
de Voltaire eft immortel ? Ses farcafmes contre fes
ennemis, farcafmes fi redoutés de fon temps, ennuieront
la poftérité ; les originaux ne feront plus
là pour être comparés à leurs portraits. Quand
Virgife dit :
Qai JBavium non odit , amet tua earnàna , Mcevî.
Je vois deux coups portés à la fois d’une main
adroite & sûre ; je vois que Virgile auroit été fa-
tyrique, s’il avoit voulu l’être ; mais que m’importe
Bavius & Mævius ? que m’importent même aujourd’hui
Cotin ou Cafîaigne? Si Triffotin & Va-
dius plaifent toujours, ce n’eft pas comme repré-
fentant Cotin & Ménage ; c’eft comme offrant un
portrait vrai & durable des pédans de tous les pays •
& de tous les âges. Que nous, importent aujourd'hui
les jéfuites & les cal vinifies du temps de M.
'Amauld ? On ne peut s’empêcher de regretter qu’il
ait perdu à tâcher de les rendre odieux ou ridicules ,
un temps & des efforts qu’il eût pu employer à
îaiffer des monumens plus durables de fon beau
génie & de fa vafle érudition.
La cour opprimoit M. Amauld, parce que les
jéfuites le vouloient ; mais elle eût voulu l’hono-
rer & le récompenfer, s’il avoit daigné fe prêter
à fes faveurs. Il avoit été exclu de Sorbonne pour
des propofitions réputées janfénifles , ce qui a fait
dire à Boileau.
Amauld, qui fur la grâce inftriur par Jéfus-Chrift,
Combattant pour l’églife , a , dans Téglife même ,
Souffert plus d’un outrage & plus d’un anathème.
La trop paffagère paix de Clément IX en 1668,
amena une trêve entre Amauld & les jéfuites^, la
cour de France & la cour de Rome y prirent part;
Amauld fut préfenté par des évêques au nonce,
qui lui dit : qu’ il ne pouvoit mieux employer fa plume
d’or quà défendre l’églife. Le roi Louis X IV , auquel
il fut préfenté par ton neveu, M. de Pomponne,
miniftre des affaires étrangères, lui tint à-peu-près
le même langage. J ’ai été bien aife, lui dit-il, de
voir un homme de votre mérite , & je fiouhaite que
vous employiez vos grands talens à la défenfe de la
religion. Monfieur, frère du ro i, s’avança vers lui
en difant : I l faut bien faire quelque pas pour .voir
un homme f i rare. Mais les homlités & les perfécu-
tions recommencèrent bientôt; Louis XIV crut
Amauld dangereux ; c’étoit le moyen de le rendre
tel. Il fut obligé de fe cacher ; mais en fe cachant,
il augmentoit le nombre de fes difciples & de fes
admirateurs, & il leur étoit toujours préfent. Quelqu’un
difoit devant Boileau, que le roi faifoit chercher
M. Amauld y & vouloir le faire arrêter ; le
roi y répondit Boileau, efi trop heureux pour le trouver.
Ce poète vante par-tout M. Arnauld, & s’honore
fur-tout de fon fuffrage :
Amauld , le grand Amauld fit mon apologie.
Amauld fe retira en 167^ dans les Pays-Bas. Il
y vécut, dit l’auteur du fiècle de Louis XIV , ju£
qu’à quatre-vingt-deux ans, dans une retraite ignoré
e , inconnu , fans fortune, même fans domefti-
que, lui, dont le neveu avoit été miniftre d’état,
lui qui auroit pu être cardinal. Il l’auroit p u i l eft
vrai; mais aux conditions qu’on exigeoit, il auroit
été un cardinal ordinaire ; il fut le doéteur par excellence.
Il n’avoit pas prévu ce qu’il perdroit un
jour dans la poftérité; mais il calculoit très-bien
ce que l’honneur d’être le chef d’un parti opprimé
lui rapportoit de fon vivant de confidération &de
refpeéfs. M. Amauld, dit M. de Fontenelle, avoit
imparti nombreux qui chantoit viéloire pour fon
chef, dès qu’il paroiffoit dans la lice. Le plaifir d’écrire
en liberté, pourfuit l’auteur du fiècle de Louis
X IV , lui tint lieu de tout. Il donna jufqu’au dernier
moment l’exemple d’une ame pure, forte , inébranlable
, & fupérieure à la mauvaife fortune.
