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5> Grèce, & fut chargé de la jufte entreprlfe de
i> venger les Grecs des injures du roi de Perfe ;
s> il battit l’ennemi commun, & continua fes con-
» quêtes jufqu’à l’Inde , parce que le royaume de
5» Darius s’étendoit jufqu â U Inde ; de même que le
?» duc de Malborough feroit venu jufqu’ à Lyon fans
»> le maréchal de Yillars ».
» Laiffez, dit-il ailleurs, Ju vénal & Boileau
3> donner du fond de leur cabinet, des ridicules
« à Alexandre, qu’ils euffent fatigué d’encens s’ils
» euffent vécu fous lui ; qu’ils appellent Alexandre
v infenfé ; vous, philofophe impartial, regardez
» dans Alexandre ce capitaine général de la Grèce
» femblable à peu près àScanderberg, à Hunniade,
3> chargé comme eux de venger fon pays,mais
» plus heureux, plus grand, plus poli, & plus
jj magnifique' Ne le faites pas voir feulement fubjuguant
tout l’empire de l’ennemi des Grecs, &
3> portant fes conquêtes jufqu à F Inde, ou s’étendoit
97 la domination de Darius. Mais reprèfentez-fe don-
97 nant des loix au milieu de la guerre, formant
97 des colonies , établiffant le commerce ; fondant
» Alexandrie & Scanderon, qui font aujourd'hui
97 le centfe du négoce de l’Orient. C ’eft par-là fur-
97 tout qu’il faut confidérer les rois».
Alexandre porta fes conquêtes jufqu’à l’Inde ,
parce que le royaume de Darius s’étendait jufqu’a
l ’Inde, & cette raifon l’excufe ! Ainfi donc, lorf-
qu’on efl une fois entré en guerre, on ne doit
plus pofer les armés , qu’on n’ait pénétré jufqu’aux
extrémités les plus reculées des états de ion ennemi,
qu’on ne l’ait exterminé, & avec lui les peuples
& les rois fes tributaires , tout ce qui directement
ou indireâement lui appartient & relève
de lui ! Ainfi Charles XII eut grande raifon de s’engager
dans l’Ukraine, car la domination du Czar
Pierre, fon ennemi, s’étendoit jufques-là. De plus ,
Alexandre ainfi fubftitué à toute la puiflfance de
Darius ,aèquéroit de nouveaux droits, de nouveaux
intérêts, de nouveaux motifs de guerre, de nouveaux
ennemis ; de là il fuit qu’en s’engageant dans
une première conquête , il faut avoir bien pris fon
parti de ne s’arrêter qu’après avoir achevé la conquête
du monde entier, car au-delà des peuples
qu’on aura fournis on trouvera nécefiairem ent des
peuples qu’on n’aura pas fournis, & dont on fera
devenu l’ennemi ou déclaré, ou fecret, à raifon
même des conquêtes qu’on aura faites ; en un mot,
on aura toujours des voifins, par conféquent des
ennemis àioumettre & des conquêtes à faire. Quant
ail généralat de la Grèce, ne foyons point les dupes
de ce titre que Philippe & Alexandre s’étoient
fait donner comme un prétexte favorable à leur
ambition, 8c que des ennemis vaincus n’avoient pu
refufer à un ennemi vainqueur. Les Grecs favoient
bien que leur véritable ennemi étoit le roi de Macédoine
, 8c non le roi de Perfe :
Notre ennemi, c’eft notre maître ,
Je vous le dis ,en bon François.
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Auflî les Lacédémoniens, les feuls des Grecs
qui confervaffent quelque vigueur, 8t qui ofaffent
confulter les vrais intérêts de là G rèce, profitèrent-
ils de l’abfence dAlexandre, de ce général de la
Grèce , pour fondre fur la Macédoine, d’où ils furent
repouffés par Antipater , auquel Alexandre en
avoit confié la défenfe contre ces mêmes Grecs,
dont il fe fentoit bien plus l’ennemi que le générale,
Quant au réfie , fi Alexandre , par quelques loix
& quelques établiffemens utiles , a réparé , comme
Charlemagne, une partie du mal qu’il a fait par la
guerre, c’eft une gloire dont il eft jufte de lui tenir
compte.
