs du monde , ces
brigands illuftres qu’on appelle conquérans.
Avant Boileau & Rouffeau , Juvenal avoit montré
très-philofophiquement, fans humeur & fans
colère , (ce qui ne lui arrive pas toujours ) combien
les voeux outrés & les projets vàftes du jeune héros
macédonien, contraftent avec le fort d’un
mortel.
U n u s P e l l a o J u v e n i n o n fu f fr e it o r h ls ,
Æ f i u a t in fe li 'x q n g u f io l im i t e m u n d ï 3 U t G y a ra c la u fu s f e o p u l i s , p a rv â q u e fe r ip h o .
C ùm tam en a j i g u h s m u n itam in tr a v r r it urbem ,
S a r co p h a g o contentais e r it . M o r s f o l a fa t e tu r
Q u a n t ù la J in t liom in um co rp u f cu la .
C’eft ce que M. de Voltaire a fi bien dit:
Tes deftins font d’un homme , & tes voeux font d’un Dieu,
Cependant M. de Voltaire, 'cet ennemi de ïa
guerre, qui accufe les prédicateurs & les moraliftés
d’avoir trop peu combattu cette rage épidémique de détruire,
M. de Voltaire ( Sc c’eft la fécondé opinion)
eft très-favorable à Alexandre , il réfute Pafcal, qui
avoit dit avec dénigrement que Yamufement de conquérir
le monde étoit bon à Alexandre, parce que c’étoit
un jeune homme qu’il étoit difficile d’arrêter. » L ’on
” s’imagine d’ordinaire,dit M de Voltaire,qu’y4/<?awz-
5» dre & Céfar font fortis de chez eux dans le deffern
v de conquérir la terre : ce n’eft point cela. Alexan-
» dre fuccéda à Philippe dans le générais! de la