On rapporte de lui un petit fait qui annonce au
moins de la fimplicité dans les moeurs. Il alloit par
la voiture publique voir l’évêque d’Angers, fon
frère ; on parla beaucoup du livre de la perpétuité,
de la foi qui venoit de paroître , & tout le monde
le vanta. M. Amauld, qui en connoifîoit mieux les
défauts que perfonne, crut devoir, par modeftie,
les relever , & rabattre un peu des éloges. Ce téméraire
, qui ofoit attaquer le grand Amauld, fean-
dalifabeaucoup, on ne le lui diffimula point, & on
lui déclara fans ménagement qu’on ne le croyoit
pas fait pour entrer en lice avec un tel écrivain.
Quand on fut arrivé à quelques lieues d’Angers,
on y trouva le carroffe de l’evêque, qui envoyoit
prendre fon frère ; les domeftiques de l’évêque le
nommèrent en le demandant à la voiture publique ,
& il fallut reconnoître que l’adverfaire de M. Arnauld
n’étoit pas indigne de lui.
Un autre petit trait cara&érife M. Arnauld. M.
Nicole , qui avoit tant combattu avec lui les corrupteurs
de la morale, les ennemis de la fo i, &
fur-tout les ennemis de Port-Royal , lui difoit un
jour qu’il étoit las de cette guerre de plume , &;
qu’il vouloit enfin fe repofer. Vous repofer ! répondit
M. Amauld9 eh! n’aurez- vous'pas l’éternité toute
entière pour vous repofer ? mot qui refiemble affez
à celui de l’évêque d’Angers : Donnez-moi donc un
jour oit je ne fois pas évêque.
M. Amauld ne fe repofa en effet que dans J’é-
ternité, il écrivit & combattit toute fa vie. Ses
oeuvres éparfes fqrmoiem près de cent volumes en
différens formats ; on en a donné un recueil complet
en plufieurs volumes i/2-40. à Laufanne; »en
I777».I77^ & 1779.Indépendamment des ouvrages
que nous avons déjà nommés , fes écrits contre
les miniftres Claude & Jurieu , contre le père
Malebranche de l’Oratoire, contre le P. Maimbourg,
& les jéfuites, font connus, ou plutôt comme nous
l’avons dit, ils commencent à être oubliés.
Le gouvernement, quand il ne perfécutoit pas
M. Amauld, employoit volontiers la plume contre
fes ennemis, parce qu’elle étoit forte & accréditée,
L’ouvrage intitulé : Le prince d’Orange ^ nouvel Ab*
falon y nouvel Hérode , nouveau Cromwel, eft reconnu
pour être de M. Amauld, & ce n’eft pas détruire.
cette idée, que d’obferver, avec l’auteur du fiècle
de Louis X IV , .que le titre de cet ouvrage eft du
ftyle du P. Garafie. M. Arnauld fe pennettoit quelquefois
ce ftyle dans la difpute, il avoit de la fainte
colère ; il a même fait un traité exprès pour la
juftifier par l’exemple de l’écriture fainte & dès
pères. Le gouvernement adopta l’écrit de M. Arnauld
contre le prince d’Orange , & le fit répandre
dans les cours étrangères.
On afliire que M. Amauld, dans le temps même
où il étoit perfécuté par la France, comme l’ennemi
des rois, & fur-tout des papes , entretenoit '
toujours des intelligences avec la cour de Rome,
& qu’il ne ceffa point d’avoir dans cette cour un
crédit fecret, qui triompha plus d’une fois du crédit
éclatant des jéfuites. Tant le befoin qu’on a du
talent & du favoir fe fait fentir à travers toute l’en-
.vie qu’ils excitent I
. Mais ce qu’on ne fait pas peut-être affez, c’eft
que de tous les écrits polémiques de M .Amauld y
le plus éloquent, le plus intéreffant & le plus utile
a été compofé pour la défenfe des jéfuites, dans
une occafion où ils ètoient calomniés & opprimés ;
ce qui fait un honneur infini à M. Amauld y en
montrant qu’il étoit toujours prêt à défendre la
vérité, & que les intérêts de parti ne prévaloient
point chez lu i, fur ceux de la juftice & de l’humanité.