Ce conquérant a trouvé encore dans l’auteur de
l’efprit des loix un panégyrifte illuftre & zélé. M.
cle Mon tefquieu prouve d’abord opd Alexandre dévoit
réuflîr, & que Charles XII qui l’avoit pris pouf
modèle , cornrne Alexandre, avoit pris Achille, devoir
échouer. Oferons-nous le dire & fecouer à cè
point l’autorité des plus grands noms ? Ce n’eft
peut-être pas un médiocre défaut dans nos meilleurs
livres politiques, tels que ceux de Machiavel,
de Bodin , de Montefquieu même , de voir toujours
fi évidemment que les évènemens 4ont dû
être tels qu’ils ont été ; c’eft une manière de pré*
dire le pajfé, dont on appercevroit le ridicule,
s’il n’avoit pas été couvert à force d’efprit, de talent
& de philofophie; car enfin nous n’avons
prefque jamais toutes les données néceffaires pour
a Seoir un jugement certain de ce qui devoit arriver
: à égalité d’efprit & de. talent on pourroit
donner une autre explication tout auffi probable
des mêmes événemens, '& fi toutes les données
qui nous manquent nous étoient fournies à la fois;,
fi le dégré d’influence de chaque eaiife dans le
concours de-toutes, nous étoit afligné avec préci-
fion, nous aurions avec les mêmes faits des ré-
fnltats politiques tout différens. On peut dire à ces
philofophes qui voient fi clairement dans le pafle
! la liaifoh des caufes avec les effets, ce que la Fontaine
difbit aux aftrologues : »L’étatoù nous voyons
» aujourd’hui l’univers, méritoit bien que quel-
77 ques-uns d’eux j ’euflènt prévu & annoncé ; que
» ne font-ils donc fait ? Et quant à l’avenir, les
77 caufes font fous, leurs y eu x , que ne prédifent-
. 97 ils les effets ? »
Et par oü l'un p é r it, un autre eft confervé.
a dit Corneille ; & il eft vrai que tel eft fouvent
le réfultat de l’hiftorre dans fes principaux événemens
; cependant le. rapport des effets avec leurs
caufes eft infaillible & invariable ; d’où vient donc
cette différence, finon de ce que les caufes paroifi*
fent être les mêmes, & ne font pas les mêmes,
& de ce qu’aux caufes apparentes fe mêlent des
caufes réelles, mais fecrettes, qui nous échappent.
I l en échappe bien peu fans doute à M. de Mdn-
tefquieu , il met dans le plus beau jour les
grands talens , les grandes vues de fon héros ; il
prouve très-bien que fi la vi&oire lui donna tout,
îl fît tout auflî pour fe procurer la vi&oire, qu’il
mit à faire fes conquêtes & à les conferver, un art
fupérieur peut-être à fa valeur même, qu’il conquit
tout pour tout conferver; il finit par dire :
» Alexandre fit deux mauvaifes allions ; il brûla
» Perfépolis & tua Clitus. Il les rendit célèbres
v par fon repentir, &c. ».
Mais ne nt-il que ces deux mauvaifes aétions ?
Sans parler de Callifthène indignement mutilé ,
enchaîné avec un chien dans une cage de fer, &
traîné par-tout à fa fuite dans cet état pour avoir
refufè de l’adorer; de Lyfimaque livré aux bêtes pour
avoir terminé les maux de ce philofophe fon ami,
&c. Je Crains bien que l’admiration d’Homère, &
l’imitation d’Achille ne l’aient mené trop loin ; je
crains qu’il n’ait traîné Bétis vivant autour
des murs de Gaza, parce qu’Achille avoit traîné
le corps d’He&or autour des murs de Troie ; je
crains qu’il n’ait brûlé Perfépolis , parce qu’Achille
vouloir brûler Troie, & que Pyrrhus., fon fils, la
brûla ; je crains même qu’il n’ait immolé des victimes
humaines fur le tombeau d’Epbeftion, parce
qu’Achille en avoit immolé fur le tombeau de Pa-
trocle, &c. Il eft vrai que M. de Montefquieu nous
avertit de ne pas croire ceux qui ont fait un roman
de Phiftoire d’Alexandre ; mais veut-il nous réduire
à l’autorité d’Arrien, 1e feul auteur qu’il cite,& veut-
il que nous rejettions tout ce qu’ont dit Quinte-
Curce, Plutarque, Juftin , &c. ?
Les idées fur Alexandre font du moins aujourd’hui
reélifiées & fixées ; ce n’eft plus le deftruc-
teur de Thêbes, de T y r , de Perfépolis qu’on
admire dans Alexandre , c’eft le héros généreux
qui couronne la fermeté de Porus, qui
refpeéfe le malheur de Darius, la douleur de fa
mère , la beauté de fa femme , l’innocence de fes
filles ; qui venge fur le perfide Beffus ce roi lâchement
trahi; qui veut venger fur lui-même l’indif-
cret Clitus; qui fent l’amitié, qùi l’ennoblit, qui
dit à Syfigambis : Vous ne vous trompe^ p'rs, Éphef-
tion efl auffi Alexandre , qui fonde Alexandrie, qui
établit un grandcommerce, & fe fait pardonner par-
là d’avoir formé un grand empire.