Cet écrit eft intitulé : Apologie du clergé de
France , & des catholiques d’Angleterre, contre une
prétendue confpiration papifte qu’on leur imputa
vers la fin du règne de Charles II. L’auteur y met
dans tout fon jour une vérité trifte , mais dont il
importe dé fe pénétrer, c’eft qu’il n’y a point d’excès
où les fureurs de parti ne püifîent entraîner ,
& qu’il n’y a pojnt d’innocence qui puiffe tenir
contre les interprétations finiftres de la haine &
de la vengeance. Le fanatifme d’ailleurs croit tout
& voit tout ; chez une nation tranfportée de zèle
pour la réforme , comme l’étoit alors l’Angleterre,
Il fuffifoit d’accufer les catholiques, & de dénoncer
les jéfuites, pour être cru & accueilli : on fit d’abord
parvenir au roi, par des voies détournées ,
des avis myftérieux , qui lui faifoient craindre tantôt
Taffafîinat, tantôt le poifon ; d’après ces avis ,
on entendit des témoins , les uns déjà flétris par la
juftice, les autres, plus heureux jufqu’alors , mais
non moins infâmes. On eut foin de ne les produire 5iir la fcène que les uns après les autres, de manière
que les derniers pufîent adapter leurs déportions
à celles des premiers qu’on leur communi-
quoit ou qui étoient déjà publiques. Leur roman
fût qu’on devoit brûler Londres & Weftminfter ,
rétablir le catholicifme dans les trois royaumes ;
la vie du roi étoit menacée de tous cotés, & pour
qu’il ne pût échapper , les uns s’étoient chargés de
Tafiafliner, les autres de l’empoifonner. Un jéfuiter
avoit dit ou, écrit, que fi le roi ne vouloit pas être
C. R. (catholique romain ) il ne feroit plus R. C.
(roi Charles.) Le P. Oliva, général des jéfuites,
devoit être le véritable roi de la Grande-Bretagne
fous l’autorité du pape : il avoit déjà difpofé des
dignités & des emplois. L’Éfpagne & la France,
quoiqu’en guerre enfemble, concouroient au fuc-
cès de l’entreprife ; le P. de la Chaife étbit le lieutenant
d’O liva, comme Oliva l’étoit du pape. Mais
ce n’étoit ni au pape, ni aux jéfuites qu’on en
vouloit, c’étoit au duc d’Yorck, (depuis Jacques II.)
Les témoins chargèrent fur-tout fon fécretaire de
confiance , nommé Coleman y qui prêtoit à ces ac-
eufations par fon zèle pour le catholicifme & par
les correfpondances qu’il entretenoit en fon propre
nom & au nom du duc d’Yorck avec le pape &
les; jéfuites. On faifit fes papiers ; on y trouva partout
l’expreffion des voeux les plus ardens pour le
rétabliffement de la foi catholique, ce qui pafla
pour une démonftration du complot de Coleman,
&yde la complicité du duc d’Yorck. Coleman fut
envoyé au fupplice.
Mais il falloit donner au roi un grand intérêt
d’abandonner fon frère ; la reine n’avoit point d’en-
fans ; on fa voit que le roi ne l’aimoit pas ; on pré-
fumoit qu’il fauroit gré à ceux, qui rompant fes
premiers noeuds, lui rendroient la liberté d’en former
d’autres & l’efpérànce de donner un héritier
au trône. Ils firent donc à l’égard de la reine, ce
qu’ils avoient fait à l’égard au duc d’Y orck; ils
l’accusèrent indirectement dans la perfonne d’un
homme qui lui étoit attaché ; ils firent réfulter des
informations, que le roi devoit être empoifonné
par Wakemàn, médecin de la reine.
Cependant le duc d’Yorck pouvoit triompher de
tous les obftacles, & fuccéder à la couronne , ( ce
qui arriva en effet) il étoit bon à tout évènement
de le divifer d’intérêt d’avec les jéfuites, fur-tout
en rendant ceux-ci plus noirs & plus odieux ; on
fit donc encore réfulter des informations, que les
jéfuites, en même temps qu’ils faifoient affaffiner
le roi par le duc d’Yorck, confpiroient d’affafliner
le duc d’Yorck lui-même, s’il prétendoit jamais
être en Angleterre autre chofe que le vicaire du
pape ScVafiilié des jéfuites.
Il arriva de plus un incident qu’on avoit vrai-
femblablement fait naître, & dont on tira un grand
parti. Godfrey , juge de paix, qui avoit reçu les
premières dépofitions dans cette affaire , fut trouvé
mort dans un foffé, ayant fon épée paffée au travers
du corps, comme s’il fe fut tué lui-même ;
mais des marques qu’on crut lui voir au cou, &
des contufions qu’on crut lui trou ver à la poitrine,
firent penfer qu’il avoit été affafliné ; car c’étoit-là
ce qu’on vouloit croire. Des bagues reliées à fes
doigts, de l’argent trouvé dans fes poches , écar-
toient l’idée qu’il fût tombé entre les mains des
voleurs : cet affaflinat étoit donc l’ouvrage de la
haine & de la vengeance. Les droteftans*publioient
.que les jéfuites avoient voulu punir ce juge d’avoir
reçu les dépofitions faites contre eux, & effrayer