Charles XII n’en favoit pas tant, c’étoit le conquérant
feul qu’il admiroit & qu’il vouloit imiter
dans Alexandre. On fait avec quelle indignation il
déchira le feuillet de Boileau, où étoient les vers
que nous avons cités plus haut ; il n’avoit pas lès
vices d'Alexandre , mais il n’avoit pas fon génie &
fes talens : I l n étoit point Alexandre, dit Montef-
quieu;/7itf/J il aurait été le meilleurfoldat d’Alexandre. Alexandre de Paphlagonie „ ( Hifl. anc. )
fut un célèbre impofteur qui étonna le vulgaire'
par de prétendus prodiges. Les Poètes avoient débité
qu’Efculape avoit été métamorphofé en ferment,
fymbole de la prudence que doivent avoir
ceux qui , comme lu i, profeffent l’art de guérir.
Ce célèbre médecin, révéré comme fe difpenfa-
teur de la fanté , devint l’objet d’un culte religieux
, 8c tint fe premier rang parmi fes divinités
Hifloire. Tom. I.
inférieures. Alexandre profita de la crédulité populaire
, pour ufurper 1e titre d'homme infpiré ; &
s’étant aflccié Croconas, chroniqueur bifantin auflî
artificieux que lui , il courut les provinces fous
plufieurs empereurs Romains. Les peuples de Ma-
cédbine avoient l’art d’appriveifer fes ferpens, r&
on en voyoit de fi priyés, qu’ils tétoient fes femmes
, & jouoient avec fes enfans fans leur faire
aucun mal. Alexandre étudia leur méthode, & fe
fervit d’un de ces animaux pour établir dans fa
patrie un culte qui pût y attirer fes offrandes des
nations. Les deux impofteurs paffèrent à Calcédoine
, là ils cachèrent dans un vieux temple
d’Apollon qu’on démoliffoit, quelques lâmes de
cuivre , où ils écrivirent qu’Efculape avoit réfolii
de fe fixer dans fe bourg d’Abonus en Paphlagonie.
Ces lames furent bientôt découvertes; Croconas
, comme 1e plus éloquent, prêcha cette prophétie
dans toute l’Afie mineure, & fur-tout
dans la contrée qui alloit être honorée de la
préfence du dieu de la fanté ; tandis q\x Alexandre
, vêtu en prêtre de Cybèfe, annonçoit un oracle
de la Sybille, portant qu’il alloit venir de Si-
nople fur 1e Pont-Euxin , un libérateur d’Aufonie ;
& pour donner plus de poids à fes promeiïes, il
fe fer voit de termes myftiques & inintelligibles ,
mêlant la langue juive avec la grecque 8c la latine
qu’il prononçoit d’un ton plein d’enthoufiafme ; ce
qùi faifoit croire qu’il étoit faifi d’une fureur divine
: fes contorfions étoient effrayantes, fa bouche
vomifloit une écume abondante par 1e moyen
d’une racine qui provoquoit fes humeurs. Ses
connoiflânces dans les inéchaniques favorifèrent
encore fes impoftures, il fabriqua la tête d’un dra-
* gon dont il ouvroit & fermoit la gueule à fon
g ré , par 1e moyen d’un crin dé cheval : ce fut
avec cette tête oc fon ferpent apprivoifé qu’il fé-'
duifit.^ plufieurs provinces î il n’y a, pas beauçoup
de mérite à tromper les hommes.,
Les Paphlagoniens s’empreffèrent de çonftruire
un temple digne d’un Dieu qui leur donnoit la
préférence; & tandis qu’on en jette fes fondemens,
il cache dans la fontaine faerêe, un oeuf où étoit
renfermé un ferpent qui venoit de naître. Des
qu’il eût préparé 1e prodige, ii fe rend dans la
..place publique vêtu d’une écharpe d’br ; fes pas
étoient chancelans comme s’il eut été tranfporté
d’une ivrefle myftérieufe , Tes yeux refoiroient
la fureur , fa bouche étoit èeumarite, & fes cheveux
étoient épars à la manière des prêtres de
Cybèfe. Il monte fur l’autel, il exalte fes profpérités
dont 1e peuple alloit jouir : la multitude l’écoute
avec un reipecl religieux , chacun fe profterne
& fait des voeux. Quand il voit les imaginations
embrafées du feu de fon fanatifme, il entonne une
hÿminè en l’honneur d’Efculape, qu’il invite de
fe montrer à l’aflemblée , & quelques-uns même
crurent voir ce Dieu ; il enfonce un vafe dans
l’eau d’où il tiré un oeuf, & s’écrie : peuple, voici
votre Dieu ; il. 1e cafle 8c l’on en voit fortlr nu
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